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Décisions

Cass. crim., 4 avril 2012, n° 10-85.283

COUR DE CASSATION

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Louvel

Rapporteur :

M. Bloch

Avocat général :

M. Cordier

Avocats :

SCP Delaporte, Briard, Trichet, Me Ricard

Paris, prés., du 6 mai 2010

6 mai 2010

LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par la société X, contre l'ordonnance n° 182 du premier président de la Cour d'appel de Paris, en date du 6 mai 2010, qui a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention ayant autorisé des opérations de visite et saisie, en vue de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles ; - Vu les mémoires en demande, en défense, et les observations complémentaires produits ; - Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles L. 450-4 et L. 420-1 du Code de commerce, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que l'ordonnance attaquée a débouté la société X de ses demandes à l'encontre de l'ordonnance d'autorisation de visites et saisies domiciliaires rendue par le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Paris, en date du 17 juin 2010 ;

"aux motifs propres qu'il convient de rappeler que, conformément à l'article L. 450-4 du Code de commerce, le juge doit vérifier que la demande d'autorisation qui lui est soumise est fondée, cette demande devant comporter tous les éléments d'information en possession du demandeur de nature à justifier la visite ; qu'à l'appui de sa requête, l'administration a produit, notamment, la demande d'enquête du Conseil de la concurrence accompagnée de la note du rapporteur, la demande d'enquête de l'autorité allemande de concurrence Bundeskartellamt et la copie du procès-verbal de réception de la demande de clémence devant le Conseil de la concurrence en version " anonymisée " ; qu'après analyse de ces documents, il apparaît qu'une société a sollicité le Conseil de la concurrence afin de bénéficier d'une demande de clémence dans le secteur de la production et de la commercialisation de farines alimentaires et que la demande d'enquête du Conseil de la concurrence, accompagnée de la note du rapporteur reprenant les déclarations des conseils du demandeur de clémence, contient la dénonciation de plusieurs pratiques prohibées, à savoir que des accords auraient été conclus entre minotiers français et allemands sur la vente de farine de blé tendre vendue en petits paquets, que ces accords prévoyaient que les entreprises allemandes de meunerie ne devaient pas renforcer leurs volumes de vente en France et que les entreprises françaises ne devaient pas renforcer leurs volumes de vente en Allemagne, que ces accords auraient été évoqués lors de différentes réunions, que la société X aurait demandé à être indemnisée de la perte causée par un manquement d'un minotier allemand à l'entente présumée et aurait obtenu une indemnité de 150 000 euro ; que, dans sa demande d'enquête, l'autorité de concurrence allemande décrit les mêmes pratiques en ces termes : " il est interdit d'étendre ses activités sur les secteurs voisins et toute transgression occasionnelle faisait l'objet d'une demande de compensation... " ; que si la société X ne figure pas parmi les actionnaires de la société Y qui est visée dans la demande d'enquête de l'autorité allemande, il existe des liens entre ces deux sociétés, le dirigeant de la société Y étant l'un des administrateurs de X qui est l'entreprise commune de distribution des principaux meuniers français ;

"et aux motifs adoptés qu'à l'appui de ses allégations, l'Administration verse divers documents dont la consultation permet de retenir les points suivants, qu'une société a sollicité le Conseil de la concurrence afin de bénéficier d'une mesure de clémence dans le secteur de la production et de la commercialisation de farines alimentaires, que le Conseil a adopté, conformément aux dispositions de l'article L. 464-2-IV du Code de commerce, un avis de clémence non public concernant cette société et ce secteur ; que la société qui a obtenu une mesure de clémence conditionnelle a souhaité conserver l'anonymat afin d'éviter des mesures de représailles ; que, lors du dépôt de la requête, le procès-verbal de réception du Conseil de la concurrence dans sa version intégrale, qui justifie que les conseils du demandeur de clémence ont été reçus par le Conseil de la concurrence, nous a été présenté et nous avons pu le consulter ; que ce document a pour seul intérêt de mentionner le nom du demandeur de clémence ; qu'ainsi, nous avons pu nous assurer de l'identité et de l'existence du demandeur de clémence ; qu'une version anonymisée de ce document figure en annexe 4 à la requête ; que plusieurs pratiques prohibées mises en œuvre sur le marché français de la production et de la commercialisation des farines alimentaires sont dénoncées par la note de la rapporteure au Conseil de la concurrence et reprennent les déclarations des conseils du demandeur de la clémence ; que des accords auraient été passés entre minotiers allemands et français s'agissant de la farine de blé tendre vendue en petits paquets ; que les accords conclus entre minotiers français et allemands prévoyaient que les entreprises allemandes de meunerie ne devaient pas renforcer leurs volumes de vente de petits paquets en France, et que les entreprises françaises ne devaient pas non plus renforcer leurs volumes de vente en Allemagne ; qu'il était également convenu que les entreprises pouvaient, à terme, augmenter leurs parts de marchés seulement par le biais d'acquisitions d'autres entreprises mais non au moyen d'une concurrence agressive par les prix ; que des représentants des entreprises françaises et allemandes de meunerie auraient, le 26 août 2003, participé à une réunion dans un restaurant à Strasbourg ; qu'il s'agissait d'une prise de contact au cours de laquelle des questions générales sur le secteur de la meunerie auraient été évoquées ; qu'à cette réunion auraient été présentés M. 1 de Y, M. 2 de Z SA et M. 3 de A ; que les accords mentionnés ci-dessus auraient aussi été évoqués entre les membres du cartel allemand présumé et d'autres entreprises de meunerie européennes au moins lors de la réunion de l'association européenne de meunerie (xxx) à Nice du 28 mai 2004 et vraisemblablement au cours d'autres rencontres ; que des réunions se seraient tenues à Francfort auxquelles participaient des producteurs allemands et au cours desquelles aurait été conclu un accord limitant à 15 000 tonnes par an les expéditions de farine en petit paquet de l'Allemagne vers la France ; qu'au cours des années 2004, 2005 et 2006, un minotier allemand, la société B GmbH aurait obtenu des commandes auprès d'un client français, conduisant au dépassement de ce quota de 15 000 tonnes ; que la société X aurait alors demandé aux producteurs allemands d'être indemnisée de la perte qui lui aurait été causée par ce manquement à l'entente présumée et aurait obtenu une indemnité de 150 000 euro ; que deux réunions se seraient tenues et au cours desquelles ce problème dans l'exécution de l'accord aurait été réglé : la première aurait eu lieu à "l'Industrieclub " à Düsseldorf ; que M. 1 de Y et M. 4 de X y auraient participé ; que les sociétés Y, X et Z semblent avoir un rôle déterminant dans les pratiques dénoncées ; que d'autres acteurs importants du secteur sont liés à ces sociétés ; que ces pratiques consistant en divers accords entre opérateurs concurrents en vue de faire entrave à la libre circulation des produits sur le territoire communautaire, de se répartir les clientèles nationales respectives et d'harmoniser les tarifs constituent un faisceau d'indices graves et concordants laissant présumer l'existence d'un système d'entente ayant des effets en France et en Allemagne ; que ces accords semblent être en vigueur depuis au moins 2003 ; que les faits dénoncés et décrits ci-dessus dans le cadre de la demande de clémence sont susceptibles de relever des pratiques prohibées par les articles L. 420-1 du Code de commerce dans ses points 2° et 4° et 81-1 du traité instituant la Communauté européenne ; que la Bundeskartellamt demande à la DGCCRF de bien vouloir procéder à des investigations inopinées au siège français de la société Y ; que la demande d'enquête de la rapporteure générale adjointe du Conseil de la concurrence dans le secteur des farines alimentaires vise également cette société ; que la demande de la Bundeskartellamt nous a été présentée dans sa version intégrale ; que nous avons pu la consulter ; que néanmoins elle contient des éléments concernant les demandeurs de clémence ; que ceux-ci souhaitent conserver l'anonymat ; qu'une version anonymisée de ce document a donc été placée en annexe n° 2 à la requête ; que la Bundeskartellamt dispose d'éléments permettant de présumer une entente entre minotiers français et allemands ; que l'enquête du Bundeskartellamt menée auprès des minotiers allemands a permis de découvrir l'existence de lettres d'invitation mentionnant la participation de collègues français pour les dates suivantes : le 23 juillet 2003 à Paris, le 26 août 2003 à Strasbourg, le 24 septembre 2003 à Francfort, 14 décembre 2003 à " l'Industrieclub " de Düsseldorf, le 23 juillet 2004 à l'hôtel " A la Cour d'Alsace " à Obernay et enfin le 18 août 2004 à l'aéroport de Düsseldorf ; que, par ailleurs, le Bundeskartellamt dispose d'éléments qui confirmeraient l'objet anticoncurrentiel des accords passés lors de l'opération de rachat de la société allemande C GmbH et notamment l'existence de compensations versées [à] Y ; qu'ainsi, la portée de nos présomptions est suffisante au regard des qualifications prévues à l'article L. 420-1 du Code de commerce dans ses points 2° et 4°) et 81-1 du traité instituant la Communauté européenne ; que la recherche de la preuve de ces pratiques nous apparaît justifiée ; que l'énumération des agissements pour lesquels il existe des présomptions d'entente n'est probablement pas exhaustive, les agissements mentionnés dans la présente ordonnance n'étant que des illustrations de pratiques prohibées dont la preuve est recherchée dans le secteur concerné ; que les faits dénoncés et décrits ci-dessus sont susceptibles de relever des pratiques prohibées par les articles L. 420-1 du Code de commerce dans ses points 2° et 4° et 81-1 du traité instituant la Communauté européenne ; que, par ailleurs l'utilisation des pouvoirs définis à l'article L. 450-3 du Code de commerce ne paraît pas suffisante pour permettre à l'Administration de corroborer ses soupçons ; qu'en effet, les actions concertées, conventions ou ententes qui ont pour objet ou pour effet de faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse et se répartir les marchés sont établies suivant des modalités secrètes, et les documents nécessaires à la preuve des pratiques et/ou accords prohibés présumés sont vraisemblablement conservés dans des lieux et sous une forme qui facilitent leur dissimulation ou leur destruction en cas de vérification ; que le recours aux pouvoirs de l'article L. 450-4 du Code de commerce constitue donc le seul moyen d'atteindre les objectifs recherchés ; qu'en outre, les opérations de visites et de saisies sollicitées ne sont pas disproportionnées compte tenu que les intérêts des entreprises concernées sont garantis dès lors que les pouvoirs de l'Administration sont utilisés sous notre contrôle ; qu'il convient, en conséquence, de rechercher les lieux où se trouvent le plus vraisemblablement les documents nécessaires à l'apport de cette preuve ; qu'il est vraisemblable qu'ils se trouvent dans les locaux des sociétés X, Y et Z, qui apparaissent au coeur des pratiques relevées dans le secteur des farines alimentaires du fait de leurs participations à des échanges d'informations réguliers ;

"1°) alors que le juge d'appel doit vérifier de manière concrète par l'appréciation des éléments d'information fournis par l'Administration que l'autorisation de visites et saisies domiciliaires du juge des libertés et de la détention est bien fondée et doit, à cette fin, analyser et viser les pièces produites par l'Administration desquelles il tire les faits fondant son appréciation ; qu'en se bornant à affirmer, pour justifier des présomptions de pratiques anticoncurrentielles à l'encontre de la société X qu'elle est l'entreprise commune de distribution des principaux meuniers français sans indiquer les éléments d'information fournis par l'Administration à l'appui de sa requête au juge des libertés et de la détention, sur lesquels elle fonde cette affirmation non retenue par le premier juge, l'ordonnance attaquée est privée de base légale au regard des exigences de l'article L. 450-4 du Code de commerce et n'est pas motivée ;

"2°) alors que les déclarations du demandeur de clémence, en application de l'article L. 464-2-IV du Code de commerce ne peuvent fonder des présomptions de pratiques anticoncurrentielles que si elles sont étayées par d'autres éléments d'information produits par l'Administration à l'appui de sa requête et analysés par le juge ; qu'en l'espèce, il résulte de l'ordonnance confirmative attaquée que les présomptions de pratiques anticoncurrentielles retenues par les juges du fond résultent des déclarations du demandeur de clémence reprises par une note du rapporteur au Conseil de la concurrence, c'est-à-dire de ce que la société X aurait obtenu une indemnité de 150 000 euro d'un minotier allemand en compensation du manquement à un accord conclu entre minotiers allemands à l'issue de réunions tenues à Francfort et de ce que M. 4 de X aurait participé à une réunion de minotiers à Dusseldörf avec un dirigeant de la société Y ; qu'à défaut d'avoir étayé ces déclarations par d'autres informations produites par l'Administration à l'appui de sa requête et analysées par elle, l'ordonnance confirmative attaquée est privée de base légale ;

"3°) alors que la constatation qu'un administrateur est commun à une société présumée avoir des pratiques anticoncurrentielles et à une autre société ne suffit pas à elle seule à caractériser des présomptions ou des indices d'agissements anticoncurrentiels à l'encontre de cette dernière société dès lors qu'aucun élément n'a été produit par l'Administration à l'appui de sa requête au juge des libertés et de la détention permettant de faire le lien entre les pratiques prohibées présumées et cette dernière société ; que, dans ces conditions, à supposer que le président de la société Y ait été également administrateur de la société X, cette circonstance ne permettait pas à elle seule de caractériser des présomptions de pratiques anticoncurrentielles à l'encontre de cette dernière de sorte qu'en se fondant sur cet élément pour justifier des telles présomptions à l'encontre de la société X, l'ordonnance attaquée a violé l'article L. 450-4 du Code de commerce ;

"4°) alors qu'il résulte de l'annexe 5 à la requête de l'Administration au juge des libertés et de la détention que le président de la société Y est M. 5 tandis que l'administrateur de la société X est M. 6 ; qu'en ne précisant pas sur quel élément d'information fourni par l'Administration à l'appui de sa requête elle fondait l'affirmation selon laquelle le président de la société Y serait également administrateur de X, l'ordonnance attaquée est privée de base légale";

Attendu qu'il résulte de l'ordonnance attaquée et des pièces de procédure que, saisi le 23 avril 2008, par le rapporteur général adjoint du Conseil de la concurrence, d'une demande d'enquête relative à des pratiques anticoncurrentielles dans le secteur des farines alimentaires, le chef de la direction nationale des enquêtes de concurrence, de consommation et de répression des fraudes a présenté une requête aux fins d'autorisation de visites et saisie dans les locaux de huit entreprises de ce secteur, parmi lesquelles la société X ; que, par ordonnance du 17 juin 2008, le juge des libertés et de la détention a fait droit à cette demande ;

Attendu que, pour confirmer l'ordonnance de ce magistrat en ce qui concerne l'autorisation d'opérations de visite et saisie dans les locaux de la société X, le juge d'appel prononce par les motifs, propres et adoptés, repris au moyen ;

Attendu que le premier président s'est référé, en les analysant, aux éléments d'information produits par l'Administration et a souverainement apprécié l'existence de présomptions d'agissements anticoncurrentiels à l'encontre de la société X ; d'où il suit que le moyen ne peut qu'être écarté ;

Et attendu que l'ordonnance est régulière en la forme ;

Rejette le pourvoi.