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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 11 avril 2012, n° 09-28642

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Holder (SAS)

Défendeur :

Transgourmet Services (GIE), Aldis Alsace Ewoco (SAS), Aldis Bourgogne (SAS), Transgourmet Ile-de-France (SAS), Aldis Lorraine (SAS), Aldis Midi-Pyrénées (SAS), Aldis Sud Est (SAS), Aldis Aquitaine (SAS), Aldis Ouest (SAS), Aldis Centre (SAS), Etablissements Fernand Damide & Fils (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Roche

Conseillers :

Mme Luc, M. Vert

Avocats :

Mes Fisselier, Faizant, Guizard, Maire, Gramling

T. com. Créteil, du 8 sept. 2009

8 septembre 2009

LA COUR,

Vu le jugement en date du 8 septembre 2009 par lequel le Tribunal de commerce de Créteil a estimé que la rupture des relations commerciales entre la société Holder et chacune des sociétés du GIE Transgourmet n'avait pas été brutale et, sous le régime de l'exécution provisoire, a condamné la société Holder à payer, à chacune des sociétés composant le GIE Transgourmet Services, une somme correspondant à un préavis d'un mois non exécuté, évaluée à un taux de marge mensuelle de 21,15 % (soit les sommes de 7 030,89 euro à la société Aldis Alsace Ewoco ; de 2 370,31 euro à la société Aldis Bourgogne ; de 79 885,64 euro à la société Transgourmet Ile-de-France ; de 3 754,14 euro à la société Aldis Lorraine ; de 2 309,62 euro à la société Aldis Midi-Pyrénées; de 22 597,55 euro à la société Aldis Sud Est 2 ; de 8 809,78 euro à la société Aldis Aquitaine ; de 2 401,97 euro à la société Aldis Ouest ; de 7 477,31 euro à la société Aldis Centre ; de 34 059,33 euro à la société Etablissements Fernand Damide et Fils), lesdites sommes portant intérêts au taux légal à compter du 5 novembre 2007, débouté la société Transgourmet Services, ainsi que les sociétés Etablissements Fernand Damide et Fils et Aldis Alsace de leurs demandes de dommages-intérêts et condamné la société Holder à payer à chacune des sociétés mentionnées plus haut la somme de 1 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Vu l'appel interjeté le 23 décembre 2009 par la société Holder et ses conclusions enregistrées le 22 avril 2010 tendant à faire infirmer le jugement entrepris, débouter les sociétés intimées de toutes leurs demandes, et les voir condamner à lui payer in solidum la somme de 20 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Vu les conclusions des sociétés Transgourmet Services GIE et Aldis Sud Est 2, venant aux droits des sociétés Aldis Alsace Ewoco, Aldis Bourgogne, Transgourmet Ile-de-France, Aldis Lorraine, Aldis Midi-Pyrénées, Aldis Aquitaine, Aldis Ouest, Aldis Centre et Etablissements Fernand Damide et Fils, enregistrées le 24 janvier 2012, tendant à voir confirmer le jugement entrepris sur la nécessité de respecter un préavis et l'infirmer sur la durée de celui-ci et son indemnisation, condamner la société Holder à payer à la société Transgourmet GIE la somme globale de 2 253 594,10 euro (dont 2 047 638 euro au titre de la perte de marge, 10 000 euro pour la brutalité de la rupture, 5 955,32 euro pour le stock de marchandises non écoulé et 100 000 euro pour le préjudice d'image), avec intérêts au taux légal à compter du 5 novembre 2007 et capitalisation des intérêts échus, et enfin payer à chacune des sociétés la somme de 15 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

SUR CE,

Considérant qu'il résulte de l'instruction les faits suivants :

La société Holder exerce l'activité de ventes à emporter par l'intermédiaire de magasins détenus en nom propre ou franchisés sous les enseignes Paul, Saint-Preux et Hold & Co pour lesquels elle joue le rôle de centrale d'achat.

Les sociétés Aldis Sud Est 2, Aldis Alsace Ewoco, Aldis Bourgogne, Transgourmet Ile-de-France, Aldis Lorraine, Aldis Midi-Pyrénées, Aldis Aquitaine, Aldis Ouest, Aldis Centre et Etablissements Fernand Damide et Fils appartiennent au groupe Transgourmet et exercent une activité de grossiste en produits alimentaires et d'hygiène dans le domaine de la restauration hors foyer. En 1999, les sociétés intimées ont fait l'objet d'une transmission universelle de patrimoine au profit de la société Aldis Sud Est.

Ces dix sociétés, ayant été agréées par la société Holder en 1997, approvisionnent depuis cette date les sociétés du groupe Holder en marchandises, chacune dans leur zone de chalandise. Les commandes sont passées entre chaque société détaillante et chaque grossiste du groupe Transgourmet. Les factures sont adressées à la holding Transgourmet France.

Ces sociétés grossistes adhèrent au GIE Transgourmet et appliquent les tarifs et conditions générales fixés au niveau de la holding Transgourmet France.

Dès 2005, la société Holder a interrogé ses fournisseurs, dont Transgourmet, par appel d'offres, afin de conclure un projet de convention, dans le but d'améliorer la logistique et réduire les coûts. Cet appel d'offres a été émis par le biais de la SNC Moulin Bleu et Cie, chargée au sein du groupe Holder, d'assurer la logistique associée à l'approvisionnement des magasins. Il était daté du 28 octobre 2005 et ses destinataires étaient invités à y répondre le 15 décembre 2005. Il était communiqué à M. Loridon de la société Transgourmet par courrier électronique du 8 novembre 2005. Le 26 décembre 2005, la société Transgourmet a adressé à la société Holder un courrier électronique dans lequel elle expliquait que ses membres n'étaient pas en mesure de répondre aux exigences logistiques de Holder. Malgré le refus du GIE Transgourmet de répondre à l'appel d'offres, les relations se sont poursuivies entre les parties.

Interrogée le 19 octobre 2006 par la société Transgourmet sur la date définitive d'arrêt de leurs relations d'affaires, la société Holder informait celle-ci que la date n'était pas encore connue : "date d'arrêt du courant d'affaires. Nous tenons à vous informer que nous n'avons pas à ce jour défini la date d'arrêt du courant d'affaires. Elle vous sera communiquée dès validation de ma hiérarchie. Nous tenons toutefois à vous confirmer que l'arrêt de notre collaboration respectera les clauses "définies dans le contrat de collaboration en cours de finalisation".

Le 4 mai 2007, sans autre préavis, la société Holder mettait fin aux relations commerciales en ces termes : "Nous tenons à vous informer, par la présente, que nous mettons fin à nos relations commerciales du fait de la réorganisation de notre système de distribution de produits. Lorsque nous vous avons fait part de cette réorganisation, vous nous aviez indiqué ne pouvoir répondre à nos attentes dans le cadre de la mise en place de cette nouvelle stratégie. Nous joignons, en conséquence, notre plan de désengagement progressif pour un arrêt total de l'activité au début du mois de juin". Les commandes se sont arrêtées sur certains sites entre le 5 et le 9 mai 2007. Le nouveau fournisseur désigné à la suite de l'appel d'offres était la société Brake France. Dans un courrier du 10 mai 2007, le GIE, estimant la rupture brutale, mettait la société Holder en demeure de poursuivre les relations commerciales jusqu'au 31 décembre 2007.

Par acte du 5 novembre 2007, les sociétés du groupe et la société Transgourmet Services GIE ont fait assigner la société Holder devant le tribunal de commerce pour faire dire brutale et abusive la résiliation intervenue.

Sur la résiliation du contrat

Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce qu'"Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'Economie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. Lorsque la rupture de la relation commerciale résulte d'une mise en concurrence par enchères à distance, la durée minimale de préavis est double de celle résultant de l'application des dispositions du présent alinéa dans les cas où la durée du préavis initial est de moins de six mois, et d'au moins un an dans les autres cas" ;

Considérant que si le GIE Transgourmet et les sociétés membres demandent que soit constatée la rupture brutale des relations commerciales aux torts de la société Holder et que le préavis soit fixé à 12 mois, compte tenu de l'ancienneté de leurs relations commerciales d'une durée de dix ans, la société Holder prétend que la rupture intervenue a été annoncée par le lancement de l'appel d'offres du 28 octobre 2005 et n'a pris effet que le 4 mai 2007 et que le délai ainsi écoulé, de plus de 18 mois, a tenu lieu de préavis suffisant, enlevant à la rupture tout caractère de brutalité ;

Considérant qu'il ressort de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce que la brutalité de la rupture résulte de l'absence de préavis écrit ou de l'insuffisance de la durée de ce préavis au regard des relations commerciales antérieures ; que c'est la société qui rompt les relations commerciales qui doit manifester à son partenaire son intention de ne pas les poursuivre dans les conditions antérieures ; que cette manifestation d'intention fait courir le délai de préavis ;

Considérant que l'appel d'offres du 28 octobre 2005 ne porte pas sur une étude de faisabilité, contrairement aux allégations du GIE Transgourmet, mais bien sur la recherche d'un partenaire chargé "de la gestion des stocks, des réapprovisionnements, de la préparation de commandes, de la livraison des produits frais, secs et surgelés à destination des magasins à enseigne du groupe (Holder)" ; qu'il ressort d'un courrier du 24 octobre 2005, adressé par la société Aldis Services Plus (GIE Transgourmet) à la société Holder, que dès cette date, le fournisseur était informé des projets de la société Holder et prêt à étudier ses demandes logistiques : "vous nous avez exposé votre projet logistique consistant essentiellement à avoir une meilleure maîtrise des prix d'achat, à massifier les approvisionnements et à diminuer dans l'ensemble les coûts d'approche et ce tant en épicerie qu'en surgelés, voire en frais. Aldis en tant que distributeur et Synergies en tant que prestataire logistique sont deux organismes qui peuvent répondre à vos attentes et le projet nous intéresse" ; que le 8 novembre 2005, l'appel d'offres était officiellement communiqué au GIE ; qu'étant lui-même en cours de réorganisation, le GIE a répondu le 26 décembre 2005, par courrier électronique, "qu'il n'était pas aujourd'hui en mesure de répondre aux attentes logistiques formulées en garantissant une qualité de service telle que celle apportée depuis plusieurs années" ; que dans le même courrier, le GIE se disait prêt à étudier "ensemble le maintien de la distribution de familles de produits pour lesquelles vous souhaiteriez préserver nos services" ; que le 16 octobre 2006, évoquant "de nombreux échanges téléphoniques" préalables, le GIE Transgourmet interrogeait la société Holder sur la date d'arrêt de leur courant d'affaires, montrant ainsi que le principe de cet arrêt était déjà acquis ; qu'il ressort clairement de ces échanges que le GIE Transgourmet n'entretenait aucune illusion sur le maintien des relations contractuelles, ayant renoncé lui-même à soumissionner à l'appel d'offres ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, par la notification au GIE de son recours à la procédure d'appel d'offres pour choisir un fournisseur répondant à ses exigences logistiques, la société Holder manifestait son intention de ne pas poursuivre les relations contractuelles dans les conditions antérieures et faisait ainsi courir le délai de préavis expirant en mai 2007, date de la notification du terme de ce préavis ; que le délai de 18 mois ainsi respecté enlève à la rupture tout caractère de brutalité, compte tenu de la durée des relations commerciales de 10 ans et de l'envergure du groupe Transgourmet ; que la croissance du chiffre d'affaires du GIE avec les affiliés de la société Holder en 2005 et en 2006 ne vient qu'étayer l'effectivité du préavis ainsi consenti ; que la demande du GIE sera donc rejetée sans qu'il soit besoin d'examiner ses prétentions indemnitaires, toutes basées sur les conséquences dommageables de la rupture intervenue ; que le jugement déféré, qui a alloué une indemnité correspondant à la marge brute réalisée sur un mois de préavis, sera donc infirmé, sauf en ce qu'il a estimé que la rupture intervenue n'était pas brutale ;

Par ces motifs : Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a estimé que la rupture intervenue n'avait pas été brutale, L'infirme pour le surplus, et, statuant à nouveau, Déboute la société Transgourmet Services GIE et la société Aldis Sud Est 2, venant aux droits des sociétés Aldis Alsace Ewoco, Aldis Bourgogne, Transgourmet Ile-de-France, Aldis Lorraine, Aldis Midi-Pyrénées, Aldis Aquitaine, Aldis Ouest, Aldis Centre et Etablissements Fernand Damide et Fils de l'ensemble de leurs demandes, y ajoutant, Les condamne aux dépens de première instance et exposés en appel avec recouvrement dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile, Déboute les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du Code de procédure civile.