CA Colmar, 1re ch. civ. A, 27 octobre 2009, n° 08-03640
COLMAR
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Möbel Martin GmbH & Co. KG
Défendeur :
Syndicat national de l'équipement de la cuisine
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Hoffbeck
Conseillers :
MM. Cuenot, Allard
Avocats :
Mes Laissue-Stravopodis, Muschel, Boucon, Heintz
Attendu que par ordonnance du 13 mai 2008, le juge des référés du Tribunal de grande instance de Strasbourg a constaté l'irrégularité de communications publicitaires de la société de droit allemand Möbel Martin, et l'a condamnée à cesser la diffusion en France de ces documents ainsi que de tous documents publicitaires non conformes à la réglementation française, sous astreinte de 1 000 euro par infraction constatée ;
Qu'il a enjoint à cette société de communiquer l'identité de son diffuseur en France ainsi que le nombre d'exemplaires de catalogues diffusés, et qu'il a ordonné une publicité dans plusieurs journaux dans la limite de 5 000 euro ;
Qu'il a condamné enfin la société Möbel Martin à payer au syndicat demandeur une compensation de 1 000 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Attendu que la société de droit allemand Möbel Martin a relevé appel le 17 juillet 2008 de cette ordonnance, dont la signification n'apparaît pas ;
Que son appel doit être considéré comme recevable ;
Attendu qu'au soutien de celui-ci, la société Möbel Martin indique que le juge des référés du Tribunal de grande instance de Strasbourg n'était pas territorialement compétent, dans la mesure où aucun tract n'a été diffusé dans le ressort de cette juridiction, mais seulement en Lorraine ainsi que dans la région de Saverne et de Molsheim ;
Qu'elle conteste la recevabilité de l'action d'un syndicat professionnel en ce qu'elle est fondée sur des motifs d'intérêt général ou de protection des consommateurs ;
Qu'elle indique en fait qu'elle ne vend pas d'éléments de cuisine séparés, et qu'il ne lui est pas possible d'indiquer des prix d'éléments séparés ;
Qu'elle précise que les ventes qu'elle effectue en Allemagne sont soumises au droit allemand, qui ne connaît pas de disposition comparable à celles qu'on lui reproche de ne pas appliquer ;
Qu'elle invoque la directive du 11 mai 2005, qui doit s'appliquer à l'exclusion de toutes dispositions nationales selon elle ;
Qu'elle fait valoir que selon cette directive, les composantes du prix ou l'indication des remises ne constituent pas une information déterminante, dont l'omission conduirait à faire considérer ses pratiques comme trompeuses, ambiguës ou agressives ;
Qu'elle estime que la description de ses produits dans ses publicités est suffisante et satisfait aux exigences de la directive ;
Qu'elle propose subsidiairement de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne ;
Qu'elle conclut à l'infirmation de l'ordonnance entreprise, à l'incompétence du Tribunal de grande instance de Strasbourg, et subsidiairement à l'irrecevabilité ou au rejet des demandes du Syndicat de l'équipement de la cuisine ;
Qu'elle propose subsidiairement de poser des questions préjudicielles à la Cour européenne, et qu'elle sollicite une compensation de 3 000 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Attendu que le Syndicat national de l'équipement de la cuisine conclut à la confirmation de l'ordonnance entreprise, sauf à préciser que le bulletin de cuisine diffusé par la société Möbel Martin contrevient à la réglementation française de la publicité, et à porter l'astreinte à 10 000 euro ;
Qu'il sollicite une compensation de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Attendu que la cour rappelle que l'instance qui lui est dévolue fait suite à la diffusion de tracts publicitaires en France par une société Möbel Martin qui a plusieurs points de vente dans la région de Sarrebruck en Allemagne ;
Attendu qu'il est constant et reconnu que ces tracts ont été diffusés dans le Nord de l'Alsace ;
Attendu que la société Möbel Martin indique un peu curieusement que cette diffusion aurait été limitée au ressort du Tribunal de grande instance de Saverne, ce qui aurait rendu incompétent le Tribunal de grande instance de Strasbourg ;
Attendu que cette allégation n'est naturellement pas vraisemblable, et que l'on imagine mal une diffusion de tracts publicitaires qui respecterait les limites très arbitraires de compétence d'une juridiction de première instance ;
Qu'en réalité, des attestations produites par le syndicat demandeur font état d'une diffusion dans la région de Wissembourg ;
Attendu qu'au demeurant, le moyen d'incompétence territoriale n'a plus aucun intérêt devant cette cour conformément à l'article 79 du Code de procédure civile, dans la mesure où la cour de céans est juridiction d'appel des décisions rendues par le Tribunal de grande instance de Saverne ;
Que même en cas d'infirmation, cette cour aurait dû par conséquent statuer ;
Attendu que la cour confirme par conséquent le rejet du moyen d'incompétence territoriale ;
Attendu qu'il est constant que l'action d'un syndicat professionnel est recevable en ce qu'elle tend à défendre les intérêts professionnels dont il a la charge ;
Attendu qu'en l'espèce, l'action du Syndicat national de l'équipement de la cuisine ne vise pas seulement à appliquer une réglementation d'intérêt général, mais également à défendre les intérêts des professionnels de l'équipement de la cuisine contre des pratiques commerciales, qui, si elles étaient avérées, seraient effectivement génératrices d'une concurrence déloyale ;
Que son action doit donc être considérée comme recevable ;
Attendu qu'elle concerne au fond la diffusion de tracts publicitaires dans les régions frontalières de la part d'un commerçant en meubles installé à Sarrebruck en Allemagne ;
Que le syndicat demandeur reproche généralement à ces tracts d'être imprécis, et même potentiellement illusoires en ce qui concerne les annonces de remises de prix ;
Attendu que la publicité dans un pays est naturellement soumise aux règles territorialement applicables, comme le sont généralement les délits et quasi-délits ;
Qu'il importe peu à cet égard que la vente puisse être concrétisée dans les magasins situés sur le territoire allemand ;
Attendu que la société Möbel Martin revendique principalement l'application de la directive européenne du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales ;
Attendu que selon elle, cette directive se substituerait de plein droit aux réglementations nationales, en excluant les dispositions telles que le décret du 14 mars 1986 sur le commerce de l'ameublement ;
Attendu cependant que cette allégation ne paraît pas pouvoir être suivie, et que les directives ont au contraire besoin en principe de mesures législatives ou réglementaires de transposition ;
Attendu qu'il est reconnu actuellement qu'elles peuvent avoir un effet d'exclusion de mesures nationales non conformes ;
Attendu cependant que l'appelante ne démontre pas la non-conformité des dispositions en cause, et notamment du décret du 14 mars 1986 sur le commerce de l'ameublement et de l'arrêté du 2 septembre 1977 sur la publicité des prix ;
Qu'il apparaît à cette cour que tout au contraire, de telles dispositions sont dans le droit fil de la directive, notamment en ce qu'elle répute trompeuses certaines omissions dans son article 7 lorsqu'elles portent sur les caractéristiques principales du produit et sur le prix final, qui devrait même selon le "c" de l'article 7 inclure les frais de transport et de livraison, en mettant ainsi à la charge des professionnels une exigence plus lourde que les dispositions en cause ;
Attendu qu'il n'y a donc pas de contradiction entre ces dispositions et la directive, et qu'il est inutile d'interroger la Cour de justice européenne sur ce point, surtout d'ailleurs pour lui poser un problème factuel d'appréciation concrète de la valeur de la publicité de la société Möbel Martin ;
Attendu qu'en fait, cette cour observe que les tracts publicitaires en cause sont en effet un peu imprécis, et recèlent des ambiguïtés dont le principe est d'ailleurs condamné en général par la directive de 2005 ;
Attendu que la plupart de ces tracts n'énumèrent pas les objets livrés et emportés pour le prix annoncé, spécialement les appareils ménagers, contrairement aux articles 2-1° et 5 du décret du 14 mars 1986 ;
Attendu que dans le cas où il existe des options en plus ou en moins, celles-ci doivent être chiffrées conformément à l'article 4 de ce décret ;
Que l'on voit en effet que certains tracts produits mentionnent la possibilité d'ajouter un lave-vaisselle pour un faible supplément de prix, mais qu'une telle mention n'apparaît pas comme réellement suffisante, et qu'il paraît approprié en ce cas de donner un exemple de prix de lave-vaisselle en précisant sa marque et son type ;
Attendu que la plupart des tracts ne mentionnent pas les principales matières, essences ou matériaux composant les meubles de cuisine, contrairement à l'article 2-2° et 5 du décret du 14 mars 1986 ;
Que pour répondre à une objection de la société Möbel Martin, il est assez évident que les règles du commerce de l'ameublement s'appliquent effectivement aux cuisines ;
Attendu que les dimensions d'encombrement sont marquées avec le terme "environ", ce qui n'apparaît pas à cette cour comme manifestement contraire au décret, dans la mesure où il y a toujours des possibilités d'adaptation ;
Que par ailleurs, les informations techniques plus précises doivent pouvoir être fournies à l'acheteur dans les fiches d'identification, ou dans ce qui tient lieu en Allemagne de descriptif technique plus précis de l'ensemble mobilier vendu ;
Attendu que le tract intitulé "Crazy Days" de la société Möbel Martin contient une annonce de réduction de prix, sans que l'on sache les produits ou catégories de produits concernés conformément à l'article 1er de l'arrêté du 2 septembre 1977 ;
Que ce type de ristourne complètement indéterminée doit être condamné ;
Attendu par contre que les offres de ristournes en fourchettes de pourcentages variables sur les articles d'exposition n'apparaissent pas à cette cour comme manifestement illicites, et qu'elles sont d'ailleurs couramment pratiquées ;
Que de même, il n'est pas nécessaire d'indiquer hors des lieux de vente le prix de référence, mais seulement de pouvoir en justifier ;
Qu'au demeurant, la publicité de la société Möbel Martin mentionne généralement le prix de référence ;
Attendu que cette cour ne constate pas d'autres irrégularités manifestes dans les communications publicitaires de la société Möbel Martin ;
Attendu que c'est donc seulement au regard des irrégularités précisément énoncées précédemment que les communications publicitaires de la société Möbel Martin doivent être condamnées sous astreinte ;
Qu'il n'est pas possible en effet de se contenter de condamner en général l'illicéité, sans préciser autrement, et alors d'ailleurs que celle-ci doit être manifeste pour fonder une action en référé sur le fondement de l'article 809 du Code de procédure civile ;
Que l'ordonnance entreprise est donc partiellement réformée pour spécifier en quoi la publicité de la société Möbel Martin doit être modifiée sous astreinte prononcée en référé ;
Attendu que la cour ne voit pas de justification précise à une mesure de publicité de sa décision, et n'estime pas qu'une telle publicité constitue une réparation provisionnelle adéquate pour le trouble subi par les vendeurs de cuisine ;
Attendu qu'une pièce communiquée par la société Möbel Martin paraît indiquer qu'elle aurait satisfait à l'injonction de communiquer l'identité de son diffuseur ainsi que l'importance de sa publicité ;
Que ce chef de condamnation prononcé en première instance, non expressément critiqué, est cependant maintenu en tant que de besoin ;
Attendu que la cour confirme la compensation allouée en première instance au syndicat demandeur sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, et ajoute une compensation supplémentaire de 500 euro pour son obligation d'intervenir en cause d'appel ;
Que les plus amples demandes émises de part et d'autre sont rejetées ;
Par ces motifs : LA COUR, Reçoit l'appel de la société de droit allemand Möbel Martin contre l'ordonnance du 13 mai 2008 du juge des référés du Tribunal de grande instance de Strasbourg ; Au fond, Confirme l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a rejeté l'exception d'incompétence et la fin de non-recevoir proposées par la société Möbel Martin ; La réforme partiellement pour le surplus, et statuant à nouveau, Enjoint à la société Möbel Martin de cesser la diffusion en France de tous documents publicitaires qui : - n'énumèrent pas les objets livrés pour le prix, et notamment les appareils ménagers ; - n'indiquent pas la valeur précise des objets compris dans le prix global et susceptibles d'être retirés en option, et ne donnent pas un exemple de prix pour les options proposées en plus ; - ne mentionnent pas les matières, essences ou matériaux composant les meubles de cuisine ; - mentionnent des ristournes sans spécifier les produits ou catégories de produits concernés ; Condamne la société Möbel Martin à payer au syndicat demandeur une astreinte de 1 000 euro (mille euro) par communication publicitaire diffusée en France en contravention des dispositions précédentes après la signification du présent arrêt ; Confirme en tant que de besoin l'injonction faite sous astreinte à la société Möbel Martin de communiquer l'identité de son diffuseur en France ainsi que le nombre d'exemplaires du catalogue diffusé ; Rejette en référé toutes autres demandes plus amples de mise en conformité de la publicité diffusée par la société Möbel Martin ; Rejette toutes les demandes de publication présentées par le syndicat demandeur ; Confirme la condamnation de la société Möbel Martin à payer au syndicat demandeur une compensation de 1 000 euro (mille euro) sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, et y ajoutant, Condamne cette société à lui payer une compensation supplémentaire de 500 euro pour son obligation d'intervenir en cause d'appel ; Rejette toutes autres demandes plus amples émises de part et d'autre ; Condamne la société Möbel Martin aux entiers dépens de première instance et d'appel.