CA Riom, 1re ch. civ., 15 décembre 2011, n° 11-00055
RIOM
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Compte Christophe Automobiles (SARL)
Défendeur :
Montagne
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Baudron
Conseiller :
Mme Jacquemin
Avoués :
Me Gutton Perrin, SCP Goutet Arnaud
Avocats :
SELARL Kaeppelin-Mabrut-Breysse Delabre, Me Masson-Pomogier
FAITS ET PROCEDURE
Le 20 juillet 2004, Monsieur René Montagne a acquis auprès de la SARL Compte Christophe Automobiles ("la SARL Compte") un véhicule Opel Zaphira d'occasion pour un prix de 12.100 euro, le véhicule ayant déjà parcouru 86 200 kilomètres.
Invoquant une tromperie sur la distance déjà parcourue qui allait se révéler être de 150.024 kilomètres, Monsieur René Montagne a fait assigner son vendeur devant le Tribunal de grande instance du Puy-en-Velay qui, par jugement en date du 19 novembre 2010, a :
- prononcé la nullité de la vente pour erreur sur les qualités substantielles du véhicule,
- condamné le vendeur à restituer à Monsieur René Montagne la somme de 12 100 euro en contrepartie de la restitution du véhicule,
- débouté Monsieur René Montagne de sa demande de dommages et intérêts au titre des frais d'entretien et de réparation,
- condamné le vendeur au paiement d'une somme de 1 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par déclaration en date du 10 janvier 2011, la SARL Compte a formé appel de ce jugement.
Aux termes de ses dernières conclusions déposées au greffe le 29 juillet 2010, la SARL Compte demande à la cour :
- à titre principal, de réformer le jugement entrepris en ce qu'il a prononcé la nullité de la vente du véhicule, de déclarer cette vente valable et subsidiairement de dire que les sommes dues par elle seront limitées à 3 000 euro correspondant à la différence de valeur du véhicule au jour de l'achat pour tenir compte de son kilométrage réel,
- à titre subsidiaire, si la vente devait être annulée, dire qu'elle devra restituer le prix de vente sous déduction de la somme de 7 000 euro correspondant à la dépréciation du véhicule du fait de l'usure subie depuis la vente,
- condamner Monsieur René Montagne au paiement de la somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle fait valoir qu'elle n'a pas manqué à son obligation de délivrance dès lors qu'elle a livré un véhicule Opel Zaphira en bon état de fonctionnement, ce qui correspondait à l'attente des acquéreurs, le kilométrage n'étant pas une caractéristique exigée par eux ; que la preuve en est que le contrat prévoyait expressément l'impossibilité pour le vendeur de garantir le kilométrage indiqué ; qu'en toute hypothèse aucune réserve n'a été formulée par les acquéreurs pendant des années de sorte que la réception de la chose a couvert le défaut de conformité, d'autant que le véhicule n'a jamais connu d'avaries.
La SARL Compte ajoute que l'erreur ne peut être invoquée par l'acquéreur puisque le contrat attirait leur attention sur le risque encouru concernant la réalité du kilométrage du véhicule ; qu'en outre, celui-ci recherchait uniquement un véhicule en bon état de fonctionnement, le kilométrage étant un élément secondaire ; que le véhicule était en bon état puisqu'il a ensuite roulé six ans sans connaître d'avarie ; que la clause contractuelle de non-garantie du kilométrage est opposable à l'acquéreur dès lors que la SARL Compte démontre qu'elle n'avait aucun moyen de vérifier le kilométrage réel ; qu'étant de bonne foi et ayant lui-même été trompé par son propre vendeur, il peut se prévaloir de cette clause.
La SARL Compte soutient enfin que si la nullité de la vente était prononcée, il y aurait lieu de tenir compte de l'utilisation du véhicule pendant 7 ans par l'acquéreur et de déduire de la restitution du prix de vente une somme correspondant à la dépréciation du véhicule.
Aux termes de ses dernières conclusions déposées au greffe le 15 juin 2011, Monsieur René Montagne forme appel incident et demande à la cour de :
- confirmer l'annulation de la vente et la condamnation du vendeur à restituer le prix de vente,
- subsidiairement, si l'application de l'article 1110 du Code civil devait être écartée, prononcer la résolution du contrat de vente sur le fondement des articles 1603 et 1604 du même Code et dire que le vendeur devra restituer le prix de vente,
- en tous les cas, condamner le vendeur au paiement de la somme de 3 500 euro à titre de dommages et intérêts et celle de 2 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Il fait valoir que le kilométrage déjà parcouru était un élément déterminant de son consentement ; que la clause de non-garantie du kilométrage est abusive et ne peut être opposée par le vendeur professionnel à un non-professionnel ; que du reste la clause litigieuse n'a pas pour objet de décharger la vendeur de sa responsabilité mais de préciser que n'étant pas le premier propriétaire du véhicule, le garage ne peut attester précisément de son kilométrage réel. Si l'erreur devait néanmoins être écartée, il sollicite que la vente soit résolue sur le fondement des articles 1603 et 1604 du Code civil. Enfin, il sollicite la condamnation de son vendeur au paiement de la somme de 3 500 euro à titre de dommages et intérêts au titre des frais d'entretien du véhicule durant sept ans et des diverses tracasseries subies, outre la somme de 2 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
La procédure a été clôturée par une ordonnance en date du 6 septembre 2011.
SUR CE :
Attendu qu'aux termes de l'article 1109 du Code civil, il n'y a point de consentement valable s'il n'a été donné que par erreur ; que l'article 1110 du même Code précise que l'erreur n'est une cause de nullité de la convention que lorsqu'elle tombe sur la substance même de la chose ;
Attendu qu'il n'est pas discutable que le kilométrage parcouru est l'un des éléments principaux de détermination du prix en matière de vente de véhicules d'occasion, le premier juge relevant justement que ce kilométrage permettait à l'acheteur d'apprécier le degré de vétusté du véhicule, sa fiabilité et sa durée de vie résiduelle ; que le kilométrage parcouru est ainsi l'une des qualités substantielles du véhicule vendu, au même titre par exemple que l'année de mise en circulation ou le modèle ; que si des marges d'erreur sont admissibles, il n'en reste pas moins que lorsque, comme en l'espèce, l'erreur sur le nombre de kilomètres parcourus est de près du double (150 034 kilomètres réels pour 86 200 mentionnés lors de la vente), cette erreur porte sur la substance même du véhicule acheté et justifie l'annulation de la vente pour erreur ;
Attendu que la bonne foi du vendeur, qui du reste dispose d'un recours contre son propre vendeur, n'exclut pas l'erreur de l'acquéreur et l'annulation consécutive du contrat ;
Attendu que le premier juge a justement considéré que la mention 'kilométrage au compteur non garanti' figurant sur le bon de commande signifie seulement que le vendeur professionnel n'est pas le premier propriétaire du véhicule et qu'il ne peut en conséquence attester précisément du kilométrage réel mais que cette clause ne saurait priver l'acquéreur de son action afin que soit reconnue l'erreur ayant vicié son consentement par une différence de près du double entre le kilométrage réel et le kilométrage déclaré ; qu'une telle clause est bien trop imprécise pour qu'il soit considéré qu'elle transfère le risque d'erreur sur le kilométrage du professionnel vers le consommateur ;
Attendu que le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a prononcé la nullité du contrat de vente ;
Attendu que cette nullité emporte son anéantissement rétroactif du contrat de vente, les parties devant être remises dans leur état antérieur au contrat ; qu'en conséquence, c'est à bon droit que le premier juge a ordonné la restitution du véhicule au vendeur et la restitution à l'acheteur du prix initial ;
Attendu qu'en cas d'annulation du contrat pour erreur, le vendeur est en droit de solliciter une indemnité représentant, non point le prix de la jouissance du bien par l'acheteur entre la date de la vente et celle de l'annulation, mais compensant l'éventuelle détérioration du bien en raison de son usage par l'acheteur entre les mêmes dates ; qu'ainsi l'acheteur, tenu de restituer le véhicule acheté, doit répondre de la perte de valeur de ce véhicule due à sa faute ou simplement à l'usage qu'il a fait de ce véhicule ; que l'indemnité due à ce titre ne s'étend pas toutefois à l'indemnisation de la dépréciation liée seulement à l'âge du véhicule, l'acheteur ne pouvant être tenu pour responsable du temps écoulé entre la vente et l'annulation de celle-ci ;
Qu'en l'espèce, la SARL Compte verse uniquement aux débats une estimation tirée de "l'Argus-pro", du coût actuel du véhicule compte tenu de son kilométrage actuel (240 000 kilomètres), estimation faite à 2 519 euro ;
Que cependant, cette estimation tient compte du nombre de kilomètres parcourus mais aussi de l'âge du véhicule, dont les conséquences n'ont pas à être supportées par l'acheteur ; que la SARL Compte ne verse pas aux débats d'éléments d'estimation du véhicule eu égard à son âge actuel et au kilométrage à la date de la vente (soit l'estimation de la valeur actuelle du véhicule qui n'aurait pas été utilisé depuis la vente), ce qui aurait pu permettre par différence avec la somme de 2 519 euro d'estimer la dépréciation due uniquement à l'utilisation du véhicule ; que la cour ne trouve dans les pièces versées aux débats aucun élément permettant de réaliser cette appréciation ; que la méthode de calcul proposée par la SARL Compte (différence entre la valeur à la date de l'achat, compte tenu du kilométrage réel, et la valeur actuelle) ne permet pas d'isoler le facteur de dépréciation lié uniquement à l'âge ; qu'en conséquence la SARL Compte n'apporte pas la preuve qui lui incombe de la dépréciation du véhicule due à l'utilisation qu'en a faite l'acheteur ;
Attendu que le premier juge a justement considéré que l'acheteur ne saurait prétendre à l'indemnisation des frais d'entretien du véhicule qu'il a engagés et qui constituent la contrepartie de l'usage qu'il en a fait ; que l'acheteur ne démontre pas par ailleurs le préjudice lié aux "tracasseries" dont il fait état ;
Attendu en définitive que le jugement entrepris sera confirmé en toutes ses dispositions, y étant ajouté le rejet de la demande nouvelle d'indemnité au titre de l'utilisation du véhicule par l'acheteur ;
Attendu que la SARL Compte, qui succombe, assumera la charge des dépens d'appel ; qu'eu égard à l'absence de mauvaise foi de celle-ci et aux conséquences de l'annulation plusieurs années après la vente, il n'apparaît pas équitable de faire droit à la demande de Monsieur René Montagne au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions. Et y ajoutant, Déboute la SARL Compte Christophe Automobiles de sa demande de déduction de la créance de restitution du prix de vente de la somme de 7 000 euro au titre de la dépréciation du véhicule. Déboute Monsieur René Montagne de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. Condamne la SARL Compte Christophe Automobiles aux dépens d'appel et dit qu'il sera fait application de l'article 699 du Code de procédure civile.