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Décisions

CA Paris, 8e ch. B, 6 mars 1987, n° 85-016840

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Meubles Levèque (SARL)

Défendeur :

Vigoureux (Epoux), Delaroux (Sté), Etablissements Rolland (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rouchayrole

Conseillers :

MM. Antoine, Trubert

Avoués :

SCP Bernabe, Me Bolling

Avocats :

SCP Roubach Blum, Me Briolon

TI Etampes, du 5 juin 1985

5 juin 1985

Faits et procédure

La société Meubles Levèque a vendu aux époux Vigoureux le 13 février 1982 une table ronde en merisier massif et quatre chaises fer à cheval cannées le tout pour la somme de 14 896 F TTC.

La livraison a été effectuée le 20 avril 1982 et les époux Vigoureux ayant relevé des malfaçons sur le mobilier livré, les ont fait constater par huissier et en ont fait part à la société Meubles Levèque.

Aucun accord n'ayant pu intervenir entre les parties, les époux Vigoureux ont assigné la société Meubles Levèque aux fins mentionnées dans le jugement dont appel.

Il convient de préciser que par décision du 20 avril 1983 un premier expert Mme Boccador a été désignée afin d'examiner le mobilier vendu, d'en décrire les vices et de dire si ceux-ci justifient la résolution de la vente.

Par décision du 16 mai 1984, un nouvel expert "Le Centre Technique du Bois" a été commis avec mission de préciser s'il se rallie aux conclusions de Mme Boccador, de déterminer la responsabilité et d'indiquer tous éléments permettant de chiffrer le préjudice.

C'est après dépôt de ces documents qu'a été rendu le jugement dont appel.

La société Meubles Levèque, appelante, demande à la Cour par infirmation du jugement entrepris de :

- dire que les défauts constatés n'ont pas de caractère substantiel et ne justifient pas la résolution de la vente demandée par les époux Vigoureux

- lui donner acte de ce qu'elle offre de leur payer à titre de compensation des imperfections constatées la somme de 2 234,40 F représentant 15 % de la facture

- donner acte à la société Meubles Levèque de ce qu'elle renonce à son appel dirigé contre la société Delaroux, les établissements Rolland et leur syndic.

M. et Mme Vigoureux, intimés, prient la cour :

- vu l'article 1641 du Code civil, subsidiairement l'article 1116 du Code civil, plus subsidiairement l'article 1110 du même Code de :

- prononcer la résolution ou à défaut l'annulation de la vente conclue le 13 février 1982

- en conséquence ordonner la restitution du prix de vente de 14 896 F assorti des intérêts légaux à compter du paiement soit le 21 avril 1982

- condamner la société Meubles Levèque à leur payer 10 000 F de dommages et intérêts pour résistance et procédure abusive ainsi que 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

- ordonner la capitalisation des intérêts de la somme de 14 896 F.

Cela étant exposé la cour,

Considérant que la société appelante fait valoir que les défectuosités relevées par les deux experts n'ont aucun caractère de gravité, qu'elles ne rendent pas les meubles impropres à une utilisation normale et ne peuvent en conséquence être considérées comme constituant des défauts substantiels justifiant une résolution qu'elle est prête à offrir une somme de 2 234,40 F aux époux Vigoureux à titre de compensation correspondant à 15 % du prix de l'ensemble des meubles.

Considérant qu'elle soutient en outre que c'est à tort que le tribunal a dit que les époux Vigoureux s'étaient adressée aux "Maîtres ensembliers", les meubles commandés et livrés aux époux Vigoureux n'en faisaient pas partie.

Considérant que le mobilier commandé a été livré le 20 avril 1982.

Considérant que trois jours plus tard le 23 avril 1982, les intimés ont fait constater l'état de ce mobilier par un huissier de justice, lequel a relevé un certain nombre de malfaçons pour la table et de nombreux défauts pour les chaises.

Considérant que le premier expert commis par le tribunal a indiqué qu'en ce qui concernait la table, les deux allonges présentaient des rayures, que le plateau circulaire présentait notamment sur sa quasi-totalité des traces de ponçage léger mais bien visibles sous le vernis ce qui était absolument anormal sur un meuble de bonne fabrication même fait en série, qu'il s'agissait de meubles de très moyenne qualité...

Considérant qu'il a ajouté que les quatre chaises présentaient des malfaçons notamment [une] absence de vernis à l'extrême bout de leurs pieds provenant d'une mauvaise finition dans la fabrication.

Considérant que l'expert a conclu que ce mobilier est impropre à l'usage auquel il était destiné.

Considérant que le second expert commis par le tribunal, tout en constatant les mêmes imperfections, a estimé que la table était de qualité loyale et marchande, que les chaises étaient de très bonne qualité, il a estimé cependant nécessaire l'intervention du service après-vente des établissement Levèque et préconisé une remise de 10 %.

Considérant que le cachet commercial des Meubles Levèque mentionne Meubles Levèque, au-dessous : "Les Maîtres ensembliers".

Considérant que ce cachet a été apposé sur le bon de commande du 13 février 1982 ainsi que sur les lettres de change signées par les époux Vigoureux.

Considérant que sur le papier commercial de la société les Meubles Levèque est également mentionné "Les Maîtres ensembliers".

Considérant que les époux Vigoureux produisent aux débats deux catalogues sur lesquels sont mentionnés les "Maîtres ensembliers" et "Meubles Levèque".

Considérant que la publicité incluse dans ces documents vante les mérites de ces meubles qui sont fabriqués d'une façon "quasi-artisanale" et où "chaque cas est un cas particulier auquel les "Maîtres ensembliers" consacrent leur expérience et leurs moyens".

Considérant que les époux Vigoureux étaient en droit d'attendre du fait de la publicité faite par les Meubles Levèque portant principalement sur les réalisations des "Maîtres ensembliers" et en raison du coût du mobilier acheté une fabrication exempte de tout reproche.

Considérant que la société appelante fait valoir que les meubles commandés et livrées ne faisaient pas partie de cette collection mais qu'ils avaient été fabriqués par la société Rolland.

Considérant qu'il convient d'observer en tout état de cause que la publicité faite par la société Rolland ainsi qu'il résulte d'un document versé aux débats mentionne : qualité meubles = médaille d'or : 1973, 1974, 1975, 1976, 1977, 1978, 1979, 1980, 1981, 1982.

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les époux Vigoureux n'auraient pas contracté s'ils n'avaient pas été assurés d'acquérir des meubles de fabrication impeccable.

Qu'il s'ensuit qu'il y a lieu de prononcer la nullité de la vente pour erreur portant sur les qualités substantielles de la chose et de condamner les établissements Levèque au remboursement du prix de vente avec intérêts au taux légal à compter du 21 avril 1982 contre remise du mobilier à la société appelant aux frais de cette dernière.

Considérant qu'il y a lieu de dire qu'à compter du 9 janvier 1986, les intérêts de la somme de 14 896 F dus depuis plus d'un an porteront eux-mêmes intérêts au taux légal jusqu'à paiement.

Considérant qu'il n'est pas établi que la société Meubles Levèque ait de mauvaise foi et dans un but purement dilatoire résisté à la demande des époux Vigoureux, qu'au surplus ces derniers ne justifient pas d'un préjudice distinct de celui réparé par l'octroi des intérêts moratoires, qu'il y a lieu en conséquence de les débouter de leur demande de dommages et intérêts.

Mais considérant qu'il serait inéquitable au vu des éléments de la cause de laisser à leur charge le montant des frais exposés par eux pour les besoins de la procédure et non compris dans les dépens, qu'il convient dès lors de condamner la société Meubles Levèque à leur payer la somme de 4 000 F pour les frais irrépétibles de première instance et d'appel.

Par ces motifs : Donne acte à la société Meubles Levèque de ce qu'elle renonce à son appel dirigé contre la société Delaroux, les établissements Rolland et leur syndic. Reforme le jugement entrepris. Statuant à nouveau, prononce la nullité de la vente passée le 13 février 1982 entre la société Meubles Levèque et M. et Mme Vigoureux pour erreur sur les qualités substantielles de la chose. Condamne la société Meubles Levèque à rembourser aux époux Vigoureux le prix du mobilier soit 14 896 F avec intérêts au taux légal à compter du 21 avril 1982. Dit qu'à compter du 9 janvier 1986, les intérêts de cette somme due depuis plus d'un an porteront eux-mêmes intérêts au taux légal jusqu'à paiement. Dit que les époux Vigoureux devront restituer les meubles litigieux à la société Meubles Levèque laquelle ira les prendre à ses frais au domicile des époux Vigoureux. Condamne la société Meubles Levèque à payer à M. et Mme Vigoureux 4 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Déboute la société appelant de ses demandes, M. et Mme Vigoureux du surplus des leurs. Condamne la société Meubles Levèque aux dépens de première instance et d'appel. Autorise Me Didier Bolling, avoué, à recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont il a fait l'avance sans avoir reçu provision.