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Décisions

CA Paris, 25e ch. B, 13 novembre 1992, n° 8454-91

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Automobile Ligier (Sté), Garage Sodauto (Sté)

Défendeur :

Deant

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Gautier

Conseillers :

Mme Pinot, M. Perie

Avoués :

Me Baufume, SCP Gaultier Kistner, Me Pamart

Avocats :

Mes Gaston-Mathe, Gottvalles, Fremaux

TGI Paris 5e ch. 1re sect., du 11 févrie…

11 février 1991

La Cour statue sur les appels interjetés respectivement par la société Automobiles Ligier, ci-après Ligier, et la société garage Sodauto, ci-après Sodauto, d'un jugement du Tribunal de grande instance de Paris (5e chambre, 1re section), intervenu le 11 février 1991 dans le litige qui les oppose à Mme Deant, qui a prononcé la résolution du contrat de vente du 13 octobre 1988 et condamné Ligier à restituer à Mme Deant 56 900,01 F avec intérêts au taux légal à compter du 19 juin 1989 et rejeté le surplus des demandes.

Il est fait référence pour la relation des faits et de la procédure antérieure à l'exposé des premiers juges. Il suffit ici de rappeler que Mme Deant, qui a acheté, le 1er octobre 1988, pour le prix de 56 900, 01 F, une voiturette Ligier qui lui a été livrée par Sodauto le 13 octobre 1988, a été victime d'un accident, le 19 octobre, lors d'une manœuvre qu'elle effectuait dans la cour de son domicile ; qu'elle poursuit la résolution de la vente au motif que ce véhicule, qui au moment de l'accident n'avait parcouru que 72 km, serait atteinte d'un vice caché.

Le tribunal, statuant après dépôt du rapport de M. Galibert, antérieurement désigné en qualité d'expert, a, pour faire droit à sa demande à l'encontre de Ligier, relevé, pour l'essentiel, que le plancher du véhicule présentait une résistance insuffisante à un choc d'intensité faible.

Appelant Ligier soutient qu'il résulte en réalité du rapport de M. Galibert, corroboré par les conclusions de M. Ceretti, expert qu'elle avait elle-même missionné, que l'accident est la conséquence d'un fausse manœuvre de Mme Deant et non d'un vice caché consécutif à un accident qui aurait pu se produire avant la vente, le véhicule bien qu'exposé au mondial de l'automobile n'ayant fait l'objet, à cette occasion d'aucun essai dynamique.

Elle demande donc l'infirmation du jugement, sauf en ce qu'il a débouté Mme Deant de sa demande de dommages-intérêts, et le rejet de toute les demandes de celle-ci ; subsidiairement de laisser à sa charge le coût de remis en état de la voiturette et de la condamner à lui payer 5 000 F par application de l'article 700 du NCPC.

Egalement appelant, Sodauto reproche au tribunal d'avoir rejeté sa demande à l'encontre de Mme Deant en paiement des frais d'enlèvement, de dépannage et de garage du véhicule litigieux.

Elle fait valoir qu'elle n'a commis aucune faute ; qu'elle n'est nullement responsable du vice affectant la voiturette ; qu'elle n'a de liens contractuels qu'avec Mme Deant qui lui a demandé de prendre en charge le véhicule accidenté ; qu'il appartient à cette dernière de se retourner contre Ligier, seule responsable.

Elle conclut à l'infirmation du jugement en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes et à la condamnation de Mme Deant à lui payer 17 370,27 F avec intérêts au taux légal à compter du 15 mai 1990, date de la facturation, 10 000 F de dommages-intérêts pour procédure abusive et 10 000 F par application de l'article 700 du NCPC.

Intimée, Mme Deant réplique, en se fondant essentiellement sur le rapport de M. Belmont, expert de sa compagnie d'assurances, que l'accident dont elle a été victime est bien dû à un choc antérieur à la livraison ; qu'en tous cas, subsidiairement, la vente devrait être annulée pour erreur, le véhicule ayant été vendu comme neuf alors qu'il avait été exposé au salon de l'automobile ; que, très subsidiairement, la responsabilité contractuelle des sociétés appelantes, professionnelles de l'automobile, est engagée, celles-ci ayant manqué à leur devoir de conseil et de renseignement en occultant le fait que le véhicule avait été exposé et avait subi un choc lors du transport ; qu'elles doivent donc réparer son préjudice constitué par le coût de remise en état, les frais de dépannage, d'enlèvement et de garage ; qu'à tout le moins le société Ligier, si elle est seule reconnue responsable devra la garantir des condamnations qui pourraient être prononcées contre elle de ces chefs ; que Sodauto, si sa responsabilité est retenue, devrais conserver ces frais à sa charge.

Elle prie, en définitive, la cour de confirmer le jugement, subsidiairement, d'annuler la vente pour erreur et d'ordonner la restitution du prix avec intérêts au taux légal à compter du 19 juin 1989, très subsidiairement, de retenir la responsabilité contractuelle de Ligier et Sodauto, de dire qu'elles conserveront à leur charge, respectivement, les frais de remise en état, d'une part, les frais de dépannage, enlèvement et garage, d'autre part. Elle demande leur condamnation solidaire à lui payer 8 000 F par application de l'article 700 du NCPC.

Sur ce, la cour,

Considérant que les appels de Ligier et Sodauto enregistrés sous des numéros de RG différents doivent être joints en raison de leur connexité ;

Considérant que M. Gilabert, expert désigné par le tribunal, conclut :

"(...) la partie avant du véhicule a subi un choc violent (...) l'intensité de celui-ci a été suffisamment importante pour endommager les structures renforcées du tablier avant, principalement à l'endroit où le maître-cylindre est supporté par le pédalier."

"Les pédales et leur support se sont trouvés désolidarisés du tablier avant et désaxés, ce qui entraîna le blocage de l'accélérateur sur le plancher intérieur du véhicule."

"(...) Mme Deant a parcouru un faible kilométrage avant que son véhicule ne soit endommagé et n'aurait pu l'effetuer dans l'état que nous avons constaté (...)";

Considérant que Mme Deant soutient que l'accident dont elle a été victime provient de l'emballement du moteur consécutif à la rupture du tablier amorcée avant la livraison du véhicule, ce qui a eu pour effet de projeter le véhicule sur le portail puis le mur de sa maison ;

Que, toutefois, force est de constater que si l'expert n'exclut pas un choc antérieur à l'accident dont Mme Deant a été victime, il n'écarte nullement l'hypothèse selon laquelle les dommages proviendraient d'un seul et même sinistre, imputable à une fausse manœuvre de Mme Deant, comportant deux chocs successifs ;

Que d'ailleurs, même à admettre l'existence d'un choc antérieur, rien ne permet d'affirmer qu'il se soit nécessairement produit antérieurement à la livraison.

Que ni le rapport de M. Ceretti, ni celui de M. Belmont, n'apportent sur ce point d'éléments décisifs ;

Qu'ainsi la preuve n'est pas rapportée du vice allégué ;

Considérant, en revanche, qu'il est constant que Mme Deant a passé commande d'un véhicule neuf, alors que la véhicule qui lui a été livré était un véhicule d'exposition qui avait été présenté au salon de l'automobile ;

Que cette circonstance ne lui a pas été révélée au moment de la vente ; qu'elle n'en a eu connaissance qu'au cours de l'expertise ;

Que, certes, selon l'expert, il n'a pu être procédé à aucun essai dynamique de la voiturette pendant le salon de l'automobile ; que, toutefois, son utilisation même statique pour une exposition était de nature à inquiéter Mme Deant et l'amener légitimement à refuser la livraison de ce véhicule qui avait nécessairement subi divers transports et les manipulations du public pendant le salon, alors qu'elle pouvait attendre un véhicule directement livré après sa fabrication ;

Qu'ainsi, c'est à bon droit qu'elle conclut à l'annulation de la vente pour erreur sur une qualité substantielle ;

Qu'il convient donc, infirmant le jugement, de prononcer l'annulation de la vente et d'ordonner la restitution du prix, mais, dès lors que les dommages subis par le véhicule ne sont pas imputables à Ligier, ainsi qu'il résulte des motifs précédents, déduction faite du coût de la remise en état qui peut être évalué, aux termes de l'expertise de M. Gilabert, à 6 000 F, et de condamner en conséquence Ligier, qui reprendra possession de la voiturette, à rembourser à Mme Deant 50 900,01 F avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 19 juin 1989 ;

Considérant, par ailleurs, qu'il n'est pas établi que la société Sodauto, qui a seulement procédé à la livraison du véhicule, ait eu connaissance de ce qu'il avait été exposé ; qu'elle n'avait nullement l'obligation, n'étant pas le vendeur, de rechercher s'il était bien conforme à la commande ; qu'aucune faute ne peut être retenue à sa charge, étant rappelé que la preuve n'est pas rapportée que l'existence du vice rédhibitoire allégué par Mme Deant qui doit être déboutée de toutes ses demander à son encontre et condamnée à lui payer les frais d'enlèvement et de garde du véhicule qu'il a exposé à sa demande, ce que Mme Deant ne conteste pas ;

Qu'il y a lieu d'infirmer le jugement et de condamner Mme Deant à lui payer 17 370,27 F avec intérêts au taux légal, mais seulement à compter du 27 novembre 1990, date de sa demande devant les premiers juges ;

Que Mme Deant ne peut qu'être déboutée de sa demande tendant à la prise en charge de ces frais par Ligier, puisqu'aussi bien ils sont la conséquence directe de l'accident qui n'est pas imputable à cette société ;

Considérant que la demande de dommages-intérêts de la société Sodauto doit être rejetée, n'étant pas établi que Mme Deant ait agi à son encontre par malice, intention de nuire ou erreur équipollente au dol ;

Considérant, enfin, que l'équité commande de condamner Ligier à payer à Mme Deant 8 000 F par application de l'article 700 du NCPC ; que les autres demandes de ce chef doivent être rejetées ;

Par ces motifs : LA COUR Joint les procédures RG 91-8454 et RG 91-10012; Infirme le jugement du Tribunal de grande instance de Paris (5e chambre, 1re section) du 11 février 1991, sauf en ce qu'il a statué sur les dépens ; Statuant à nouveau : Prononce l'annulation de la vente d'une voiturette intervenue le 1er octobre 1988 entre la société Automobiles Ligier et Mme Deant ; Condamne la société Automobiles Ligier à rembourser à Mme Deant 50 900, 01 F avec intérêts au taux légal à compter du 19 juin 1989 et 8 000 F par application de l'article 700 du NCPC ; dit que la société Automobiles Ligier reprendra possession de la voiturette ; Condamne Mme Deant à payer à la société garage Sodauto 17 370, 27 F avec intérêts au taux légal à compter du 27 novembre 1990 ; Rejette toute demande autre, plus ample ou contraire ; Condamne la société Automobiles Ligier aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés par la SCP Gaultier et Me Pamart, avoué, conformément aux dispositions de l'article 699 du NCPC.