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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 23 mai 2012, n° 09-09293

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Pharmacie Bourdeleix et Serrailler (Selarl)

Défendeur :

CFEB Sisley (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Roche

Conseillers :

Mme Luc, M. Vert

Avocats :

SCP Galland-Vignes, Mes Pothet, Teytaud, Cancel

T. com. Paris 1re ch., du 23 mars 2009

23 mars 2009

Vu le jugement en date du 23 mars 2009 par lequel le Tribunal de commerce de Paris a débouté la Selarl Bourdeleix et Serrailler de toutes ses demandes d'indemnisation pour refus d'agrément, débouté la société Sisley de sa demande reconventionnelle et condamné la société Bourdeleix et Serrailler à payer à la société Sisley la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Vu l'appel interjeté le 17 avril 2009 par la société Bourdeleix et Serrailler et ses conclusions enregistrées le 6 mars 2012 tendant à faire infirmer le jugement entrepris et condamner la société Sisley à lui payer la somme de 175 000 euro à titre de dommages-intérêts (soit cinq années de perte de marge : 5 x 25 000 euro), ordonner sous astreinte la livraison de sa gamme, ordonner la publication de l'arrêt à intervenir, débouter la société Sisley de sa demande reconventionnelle et la condamner à lui payer la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Vu les conclusions de la société Sisley du 14 février 2012, tendant à faire confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Bourdeleix et Serrailler, mais l'infirmer en ce qu'il a rejeté sa demande pour procédure abusive, et, statuant à nouveau, condamner la société Bourdeleix et Serrailler à lui payer la somme de 15 000 euro pour procédure abusive, outre celle de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction les faits suivants :

La société Bourdeleix et Serrailler exploite la pharmacie Bourdeleix à Saint-Tropez, au 9, rue Gambetta. La société Sisley distribue en France les produits cosmétiques de la marque éponyme, sous la forme d'un réseau de distribution sélective.

La société Bourdeleix et Serrailler a demandé à la société Sisley, par lettre recommandée avec accusé de réception du 8 novembre 2005, réitérée par la même voie les 7 mai 2006 et 29 mars 2007, un agrément en qualité de distributeur des produits de la marque Sisley. En l'absence de réponse, elle a assigné la société Sisley devant le Tribunal de commerce de Paris, par acte du 21 mai 2007, en paiement de la somme de 520 000 euro à titre de dommages-intérêts, et afin que soit ordonné à la défenderesse, sous astreinte, de lui livrer l'étendue de sa gamme. Le tribunal l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes, basées sur les articles L. 442-6-I 5°, L. 420-1, L. 420-2 du Code de commerce et 1382 du Code civil. Il a également débouté la société Sisley de sa demande reconventionnelle pour procédure abusive.

Sur le refus d'agrément

Considérant que la SELARL Bourdeleix et Serrailler soutient que la société Sisley lui aurait opposé un refus d'agrément discriminatoire, qui serait contraire aux dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce réprimant les ententes anticoncurrentielles et à celles de l'article L. 442-6, I, 1° du Code de commerce ; qu'elle soutient qu'elle remplit les critères d'agrément et que d'autres pharmacies seraient agréées par la société Sisley ;

Mais considérant que selon l'article L. 442-6-I-1° du Code commerce, en vigueur au moment des faits, "Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : De pratiquer, à l'égard d'un partenaire économique, ou d'obtenir de lui des prix, des délais de paiement, des conditions de vente ou des modalités de vente ou d'achat discriminatoires et non justifiés par des contreparties réelles en créant, de ce fait, pour ce partenaire, un désavantage ou un avantage dans la concurrence" ; mais considérant que l'intimée ne saurait utilement invoquer cet article qui sanctionnait la faute civile de discrimination, dès lors que cette disposition a été abrogée par l'article 93 de la loi dite de modernisation de l'économie du 4 août 2008 et ne peut désormais recevoir application et ce, que les faits en cause soient antérieurs ou postérieurs à son abrogation ;

Considérant que l'application de l'article L. 442-6-I-1° étant écartée, il convient d'examiner la pratique de refus d'agrément discriminatoire alléguée au regard des dispositions de l'article 1382 du Code civil et de l'article L. 420-1 du Code de commerce;

Considérant, en premier lieu, qu'il incombe à la société qui s'en prétend victime de rapporter la preuve d'une telle discrimination, c'est-à-dire d'établir que des sociétés se trouvant dans une situation comparable à celle de la pharmacie Bourdeleix seraient traitées plus favorablement par la société Sisley ; que l'existence de situations comparables s'apprécie, dans le cadre d'un réseau de distribution sélective, au regard de critères diversifiés, tels que, sans que cette énumération soit limitative, la situation de concurrence et d'environnement du magasin, ses caractéristiques, la surface de vente dédiée aux produits en cause, la qualification du personnel, l'exposition des produits, l'environnement des marques, le standing ; qu'en espèce, la société Bourdeleix et Serrailler se contente de verser aux débats des photocopies en noir et blanc et à peine lisibles de photographies prises devant des pharmacies dont la vitrine arbore le nom de la marque Sisley, sans authentifier le lieu de prise de ces clichés, ni le nom des pharmacies en question ; qu'à supposer même ces éléments probants, ils ne sauraient suffire à établir l'existence d'un pratique de discrimination, en l'absence d'indications sur les autres critères pris en compte par la société Sisley au titre de l'agrément, rappelés plus haut ; qu'ainsi, aucune pratique constitutive de faute n'étant démontrée, l'article 1382 ne saurait s'appliquer au refus d'agrément de la société Bourdeleix ;

Considérant, en second lieu, qu'à supposer même la preuve rapportée d'une application discriminatoire des critères de la distribution sélective par la société Sisley, celle-ci ne saurait constituer une entente anticoncurrentielle que si elle avait un effet sensible sur la concurrence ;

Considérant que l'article L. 464-6-1 du Code de commerce édicte une présomption de légalité, au regard du droit des ententes, des accords où " la part de marché cumulée détenue par les entreprises ou organismes parties à l'accord ou à la pratique en cause ne dépasse pas soit : a) (...) ; b) 15 % sur l'un des marchés affectés par l'accord ou la pratique lorsqu'il s'agit d'un accord ou d'une pratique entre des entreprises ou organismes qui ne sont pas concurrents existants ou potentiels sur l'un des marchés en cause" ; que seuls échappent à ce seuil de minimis, en vertu de l'article L. 464-6-2 du Code de commerce, les " accords et pratiques qui contiennent l'une quelconque des restrictions caractérisées de concurrence suivantes : a) Les restrictions qui, directement ou indirectement, isolément ou cumulées avec d'autres facteurs sur lesquels les parties peuvent influer ont pour objet la fixation de prix de vente, la limitation de la production ou des ventes, la répartition de marchés ou des clients ; b) Les restrictions aux ventes non sollicitées et réalisées par un distributeur en dehors de son territoire contractuel au profit d'utilisateurs finaux ; c) Les restrictions aux ventes par les membres d'un réseau de distribution sélective qui opèrent en tant que détaillants sur le marché, indépendamment de la possibilité d'interdire à un membre du système de distribution d'opérer à partir d'un lieu d'établissement non autorisé ; Les restrictions apportées aux livraisons croisées entre distributeurs à l'intérieur d'un système de distribution sélective, y compris entre les distributeurs opérant à des stades différents du commerce" ; que l'application discriminatoire des critères de sélection dans un réseau de distribution sélective ne figure pas au nombre de ces exceptions ; qu'il en résulte que la société Sisley ayant en 1999, sur le marché des produits cosmétiques et de parfums haut de gamme, une part de 0,2 % dont il n'est pas démontré par l'appelant qu'elle dépasse aujourd'hui les 15 %, la pratique en cause, à la supposer avérée, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, ne saurait, en tout état de cause, être sanctionnée sur le fondement de l'article L. 420-1 du Code de commerce ;

Considérant que le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a débouté la société Bourdeleix et Serrailler de ses demandes ;

Sur la demande reconventionnelle

Considérant qu'il appartient au demandeur de dommages-intérêts pour procédure abusive de caractériser dans le chef du défendeur l'existence d'une faute faisant dégénérer en abus le droit d'ester en justice ; qu'en l'espèce, la société Sisley ne démontre aucune faute dans l'exercice de ce droit par la société Bourdeleix et Serrailler, ni aucun préjudice qui en découlerait ; qu'elle sera donc déboutée de sa demande.

Par ces motifs : Confirme le jugement entrepris ; Déboute la société Bourdeleix et Serrailler de l'ensemble de ses prétentions ; Y ajoutant, Déboute la société Sisley de sa demande reconventionnelle pour procédure abusive ; Condamne la société Bourdeleix et Serrailler aux dépens d'appel avec recouvrement dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile ; La condamne à payer à la société Sisley la somme de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.