Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 24 mai 2012, n° 10-21910

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Jard (SARL), Leloup-Thomas (ès qual.), Gorins (ès qual.)

Défendeur :

Tafanel (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Perrin

Conseillers :

Mmes Pomonti, Luc

Avocats :

Mes Pellerin, Brassens-Bazalgette, Dewynter, Régnier, Ménard

T. com. Paris, du 9 mars 2010

9 mars 2010

FAITS CONSTANTS ET PROCÉDURE

Par un contrat en date du 24 juin 2004, la société Tafanel s'est portée caution d'un prêt de 45 000 euro souscrit auprès de la Société Générale pour les besoins de l'activité commerciale de la société Jard, qui exploite un fonds de commerce situé à Paris sous l'enseigne Aux Marches du Palais.

En contrepartie de la garantie financière octroyée, la société Jard a régularisé avec la société Tafanel, par contrat du 24 mai 2004, une convention de fourniture exclusive de bière pendant 5 ans et pour un nombre déterminé d'hectolitres de bière.

A compter du mois de janvier 2007, la société Jard n'a plus respecté son obligation de fourniture exclusive, en ne passant plus de commandes auprès de la société Tafanel et a résilié le contrat de fourniture.

La société Tafanel a donc fait assigner la société Jard par devant le Tribunal de commerce de Paris par acte extra-judiciaire en date du 5 octobre 2007 aux fins de la voir condamner au remboursement anticipé du prêt souscrit auprès de la Société Générale dans les droits de laquelle elle se trouve subrogée, au paiement de l'indemnité de rupture du contrat d'approvisionnement exclusif et au remboursement de l'installation de tirage de bière, dont la restitution sous astreinte est demandée à titre subsidiaire.

Par jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris en date du 17 janvier 2008, la société Jard a été placée en redressement judiciaire, Maître Gorins ayant été nommé en qualité d'administrateur judiciaire de ladite société et Maître Leloup-Thomas en qualité de mandataire judiciaire.

La société Tafanel a déclaré ses créances entre les mains de Maître Leloup-Thomas, ès-qualités de mandataire judiciaire de la société Jard.

Par acte extra-judiciaire en date du 5 mai 2008, la société Tafanel a fait assigner Maître Gorins, ès-qualités d'administrateur judiciaire de la société Jard et Maître Leloup-Thomas, ès-qualités de mandataire liquidateur de la société Jard, en reprise d'instance afin d'obtenir la fixation de sa créance.

Par jugement du 28 mai 2009, le Tribunal de commerce de Paris a arrêté un plan de redressement par voie de continuation sur dix ans.

Par jugement rendu le 9 mars 2010, assorti de l'exécution provisoire, le Tribunal de commerce de Paris a fixé au passif de la société Jard exploitant un fonds de commerce sous l'enseigne "Aux Marches du Palais" le montant de la créance de la société Tafanel, les sommes :

A titre privilégié :

- de 22 262,25 euro au titre de remboursement anticipé des échéances restant dues concernant le contrat en date du 24 juin 2004, sauf à parfaire, avec intérêts au taux contractuel de 4,60 % à compter du 20 avril 2007.

- de 667,87 euro au titre des indemnités de résiliation dudit contrat de prêt, sauf à parfaire, avec intérêts au taux contractuel de 4,60 % à compter du 20 avril 2007.

A titre chirographaire :

- 23 178,12 euro au titre des indemnités de rupture de la convention de fournitures exclusive régularisée le 24 mai 2004, sauf à parfaire, avec intérêts au taux contractuel de 4,60 % à compter du 20 avril 2007.

- 1 795,64 euro au titre de remboursement de l'installation de tirage de bière, déduction faite de l'amortissement réalisé, sauf à parfaire, avec intérêts au taux contractuel de 4,60 % à compter du 20 avril 2007.

- 2 725,16 euro au titre des marchandises livrées et impayées, sauf à parfaire, avec intérêts au taux contractuel de 4,60 % à compter du 20 avril 200

- 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Vu l'appel interjeté par la société Jard en date du 12 novembre 2010.

Vu les dernières conclusions signifiées le 26 janvier 2012 par lesquelles la société Jard demande à la cour :

- d'infirmer le jugement entrepris,

Statuant à nouveau :

- de dire et juger que le contrat d'exclusivité est interdit dès lors qu'il restreint la concurrence,

- subsidiairement de dire et juger que la rupture du contrat est imputable à la société Tafanel, la déboutant en conséquence de toutes ses demandes,

- encore plus subsidiairement, de fixer à 17 766 euro la créance de la société Tafanel,

- de condamner la société Tafanel au paiement de la somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Jard affirme à titre liminaire que son mandataire judiciaire a contesté la créance de la société Tafanel dans les temps.

Elle soutient également, que les articles 81 et 89 de la décision de la Commission européenne en date du 11 juin 2000 interdisent les contrats d'approvisionnement exclusif sauf s'ils ne réduisent pas la concurrence du commerce, ce qui est le cas dans la présente instance.

La société Jard estime enfin, que la rupture du contrat d'approvisionnement exclusif ne lui est pas imputable mais est due aux conditions exorbitantes du contrat de prêt, ainsi qu'à celles du contrat d'approvisionnement, relatives aux prix pratiqués et aux quantités minimales de bière devant être consommées.

A titre subsidiaire, elle considère que la pénalité doit être limité à 17 766 euro, en application de l'article 6 du contrat de fourniture exclusive.

Vu les dernières conclusions signifiées le 20 février 2012 par lesquelles la société Tafanel demande à la cour :

- de déclarer la société Jard mal fondée en son appel du jugement rendu le 9 mars 2010 par le Tribunal de commerce de Paris.

- de l'en débouter,

- de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Y ajoutant :

- de condamner la société Jard au paiement de la somme supplémentaire de 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Tafanel estime à titre liminaire que la contestation de la société Jard quant à l'étendue de sa créance doit être rejetée, eu égard à son caractère tardif.

Selon la société Tafanel, la société Jard ne pouvait se contenter de contester cette créance devant le juge-commissaire et aurait dû le faire devant le Tribunal de commerce de Paris.

Elle observe d'ailleurs, qu'à l'exception de l'indemnité de rupture et de celle au titre des frais irrépétibles, toutes les autres créances ont été admises et qu'elle en a été réglée par le commissaire à l'exécution du plan.

De plus, elle relève que la société Jard ne démontre pas en quoi le contrat d'approvisionnement exclusif réduirait la concurrence du commerce.

En outre, elle soutient que la société Jard ne démontre pas que la société Tafanel pratiquait à son égard des prix beaucoup plus élevés que le prix du marché et considère que les conditions du prêt consenti à la société Jard étaient tout à fait raisonnables et que le niveau de consommation de bière fixé dans le contrat d'approvisionnement exclusif était en adéquation avec la taille et la situation du fonds de commerce appartenant à la société Jard.

Enfin, elle affirme que l'indemnité de rupture doit être maintenue à hauteur de 23 178,12 euro.

Vu les assignations de la Selafa MJA, en la personne de Maître Leloup-Thomas, mandataire judiciaire de la société Jard, et de la Selarl Michel, Miroite, Gorins, en la personne de Maître Gorins, commissaire à l'exécution du plan de la société Jard, délivrées le 25 mai 2011, qui n'ont pas constitué avoué puis avocat à compter du 1er janvier 2012.

La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions initiales des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Selafa MJA, prise en la personne de Maître Leloup-Thomas, mandataire judiciaire de la société Jard, et la Selarl Michel, Miroite, Gorins, prise en la personne de Maître Gorins, commissaire à l'exécution du plan de la société Jard, ont été régulièrement assignés par exploits de Maître Avalle, huissier de justice à Paris délivré à personne le 25 mai 2011.

Dans la mesure où ces intimées n'ont pas constitué avoué, puis avocat à compter du 1er janvier 2012, l'arrêt sera réputé contradictoire en dernier ressort.

Il convient cependant d'observer qu'aucune demande n'a été formée par les autres parties à l'encontre de ces intimées.

A titre préliminaire, il y a lieu d'observer que le mandataire judiciaire a bien contesté les créances dont se prévaut la société Tafanel, les parties ayant été convoquées devant le juge-commissaire le 30 septembre 2010.

Cependant, seules deux créances peuvent à ce jour faire l'objet d'une contestation soumise à la cour :

- celle de 23 178,12 euro au titre des indemnités de rupture de la convention de fourniture exclusive régularisée le 24 mai 2004 avec intérêts au taux contractuel de 4,60 % à compter du 20 avril 2007,

- celle de 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, produites à titre chirographaire et pour lesquelles le juge-commissaire a rendu deux ordonnances en date du 30 septembre 2010, constatant qu'une instance était en cours.

Par contre les autres créances dont il est fait état dans la présente procédure, à savoir :

- celle de 22 262,25 euro au titre de remboursement anticipé des échéances restant dues concernant le contrat en date du 24 juin 2004 avec intérêts au taux contractuel de 4,60 % à compter du 20 avril 2007,

- celle de 667,87 euro au titre des indemnités de résiliation dudit contrat de prêt avec intérêts au taux contractuel de 4,60 % à compter du 20 avril 2007,

- celle de 1 795,64 euro au titre de remboursement de l'installation de tirage de bière, déduction faite de l'amortissement réalisé, avec intérêts au taux contractuel de 4,60 % à compter du 20 avril 2007,

- celle de 2 725,16 euro au titre des marchandises livrées et impayées avec intérêts au taux contractuel de 4,60 % à compter du 20 avril 2007,

ont été définitivement admises par décision du juge-commissaire du 6 novembre 2009 et ont fait l'objet, en date du 22 juin 2010, d'une notification à la société Tafanel de créances admises, de sorte qu'elles ne peuvent plus être remises en cause et qu'elles ont d'ailleurs fait l'objet de règlements par le commissaire à l'exécution du plan, en application du plan de continuation qui a été adopté.

S'agissant de l'indemnité de rupture et de celle au titre des frais irrépétibles, le fait qu'aucune contestation ne soit intervenue devant le Tribunal de commerce de Paris est sans incidence, dès lors que la cour est saisie de l'entier litige et que des contestations ont bien été formées en appel par la société Jard, qui en a le pouvoir dans le cadre du plan de continuation dont elle fait l'objet.

La société Jard fait valoir que les dispositions communautaires interdiraient les contrats d'approvisionnement exclusif.

Aucun élément du dossier ne vient cependant démontrer que la convention de fourniture de bière passée entre les parties affecte de façon sensible le commerce entre Etats membres et restreint le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun et serait donc susceptible d'être sanctionnée en application de l'article 81 du traité CE.

En effet, le distributeur, la société Tafanel, ne dispose pas d'une position dominante sur le marché de la bière.

En outre, le contrat était limité dans le temps, soit cinq années, et dans l'espace, soit l'établissement exploité par la société Jard sous l'enseigne Aux Marches du Palais.

Enfin, le contrat visait un large choix de bières, puisque l'appelante pouvait solliciter la livraison de quinze marques différentes.

Il convient de rappeler que c'est la société Jard qui a cessé de s'approvisionner auprès de la société Tafanel en janvier 2007 au motif que la société Tafanel lui aurait vendu la bière à un prix beaucoup plus élevé que celui du marché.

Mais force est de constater que la société Jard se garde bien de justifier des prix pratiqués par la concurrence. Au demeurant, elle est une professionnelle de la restauration, qui connaissait les tarifs lorsqu'elle a souscrit le contrat de fourniture de bière.

En réalité la cessation du contrat n'est pas liée aux prix pratiqués par la société Tafanel mais bien à la situation financière difficile de la société Jard qui a été déclarée en cessation des paiements au 26 février 2007, soit à la période où elle a cessé de s'approvisionner auprès de son cocontractant.

L'appelant ne peut pas plus arguer des conditions exorbitantes du prêt qui lui avait été accordé par l'intimée alors qu'il s'agissait d'un prêt de 45 000 euro remboursable sur cinq ans en mensualités de 890,49 euro, que la société Jard a honorées sans difficulté pendant près de trois ans, avec un taux d'intérêt particulièrement avantageux de 4,60 % l'an.

Enfin, la quantité de bière prévue au contrat de 350 hectolitres en cinq ans, soit 70 hectolitres par an, était manifestement en adéquation avec son activité alors qu'il s'agit d'un établissement occupant la moitié du rez-de-chaussée d'un immeuble situé en face du Palais de Tokyo et bénéficiant d'une terrasse extérieure conséquente.

D'ailleurs, la société Jard se garde bien de démontrer que les quantités qu'elle écoule aujourd'hui seraient inférieures aux prévisions du contrat litigieux.

Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, la cessation du contrat est imputable à la société Jard qui est donc redevable de l'indemnité de rupture prévue à l'article 6 du contrat et qui a été justement calculée à hauteur de 23 178,12 euro en tenant compte d'une quantité de bière réellement consommée de 32,30 hectolitres et d'un prix du litre de bière de 3,05 euro HT.

Le jugement dont appel doit donc être confirmé en toutes ses dispositions.

L'équité commande d'allouer à la société Tafanel une indemnité de 1 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire et en dernier ressort, Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, Déboute la société Jard de toutes ses demandes, Condamne la société Jard à payer à la société Tafanel la somme de 1 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Jard aux dépens d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.