CJCE, 14 mai 1975, n° 19-74
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Kali und Salz AG , Kali-Chemie AG
Défendeur :
Commission des Communautés européennes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Avocats :
Mes Doerinkel, Bache, Galler, Meyer-Landrut, Miller
1. Attendu que, par requêtes déposées au greffe de la Cour les 11 et 12 mars 1974, les sociétés Kali und Salz et Kali Chemie (ci-après) dénommées " K + S " et " KC ") ont demandé l'annulation de la décision de la Commission, du 21 décembre 1973, (JO no L 19 du 23 janvier 1974, p. 22) déclarant que constitue une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE une convention conclue le 6 juillet 1970 entre les requérantes relative à la commercialisation par K + S d'une partie de la production de potasse de KC, et leur ordonnant de mettre fin à cette infraction ;
2. Attendu que, les deux recours ayant le même objet, il y a lieu de les joindre aux fins de l'arrêt ;
3. Attendu que les requérantes sont les deux seuls producteurs de potasse de la république fédérale d'Allemagne, la production de K + S s'étant élevée à plus de 2 250 000 tonnes en 1973, et celle de KC à environ 280 000 tonnes ;
Que la potasse est livrée comme engrais, soit directement en vue de son utilisation sous forme de potasse simple, soit aux producteurs d'engrais composés en vue de sa transformation ;
Qu'aux termes de l'accord litigieux, KC cédé à K + S la part de la production qu'elle ne commercialise pas elle-même, ou qui n'est pas nécessaire pour la fabrication de son engrais compose Rhe-Kha-Phos, tandis que K + S s'engage de son cote à acheter l'excédent ainsi dégagé, les parties convenant, en outre, d'établir chaque fois pour une période de deux ans un programme de répartition prévisionnel de cette production ;
4. Attendu que, selon la décision attaquée, cet accord aurait pour effet de concentrer la quasi-totalité de l'offre d'engrais potassiques simples de la république fédérale d'Allemagne et, partant, de restreindre la concurrence sur le marché de ce produit en affectant le commerce entre Etats membres ;
5. Que pour conclure à une restriction de la concurrence la décision attaquée relève " que, dans le cas d'espèce, le marché à considérer est celui des engrais potassiques simples " ;
Que les requérantes affirment en revanche que le marché des produits potassiques constitue un tout et ne saurait être divisé en deux marchés séparés, à savoir celui des potasses simples et celui des engrais potassiques composés, ces deux produits se faisant effectivement concurrence et étant dans une large mesure substituables ;
6. Attendu que les arguments sur lesquels la commission a, dans les derniers considérants de sa décision, fonde sa thèse montrent qu'il existe une concurrence entre les deux produits, qui est déterminée par leur prix et leurs avantages intrinsèques pour l'utilisateur ;
Que les chiffres mentionnés dans la décision font apparaitre un accroissement considérable de l'utilisation des engrais potassiques composés qui cependant n'a pas éliminé celle des potasses simples ;
Que la décision attaquée affirme, il est vrai, que des considérations tenant à la nature du sol, à la disponibilité de main-d'œuvre, aux conditions atmosphériques militent dans certains cas en faveur de l'emploi de potasse simple, mais qu'il n'est pas pour autant démontré que les deux types d'engrais constituent des marches différents ;
Que la décision elle-même fait état du fait que certains utilisateurs achetant, au cours de campagnes déterminées, des engrais simples, et au cours d'autres campagnes, des engrais composés ;
7. Que, dans ces circonstances, la conclusion de la décision " qu'en tout état de cause l'exemption (visée à l'article 85, paragraphe 3) ne peut être accordée parce que l'accord donne aux participants la possibilité d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause " n'est pas motivée ;
8. Attendu que les requérantes contestent d'autre part la constatation de la décision attaquée selon laquelle l'accord enfreint l'article 85, paragraphe 1, en ce que, s'il n'oblige pas expressément KC à livrer l'ensemble de sa production de sels de potasse à K + S, son esprit et la pratique suivie par les deux firmes aboutissent au même résultat ;
Que, selon elles, KC resterait libre de ne céder à K + S que les quantités qu'elle aurait déterminées elle-même ;
Que cela serait d'ailleurs amplement démontré par le fait que la part de la production de KC cédée à K + S serait en diminution, et serait passée de 173 000 tonnes en 1971 à 129 400 tonnes en 1973, alors que celle ayant servi à la transformation en son engrais compose Rhe-Kha-Phos serait passée de 119 700 tonnes en 1971 à 150 800 tonnes en 1973 ;
9. Attendu que si KC cède sa production résiduelle de potasse simple à K + S, c'est parce qu'elle ne possède pas d'organisation de vente lui permettant de la commercialiser ;
Qu'elle a, avant 1970, écoulé cette production par l'intermédiaire du comptoir de vente qui fonctionnait alors entre tous les producteurs allemands de sels de potasse pour la distribution des engrais potassiques simples ;
Que l'accord litigieux est destiné a permettre à KC de concentrer ses efforts sur la fabrication et l'écoulement du produit compose Rhe-Kha-Phos, en décidant elle-même de la part de sa production totale vendue sous cette forme, et par conséquent du montant des excédents susceptibles d'être cédés à K + S ;
10. Attendu que, selon la décision attaquée, l'accord s'étendrait à l'ensemble de la production d'un Etat membre et aurait pour effet, de par sa nature même, d'affecter le commerce entre Etats membres ;
11. Attendu que les requérantes constatent que la défenderesse n'aurait pas à cet égard motivé sa décision comme elle y serait tenue par l'article 190 du traité CEE ;
Qu'à ce propos, ni au cours de la phase administrative, ni au cours de la procédure judiciaire, elle n'aurait suffisamment tenu compte de la situation de fait de KC sur le marché ;
12. Attendu, tout d'abord, que les quantités de potasse simple cédées par KC à K + S sont en diminution constante ;
Que, d'autre part, selon la décision attaquée, KC aurait été en mesure de mettre sur pied une organisation de vente indépendante ;
Que les requérantes ont avancé que le coût d'une telle organisation serait prohibitif pour KC, compte tenu de son chiffre d'affaires dans le secteur de la potasse simple ;
Que les exemples que cite la défenderesse d'une possible distribution conjointe de potasse simple et d'engrais composés ne sauraient être comparés avec la situation de KC, dont le reliquat de production de potasse simple est en régression constante ;
13. Qu'il n'a donc pas été justifié que la potasse simple puisse être distribuée par l'organisation qui commercialise le produit composé Rhe-Kha-Phos, qui lui est concurrent ;
14. Attendu qu'il résulte de l'ensemble de ces circonstances que la réduction continue des quantités de potasse simple dont KC dispose après fabrication de Rhe-Kha-Phos et, d'autre part, le déclin concomitant des besoins d'engrais potassiques simples au profit des engrais composés pouvaient faire obstacle à la mise en place par KC d'un onéreux appareil de distribution pour l'écoulement d'un simple reliquat de production qui s'amenuise chaque année ;
Que cette situation pouvait conduire à admettre que des mesures exceptionnelles soient prises, pour l'écoulement de ce reliquat de production, dans le cadre d'un accord qui s'analyse pour KC non en une obligation, mais en une faculté de vendre à K + S ;
15. Que, dès lors, la décision attaquée apparait ainsi insuffisamment motivée, en tout cas en ce qui concerne le rejet de la demande d'exemption ;
Sur les dépens
16. Attendu qu'aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens ;
Que, la défenderesse ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens ;
Par ces motifs,
La Cour
Déclare et arrête :
1) La décision de la Commission, du 21 décembre 1973 (IV/795), est annulée.
2) La Commission supportera l'ensemble des dépens.