CJCE, 1re ch., 3 juillet 1980, n° 157-79
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Regina
Défendeur :
Pieck
1. Par ordonnance du 5 septembre 1979, parvenue à la Cour le 10 octobre suivant, la Pontypridd magistrates' court a posé, en application de l'article 177 du traité CEE, trois questions relatives à l'interprétation des articles 7 et 48 du traité, ainsi que des directives du Conseil 64-221, du 25 février 1964, pour la coordination des mesures spéciales aux étrangers en matière de déplacement et de séjour justifiées par des raisons d'ordre public, de sécurité publique et de sante publique (JO 1964, p. 850), et 68-360, du 15 octobre 1968, relative à la suppression des restrictions au déplacement et au séjour des travailleurs des Etats membres et de leur famille à l'intérieur de la Communauté (JO n° L 257, p. 13).
2. La juridiction nationale a été saisie d'une poursuite pénale dirigée contre un ressortissant néerlandais résidant à Cardiff, au pays de Galles, et qui y exerce une activité salariée, lequel est prévenu d'être, n'étant pas " patrial " (ressortissant britannique ayant le droit de résidence au Royaume-Uni) et étant seulement autorisé à entrer au Royaume-Uni ou y séjourner pour une période limitée, sciemment resté au-delà du délai autorisé. Le prévenu ne disposait pas d'une carte de séjour ; lors de sa dernière entrée en territoire britannique, le 29 juillet 1978, un cachet portant les mots " autorisé à entrer au Royaume-Uni pour une période de six mois " a été apposé sur son passeport.
Sur la première question
3. Par sa première question, le tribunal demande quel est le sens des termes " visa d'entrée ou obligation équivalente " contenus à l'article 3, paragraphe 2, de la directive 68-360.
4. La Cour a déjà constaté à différentes reprises que le droit des ressortissants d'un Etat membre d'entrer sur le territoire d'un autre Etat membre et d'y séjourner, aux fins voulues par le traité, constitue un droit directement conféré par le traité ou, selon le cas, par les dispositions prises pour sa mise en œuvre.
5. La directive 68-360 a pour but, comme l'indiquent ses considérants, d'arrêter, en ce qui concerne la suppression des restrictions encore existantes en matière de déplacement et de séjour à l'intérieur de la Communauté, des mesures conformes aux droits et facultés reconnus aux ressortissants des Etats membres par le règlement n° 1612-68 du Conseil, du 15 octobre 1968, sur la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté (JO n° L 257, p. 2). A cet effet, la directive prévoit les conditions dans lesquelles les ressortissants des Etats membres exercent leur droit de quitter le territoire de leur Etat d'origine en vue d'accéder à une activité salariée sur le territoire d'un autre Etat membre, ainsi que leur droit d'être admis sur le territoire de ce dernier Etat et d'y séjourner.
6. L'article 3, paragraphe 1, de la directive dispose à cet égard que les Etats membres admettent sur leur territoire les personnes auxquelles s'applique le règlement n° 1612-68 sur simple présentation d'une carte d'identité ou d'un passeport en cours de validité. Le paragraphe 2 ajoute qu'aucun visa d'entrée ni obligation équivalente ne peut être imposé aux travailleurs en question.
7. Pendant la procédure devant la Cour, le gouvernement britannique a soutenu que l'expression " visa d'entrée " se réfère exclusivement à une autorisation d'entrée délivrée avant l'arrivée du voyageur à la frontière, sous la forme d'une indication dans son passeport ou d'un document séparé. Par contre, un cachet apposé sur un passeport au moment de l'arrivée et portant autorisation d'entrer sur le territoire, ne saurait être considéré comme un visa d'entrée ou un document équivalent.
8. Cette thèse ne peut être retenue. Pour l'application de la directive, qui vise à supprimer les restrictions au déplacement des travailleurs communautaires à l'intérieur de toute la Communauté, le moment où une autorisation d'entrer sur le territoire d'un Etat membre a été donnée, et portée sur un passeport ou autre document, est sans importance. Au surplus, le droit des travailleurs communautaires d'entrer sur le territoire d'un Etat membre, qui est conféré par le droit communautaire, ne saurait être conditionne par la délivrance d'une autorisation à cet effet de la part de l'administration de cet Etat membre.
9. Il est vrai que le droit d'entrée des travailleurs en cause n'est pas sans limites. Toutefois, la seule réserve que l'article 48 du traité prévoit en ce qui concerne le libre déplacement sur le territoire des Etats membres, est celle des limitations justifiées par des raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique. Cette réserve doit être comprise non comme une condition préalable posée à l'acquisition du droit d'entrée et de séjour, mais comme ouvrant la possibilité d'apporter, dans des cas individuels et en présence d'une justification appropriée, des restrictions à l'exercice d'un droit directement dérivé du traité. Dès lors, elle ne justifie pas des mesures administratives exigeant de façon générale d'autres formalités à la frontière que la simple présentation d'une carte d'identité ou d'un passeport en cours de validité.
10. Il convient, dès lors, de répondre à la première question que l'article 3, paragraphe 2, de la directive 68-360, interdisant aux Etats membres d'imposer un visa d'entrée ou obligation équivalente aux travailleurs communautaires se déplaçant à l'intérieur de la Communauté, doit être interprété en ce sens que les termes " visa d'entrée ou obligation équivalente " se réfèrent à toute formalité qui vise à autoriser l'entrée sur le territoire d'un Etat membre et qui s'ajoute au contrôle d'un passeport ou d'une carte d'identité à la frontière, quel que soit le lieu ou le moment de la délivrance de cette autorisation et quelle qu'en soit la forme.
Sur la deuxième question
11. Par sa deuxième question, la juridiction nationale voudrait savoir si l'octroi par un Etat membre, lors de l'entrée d'un ressortissant communautaire sur son territoire, d'une première autorisation de séjour pour une période limitée à six mois est compatible avec les articles 7 et 48 du traité ainsi qu'avec les directives 64-221 et 68-360.
12. L'article 4 de la directive 68-360 dispose que les Etats membres reconnaissent le droit de séjour sur leur territoire aux personnes visées par la directive, et il ajoute que ce droit est " constaté " par la délivrance d'un titre de séjour particulier. Cette disposition doit être interprétée à la lumière des considérants de la directive, selon lesquels la règlementation applicable en matière de séjour doit, dans toute la mesure du possible, rapprocher la situation des travailleurs des autres Etats membres de celle des nationaux.
13. La Cour a déjà dit, dans son arrêt du 14 juillet 1977 dans l'affaire 8-77 (Sagulo, Brenca et Bakhouche, Recueil p. 1495) que la délivrance du document spécial de séjour prévu à l'article 4 précité n'a qu'un effet déclaratif et qu'elle ne peut pas, pour des étrangers qui tirent des droits de l'article 48 du traité ou des dispositions parallèles de celui-ci, être assimilée à une autorisation de séjour impliquant un pouvoir d'appréciation des autorités nationales, telle qu'elle est prévue pour la généralité des étrangers. La Cour en a déduit qu'un Etat membre ne saurait donc exiger d'une personne protégée par les dispositions du droit communautaire la détention d'une autorisation de séjour au lieu du document prévu par les dispositions de l'article 4 de la directive 68-360.
14. Il s'ensuit que la réponse à la deuxième question a déjà été donnée par la Cour dans son arrêt précité.
Sur la troisième question
15. La troisième question demande si un ressortissant communautaire qui est resté sur le territoire d'un Etat membre au-delà du délai prévu dans l'autorisation de séjour, peut être puni dans cet Etat par des peines incluant l'emprisonnement ou une proposition d'expulsion.
16. Dans son arrêt précité du 14 juillet 1977, la Cour a déjà considéré que l'application de sanctions pénales ou d'autres mesures de contrainte est exclue dans la mesure où une personne protégée par les dispositions du droit communautaire ne s'est pas conformée à des prescriptions nationales exigeant, dans le chef d'une telle personne, la possession d'une autorisation de séjour au lieu du document prévu par la directive 68-360, les autorités nationales n'ayant pas le droit de sanctionner la méconnaissance d'une règle incompatible avec le droit communautaire.
17. Cependant, compte tenu des circonstances de l'espèce constatées par la juridiction nationale, et à la lumière de la réponse qui vient d'être donnée à la deuxième question, la troisième question peut également être comprise en ce sens qu'elle pose le problème de savoir si l'omission, par un ressortissant communautaire auquel s'applique le régime de libre circulation de travailleurs, de se munir du titre de séjour spécial prévu à l'article 4 de la directive 68-360 peut être sanctionnée par des peines incluant l'emprisonnement ou une proposition d'expulsion.
18. Parmi les sanctions rattachées à l'inobservation des formalités requises pour la constatation du droit de séjour d'un travailleur protégé par le droit communautaire, l'expulsion serait certainement incompatible avec les dispositions du traité, étant donné qu'une telle mesure constitue la négation du droit même conféré et garanti par le traité, ainsi que la Cour l'a déjà affirmé dans d'autres cas.
19. Quant aux autres sanctions, telles que l'amende et l'emprisonnement, si les autorités nationales peuvent soumettre le non-respect des dispositions relatives aux titres de séjour à des sanctions comparables à celles qui s'appliquent à des infractions nationales de moindre importance, il ne serait cependant pas justifié d'y rattacher une sanction si disproportionnée à la gravite de l'infraction qu'elle deviendrait une entrave à la libre circulation des travailleurs. Tel serait notamment le cas si cette sanction incluait des peines d'emprisonnement.
20. Il en résulte que l'omission, par un ressortissant communautaire auquel s'applique le régime de libre circulation de travailleurs, de se munir du titre de séjour spécial prévu à l'article 4 de la directive 68-360 ne peut pas être sanctionnée par une proposition d'expulsion ou par des peines allant jusqu'à l'emprisonnement.
Sur les dépens
21. Les frais exposés par le gouvernement du Royaume-Uni et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet de remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
La Cour (première chambre),
Statuant sur les questions à elle soumises par la Pontypridd magistrates' court a mid glamorgan, Wales, par ordonnance du 5 septembre 1979, dit pour droit :
1) L'article 3, paragraphe 2, de la directive du Conseil 68-360, du 15 octobre 1968, interdisant aux Etats membres d'imposer un visa d'entrée ou une obligation équivalente aux travailleurs communautaires se déplaçant à l'intérieur de la Communauté, doit être interprété en ce sens que les termes " visa d'entrée ou obligation équivalente " se réfèrent à toute formalité qui vise à autoriser l'entrée sur le territoire d'un Etat membre et qui s'ajoute au contrôle d'un passeport ou d'une carte d'identité à la frontière, quel que soit le lieu ou le moment de la délivrance de cette autorisation et quelle qu'en soit la forme.
2) a) La délivrance du document spécial de séjour prévu à l'article 4 de la directive du Conseil 68-360, du 15 octobre 1968, n'a qu'un effet déclaratif et elle ne peut pas, pour des étrangers qui tirent des droits de l'article 48 du traité CEE ou des dispositions parallèles de celui-ci, être assimilée à une autorisation de séjour impliquant un pouvoir d'appréciation des autorités nationales, telle qu'elle est prévue pour la généralité des étrangers.
b) Un Etat membre ne saurait exiger d'une personne protégée par les dispositions du droit communautaire la détention d'une autorisation de séjour au lieu du document prévu par les dispositions combinées de l'article 4, paragraphe 2, et de l'annexe de la directive 68-360.
3) L'omission, par un ressortissant communautaire auquel s'applique le régime de libre circulation de travailleurs, de se munir du titre de séjour spécial prévu à l'article 4 de la directive 68-360 ne peut pas être sanctionnée par une proposition d'expulsion ou par des peines allant jusqu'à l'emprisonnement.