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Décisions

CA Rennes, 2e ch. com., 22 mai 2007, n° 05-05263

RENNES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Pocquet (SARL)

Défendeur :

Compagnie Générale de Conserve (Sté), Compagnie Générale de Surgélation (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Le Guillanton

Conseillers :

Mmes Cocchiello, Boisselet

Avoué :

SCP Gautier-Lhermitte SCP Bazille & Genicon

Avocats :

Mes Pradel, Rolland

T. com. Vannes, du 8 juill. 2005

8 juillet 2005

FAITS ET PROCÉDURE :

Les sociétés Mac 10 et Diss devenues la société Pocquet, exercent une activité d'agence de publicité, et assuraient depuis 1990 la communication de la marque d'aucy, exploitée par les sociétés Compagnie générale de conserves (CGC), et Compagnie Générale de Surgélation (CGS).

Ces relations avaient pour cadre, en ce qui concerne CGC, un contrat signé le 22 mars 1993 pour l'année 1993, avec un avenant du même jour intéressant l'Allemagne, renouvelable par tacite reconduction avec préavis de trois mois, et, en ce qui concerne CGS, des accords ponctuels.

Le 22 septembre 2003, CGC a notifié à Mac 10 la résiliation du contrat à effet au 31 décembre 2003, en lui indiquant qu'elle souhaitait organiser une consultation d'agences de publicité par appel d'offres pour 2004. L'avenant intéressant l'Allemagne a été résilié le 21 novembre 2003, à effet au 31 décembre 2004, selon précision apportée par courrier du 24 décembre 2003.

Estimant abusives les conditions de la rupture de leurs relations commerciales, et considérant que les créations intellectuelles effectuées dans le cadre de ces relations n'avaient pas été rémunérées conformément à leurs accords, la société Pocquet a assigné le 12 mai 2004 CGC et CGS devant le Tribunal de commerce de Vannes. Elle formulait contre elles les demandes suivantes :

- au visa de l'article L. 442-6-1 du Code de commerce, à titre de dommages et intérêts du fait de la brutalité de la rupture, la somme de 1 864 673, 19 euro, se décomposant en 1 707 560, 19 euro au titre de la perte de marge, 19 113 euro au titre des amortissements, 38 000 euro au titre du changement de locaux professionnels, et 100 000 euro au titre de l'atteinte à leur réputation,

- au visa de l'article 1134 du Code civil, les sommes contractuellement dues de 1 802 205 euro,

- au titre de la rémunération de l'utilisation des créations originales effectuées par Mac 10 par CGC et CGS, la somme de 1 342 055, 16 euro,

- une expertise soit ordonnée.

Par jugement du 8 juillet 2005, le Tribunal de commerce de Vannes a débouté la société Pocquet de toutes ses demandes, et l'a condamnée à payer la somme de 3 000 euro à chacune des défenderesses au titre de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile.

La société Pocquet en a relevé appel le 21 juillet 2005.

Par conclusions du 18 novembre 2005, auxquelles il est expressément fait référence pour l'exposé complet de son argumentation, elle reprend les prétentions formulées en première instance et réclame :

- la somme de 1 864 673, 19 euro au visa de l'article L. 442-6 du Code de commerce,

- celle de 3 798 221, 17 euro au titre de l'utilisation hors France métropolitaine des "packagings" réalisés par Mac 10,

- celle de 712 052, 60 euro au titre de leur utilisation en France métropolitaine depuis la rupture,

- celle de 1 802 205 euro au titre des 12 % média prévus au contrat et jamais acquittés,

- à défaut qu'une expertise soit ordonnée sur la rémunération due au titre des droits d'auteur, et du pourcentage prévu au contrat sur le budget de communication de CGC,

- une indemnité de procédure de 15 000 euro.

Par conclusions du 2 février 2006, auxquelles il est expressément fait référence pour l'exposé complet de son argumentation, CGC et CGS demandent que:

la société Pocquet soit déclarée irrecevable dans ses demandes formées du chef de Diss faute d'intérêt à agir, aucune relation commerciale suivie n'ayant jamais existé, et dans ses demandes intéressant l'avenant relatif à l'Allemagne faute de résiliation à la date de l'assignation,

la société Pocquet soit déboutée de toutes ses demandes pour le surplus, et condamnée à leur payer à chacune la somme de 7 500 euro au titre de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile.

SUR QUOI, LA COUR :

Sur la recevabilité des demandes :

Il est constant que Diss ne constituait qu'une branche de l'activité de l'agence de publicité exploitée par Mac 10, puisqu'elle était spécialisée dans l'achat d'espaces publicitaires, avait les même locaux et le même dirigeant que Mac 10, qui en était l'actionnaire unique et l'a absorbée en juillet 2004. Ainsi, les relations contractuelles entre Mac 10 d'une part et, d'autre part, CGC et CGS, ont nécessairement intéressé Diss qui n'avait aucune autonomie par rapport à Mac 10, et faisait partie de l'agence de publicité partenaire de CGC et CGS. Cependant, aucune des parties n'évoque de relation directe entre Diss d'une part et CGC et CGS d'autre part, et les pièces démontrent que le seul interlocuteur et bénéficiaire de règlements était la société Mac 10 exclusivement. Les demandes de la société Pocquet fondées sur les droits qu'elle tire de l'absorption de la société Diss, sont dès lors sans objet.

En ce qui concerne le volet allemand de la collaboration de Mac 10 avec les intimées, il est constant que, bien que ces dernières aient notifié à Mac 10 qu'elle prendrait fin en décembre 2004, il n'est pas contesté qu'aucune commande n'a été passée au titre de 2004. Ce préavis est donc resté théorique, et les demandes de ce chef devront être envisagées au fond.

Sur les demandes au titre de la rupture brutale des relations commerciales :

L'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce dispose que : "Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait par tout (...) commerçant (...) de rompre brutalement une relation commerciale établie sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels (...)."

a) en ce qui concerne CGC :

S'il n'exclut pas la poursuite de la relation, sur de nouvelles bases, puisqu'il est indiqué que CGC avait décidé "d'organiser une nouvelle consultation d'agences par appel d'offres", ce qui est d'ailleurs confirmé par l'attestation de son directeur général, selon laquelle ce dernier l'a bien précisé préalablement au dirigeant de Pocquet par téléphone, le courrier du 22 septembre 2003 mentionne expressément la résiliation des accords antérieurs sous préavis de trois mois. C'est donc bien CGC qui a pris l'initiative de la rupture des relations telles qu'elles existaient antérieurement.

Par ailleurs, le contrat du 22 mars 1993, qui inclut en effet les clauses propres au mandat, pour des achats d'emplacements et de prestations publicitaires, a cependant un objet plus large, puisque Mac 10 était prestataire de divers services et créations intéressant la communication et le suivi des marchés de CGC. Il n'est par conséquent pas possible de considérer qu'il est exclusivement régi par les dispositions relatives au mandat. En revanche, son objet le rattache incontestablement à un contrat de publicité, dans le cadre duquel le préavis de résiliation est habituellement de six mois.

Il est par ailleurs constant que les relations entre les parties, initiées en novembre 1990, ont perduré, sans qu'il soit fait état d'une quelconque difficulté, jusqu'à fin 2003, pour un chiffre d'affaire qui avait atteint en 2001 le chiffre de 571 557 euro (3 749 173 F).

Est par conséquent démontrée l'existence de relations commerciales suivies pendant près de 14 ans, et couvrant toute la communication mise en œuvre par CGC pour la promotion de la marque d'Aucy (gestion des espaces publicitaires, élaboration et mise en œuvre des supports, études de marché, relations publiques, etc.). L'importance du chiffre d'affaire dans les dernières années permet en outre d'affirmer que ces relations étaient essentielles pour Mac 10, à supposer même qu'elle n'ait pas été en situation de dépendance économique totale vis à vis de sa partenaire.

Il importe peu, enfin, que les parties n'aient pas modifié leurs accords avant septembre 2003, étant observé que leur précarité théorique était conforme au seul intérêt de CGC.

Dans ce contexte, le préavis de trois mois donné, après 14 années, par CGC, même s'il est conforme à la lettre des dispositions contractuelles la liant à Mac 10, est insuffisant au regard de la durée des relations entre les parties, et de la nécessité pour Mac 10 de réorganiser totalement son activité, quelle que soit la suite qu'elle décidait de donner à la proposition de sa partenaire de participer à un appel d'offre, c'est à dire de se mettre en concurrence avec d'autres agences.

Au regard des usages ci-dessus rappelés, et de la durée de la relation, une durée minimale de six mois aurait dû être respectée, et la CGC a ainsi engagé sa responsabilité à l'égard de Mac 10 devenue société Pocquet en lui notifiant une durée plus brève, qui ne lui permettait pas de préserver ses intérêts.

La faute de CGC est encore plus caractérisée en ce qui concerne la rupture de l'avenant relatif à l'Allemagne, puisque, tout en prétendant observer un préavis de plus d'un an, la CGC a en réalité rompu le contrat avec un préavis inférieur à trois mois, puisqu'aucune commande n'a été passée pour 2004.

b) en ce qui concerne CGS :

Les parties s'accordent sur le fait qu'aucun accord cadre ne les liait. Cependant l'examen des factures et documents publicitaires produits, ainsi que celui des chiffres d'affaires réalisés (selon courrier de l'administration fiscale du 29 juin 2004, en 2001 163 653 euro, et 193 393 euro en 2002, selon relevés CGS rémunérations annuelles comprises entre 35 174 euro en 1997 et 422 497 euro en 2001, retombant à 52 413 euro en 2003) établit qu'il s'agissait de relations régulières depuis 1997, et qui dès lors ne pouvaient être rompues sans le préavis d'usage en matière de contrat de publicité, soit six mois.

c) sur le préjudice :

Ce dernier tient, non à la rupture en elle-même, mais à son caractère brutal, à l'origine de la perte d'une chance de restructuration harmonieuse pour Mac 10, faute de délai suffisant.

Les éléments versés aux débats par les parties, soit le montant total des rémunérations versées à Mac 10 par CGC et CGS jusqu'à 2003 sont suffisants et il n'y a pas lieu à expertise sur ce point.

Le préjudice doit être calculé par rapport au montant des gains que Mac 10 aurait dû réaliser pendant la période de préavis, soit six mois en ce qui concerne CGS, et trois en ce qui concerne CGC, compte tenu de la date à laquelle il a été notifié. Selon les récapitulatifs fournis par CGC et CGS, non contestés par Mac 10, la moyenne sur cinq ans des honoraires et vacations versés, peut être évaluée à 139 222 euro pour CGS, et 222 178 euro pour CGC, ce qui permettrait de fixer l'indemnisation du préjudice à une somme de l'ordre de 125 000 euro.

Cependant, il convient de tenir compte du comportement de Mac 10, qui a contribué dans une certaine mesure à la réalisation de ce préjudice. En effet, dès réception du courrier de résiliation, ignorant la proposition qui lui était faite de participer à l'appel d'offres, elle s'est immédiatement placée sur un terrain conflictuel en réclamant, dès le 13 novembre 2003, un dédommagement à hauteur de 30 194 285 euro, ce qui a conduit CGC à dénoncer l'avenant intéressant l'Allemagne. Plus généralement, elle s'est laissé enfermer dans une situation de dépendance vis à vis de CGC et CGS, avec lesquelles elle réalisait plus de 90 % de son chiffre d'affaires, alors qu'elle n'avait à leur égard aucune obligation d'exclusivité, son statut d'entreprise indépendante devant au contraire lui permettre de diversifier sa clientèle.

Dès lors le montant de la réparation du préjudice causé par la brutalité de la rupture sera fixé à la somme de 80 000 euro.

Ne sont ni justifiés ni même explicités les préjudices allégués des chefs des immobilisations non réutilisables, de la nécessité du changement de locaux, et de l'atteinte à la réputation de Mac 10, qui n'allègue par ailleurs aucun coût de licenciement de personnel. Ces demandes ne pourront dès lors qu'être rejetées.

Sur les demandes au titre de l'utilisation des créations de Mac 10 :

L'article L. 132-31 du Code de la propriété intellectuelle n'a pas vocation à s'appliquer aux rapports entre Mac 10, CGC, et CGS, puisqu'il régit les rapports entre auteur et producteur, et que Mac 10 cumule ces deux qualités dans ses rapports avec les intimées.

Selon l'article 3 du contrat du 22 mars 1993, consacré aux droits de propriété littéraire et artistique, tous travaux exécutés par Mac 10 dans le cadre de ce contrat sans intervention de tiers extérieurs à l'agence tels que projets, esquisses, slogans, titres, thèmes de campagne, deviendront, dès approbation par d'Aucy, propriété exclusive de d'Aucy, sans limitation ni territoriale, ni matérielle, y compris le droit d'auteur en ce qui concerne les droits de reproduction et de publication dans la mesure où ceux-ci ont été obtenus.

Il en résulte que Mac 10, dans la mesure où elle est auteur des œuvres créées, a opéré une cession des droits d'auteur dont elle pourrait être titulaire dans le cadre des prestations accomplies pour l'exécution du contrat, cession parfaitement valable au regard des dispositions des articles L. 131-3 et L. 131-4 du Code de la propriété intellectuelle , puisque sont précisés au contrat chacun des droits cédés ainsi que son étendue, sa destination, le lieu et la durée d'exploitation.

Mac 10 ne peut par ailleurs exciper du fait que le contrat prévoit en son article 1 que CGC donne mandat et confie à Mac 10 la communication publicitaire et promotionnelle des produits appertisés sous la marque d'Aucy pour le territoire de la France métropolitaine, l'extension à d'autres produits, marques ou territoires y compris les Dom-Tom faisant l'objet d'avenants précisant les prestations requises et la rémunération correspondante. En effet cette disposition a pour objet de délimiter le champ d'application des obligations réciproques des parties pour l'exécution du contrat en général, et ne concerne pas les droits d'auteur, qui font l'objet d'un article spécifique.

Il en est de même en ce qui concerne le caractère annuel du contrat, qui ne peut se concevoir comme prévoyant une cession temporaire du droit d'auteur.

Dès lors le jugement ne peut qu'être confirmé en ce que les demandes de ce chef ont été rejetées.

Sur les rémunérations contractuelles :

Mac 10 revendique essentiellement le fait que ne lui auraient pas été versées les sommes correspondant à un pourcentage de 12 % du budget télévision. Elle ne précise ni n'établit cependant pas le montant de ce budget, ce qui, indépendamment de toute autre considération, interdit d'accueillir sa demande sur ce point. Elle ne justifie pas davantage du montant du chiffre d'affaire brut facturé en ce qui concerne les achats d'espaces publicitaires, et l'examen de ses bilans, produits par les intimées, ne permet pas de le déterminer. Aucune mesure d'expertise ne peut être ordonnée afin de pallier cette carence dans l'administration de la preuve des droits revendiqués par l'appelante.

Au demeurant, la poursuite des relations contractuelles et l'absence de toute réclamation sur ces points par l'appelante pendant leur durée permet de considérer, s'agissant de sommes aussi importantes (15 000 euro par an entre 1995 et 1998, 249 065 euro en 1999, 326 556 euro en 2000, 290 271 euro en 2001, 167 641 euro en 2002) qu'elle y a renoncé.

Ainsi, réparant l'omission de statuer de ce chef du jugement déféré, la cour ne pourra que rejeter ces demandes.

Sur les dépens et l'application de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile :

CGC et CGS succombant partiellement, supporteront les dépens, ainsi que les frais de procédure exposés par la société Pocquet à hauteur de 3 000 euro.

Par ces motifs : Infirmant partiellement le jugement, Dit que les demandes de la société Pocquet au titre des droits qu'elle tient de la société Diss sont sans objet, Dit que la rupture de la relation commerciale suivie entretenue entre la société Mac 10 devenue société Pocquet d'une part et les sociétés CGS et CGC d'autre part ont été brutalement rompues à l'initiative de ces dernières, qui ont ainsi engagé leur responsabilité à l'égard de la société Pocquet, Condamne in solidum les sociétés CGC et CGS à payer à la société Pocquet la somme de 80 000 euro en réparation du préjudice subi, Confirme le jugement sur le surplus, Y ajoutant, Rejette les demandes de la société Pocquet au titre de ses rémunérations pendant les relations contractuelles, Condamne in solidum les sociétés CGC et CGS aux dépens, avec recouvrement direct au profit de Maîtres Gauthier et Lhermitte, avoués, Les condamne in solidum à payer à la société Pocquet la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile.