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Décisions

CJCE, 12 février 1974, n° 152-73

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Giovanni Maria Sotgiu

Défendeur :

Deutsche Bundespost.

CJCE n° 152-73

12 février 1974

1 Attendu que, par ordonnance du 28 mars 1973, parvenue au greffe de la cour le 20 juillet 1973, le bundesarbeitsgericht a posé, en vertu de l'article 177 du traite CEE, trois questions relatives à l'interprétation de l'article 48, paragraphe 4, du traite instituant la communauté économique européenne et de l'article 7, paragraphes 1 et 4, du règlement du conseil n° 1612-68, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la communauté ( Jo 1968, n° l 257, p. 2 ) ;

Que ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige intente contre l'administration fédérale des postes par un ressortissant italien, employé en qualité d'ouvrier par ladite administration, au sujet du versement d'une " indemnité de séparation " accordée, sous certaines conditions, a des travailleurs affectes dans un autre lieu que leur domicile ;

Sur la première question

2 attendu que, par la première question, il est demande si, en vertu de l'exception prévue a l'article 48, paragraphe 4, du traite CEE, peuvent être exclus du bénéfice de la règle de non-discrimination formulée par l'article 7, paragraphe 1 et 4, du règlement n° 1612-68, les travailleurs employés par l'administration publique d'un état membre - en l'occurrence l'administration postale - dans le cadre d'un contrat de travail de droit privé ;

3 attendu que l'article 48 du traite assure la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la communauté et prévoit, à cet effet, dans son paragraphe 2, " l'abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des états membres, en ce qui concerne l'emploi, la rémunération et les autres conditions de travail " ;

Que l'article 7, paragraphe 1 du règlement, n° 1612-68 précise à cet égard que " le travailleur ressortissant d'un état membre ne peut, sur le territoire des autres états membres, être, en raison de sa nationalité, traite différemment des travailleurs nationaux, pour toutes conditions d'emploi et de travail, notamment en matière de rémunération... " ;

Qu'aux termes du paragraphe 4 du même article, " toute clause de convention collective ou individuelle ou d'autre règlementation collective portant sur l'accès a l'emploi, l'emploi, la rémunération et les autres conditions de travail et de licenciement, est nulle de plein droit dans la mesure où elle prévoit ou autorise des conditions discriminatoires à l'égard des travailleurs ressortissants des autres états membres " ;

Qu'en vertu du paragraphe 4 de l'article 48 du traite, les dispositions citées ne sont toutefois pas applicables " aux emplois dans l'administration publique " ;

Qu'il s'agit donc de déterminer la portée de cette exception ;

4 attendu que, compte tenu du caractère fondamental, dans le système du traite, des principes de libre circulation et d'Egalite de traitement des travailleurs à l'intérieur de la communauté, les dérogations admises par le paragraphe 4 de l'article 48 ne sauraient recevoir une portée qui dépasserait le but en vue duquel cette clause d'exception a été insérée ;

Que les intérêts que celle-ci permet aux états membres de protéger sont satisfaits par la possibilité de restreindre l'admission de ressortissants étrangers à certaines activités dans l'administration publique ;

Que, par contre, cette disposition ne saurait justifier des mesures discriminatoires en matière de rémunération ou d'autres conditions de travail à l'encontre de travailleurs une fois admis au service de l'administration ;

Que le fait de cette admission démontre en effet, par lui-même, que les intérêts justifiant les dérogations au principe de non- discrimination permises par l'article 48, paragraphe 4, ne sont pas en cause ;

5 Attendu qu'il convient encore de préciser si la portée de l'exception prévue par l'article 48, paragraphe 4, peut être déterminée en fonction de la qualification du lien juridique entre le travailleur et l'administration qui l'emploie ;

Qu'en l'absence de toute distinction dans la disposition citée, il est sans intérêt de savoir si un travailleur se trouve engage en qualité d'ouvrier, d'employé ou de fonctionnaire, ou encore si son lien d'emploi relevé du droit public ou du droit prive ;

Que ces qualifications juridiques sont, en effet, variables au gré des législations nationales et ne sauraient, des lors, fournir un critère d'interprétation approprie aux exigences du droit communautaire ;

6 attendu qu'il y a donc lieu de répondre à la question posée que l'article 48, paragraphe 4, du traite doit être interprète en ce sens que l'exception prévue par cette disposition concerne exclusivement l'accès à des emplois relevant de l'administration publique et que le caractère du lien juridique entre le travailleur et l'administration est indiffèrent a cet égard ;

Sur la deuxième question

7 attendu que, par la deuxième question, il est demande si l'article 7, paragraphes 1 et 4, du règlement n° 1612-68 doit être interprète en ce sens qu'une indemnité de séparation, versée en supplément du salaire, entre dans la notion des " conditions de travail " ;

Que cette question est soulevée tant en vue de la nature de cette prestation qu'au regard de la circonstance que, selon les dispositions nationales applicables, il s'agit d'une prestation facultative ;

8 attendu que l'article 7 du règlement n° 1612-68 a pour but d'assurer l'Egalite de traitement des travailleurs ressortissants des états membres au regard de toutes dispositions légales ou conventionnelles qui déterminent leur situation et, notamment, leurs droits pécuniaires ;

Que l'indemnité de séparation, en tant qu'elle compense les inconvénients subis par le travailleur sépare de son foyer familial, constitue un complément de rémunération et fait, à ce titre, partie des " conditions de travail " au sens du règlement ;

Qu'il est, à cet égard, sans importance de savoir si le versement de cette indemnité a lieu en vertu d'une obligation, légale ou contractuelle, ou d'une simple faculté de la part de l'état, en sa qualité d'employeur ;

Qu'en effet, des lors que l'état fait usage de cette faculté au profit de ses propres ressortissants, il est tenu d'en étendre le bénéfice aux travailleurs, ressortissants des autres états membres, qui se trouvent dans la même situation ;

9 Qu'il convient donc de répondre à la question posée que l'article 7, paragraphes 1 et 4, du règlement n° 1612-68 doit être interprète en ce sens qu'une indemnité de séparation, versée en supplément du salaire, entre dans la notion des " conditions de travail ", sans qu'il y ait lieu de distinguer si le versement a lieu en vertu d'une faculté ou d'une obligation, légale ou contractuelle ;

Sur la troisième question

10 attendu que, par la troisième question, il est demande si l'article 7, paragraphes 1 et 4, du règlement n° 1612-68 doit être interprète en ce sens qu'il interdit toute discrimination fondée non seulement sur le fait que le travailleur possède la nationalité d'un autre état membre, mais encore qu'il à son domicile dans l'un de ces états ;

11 attendu que les règles d'Egalite de traitement, tant du traite que de l'article 7 du règlement n° 1612-68, prohibent non seulement les discriminations ostensibles, fondées sur la nationalité, mais encore toutes formes dissimulées de discrimination qui, par application d'autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat ;

Que cette interprétation, nécessaire pour garantir l'efficacité d'un des principes fondamentaux de la communauté, est explicitement reconnu par le cinquième considérant du préambule du règlement n° 1612-68, qui exige que l'Egalite de traitement des travailleurs soit assurée " en fait et en droit " ;

Qu'il n'est donc pas exclu que des critères tels que le lieu d'origine ou le domicile d'un travailleur puissent, selon les circonstances, constituer, dans leur effet pratique, l'équivalent d'une discrimination de nationalité prohibée par le traite et le règlement ;

12 que tel ne serait cependant pas le cas d'une indemnité de séparation dont les conditions d'attribution et les modalités de versement tiendraient compte de différences objectives que peut comporter la situation des travailleurs suivant qu'ils ont leur domicile sur le territoire national ou à l'étranger au moment d'accéder a un emploi détermine ;

Qu'a cet égard, la circonstance que, pour les agents domicilies sur le territoire national, l'indemnité de séparation n'est que temporaire et se trouve liée à une obligation de transférer le domicile au lieu de travail, alors que la même indemnité est versée sans limitation de durée et n'est pas liée à une telle obligation pour les travailleurs, quelle que soit leur nationalité, ayant leur domicile à l'étranger, peut constituer un motif légitime de différenciation du montant verse ;

Qu'en tout état de cause, on ne saurait admettre qu'il y aurait discrimination contraire au traite et au règlement s'il devait apparaitre d'une comparaison des deux régimes d'indemnité dans leur ensemble que les travailleurs conservant leur domicile à l'étranger ne se trouveraient pas désavantages par rapport à ceux dont le domicile est établi sur le territoire national ;

13 qu'il y a lieu de répondre à la question posée que la prise en considération, comme critère d'attribution d'une indemnité de séparation, du fait qu'un travailleur a son domicile dans un autre état membre peut, selon les circonstances, constituer une discrimination prohibée par l'article 7, paragraphes 1 et 4, du règlement n° 1612-68 ;

Que tel n'est cependant pas le cas si le régime d'une telle indemnité tient compte de différences objectives entre la situation des travailleurs suivant qu'ils ont, au moment d'accéder à leur emploi, leur domicile sur le territoire national ou à l'étranger ;

Quant aux dépens

14 attendu que les frais exposes par le gouvernement de la république fédérale d'Allemagne, le gouvernement de la république italienne et la commission des communautés européennes, qui ont soumis des observations à la cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement ;

Que la procédure revêtant a l'égard des parties au principal le caractère d'un incident soulevé au cours du litige pendant devant le bundesarbeitsgericht, il appartient à celui-ci de statuer sur les dépens ;

Par ces motifs,

LA COUR, Statuant sur les questions à elle soumises par le bundesarbeitsgericht (quatrième chambre) par ordonnance du 28 mars 1973, dit pour droit :

1 ) l'article 48, paragraphe 4, du traite doit être interprète en ce sens que l'exception prévue par cette disposition concerne exclusivement l'accès à des emplois relevant de l'administration publique. Le caractère du lien juridique entre le travailleur et l'administration est indiffèrent à cet égard.

2 ) l'article 7, paragraphes 1 et 4, du règlement n° 1612-68 doit être interprète en ce sens qu'une indemnité de séparation, versée en supplément du salaire, entre dans la notion des " conditions de travail ", sans qu'il y ait lieu de distinguer si le versement a lieu en vertu d'une faculté ou d'une obligation, légale ou contractuelle.

3 ) la prise en considération, comme critère d'attribution d'une indemnité de séparation, du fait qu'un travailleur à son domicile dans un autre état membre peut, selon les circonstances, constituer une discrimination prohibée par l'article 7, paragraphes 1 et 4, du règlement n° 1612-68. Tel n'est cependant pas le cas si le régime d'une telle indemnité tient compte de différences objectives entre la situation des travailleurs suivant qu'ils ont, au moment d'accéder à leur emploi, leur domicile sur le territoire national ou à l'étranger.