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Décisions

CA Grenoble, ch. soc., 2 février 2012, n° 11-00401

GRENOBLE

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Gonçalvez

Défendeur :

Louis (ès qual.), Be Back (SARL), GFI (SAS), CGEA de Marseille

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vigny

Conseillers :

Mmes Jacob, Combes

Avocats :

Mes Attali, Levy-Soussan, Tourrette

Cons. prud'h. Grenoble, du 16 déc. 2010

16 décembre 2010

EXPOSE DU LITIGE

Stéphanie Gonçalvez a été embauchée le 10 décembre 2007 en qualité d'attachée commerciale par la SARL Be Back qui applique la convention collective de l'industrie de l'habillement.

La société a été placée en redressement judiciaire le 2 mars 2009.

Le 17 juin 2009 le Tribunal de commerce de Marseille a arrêté le plan de cession de l'entreprise à la SAS GFI et a ordonné le licenciement du personnel non repris, à savoir les ouvriers de l'atelier de fabrication et les six commerciaux dont Stéphanie Gonçalvez qui a donc été licenciée pour motif économique le 15 juillet 2009 par l'administrateur judiciaire.

Le 23 novembre 2009, Stéphanie Gonçalvez a saisi le Conseil de prud'hommes de Grenoble en vue d'obtenir la requalification de son contrat de travail en contrat de VRP statutaire et le paiement de commissions et de dommages et intérêts.

La SARL Be Back a été placée en liquidation judiciaire le 16 décembre 2009 et Maître Louis désigné en qualité de liquidateur.

Par jugement du 16 décembre 2010, la juridiction prud'homale a débouté Stéphanie Gonçalvez de l'ensemble de ses demandes.

Stéphanie Gonçalvez, à qui le jugement a été notifié le 18 décembre 2010, a interjeté appel le 13 janvier 2011.

Elle sollicite l'infirmation du jugement. Elle demande à la cour de requalifier le contrat de travail en contrat de VRP statutaire et d'ordonner le paiement :

1°) par le mandataire liquidateur de la SARL Be Back et le CGEA, de 3 164,17 euro à titre de deuxième mois de préavis outre 316,42 euro de congés payés afférents,

2°) par la SAS GFI ou, à défaut, par le mandataire liquidateur de la SARL Be Back et le CGEA, des sommes suivantes :

- 5 322 euro de commissions sur les ventes de la saison hiver 2009/2010 (au taux de 3 % sur 177 416 euro HT),

- 320 euro de prime "nouveaux clients apportés",

- 564 euro de congés payés afférents,

3°) par la SAS GFI des sommes de :

- 1 774 euro de commissions sur les "compléments et réassortiments" dites "suite d'échantillonnage" (forfait de deux mois de commissions)

- 177 euro de congés payés afférents,

- 10 000 euro à titre de dommages et intérêts pour rétention abusive de salaire,

- 1 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle fait valoir que les conditions d'application du statut de VRP sont réunies et que le statut étant d'ordre public les parties ne peuvent décider qu'il n'a pas à s'appliquer.

Elle relève que les commandes qu'elle a recueillies avant son licenciement ont été fabriquées et livrées par la SARL Be Back, mais qu'elles n'ont pas été facturées par la société et que leur valeur (730 000 euro HT) n'a pas été intégrée à l'actif ; qu'elles ont été facturées et encaissées par la société repreneur la SAS GFI ainsi que les "compléments et réassortiments" reçus depuis la reprise.

Elle revendique ses commissions sur la partie de ces ventes lui revenant.

Maître Louis, mandataire liquidateur de la SARL Be Back, intimé, régulièrement convoqué, n'a pas comparu.

La SAS GFI sollicite la confirmation du jugement et subsidiairement, en cas de requalification du contrat de travail en contrat de VRP, demande à la cour de prendre acte du licenciement de Stéphanie Gonçalvez, de dire que les éventuelles créances de la salariée sont inopposables à la société, de débouter Stéphanie Gonçalvez de ses demandes et de la condamner à lui verser 1 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société fait valoir que :

- elle n'a pas repris le poste de travail de Stéphanie Gonçalvez, laquelle a été licenciée par l'administrateur judiciaire, de sorte qu'il n'existe aucun lien contractuel entre elles,

- elle n'est pas tenue des créances salariales impayées de la société cédante,

- les éventuelles créances salariales dues en exécution du contrat de travail à la date de la décision prononçant le redressement judiciaire doivent être garanties par l'AGS-CGEA.

Elle soutient subsidiairement que si le contrat de travail qui liait Stéphanie Gonçalvez à la SARL Be Back était requalifié en contrat de VRP, cela ne lui conférerait pas le statut d'agent commercial de sorte que les éventuelles commissions qui lui seraient dues ne pourraient lui être transférées ; que le contrat n'ayant pas été repris, Stéphanie Gonçalvez n'est pas fondée en sa demande à son égard.

L'AGS-CGEA de Marseille demande à la cour de dire que Stéphanie Gonçalvez ne justifie pas de sa demande de requalification du contrat de travail en contrat de VRP statutaire et de confirmer le jugement.

Subsidiairement l'AGS rappelle les conditions et limites de sa garantie.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des demandes et moyens des parties, la cour se réfère à la décision attaquée et aux écritures déposées et soutenues oralement et sans modification à l'audience.

C'est à Stéphanie Gonçalvez, engagée en tant qu'attachée commerciale, de démontrer qu'elle exerçait, en fait, la profession de VRP.

L'article L. 7311-3 du Code du travail dispose qu'est voyageur, représentant ou placier, toute personne qui :

1º Travaille pour le compte d'un ou plusieurs employeurs ;

2º Exerce en fait d'une façon exclusive et constante une profession de représentant ;

3º Ne fait aucune opération commerciale pour son compte personnel ;

4º Est liée à l'employeur par des engagements déterminant :

a) La nature des prestations de services ou des marchandises offertes à la vente ou à l'achat ;

b) La région dans laquelle il exerce son activité ou les catégories de clients qu'il est chargé de visiter ;

c) Le taux des rémunérations.

Il y a lieu de relever que, nonobstant la dénomination donnée au contrat de travail par les parties, celui-ci comportait un secteur de prospection ("les départements 03, 18, 21, 23, 36, 39, 42, 45, 58, 63, 69, 71 et 89"), une clientèle ("l'objectif sera fonction de la base du fichier clients que la société aura transmis à Stéphanie Gonçalvez et du potentiel du secteur géographique que la société lui aura confié") et des marchandises, et prévoyait outre une rémunération fixe de 2 000 euro, une "prime de rendement dont le montant variera selon le chiffre d'affaires effectivement réalisé".

Il ressort par ailleurs des documents produits par l'appelante (bulletins de paye avec indication des primes sur chiffre d'affaires et sur nouveaux clients, copie de bons de commande, copie de son agenda, rapports journaliers) qu'elle prenait les commandes de la clientèle et transmettait les ordres de manière autonome et qu'elle exerçait sa profession de façon exclusive et constante, sans faire aucune opération commerciale pour son compte personnel.

L'ensemble de ces éléments caractérisent la profession de représentant, et le contrat doit donc être requalifié en contrat de VRP.

Le statut de VRP prévoit, en cas de rupture du contrat, le versement au salarié ayant une ancienneté supérieure à un an, d'un préavis de deux mois.

Stéphanie Gonçalvez a perçu de l'AGS-CGEA une indemnité de préavis de 3 163,23 euro, correspondant à un mois de salaire. Il y a donc lieu de fixer sa créance au passif de la liquidation judiciaire de la SARL Be Back à la somme complémentaire de 3 164,17 euro, outre congés payés afférents.

Stéphanie Gonçalvez sollicite de la société GFI le paiement des commissions sur les ventes de la saison hiver 2009/2010 et des primes "nouveaux clients apportés" ou, à défaut, la fixation de cette créance à la liquidation judiciaire de la SARL Be Back.

Elle indique avoir passé, avant la rupture de son contrat, des commandes pour la saison hiver 2009/2010 sur lesquelles elle n'a pas été commissionnée.

Elle produit l'ensemble des bons de commande qu'elle a passés entre le 20 janvier 2009 et le 2 avril 2009 sur les collections de la saison automne-hiver 2009/2010 et un récapitulatif détaillé de ces prises d'ordre, avec l'indication des nouveaux clients.

Il en ressort un montant total de commande de 177 416 euro HT générant une commission de 5 322 euro outre 320 euro de prime "nouveaux clients".

Dès lors qu'il est justifié que la société GFI, dans le cadre de la cession autorisée par le Tribunal de commerce, n'a pas repris le contrat de travail de Stéphanie Gonçalvez ni les créances salariales de la SARL Be Back, ces sommes constituent une créance de la liquidation judiciaire de la SARL Be Back.

En ce qui concerne les commissions sur les ordres non encore transmis à la date de la rupture du contrat mais qui sont la suite directe des remises d'échantillon et des prix faits antérieurs à l'expiration du contrat, elles constituent en application de l'article L. 7313-11 du Code du travail une créance salariale.

Stéphanie Gonçalvez en réclame le paiement à la société GFI. Or elle n'a aucun lien de droit avec cette société qui n'a jamais été son employeur de sorte que sa demande ne peut être accueillie.

De même la demande en dommages et intérêts formée à l'encontre de la société GFI n'est pas fondée et doit être rejetée.

L'équité commande de fixer la créance de Stéphanie Gonçalvez au passif de la liquidation judiciaire de la SARL Be Back à 1 000 euro au titre des frais irrépétibles.

Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi, Infirme le jugement déféré, et statuant à nouveau, Requalifie le contrat de travail de Stéphanie Gonçalvez en contrat de VRP, Fixe la créance de Stéphanie Gonçalvez à la liquidation judiciaire de la SARL Be Back aux sommes de : - 3 164,17 euro à titre de deuxième mois de préavis, - 316,42 euro de congés payés afférents, - 5 322 euro de commissions sur les ventes de la saison hiver 2009/2010, - 320 euro de prime "nouveaux clients apportés", - 564 euro de congés payés afférents, Ordonne à Maître Louis, ès qualité, de remettre l'attestation Assedic et les bulletins de salaire rectifiés, Déclare le présent arrêt opposable à l'AGS-CGEA de Marseille, Rejette le surplus des demandes formées à l'encontre de la société GFI, Fixe la créance de Stéphanie Gonçalvez au passif de la liquidation judiciaire de la SARL Be Back à la somme de 1 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel, Dit que les dépens d'appel seront supportés par la liquidation judiciaire de la SARL Be Back.