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Décisions

CA Rennes, 3e ch. com., 9 mai 2012, n° 11-06303

RENNES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Delacre NV (Sté) , United Biscuits UK Ltd (Sté)

Défendeur :

Loc Maria (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Poumarède

Conseillers :

Mmes Cocchiello, André

Avocats :

SCP Brebion Chaudet, SCP Gauvain-Demidoff, Mes Forbin, Gicquel

T. com. Rennes, du 11 mars 2010

11 mars 2010

EXPOSÉ DU LITIGE

Les sociétés United Biscuits UK (société UB) et Delacre NV exposent être deux sociétés du groupe anglais United Biscuits dont l'activité principale réside dans la fabrication et la commercialisation de biscuits sous des marques de grande notoriété, telles BN, Delacre, Verkade ou Mac Vitie's.

La société Loc Maria exerce l'activité de biscuiterie, notamment la fabrication et la commercialisation de crêpes dentelles sous la marque "Gavottes", produit dont elle ne possède pas l'exclusivité.

A partir de l'année 1997, la société Loc Maria, déjà implantée sur le marché nord-américain, a fourni des crêpes dentelle à la société Delacre, à raison d'un volume moyen de 400 tonnes par an. Ces produits étaient écoulés sur le marché nord-américain, essentiellement par le canal du réseau de magasins "Clubs", à l'occasion des fêtes de fin d'année.

Les relations commerciales entre les parties se sont poursuivies, après le rachat de la société Delacre par la société United Biscuits, et ce, sur le fondement de négociations annuelles.

Le 23 décembre 2005, la société Loc Maria a sollicité l'organisation d'une rencontre ayant pour objet tant la fixation des objectifs commerciaux de l'année 2006 que la négociation d'un contrat-cadre. Le 29 juin 2006, la société UB lui transmettait un projet de contrat de sous-traitance. Parallèlement, elle entamait des démarches auprès de fournisseurs concurrents afin de rechercher de nouvelles sources d'approvisionnement.

Les pourparlers se sont poursuivis de manière sporadique jusqu'à la fin de l'année 2007 sans qu'aucun accord ne puisse être conclu. Les relations commerciales se sont parallèlement interrompues à la fin de l'année 2007.

Le 7 janvier 2009, les sociétés United Biscuits UK et Delacre NV ont assigné la société Loc Maria devant le Tribunal de commerce de Rennes aux fins d'obtenir l'indemnisation de la rupture des relations commerciales dont elles lui imputent la responsabilité.

Par jugement du 11 mars 2010, le Tribunal de commerce de Rennes a rejeté l'intégralité de leurs prétentions, a rejeté la demande reconventionnelle aux mêmes fins de la société Loc Maria et a condamné, avec exécution provisoire, les sociétés demanderesses au paiement d'une somme de 50 000 euro à titre de dommages-intérêts et de 20 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Les sociétés United Biscuits UK et Delacre ont relevé appel de cette décision. Elles demandent à la cour, sur le fondement des articles L. 442-6 I 5° du Code de commerce, 1134 et suivants du Code civil, 1382 et suivants du Code civil et 1356 du Code civil, de :

- Dire et juger qu'elle a compétence pour connaître de l'appel interjeté par la société United Biscuits UK et la société Delacre NV,

- Infirmer le jugement entrepris par le Tribunal de commerce de Rennes, sauf en ce qu'il a débouté la société Loc Maria de sa demande faite au titre du prétendu préjudice subi en raison de la rupture des relations commerciales,

Et statuant à nouveau :

- Dire et juger que la société Loc Maria et les sociétés United Biscuits UK et Delacre NV étaient en relations commerciales depuis 12 années, sans interruption,

- Dire et juger que la société Loc Maria a rompu brutalement ces relations commerciales,

- Dire et juger que les gavottes sont un produit sans équivalent sur le marché et que leur substitution est extrêmement difficile et longue à mener,

- Dire et juger que les gavottes étaient vendues sur les territoires concernés sous la marque Delacre,

- Dire et juger que la durée du préavis aurait ainsi dû être double de celle normalement applicable,

- Dire et juger que la durée du préavis aurait ainsi dû être de deux saisons de vente,

- Dire et juger que, du fait des agissements fautifs de la société Loc Maria, les sociétés United Biscuits UK et Delacre NV se sont trouvées immédiatement privées de toute activité sur le marché des gavottes et prennent un retard considérable qu'elles ne pourront sans doute jamais rattraper, ce qui porte également atteinte à la marque Delacre,

- Dire et juger que la société Loc Maria a employé des manœuvres déloyales pour évincer United Biscuits de sa clientèle et se l'approprier,

- Dire et juger que la société Loc Maria a dans les négociations contractuelles fait preuve d'une mauvaise foi caractérisée et dommageable à United Biscuits,

En conséquence,

- Débouter la société Loc Maria de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- Condamner la société Loc Maria à payer à la société United Biscuits UK une indemnité égale à la contrepartie en euro de 941 406 £, au cours du jour de l'arrêt à intervenir, en réparation du préjudice lié à la brutalité de la rupture ;

- Condamner la société Loc Maria à payer à la société Delacre NV une indemnité égale à la contrepartie en euro de 312 770 £, au cours du jour de l'arrêt à intervenir, en réparation du préjudice lié à la brutalité de la rupture ;

- Condamner la société Loc Maria à payer à la société United Biscuits UK une somme de 100 000 euro de dommages-intérêts en réparation de l'éviction de la clientèle de United Biscuits et de son détournement par la société Loc Maria ;

- Condamner la société Loc Maria à payer à la société United Biscuits UK une somme de 100 000 euro de dommages-intérêts au titre de son comportement fautif au cours des négociations ;

- Condamner la société Loc Maria à payer aux sociétés United Biscuits UK et Delacre NV respectivement les sommes de 375 308 euro et de 124 492 euro en réparation du préjudice qu'elles subissent du fait de l'impossibilité dans laquelle elles se trouvent de se réintroduire un jour sur les marchés concernés et d'y vendre des gavottes, et en réparation de l'atteinte ainsi portée à la marque Delacre ;

- Donner acte aux sociétés United Biscuits UK et Delacre NV de ce qu'elles se réservent de demander la réparation de l'entier préjudice auquel elles seraient exposées vis-à-vis de tiers et en particulier de la société Kelsen et des clients en raison des agissements de la société Loc Maria.

- Condamner la société Loc Maria à payer à chacune des sociétés United Biscuits UK et Delacre NV une somme de 60 000 euro au titre des dispositions de l'article 700 du Code procédure civile au titre des frais irrépétibles engagés en première instance et en appel,

- Condamner la société Loc Maria aux entiers dépens.

La société Loc Maria a quant à elle formé appel incident en demandant à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté les sociétés United Biscuits UK et Delacre NV de toutes leurs demandes ;

- condamner les sociétés United Biscuits UK et Delacre NV à lui payer la somme de 423 000 euro à titre de dommages-intérêts sur le fondement de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce ;

- condamner les sociétés United Biscuits UK et Delacre NV à lui payer la somme de 50 000 euro à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral ;

- les condamner au paiement d'une somme de 60 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la Cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions déposées pour les sociétés appelantes le 24 février 2012 et pour l'intimée le 27 février 2012.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Les parties s'accordent sur la compétence de la présente juridiction, la procédure ayant été engagée avant que ne rentre en vigueur le décret du 11 novembre 2009 attribuant compétence à la Cour d'appel de Paris.

I Sur la demande principale

Les sociétés United Biscuits UK et Delacre NV ont entretenu la confusion entre elles dans leurs relations avec la société Loc Maria de sorte qu'il est impossible, à l'examen des pièces produites et des écritures des appelantes, de distinguer l'intervention et le rôle spécifique de chacune de ces deux sociétés.

Les pièces émanant des appelantes sont rédigées au nom de la société United Biscuits, le nom Delacre n'étant utilisé que pour désigner la marque sous laquelle étaient commercialisés les biscuits objet du litige. En conséquence, les sociétés appelantes seront désignées ci-après sous l'appellation unique de société UB.

La société UB fonde ses demandes de dommages-intérêts sur trois fondements juridiques différents :

- la mauvaise foi dans les négociations contractuelles,

- la rupture brutale des relations commerciales établies depuis 1997,

- la concurrence déloyale.

1° Sur la mauvaise foi dans les négociations contractuelles

La rupture unilatérale des pourparlers, expression de la liberté de ne pas contracter, ne constitue jamais en tant que telle une faute et n'engage pas la responsabilité contractuelle de son auteur, seule visée par la société UB.

Seule une faute démontrée dans la conduite des négociations précontractuelles ou dans leur rupture peut justifier, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, une indemnisation laquelle ne peut porter sur la perte d'une chance de réaliser les gains attendus du contrat en cours de négociation.

Du début de l'année 2006 jusqu'au 17 octobre 2007, des négociations portant sur l'élaboration d'un contrat-cadre ayant pour vocation d'organiser les relations commerciales entre les parties ont été sporadiquement mises en œuvre, les relations commerciales se poursuivant parallèlement selon des accords annuels.

Le 27 juin 2006, la société UB transmettait un projet de contrat déséquilibré puisqu'il s'analysait en un contrat de sous-traitance et non d'approvisionnement, organisant une expropriation sans contrepartie, par la société UB, du savoir-faire de son fournisseur, une immixtion dans sa production et sa gestion, y compris dans la détermination des prix de vente et de la marge, une exigence unilatérale d'exclusivité sans aucune contrepartie notamment en terme de volume de vente, la mise à la charge du fournisseur de l'ensemble des risques, sans réelle possibilité de contrôle, et l'obligation de respecter la réglementation du Royaume Uni et d'accepter sa juridiction. Ce contrat prévoyait même le droit pour la société UB de transférer l'outil de production à tout autre contractant ou toute autre entreprise du groupe, avec l'obligation pour la société Loc Maria d'apporter son aide au dit transfert.

La société UB reproche aux dirigeants de la société Loc Maria leur réaction modérée à ce projet de contrat, en déduisant une volonté de la tromper en lui laissant croire qu'il était acceptable. Mais, la distorsion entre les poids économiques respectifs des parties en négociation suffit amplement à expliquer la retenue adoptée par la société Loc Maria à l'égard d'un projet dont le caractère léonin ne pouvait échapper à tout opérateur économique de bonne foi.

Le 13 septembre 2006, la société Loc Maria adressait un projet de contrat de sous-traitance remanié, prévoyant un volume annuel de production de 400 tonnes, organisant une procédure annuelle de fixation des prix, offrant au cocontractant une exclusivité sur l'Amérique du Nord et le réseau Costco de Corée, Japon et Taïwan, à l'exclusion de ses clients nommément désignés et imposant en contrepartie une interdiction pour la société UB de vendre en dehors de ce secteur. La durée du contrat fixée à deux ans, pouvait ensuite se renouveler pour une durée indéterminée, sauf résiliation en respectant un préavis d'un an.

Bien qu'il ait repris nombre des souhaits exprimés par la société UB (sous-traitance et non contrat de fourniture, octroi de l'exclusivité demandée (...)) et ait prévu des conditions proches des relations antérieures en termes de volume et de fixation des prix, ce projet n'était pas accepté par elle.

Les négociations entre les parties se poursuivaient de manière intermittente sans que n'apparaisse la volonté de la société UB de parvenir à un accord acceptable pour son fournisseur, aucune proposition concrète n'étant effectuée à compter du mois de novembre 2006.

Le 5 octobre 2007, dans un courrier en anglais, la société UB adoptait brutalement une attitude particulièrement rigide. Cette lettre soulignait notamment que les modifications sollicitées au projet qu'elle avait transmis étaient loin d'être acceptables.

En réponse, après près de deux ans d'échanges infructueux, la société Loc Maria l'informait le 17 octobre 2007 de sa décision de mettre fin aux négociations en cours tout en précisant : "être toujours en mesure de vendre (...) le ou les produits sans exclusivité, (...) selon les règles qui ont toujours régi nos relations commerciales passées et présentes".

De ce qui précède, il résulte que l'échec des négociations contractuelles n'est pas la conséquence d'une faute imputable à la société Loc Maria dont la mauvaise foi dans la conduite des pourparlers ou leur rupture n'est pas établie.

La demande d'indemnisation sur un fondement juridique erroné et sans rapport avec le préjudice pouvant résulter d'une rupture abusive de pourparlers, en conséquence rejetée.

2° Sur la rupture brutale des relations commerciales établies

Aux termes de l'article L. 442-6 I du Code de commerce :

"Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : (...)

5° de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale du préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'Economie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure."

Il n'est pas discuté qu'hors de tout contrat-cadre, la société Delacre, ensuite rachetée par la société UB, et la société Loc Maria ont entretenu des relations commerciales entre les années 1997 et le 9 novembre 2007, date de la dernière livraison de biscuits commandés par la société UB.

Ces relations faisaient l'objet de négociations annuelles portant tant sur le volume de marchandises commandées par le client pour l'année à venir que sur le prix consenti en conséquence par le fournisseur. Parallèlement aux négociations d'un contrat-cadre entreprises en 2006, les relations commerciales se sont poursuivies selon les mêmes modalités jusqu'en 2007.

Tout en notifiant sa renonciation à conclure un contrat-cadre, la société Loc Maria précisait : "être toujours en mesure de vendre... le ou les produits sans exclusivité, (...) selon les règles qui ont toujours régi nos relations commerciales passées et présentes". Elle demandait en conséquence aux sociétés appelantes de faire part, au plus tard le 15 novembre 2007, du volume de produits sur lequel elles s'engageaient au titre de la saison 2007/2008 puisque ceci conditionnait notamment les prix proposés et les capacités de production à mettre en œuvre.

Le 16 novembre 2007, sans satisfaire à cette demande, la société UB répondait par une menace de porter le désaccord au contentieux. Elle continuait à vouloir imposer une exclusivité totale par un courrier ultérieur non daté sans concrétiser ses commandes mais en tentant d'intimider son contractant. C'est seulement le 20 décembre 2007 qu'elle faisait parvenir un prévisionnel de commande pour l'année 2008, mais ce, sans engagement ferme. Ce prévisionnel était néanmoins suivi, le 4 janvier 2008, d'un envoi des tarifs 2008 correspondant à un volume de 450 tonnes.

Pourtant, la société UB qui soutient dans ses écritures "qu'il n'existait (...) aucune espèce d'incertitude quant au niveau et à la fiabilité des volumes de commandes de United Biscuits pour la saison à venir" n'a effectué aucune commande pour la saison 2008.

Le 27 décembre 2007, la société Loc Maria lui notifiait en conséquence la rupture des relations commerciales en ces termes : "Nous vous signifions que nous continuerons à vous livrer nos produits pendant une durée d'une année à compter de la date d'envoi du présent courrier, sans aucune exclusivité à votre bénéfice comme cela a toujours été le cas depuis le début de notre relation commerciale".

Ce préavis était réitéré le 13 février 2008, par lettre recommandée avec accusé de réception, dans les termes suivants : "Dans un esprit constructif, nous avons étudié votre proposition, que nous sommes contraints d'accepter eu égard aux dimensions respectives de nos sociétés et aux pressions que vous faites peser sur nous. Dans ces conditions, nous acceptons de vous consentir l'exclusivité de la distribution des Gavottes chocolat sous votre marque auprès de la clientèle Club située sur le territoire USA, Canada, Mexique et ce jusqu'au 31 décembre 2008.

En contrepartie, vous vous engagerez à acheter auprès de nous un minimum de 400 tonnes de produits sur la base du tarif joint (...) basé sur l'offre du 30 janvier".

La durée de préavis d'une année était en conformité avec celle proposée dans le projet de contrat élaboré par la société Loc Maria, clause qui n'avait semble-t-il suscité aucune discussion de la part du fournisseur. Elle était en tout état de cause en rapport avec la durée des relations commerciales, la nature des produits concernés (crêpes dentelle enrobées de chocolat) dont le caractère saisonnier ne se justifie pas, les volumes peu importants en cause, leur vente par le client sous sa marque, l'absence d'exclusivité bénéficiant au fabricant pour la production de ce type de produit et l'importance toute relative de ce biscuit dans l'activité du client en cause.

La rupture ainsi notifiée avec un préavis d'un an ne présentait donc pas de caractère brutal.

Pour conclure néanmoins à l'application à son profit des dispositions de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, la société UB, se prétendant sans aucune vraisemblance, sous la dépendance totale de son fournisseur, soutient que le refus par la société Loc Maria de lui accorder l'exclusivité totale sur le marché nord-américain constituait une modification substantielle des relations commerciales établies, s'assimilant à leur rupture immédiate sans préavis.

Mais, d'une part, par lettre recommandée du vendredi 21 décembre 2007, la société UB notifiait, en anglais, sa décision unilatérale d'appliquer à son fournisseur, dès le 1er janvier suivant, des pénalités exorbitantes de 725 euro par produit non conforme et de 2 900 euro par produit rejeté. Ceci constituait une modification substantielle autrement plus significative des relations contractuelles établies qui plaçait le fournisseur en position périlleuse et modifiait considérablement l'équilibre des relations antérieures entre les parties. Même si ces conditions étaient refusées par la société Loc Maria, sans réaction de la société UB, elles témoignaient du risque contentieux et économique dans lequel se plaçait le fournisseur en poursuivant les relations antérieures et suffisaient à justifier la cessation immédiate de celles-ci.

D'autre part, les pièces produites n'établissent pas que l'octroi au client d'une exclusivité totale sur le marché nord-américain était, depuis l'origine, une condition des relations commerciales entre les parties dont la suppression interdisait la poursuite des dites relations.

La société UB, pour prétendre avoir toujours bénéficié d'une exclusivité générale et permanente sur le marché nord-américain, pour les crêpes dentelle enrobées de chocolat vendues par la société Loc Maria, se prévaut d'un mail laconique adressé le 25 mai 2005 par Monsieur Pincemin, alors directeur de cette société, à Madame Gaëtane Janssens, co-manufacturing project coordinator de la société UB. Mais ce mail est indissociable de celui adressé le 23 mars précédent par ce correspondant auquel il répond. Il en résulte que l'engagement ne portait que sur "les termes de la collaboration 2005" qu'il était demandé de confirmer expressément pour éviter d'écrire "un contrat sur X pages".

En tout état de cause, une clause d'exclusivité est toujours révocable, nul ne pouvant se prévaloir d'une convention perpétuelle.

Or, dès l'année suivante, la société Loc Maria a notifié, par le projet de contrat qu'elle transmettait, sa volonté de subordonner un engagement d'exclusivité (partielle) à l'octroi d'une contrepartie, ce projet n'ayant pas été accepté et les négociations contractuelles ultérieures ayant achoppé sur l'octroi d'une telle convention d'exclusivité, ce qui n'a pas empêché les relations commerciales de se poursuivre.

Dans les faits, la société UB n'a jamais bénéficié d'un monopole sur le marché nord-américain et ses circuits de distribution se sont quasi exclusivement cantonnés au secteur "Clubs", ce qui se déduit par exemple du courrier recommandé adressé par Monsieur Thierry Verven le 16 mars 2008 comportant les indications suivantes : "Au cours des dernières années pour le circuit "clubs", nous avons été stables dans nos commandes à environ 400 tonnes annuelles. (...) Nous avons toujours dit que pour satisfaire les demandes de notre réseau "clubs" nous avions besoin de 400 tonnes", étant rappelé que le volume ainsi indiqué constituait le niveau moyen des commandes annuelles passées par la société UB depuis 1998 (409 tonnes en 2005, 400 tonnes en 2006, 440 tonnes en 2007).

A supposer même que la société Loc Maria ait réalisé un chiffre d'affaires peu important avec ses clients nord-américains, l'on ne peut en déduire une perte ou un abandon implicite de ses droits, la liberté du commerce demeurant le principe fondamental et ses atteintes des exceptions qui ne se présument pas. L'argument de la société UB selon lequel les ventes de la société Loc Maria auraient été le résultat d'une simple tolérance de sa part, n'est donc pas recevable.

Il se déduit de l'ensemble de ces éléments que le refus par la société Loc Maria de réitérer dès l'année 2006, l'accord d'exclusivité consenti en mai 2005, alors que les relations commerciales entre les parties se poursuivaient sans engagement de cette nature depuis 1997, ne caractérise pas une modification substantielle des relations commerciales établies assimilable à leur rupture immédiate.

Il s'ensuit que les sociétés UB et Delacre ne peuvent tirer argument de ce désaccord pour imputer à leur fournisseur la responsabilité de leur absence de commandes à compter de la fin de l'année 2007.

3° Sur le moyen tiré de la concurrence déloyale

La société UB soutient que la société Loc Maria aurait accaparé sa clientèle de manière déloyale. Mais, ce fournisseur n'avait contracté aucune obligation de non-concurrence à son égard de sorte que la distribution de ses produits sous une marque différente ne lui était pas interdite et n'empêchait pas la société UB de continuer à commercialiser la marque Delacre auprès de son réseau habituel, y compris pour des produits similaires à ceux dont la société Loc Maria n'avait pas l'exclusivité. Ce moyen est donc totalement dénué de sérieux.

II Sur la demande reconventionnelle

1° Sur la demande de dommages-intérêts au titre de la rupture brutale des relations commerciales

L'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce n'a pas pour objet de sanctionner la rupture des relations commerciales mais uniquement leur brutalité.

Or, la société Loc Maria a pris l'initiative de la rupture des relations commerciales le 27 décembre 2007, avec un délai de préavis qu'elle a fixé elle-même à un an.

De ses propres pièces, il résulte que pendant ce délai de préavis, elle a réalisé sur le marché nord-américain, un chiffre d'affaires de 395 tonnes très proche du volume moyen qu'elle réalisait auparavant avec la société UB.

La chute de son chiffre d'affaires en 2009 est indépendante du caractère ou non brutal de la rupture litigieuse puisqu'elle a été constatée pour la période postérieure à l'expiration du préavis dont elle avait elle-même fixé la durée. Elle ne démontre donc pas l'existence d'un préjudice imputable à l'absence de commandes pendant la durée du préavis.

Elle soutient avoir engagé, en 2006, des investissements pour répondre aux besoins de la société UB, investissements qu'elle n'aurait pu amortir. Mais, ces investissements ont été engagés, à ses risques et périls, alors que la pérennité des relations commerciales antérieures n'était pas acquise et que les négociations contractuelles en cours en démontraient la fragilité.

Elle ne produit d'ailleurs pas les éléments comptables de nature à démontrer la pertinence de ses griefs alors que les renseignements comptables communiqués par son adversaire révèlent que pendant l'année 2008, ses résultats ont progressé et qu'en 2009, ses effectifs étaient en progression, ce qui permet de déduire une activité soutenue et partant une exploitation des investissements réalisés.

Sa demande reconventionnelle sur le fondement de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce sera donc rejetée.

2° Sur la demande d'indemnisation du préjudice moral

La société Loc Maria fait valoir qu'étant en relation d'affaires avec la société UB depuis de nombreuses années, elle a été contrainte de subir l'attitude outrancière de celle-ci et que la société UB a tenté de lui enlever toute autonomie et de s'accaparer son savoir-faire, au mépris des années de collaboration antérieure.

Contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, la demande d'indemnisation ne peut être fondée sur la responsabilité contractuelle puisque les faits fautifs allégués ne concernent pas l'exécution des contrats de vente successifs conclus entre les parties mais ont eu pour cadre les négociations précontractuelles qui se sont déroulées pendant deux ans ainsi que leurs suites judiciaires initiées par les sociétés UB et Delacre.

Il n'en demeure pas moins que le tribunal a parfaitement qualifié l'attitude outrancière des sociétés appelantes qui, usant de leur puissance économique, ont multiplié les manœuvres de harcèlement, de chantage et d'intimidation pour prendre le contrôle, à moindre coût, d'une entreprise indépendante, parfaitement viable, avec laquelle elles étaient pourtant en mesure de poursuivre des relations commerciales équilibrées, satisfaisantes pour chacun des protagonistes.

Cette attitude agressive outrancière a continué à se manifester après la décision du tribunal, dans le cadre de la procédure d'appel, puisqu'elles ont persisté à réclamer les sommes démesurées de 1 955 547 euro (outre réserves), sans rapport avec l'intérêt pour elles du maintien des relations commerciales en cause et les capacités de leur partenaire commercial.

L'appréciation faite par le tribunal du trouble généré par cette attitude fautive persistante, tendant à mettre en péril la pérennité de la société, est donc parfaitement adaptée.

III Sur l'article 700 du Code de procédure civile

Les sociétés appelantes représentées par un seul conseil et présentant un dossier unique réclament une somme totale de 120 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile. Mais succombant intégralement dans leurs prétentions, elles ne peuvent bénéficier de ces dispositions.

En équité, une somme de 30 000 euro sera allouée sur ce fondement à la société intimée, contrainte d'exposer de nouveaux frais de procédure d'autant plus importants que l'enjeu était pour elle vital.

Par ces motifs : LA COUR, Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 11 mars 2010 par le Tribunal de commerce de Rennes ; Y ajoutant, Condamne in solidum les sociétés United Biscuits UK et Delacre NV à payer à la société Loc Maria une somme de 30 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Déboute les parties de toutes autres demandes contraires ou plus amples ; Condamne in solidum les sociétés United Biscuits UK et Delacre NV aux dépens d'appel.