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Décisions

CA Orléans, 14 novembre 2011, n° 10-03183

ORLÉANS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Gibault

Défendeur :

Schmitz , Automobiles Peugeot (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bureau

Conseillers :

Mme Hours, Nollet

Avoués :

Me Garnier, Daude, SCP Desplanques Devauchelle

Avocats :

SELARL Sebaux, Associes, SCP Robiliard, Me Charpentier Mavrinac

TI Blois, du 29 sept. 2010

29 septembre 2010

Eric Gibault a acquis, le 2 février 2003, de Gérard Schmitz un véhicule Peugeot 307, acheté et mis en circulation pour la première fois le 23 décembre 2002 par ce dernier.

Aux motifs qu'il a ressenti, fin 2007, un phénomène vibratoire anormal de la pédale d'embrayage et qu'il lui a été alors conseillé de faire remplacer le volant moteur bimasse équipant son véhicule, mais qu'il n'a pu obtenir la prise en charge de cette réparation dans des conditions satisfaisantes par le concessionnaire Peugeot, Eric Gibault a fait procéder à une expertise amiable de son véhicule, laquelle aurait révélé l'existence d'une proportion importante de véhicules Peugeot 307 soumis à ce type d'avarie.

C'est dans ces conditions que Eric Gibault a, par acte des 8 et 14 décembre 2009, fait assigner devant le tribunal d'instance de Blois Gérard Schmitz et la SA Automobiles Peugeot, pour les voir condamner solidairement, sur le fondement de la garantie des vices cachés, à lui rembourser le coût des réparations effectuées et à l'indemniser de son préjudice de jouissance.

Par jugement du 29 septembre 2010, le tribunal, considérant qu'Eric Gibault n'avait pas agi dans le bref délai visé à l'article 1648 du Code civil, dans sa rédaction applicable à l'espèce, a déclaré l'intéressé irrecevable en ses demandes, a débouté les parties de leurs autres prétentions et a condamné l'intéressé aux dépens.

Eric Gibault a interjeté appel de cette décision.

Aux termes de ses conclusions récapitulatives du 23 mars 2011, il en poursuit l'infirmation et demande à la cour, statuant à nouveau, de :

- dire y avoir lieu à application du délai de deux ans au lieu du bref délai,

- déclarer son action recevable,

- condamner solidairement Gérard Schmitz et la SA Automobiles Peugeot à lui payer la somme de 1 441,82 euro en remboursement des réparations effectuées, celle de 4 800 euro au titre du préjudice de jouissance et celle de 2 000 euro au titre du préjudice de revente, le tout avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation et capitalisation des intérêts à compter du 22/02/2011,

subsidiairement,

- solliciter, à titre préjudiciel, de la Cour de Justice de l'Union européenne l'interprétation de la directive 1999/44/CE, aux fins de savoir s'il y a lieu à effet direct de cette dernière en ce qu'elle prévoit un délai qui ne saurait être inférieur à deux ans concernant une prescription ne débutant pas au moment de la délivrance du bien,

- surseoir à statuer dans l'attente de la décision à intervenir,

en tout état de cause,

- débouter Gérard Schmitz et la SA Automobiles Peugeot de toutes leurs demandes,

- les condamner solidairement à lui payer la somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- les condamner aux dépens.

Eric Gibault allègue que, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 17 février 2005 applicable aux contrats conclus après son entrée en vigueur, l'article 1648 du Code civil dispose que l'action en garantie des vices cachés doit être intentée dans un bref délai, étant admis que celui-ci court à compter de la découverte du vice, qu'en l'espèce, le rapport d'expertise n'a été déposé que le 29 avril 2008 et que, en faisant délivrer assignation en décembre 2009, il a bien agi à bref délai.

Il soutient que la directive 1999/44/CE devait être transposée en droit interne avant le 1er janvier 2002, qu'elle ne l'a été que par l'ordonnance précitée du 17 février 2005 qui précise que l'action doit être engagée dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice, que le non respect des délais prescrits pour la transposition a valu à la France d'être condamnée par la Cour de justice des Communautés européennes le 1er juillet 2004, que, en l'espèce, si la directive avait été transposée à la date prévue, le contrat aurait été soumis au délai de deux ans, et non au "bref délai", que la question se pose de l'effet direct de la directive en droit interne, que celle-ci, qui impose un délai non inférieur à deux ans, est inconditionnelle et suffisamment claire et précise, et que, dès lors qu'elle n'a pas été transposée dans les délais, il y a lieu à application directe de la règle relative au délai de prescription.

Subsidiairement, il sollicite, à titre préjudiciel, la saisine de la Cour de Justice de l'Union européenne pour avis sur cette question.

Eric Gibault allègue, au fond, que le vice dont son véhicule est atteint est inhérent au modèle, que la garantie lui est due tant par le constructeur que par son vendeur, qu'il est fondé à obtenir, non seulement le coût de la réparation, mais également l'indemnisation du préjudice lié à la privation de jouissance et à la difficulté de revente du véhicule.

Par conclusions signifiées le 16 mai 2011, Gérard Schmitz demande à la cour de :

- déclarer Eric Gibault irrecevable en sa demande faute de l'avoir intentée à bref délai,

subsidiairement,

- constater l'absence de vice caché et l'absence de préjudice,

- débouter Eric Gibault de ses demandes,

- confirmer le jugement entrepris, sauf subsidiairement à en substituer le fondement,

- condamner Eric Gibault à lui payer la somme de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- le condamner aux dépens,

plus subsidiairement,

- débouter Eric Gibault de ses demandes,

à titre infiniment subsidiaire,

- condamner la SA Automobiles Peugeot à le garantir de toutes condamnations,

- la condamner au paiement d'une indemnité de procédure de 2 000 euro et aux dépens.

Gérard Schmitz soutient que Eric Gibault avait une connaissance certaine du vice dès la fin de l'année 2007, que, l'assignation ayant été délivrée le 14 décembre 2009, l'action n'a pas été engagée à bref délai, que, même si la connaissance du vice était fixée au 29 avril 2008, date du rapport d'expertise, le délai de 20 mois écoulé ne peut davantage être considéré comme un bref délai, que la directive 1999/44/CE, qui est destinée à s'imposer dans les rapports entre non professionnels et professionnels, ne peut lui être opposée avant sa date de transposition en droit français, lui-même n'étant pas professionnel, de sorte qu'il ne peut y avoir d'application directe à son égard, que, lorsque l'avarie a été constatée, il s'était écoulé depuis la vente plus de cinq ans et Eric Gibault avait parcouru plus de 90 000 km, que la panne résulte d'une usure normale des pièces mécaniques, que la preuve n'est pas rapportée d'un vice caché existant au moment de la vente, qu'il n'est pas établi que le vice existait sur d'autres véhicules, que lui-même ignorait tout du prétendu vice, de sorte qu'il ne saurait être tenu à dommages et intérêts et qu'Eric Gibault ne justifie, en tout état de cause, pas du préjudice de jouissance qu'il allègue.

Suivant conclusions signifiées le 23 juin 2011, la SA Automobiles Peugeot sollicite la confirmation du jugement entrepris et demande, en conséquence, à la cour de :

in limine litis

- dire que les dispositions de la directive 1999/44/CE ne sont pas d'effet direct,

- dire n'y avoir lieu à question préjudicielle,

- déclarer Eric Gibault irrecevable en son action,

subsidiairement,

- constater l'absence de vice caché démontré et débouter Eric Gibault de ses demandes,

plus subsidiairement,

- rejeter l'action en garantie formée à son encontre par Gérard Schmitz,

à titre infiniment subsidiaire,

- rejeter les demandes d'indemnisation injustifiées d'Eric Gibault,

- condamner ce dernier à lui payer la somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- le condamner aux dépens de première instance et d'appel.

La SA Automobiles Peugeot allègue que l'action d'Eric Gibault est soumise au bref délai de l'article 1648 du Code civil dans sa rédaction ancienne, qu'en l'espèce, il s'est écoulé plus de deux ans entre la découverte du vice, fin 2007, et la délivrance de l'assignation, le 8 décembre 2009, que l'action doit donc être déclarée irrecevable comme tardive.

Elle soutient que le mécanisme de l'effet direct d'une directive européenne ne peut être invoqué que lorsqu'elle n'a pas été transposée, que la directive 1999/44/CE a été transposée en droit français par l'ordonnance du 17 février 2005, laquelle prévoit précisément les modalités d'entrée en vigueur de la réforme, que l'effet direct ne peut donc être invoqué pour contourner les dispositions transitoires spécialement prévues par l'ordonnance de transposition, que, en toute hypothèse, l'effet direct suppose que la disposition invoquée soit claire et inconditionnelle et qu'elle ne soit subordonnée à aucune exécution discrétionnaire, qu'en l'occurrence, il résulte de la directive 1999/44/CE que le délai d'action du consommateur dépend du choix effectué par l'état membre et ne peut être déterminé par la seule lecture de la directive, que, celle-ci n'étant pas inconditionnelle, l'effet direct ne peut être invoqué, que, au surplus, une disposition d'une directive ne peut être invoquée en tant que telle à l'égard d'une autre personne, de sorte qu'Eric Gibault ne peut invoquer valablement l'effet direct de la directive dont s'agit à son encontre, que quand bien même l'effet direct serait admis, l'action se trouverait prescrite comme ayant été engagée plus de deux ans à compter de la délivrance du bien, voire à compter de la découverte du vice en décembre 2007.

La SA Automobiles Peugeot s'en rapporte à justice sur la question préjudicielle soulevée par Eric Gibault, tout en soulignant que la présente cour est à même d'interpréter les dispositions de la directive.

Elle conteste, à titre subsidiaire, la force probante de l'expertise amiable et fait valoir que ses conditions de réalisation ne permettent pas d'établir l'existence d'un vice caché au moment de la vente, que, eu égard à l'ancienneté du véhicule et au kilométrage parcouru, il incombait à Eric Gibault de justifier de ce qu'il a fait procéder à un entretien régulier conforme aux préconisations du constructeur, ce qu'il ne fait pas, que le geste commercial proposé par le garage BERNIER ne peut être interprété comme une reconnaissance de responsabilité, que, à supposer même établie l'existence d'un vice caché, la preuve n'en serait pas pour autant rapportée d'un vice de conception, que les préjudices allégués ne sont pas démontrés et que les indemnités réclamées sont, en tout état de cause, excessives.

Sur ce, la cour :

Attendu que les dispositions de l'article 1648 du Code civil, dans leur rédaction actuelle, issue de l'ordonnance n° 205-136 du 17 février 2005, qui stipulent que l'action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l'acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice, s'appliquent, en vertu de l'article 5 de ladite ordonnance, aux contrats conclus postérieurement à son entrée en vigueur, soit à compter du 19 février 2005 ;

Que le contrat de vente, conclu en l'espèce le 2 février 2003, reste donc soumis aux dispositions anciennes de l'article 1648 ;

Attendu, certes, que la transposition en droit français de la directive 1999/44/CE est intervenue tardivement, puisqu'elle résulte de l'ordonnance susvisée du 17 février 2005, alors même qu'il était imparti, pour ce faire, aux états membres un délai expirant le 1er janvier 2002 ;

Que, par arrêt du 1er juillet 2004, la Cour de Justice des Communautés européennes a, d'ailleurs, retenu que la république française avait, à cet égard, manqué aux obligations lui incombant en vertu de cette directive ;

Attendu que, dès lors que la directive précitée n'a pas été transposée dans les délais, Eric Gibault s'estime fondé à se prévaloir de l'effet direct de la disposition concernée ;

Mais attendu que l'effet direct d'une directive européenne non transposée en droit français ne peut être invoqué qu'à la condition que la disposition invoquée soit inconditionnelle, claire et précise et qu'elle ne soit subordonnée à aucune exécution discrétionnaire ;

Que, en l'occurrence, la directive 1999/44/CE est, relativement au délai dont s'agit, ainsi rédigée :

"Considérant qu'il convient de limiter dans le temps le délai pendant lequel la responsabilité du vendeur est engagée pour tout défaut de conformité existant lors de la délivrance du bien ; que les Etats membres peuvent également prévoir une limitation de délai pendant lequel les consommateurs sont autorisés à exercer leurs droits, à condition que ce délai n'expire pas au cours des deux ans qui suivent la délivrance du bien ; que, lorsque, aux termes de la législation nationale, un délai de prescription ne débute pas au moment de la délivrance du bien, la durée totale du délai de prescription prévu par la législation nationale ne peut pas être inférieure à deux ans à compter de la délivrance";

Que, telle que rédigée, la directive n'est pas inconditionnelle, puisqu'elle ne détermine pas en elle-même le délai d'action du consommateur, lequel se trouve subordonné au choix qui sera effectué par l'Etat membre quant à son point de départ et à sa durée ;

Que la directive ne remplit donc pas les conditions requises pour faire l'objet d'une application directe ;

Attendu, au surplus et en tout état de cause, que, si tel était le cas, il y aurait lieu alors à application directe de l'article 5-1 de la directive, qui prévoit que la responsabilité du vendeur est engagée lorsque le défaut de conformité apparaît dans un délai de deux ans à compter de la délivrance du bien ;

Que le vice allégué étant, au mieux, apparu, en l'espèce, plus de quatre ans après l'achat du véhicule par Eric Gibault, ce dernier serait de toutes façons irrecevable à agir en garantie contre le vendeur ;

Attendu qu'il convient, en conséquence, et sans qu'il soit besoin de solliciter, à titre préjudiciel, l'interprétation de la directive 1999/44/CE par la Cour de Justice de l'Union Européenne, de dire que l'action engagée par Eric Gibault, en exécution d'un contrat souscrit le 2 février 2003, se trouve soumise aux dispositions de l'article 1648 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 17 février 2005 ;

Qu'il en résulte que ladite action devait être engagée dans un "bref délai, suivant la nature des vices rédhibitoires et l'usage du lieu où la vente a été faite" ;

Attendu que, selon ses propres déclarations, Eric Gibault a ressenti un phénomène vibratoire anormal dans la pédale d'embrayage de son véhicule, fin 2007, et qu'il a, alors, été informé par le garage LBA de la nécessité de remplacer le volant moteur bimasse équipant le véhicule, que ce diagnostic lui a été confirmé par le garage Bernier, concessionnaire Peugeot, le 7 février 2008, et que le rapport d'expertise amiable diligenté à l'initiative de son assureur, déposé le 29 avril 2008, a confirmé à nouveau ce diagnostic et lui a fourni les éléments techniques lui permettant d'apprécier le bien fondé d'une action en garantie contre son vendeur ;

Que, même en se situant à cette dernière date, alors qu'il apparaît que, depuis fin 2007, Eric Gibault connaissait en réalité la nature et l'importance du désordre affectant son véhicule, force est de constater que l'intéressé a attendu encore 20 mois pour engager son action, puisqu'il n'a saisi le tribunal que par actes des 8 et 14 décembre 2009 ;

Qu'un tel délai ne peut être assimilé au bref délai visé par l'article 1648 du Code civil ;

Que c'est, en conséquence, à bon droit que le premier juge l'a déclaré irrecevable en son action ;

Que le jugement sera purement et simplement confirmé ;

Attendu qu'Eric Gibault qui succombe supportera les dépens ;

Qu'il sera, en outre, condamné au paiement à Gérard Schmitz d'une indemnité de procédure de 1 500 euro ;

Qu'il n'apparaît pas, en revanche, inéquitable, eu égard aux éléments de la cause, de laisser à la SA Automobiles Peugeot les frais irrépétibles qu'elle a exposés;

Par ces motifs : Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris, y Ajoutant, Condamne Eric Gibault à payer à Gérard Schmitz la somme de mille cinq cents euros (1 500 euro), sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Rejette le surplus des demandes,

Condamne Eric Gibault aux dépens et accorde à la SCP Desplanques-Devauchelle et à maître Daude, avoués, le bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.