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Décisions

CA Agen, 1re ch. civ., 7 novembre 2011, n° 10-01748

AGEN

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Association Handi Aide

Défendeur :

Menuiseries Vieillescazes (SARL), Becker Sea (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Muller

Conseillers :

Mmes Blum, Prache

Avoués :

SCP Tandonnet, SCP Teston Llamas, SCP Patureau Al Rigault Ph

Avocats :

Mes Belou, Monestier, SCP Soffal

TGI Cahors, du 17 sept. 2010

17 septembre 2010

En 2004, la SARL Menuiseries Vieillescazes procédait à des travaux sur l'immeuble de l'association Handi Aide, relatifs à la fourniture et à la pose de volets roulants.

Les travaux ont été réceptionnés le 18 octobre 2004, et facturés par la Société Menuiseries Vieillescazes le 20 octobre 2004 à hauteur de 48 681,36 euro TTC.

Courant 2005, en raison de dysfonctionnements sur les volets roulants, une expertise a été ordonnée par le juge des référés de Cahors le 22 novembre 2006, étendue le 22 août 2007 à la société Becker Sea qui a fourni les mécanismes électriques.

Le rapport a été déposé le 16 août 2008 par Monsieur Davino Paludetto.

Par actes en date des 30 septembre 2008 et 7 octobre 2008, l'association Handi Aide a fait assigner la SARL Menuiseries Vieillescazes et Becker Sea.

Le Tribunal de grande instance de Cahors, par jugement du 17 septembre 2010, a :

- dit que les travaux réalisés par la SARL Menuiseries Vieillescazes sur l'immeuble appartenant à l'association Handi Aide ont été réalisés sur la base d'un contrat de louage, et ne constitue pas un ouvrage au sens de l'article 1792 du Code civil,

- débouté en conséquence l'association Handi Aide de ses demandes formées à l'égard de la SARL Menuiseries Vieillescazes et à l'égard de la SAS Becker Sea

- constaté qu'aucune faute n'a été commise dans la réalisation des travaux par la SARLMENUISERIES Vieillescazes,

- ordonné la réouverture des débats pour que :

- l'association Handi Aide conclut sur le fondement de l'article 1641 du Code civil

- la société Becker Sea conclut sur l'opposabilité à l'association Handi Aide de la clause limitative de garantie

Par acte du 19 octobre 2010, l'association Handi Aide a relevé appel.

Par conclusions signifiées le 8 juillet 2011, auxquelles il convient de se référer pour de plus amples développements, l'association Handi Aide demande à la cour au visa des dispositions des articles 1792 et 1792-4 du Code civil, subsidiairement des articles 1147 et 1382 du même Code de :

1°) confirmer le jugement du Tribunal de grande instance de Cahors en date du 17 septembre 2010 sur les points suivants :

- l'Association Handi Aide a qualité pour agir,

- le contrat liant l'Association Handi Aide et la société Menuiseries Vieillescazes doit être qualifié de contrat d'entreprise ;

2°) réformer le jugement pour le surplus et de

- condamner in solidum la société Menuiseries Vieillescazes et la société Becker Sea au paiement des sommes de 36 808,95 euro, avec intérêts au taux légal au titre des travaux de reprise des désordres, 1 000 euro au titre du préjudice supporté par le maître de l'ouvrage, 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile

A l'appui de ses prétentions, l'association Handi Aide fait valoir au principal :

- que la cour saisie d'un jugement mixte peut évoquer les points non jugés, si elle estime de bonne justice de le faire ;

- qu'elle a la qualité de maître de l'ouvrage, étant d'une part propriétaire, d'autre part ayant réceptionné les travaux ;

- que le contrat est un contrat de louage d'ouvrage et non de vente, ce qui induit la garantie décennale des constructeurs, à tout le moins il peut revêtir la qualification d'élément d'équipement du bâtiment ;

- que les dommages rendent le bien impropre à sa destination, en raison de la défectuosité des 84 volets roulants ;

- que le mécanisme électrique indissociable du volet conduit à l'application de la solidarité de l'article 1792-4 du Code civil.

En réponse, par conclusions signifiées le 1er septembre 2011 auxquelles il convient de se référer pour de plus amples développements, la SARL Menuiseries Vieillescazes demande à la cour de :

- confirmer le jugement du Tribunal de grande instance de Cahors du 17 septembre 2010,

Y ajoutant :

- rejeter la demande de l'association Handi Aide à l'encontre de la SARL Menuiseries Vieillescazes sur le fondement de l'article 1147 du Code civil,

- condamner l'association Handi Aide à payer à la SARL Menuiseries Vieillescazes la somme de 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

Subsidiairement :

- condamner la SAS Becker Sea à relever et garantir la SARL Menuiseries Vieillescazes de toutes condamnations qui seraient prononcées à l'encontre de celle-ci,

- condamner la SAS Becker Sea à payer à la SARL Menuiseries Vieillescazes la somme de 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

A l'appui de ses prétentions, elle fait valoir au principal :

- qu'il n'entre pas au visa des articles 380 et 568 du Code de procédure civile dans le pouvoir de la cour d'évoquer des points qui n'ont pas été tranchés,

- que les conditions de l'article 1792 et suivants du Code civil ne sont pas remplies, les volets roulants étant dissociables du bâtiment, et en l'absence d'impropriété de l'immeuble à sa destination.

En réponse, par conclusions signifiées le 25 août 2011 auxquelles il convient de se référer pour des plus amples développements, Becker Sea SAS demande à la cour de rejeter toutes demandes à son encontre.

A l'appui de ses prétentions, elle fait valoir au principal :

- que l'association Handi Aide n'a pas de qualité à agir, seul le Foyer Estelle des Carmes, au nom duquel la facture a été établie est recevable,

- que doit être qualifié de vente le contrat de fourniture et pose de matériels, dès lors que la pose ne nécessite aucune adaptation particulière.

L'ordonnance de clôture de la procédure de mise en état est intervenue le 21 septembre 2011.

Sur ce, la cour

Sur l'évocation

Vu les articles 380 et 543 du Code de procédure civile,

L'article 380 du Code de procédure civile autorise l'appel contre la décision de sursis, toutefois, dès lors que le jugement est dit mixte, c'est à dire qui tranche dans son dispositif une partie du principal et sursoit à statuer pour le surplus, l'appel est immédiatement recevable dès lors que l'appel ne se limite pas à la partie du dispositif qui prononce le sursis à statuer.

Par suite, s'agissant d'un contentieux dont les premiers désordres sont apparus dès 2005, il convient d'évoquer l'affaire.

Sur la qualité à agir de l'association Handi Aide

Selon acte authentique du 25 janvier 1996, l'association d'entraide nationale d'adoption et de parrainage pour aveugles sans foyer a acquis un immeuble situé [...].

Suivant récépissé de déclaration de modifications établi le 29 mars 1999 par la préfecture de police, la dénomination de l'association est devenue Handi Aide.

L'association Handi Aide fait valoir que le Foyer Estelles des Carmes, qui n'est en fait que le nom de l'établissement, n'a pas de personnalité morale propre, de sorte qu'elle seule, propriétaire des lieux, qui a en outre réceptionné les travaux suivant procès-verbal du 18 octobre 2004, doit être reconnue en sa qualité de maître de l'ouvrage.

Aucun élément contraire n'étant démontré, il convient de reconnaître à l'association Handi Aide la qualité de maître de l'ouvrage.

Sur la qualification du contrat

Vu l'article 1787 du Code civil ;

Selon libellé de 3 factures du 23 octobre 2004, la menuiserie Vieillescazes a procédé à "la fourniture et pose de volets roulants y compris branchement" soit 84 volets roulants moyennant un coût total de 48 651,36 euro TTC, sous la caractéristique suivante : "tablier alu laqué blanc double parois isolé" largeur 1700, en deux hauteurs 1270 ou 2750 mm.

Un ouvrage au sens de l'article 1792 du Code civil n'est pas nécessairement un bâtiment, et peut concerner des éléments dissociables s'ils rendent celui-ci impropre à sa destination ou compromettant sa solidité.

Ainsi, doit être considéré comme un contrat de louage d'ouvrage une rénovation d'ensemble, eu égard notamment à l'ampleur des travaux concernant la totalité de 84 ouvertures d'un immeuble, avec pose et fourniture de deux dimensions de fenêtres pour la hauteur, et confection adaptée de boîtiers aluminium, équipés de branchement pour alimentation électrique et pose du moteur électrique moyennant un coût non négligeable de 48 651,36 euro TTC.

Sur la mise en œuvre de la garantie décennale

Vu les articles 1792 et suivants du Code civil ;

Volets roulants et moteurs électriques - ensemble indissociable - doivent être qualifiés d'ouvrage. Le dysfonctionnement de l'ensemble des moteurs électriques intégrés à des volets roulants dépourvus de manivelles mécaniques, qui consiste soit à bloquer le volet en position fermé soit en position ouverte au hasard du moment de la survenance de l'incident, rend l'ouvrage impropre à sa destination pour ne pas remplir la fonction d'isolation à la vue, à la lumière ou au contraire empêchant la vue et la lumière de pénétrer par l'ouverture prévue à cet effet.

Dès lors que les désordres relèvent de la garantie décennale et que n'est pas constatée l'existence d'une cause étrangère de nature à limiter la responsabilité du maître d'œuvre, celle-ci est engagée de plein droit et pour le tout, sachant que la détermination de la cause des désordres est sans incidence sur le droit à réparation des victimes.

En conséquence, la SARL Menuiseries Vieillescazes est déclarée responsable de plein droit des désordres constatés.

Sur la responsabilité solidaire du fabriquant des moteurs

Vu l'article 1792-4 du Code civil ;

Les moteurs fabriqués par Becker Sea intégrés aux volets roulants sans mécanisme manuel, conçus et mis en œuvre pour répondre aux exigences de ce type de fonctionnement, formant un tout indissociable, constituent donc une partie intégrante de l'ouvrage qui a vocation à s'ouvrir et se fermer électriquement grâce aux moteurs fournis à cet effet, par suite et à défaut qu'il ait été relevé par l'expert à l'encontre de la SARL Menuiseries Vieillescazes de responsabilité dans la mise en œuvre, la responsabilité solidaire du fabricant s'excipe de l'application de l'article 1792-4 du Code civil.

En conséquence, Becker Sea SAS doit être solidairement tenu envers la SARL Menuiseries Vieillescazes.

Sur la responsabilité dans les rapports entre la SARL Menuiseries Vieillescazes et Becker Sea SAS

Le contrat entre la SARL Menuiseries Vieillescazes et Becker Sea SAS est un contrat de vente soumis à la garantie des vices cachés.

Sur la prescription du droit à agir

Vu l'article 1648 du Code civil ;

"L'action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l'acquéreur dans le délai de deux ans à compter de la découverte du vice".

Le bref délai commence à courir à compter de la date de la connaissance du vice par l'acquéreur.

Dans les actions récursoires, le vendeur ne peut agir contre le fabricant avant d'avoir été lui-même assigné par l'acquéreur, toutefois, la connaissance certaine du vice peut se situer au jour de la notification du rapport d'expertise.

Dans le cas de l'espèce, les dysfonctionnements des volets roulants ont débuté au mois de novembre 2005.

L'association Handi Aide a assigné le 23 octobre 2006 en référé expertise la SARL Menuiseries Vieillescazes, expertise étendue par ordonnance de référé du 22 août 2007, sur assignation du 13 juillet 2007, à la SAS Becker Sea.

Le rapport d'expertise a été déposé le 16 mai 2008. Ce terme constitue le point de départ du délai en raison de la connaissance avérée à cette date du vice.

L'assignation au fond est intervenue le 7 octobre 2008, par conclusions du 6 mars 2009, la SARL Menuiseries Vieillescazes a formé une demande sur la garantie des vices cachés.

Par suite, la prescription n'est pas encourue, l'action en garantie des vices cachés est recevable.

Sur la garantie des vices cachés

Vu l'article 1641 du Code civil ;

"Le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage, que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'ils les avaient connus".

L'expert écrit "que la cause des désordres est due à une défaillance des électroniques de commande des moteurs".

Il poursuit en précisant : à notre avis les causes de ces désordres sont imputables :

- à une erreur de conception de l'ensemble des moteurs par la SAS Becker : les électroniques de commande ne sont pas adaptées aux moteurs.

- à la mauvaise qualité des électroniques de commandes assemblées sur les moteurs par la SAS Becker.

La SAS Becker soutient qu'il n'est pas démontré avec certitude les raisons de la panne, pas plus que l'antériorité du vice à la vente rendant le matériel impropre à leur destination.

Pour autant, la SAS Becker ne démontre l'existence d'aucune autre cause probable de panne, l'erreur de conception et la mauvaise qualité de l'électronique sont nécessairement antérieurs à la vente, sachant que la pose des volets roulants n'est pas mise en cause dans les dysfonctionnements.

En outre, il ne peut être légitimement contesté que les vices qui affectent des volets roulant électriques sans mécanismes les rendent impropre à l'usage auxquels ils sont destinés.

Sur l'opposabilité de la garantie contractuelle

La SAS Becker se prévaut des conditions générales de vente et des clauses limitatives de garanties de l'article 8 qui prévoit que les produits sont garantis contre tout défaut de matière ou de fabrication pendant une durée de 24 mois sur les composants de commande à compter de la date de fabrication et de 60 mois sur les moteurs de volets roulants.

Toutefois, il est acquis que les stipulations exonérant le vendeur professionnel n'ont pas plus de valeur à l'égard d'un acquéreur particulier que d'un professionnel, ce d'autant, qu'ils ne sont pas de même spécialités l'un est menuisier, l'autre électricien. Les stipulations contractuelles ne peuvent ainsi exclure le mécanisme des garanties légales.

Par suite, il convient de débouter la SAS Becker.

Sur l'inertie de la SARL Menuiseries Vieillescazes

Les désordres sont apparus courant novembre 2005. L'association Handi Aide a assigné le 23 octobre 2006 en référé expertise la SARL Menuiseries Vieillescazes, expertise étendue par ordonnance de référé du 22 août 2007 à la SAS Becker Sea.

Cette dernière, qui a participé aux opérations d'expertise, ne méconnaissait donc pas les termes du litige, elle pouvait dès lors prendre toutes mesures qui lui apparaissaient nécessaires pour préserver ses intérêts.

Aucune responsabilité ne peut être retenue à l'égard de la SARL Menuiseries Vieillescazes.

Sur le montant du préjudice

L'expert a évalué à la somme de 36 808, 95 euro TTC le montant des reprises consistant au changement de tous les volets roulants.

En conséquence, la SARL Menuiseries Vieillescazes et la SAS Becker Sea sont condamnées in solidum à payer à l'association Handi Aide la somme de 36 808,95 euro avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.

En revanche, il ne sera pas fait droit à la demande sur le fondement du préjudice de jouissance insuffisamment caractérisé.

Sur les frais non répétibles

Succombant à la procédure, la SARL Menuiseries Vieillescazes et la SAS Becker Sea sont condamnées in solidum à la somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

La SAS Becker Sea, responsable de l'entier dommage, est condamnée à relever indemne la SARL Menuiseries Vieillescazes de toutes condamnations.

Par ces motifs, LA COUR, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe et en dernier ressort, Confirme le jugement du Tribunal de grande instance de Cahors du 17 septembre 2010 : en ce qu'il a reconnu à l'association Handi Aide la qualité à agir, en ce qu'il a qualifié de contrat d'entreprise le lien contractuel entre l'association Handi Aide et la SARL Menuiseries Vieillescazes, Infirme le jugement du Tribunal de grande instance de Cahors du du 17 septembre 2010 pour le surplus , statuant à nouveau et évoquant , Dit que les travaux réalisés constituent un ouvrage au sens de l'article 1792 du Code civil ; Condamne en conséquence in solidum la SARL Menuiseries Vieillescazes et la SAS Becker Sea à payer à l'association Handi Aide à les sommes de : 36 808,95 euro avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, 3 000,00 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne in solidum la SARL Menuiseries Vieillescazes et la SAS Becker Sea à payer à l'association Handi Aide les entiers dépens dont distraction au profit de la SCP Henri Tandonnet ; Dans les rapports entre la SARL Menuiseries Vieillescazes et SAS Becker Sea : Dit que les désordres sont consécutifs d'un vice caché ; Dit n'y avoir lieu à prescription de l'action ; Condamne la SAS Becker Sea à relever indemne la SARL Menuiseries Vieillescazes de toutes condamnations prononcées à son encontre ; Rejette toutes les autres demandes la SAS Becker Sea ; Condamne la SAS Becker Sea à payer à la SARL Menuiseries Vieillescazes la somme de 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la SAS Becker Sea aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP Teston-Llamas.