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Décisions

CA Aix-en-Provence, 2e ch., 18 avril 2012, n° 11-05722

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Guy Sorne Export (SARL)

Défendeur :

Société des cidres Dujardin (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Simon

Conseillers :

MM. Fohlen, Prieur

Avocats :

Selarl Boulan-Cherfils-Imperatore, Selarl Liberas Buvat Michotey, SCP Cornet Vincent Segurel, Me Joly

T. com. Antibes, du 18 mars 2011

18 mars 2011

EXPOSÉ DE L'AFFAIRE

À compter de l'année 2002, la société Guy Sorne Export est devenue agent commercial de la société des cidres Dujardin avec mandat de commercialiser différentes gammes de cidre auprès de la clientèle pour un territoire composé de l'Amérique du Nord, de l'Europe, et du Japon.

Aucun écrit n'a été passé entre les parties.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 1er février 2010, la société des cidres Dujardin a notifié à la société Guy Sorne Export la rupture de son contrat pour faute grave privative de toute indemnité.

A l'appui de cette décision, la société des cidres Dujardin invoquait les griefs suivants:

- pour le client Hemberga, une absence de respect de ses instructions en matière de prix et de commande de palettes qui au minimum devaient être de 10 alors qu'une commande du 14 octobre 2009 puis du 19 novembre 2009 correspondaient à un nombre inférieur,

- pour le client Twog, le non-respect d'un montant minimum de commande de 2 000 euro,

- pour le client Gerstacker l'absence d'application des conditions tarifaires.

Contestant cette décision, la société Guy Sorne Export a fait assigner la société des cidres Dujardin devant le Tribunal de commerce d'Antibes pour obtenir paiement de la somme de 3 539,58 euro au titre de l'indemnité compensatrice de préavis inexécuté, et celle de 28 316,66 euro au titre de l'indemnité légale de cessation de mandat.

Par jugement du 18 mars 2011, le tribunal a rejeté les demandes présentées par la société Guy Sorne Export qui a interjeté appel de cette décision.

Cette société conteste l'existence de fautes graves dont se prévaut son mandant.

En ce qui concerne le client suédois Hemberga, la société Guy Sorne Export fait observer qu'il résulte des courriels échangés entre les parties que pour la première commande de septembre 2009, elle a respecté les instructions de son mandant en livrant 10 palettes, et qu'au titre de la seconde commande du 19 novembre 2009 portant sur quatre puis cinq palettes celle-ci a été acceptée par la société des cidres Dujardin qui ne peut donc lui reprocher une quelconque faute.

Concernant le client Twog, la société appelante fait valoir qu'elle a parfaitement respecté les conditions tarifaires puisque ce n'est que les 5 et 6 août 2009 qu'elle avait été avisée que la valeur minimale des commandes serait de 2 000 euro et que par courriel, il lui était indiqué qu'il faudrait discuter avec Twog s'ils peuvent respecter ce minimum pour les prochaines commandes et qu'elle serait avertie de la prochaine entrée en application de cette décision.

En ce qui concerne le client allemand Gerstacker, la société Guy Sorne Export soutient qu'il s'agissait de son principal client avec lequel des accords tarifaires avaient été conclus jusqu'au 31 décembre 2009 et que l'augmentation de prix de 11 % décidée le 15 novembre 2009 a été refusée par ce client et qu'aucune faute ne peut être reprochée à ce titre au mandataire.

La société Guy Sorne Export réfute l'argumentation soulevée selon laquelle elle n'aurait pas respecté son obligation d'information en s'abstenant de répondre à un courrier du 11 octobre 2009 par lequel il lui était demandé de bien vouloir communiquer la liste des clients dans les pays pour lesquels elle souhaitait faire des offres commerciales, alors qu'il résulte des pièces produites aux débats que c'était l'agent commercial qui était à l'origine de ces demandes d'information.

En effet, elle souhaitait proposer à la clientèle de différents pays la vente de canettes de 33 cl et voulait éviter de démarcher inutilement des clients existants.

Elle précise avoir perçu de la société Guy Sorne Export au titre des exercices 2007 à 2009 la somme totale de 42 475 euro et fixe donc son indemnité de cessation de mandat aux deux tiers de cette somme soit 28 316,66 euro.

Au titre de l'indemnité compensatrice de préavis elle réclame 3 539 euro.

En conséquence, elle conclut à la réformation du jugement et réitère les réclamations financières présentées en première instance et sollicite 4 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société des cidres Dujardin rétorque que la société Guy Sorne Export a commis une série de manquements graves puisque celle-ci n'a pas respecté les nouvelles conditions de vente indiquées dans un courriel du 13 octobre 2009 fixant le minimum de commandes à 2 000 euro et que cette disposition était d'application immédiate.

Elle fait en effet remarquer que pour le client Hemberga, la société Guy Sorne Export a accepté des commandes les 14 octobre et 19 novembre 2009 contraires à la directive du 13 octobre. Elle prétend donc que son mandataire a transgressé ses instructions.

Pour le client Twog, la société intimée rappelle que son courrier du 13 octobre 2009 était applicable immédiatement et que la mandataire n'a pas respecté ses instructions puisqu'il a passé une commande avec ce client le 4 décembre 2009 pour un total de 800 euro.

La société des cidres Dujardin soutient aussi un manquement à l'obligation d'information et un défaut de prospection de la société Guy Sorne Export puisque par courriel du 11 octobre 2009 il lui était demandé de communiquer pour chaque pays la liste des importateurs auprès desquels elle souhaitait faire des offres afin d'établir la liste avec lesquels le groupe travaillait déjà pour mettre à profit les acquis auprès de ses clients et que le 12 octobre 2009 l'agent dressait un tableau qu'il demandait à son mandant de remplir.

Elle prétend qu'il n'appartenait nullement au mandant de se substituer à son agent et que celui-ci n'a pas rempli les obligations lui incombant.

La société intimée reproche aussi à la société Guy Sorne Export un non-respect des conditions tarifaires et un refus de négociation avec le client allemand Gerstacker. Elle ajoute que la société Guy Sorne Export a en outre été à l'encontre des instructions de son mandant puisqu'elle a envoyé un camion de ce client s'approvisionner chez un concurrent, manquant à son obligation de loyauté.

Elle prétend aussi que la société Guy Sorne Export ne justifie aucunement du quantum des indemnités sollicitées.

Dès lors, la société des cidres Dujardin conclut à la confirmation de la décision entreprise et sollicite 8 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

La cour renvoie, pour l'exposé complet des moyens et prétentions des parties, à leurs écritures précitées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Par courriel du 13 octobre 2009 la société des cidres Dujardin avisait son agent que d'une manière générale le minimum de commande était de 2 000 euro et ajoutait qu'en ce qui concernait le client suédois Hemberga une quantité de 10 palettes semblait raisonnable. Elle précisait en effet qu'elle ne pouvait lancer une production d'une ou de palettes avec une contre étiquette spécifique en suédois et que la quantité de 10 palettes lui semblait raisonnable.

En ce qui concerne une première commande du 14 octobre 2009 résultant d'un échange de conditions de vente entre la société Hemberga et la société Guy Sorne Export, compte tenu du fait que les parties étaient en relation à compter du mois de septembre 2009 soit antérieurement aux nouvelles instructions du mandant, aucun manquement ne peut être reproché à l'agent commercial.

Postérieurement à ce courriel, la société Guy Sorne Export a accepté le 19 novembre 2009 une commande qui ne respectait pas les instructions de son mandant puisque celle-ci portait sur cinq palettes pour une somme de 2 664 euro hors taxe soit pour un montant supérieur à celui de 2 000 euro exigés dans le courriel du 13 octobre 2009.

Si le courriel du 13 octobre 2009 exigeait une commande minimum de 2 000 euro par contre il n'imposait pas de manière impérative une commande de 10 palettes.

Dans un courriel du 20 novembre 2009 adressé par la société Guy Sorne Export à la société Hemberga, elle indiquait ignorer les modifications de prix et de quantité qui doivent entrer en vigueur l'année suivante. Il ne peut se déduire de ce document qui concerne l'année 2010 que l'agent n'aurait pas répercuté les instructions de son mandant valables pour l'année 2009.

Le 4 décembre 2009, la société Guy Sorne Export a accepté une commande de son client japonais la société Twog pour un montant de 800 euro ce qui était tout à fait en contradiction avec la directive donnée par le mandant le 13 octobre 2009.

Toutefois, le 5 août 2009 la société des cidres Dujardin adressait à son agent un courriel libellé comme suit : "veuillez noter que notre politique est d'accepter des commandes d'une valeur minimale de 2 000 euro. Il faudra discuter avec Twog s'ils peuvent respecter ce minimum pour les prochaines commandes (...) ".

Par un nouveau courriel du 6 août 2009, le mandant précisait : "la règle des 2 000 euro rentrera prochainement en application nous aviserons comment procéder avec ce client (...) ".

Il n'est produit aucun document précisant la date d'entrée en vigueur de cette instruction pour les commandes passées avec la société Twog qui bénéficiait manifestement d'un régime particulier. La société des cidres Dujardin ne peut donc invoquer le courriel du 13 octobre 2009 étant d'ailleurs précisé qu'elle ne conteste pas que la commande passée par ce client a été annulée le 9 décembre 2009.

En ce qui concerne le client Gerstacker, par courriel adressé le 30 avril 2009 à la société Guy Sorne Export, la société des cidres Dujardin il était indiqué " nous avons pris en compte les difficultés de Gerstacker sur (le) marché marqué par la crise de consommation en Allemagne, nous vous confirmons le maintien du prix pour le 2e trimestre 2009 à 0,33 euro le litre".

Par courriel du 9 novembre 2009 la société des cidres Dujardin indiquait à son agent "nous vous confirmons le prix de 0,368 euro EXV Condé-sur-Vire/litre pour le cidre vrac brut et doux. Ce prix sera applicable pour tout enlèvement qui aura lieu dans notre usine à compter du 19 novembre 2009".

Le même jour, la société Guy Sorne Export répondait " pour info, Gerstacker a appelé ce matin, son plus gros client n'accepte aucune augmentation sur le prix du cidre (...)".

Le 12 novembre 2009, le mandataire écrivait " je vous confirme qu'il a été conclu un accord avec Gerstacker au prix de 0,33 euro par litre de cidre doux et brut en vrac jusqu'au 31 décembre 2009 et non pas jusqu'au 15 décembre 2009".

Compte tenu des engagements contractuels pris par la société des cidres Dujardin au profit de la société Gerstacker au titre de l'année 2009, il ne peut être reproché à l'agent commercial de ne pas avoir appliqué les nouveaux tarifs décidés par la société intimée.

En raison du non-respect par la société des cidres Dujardin de ses engagements contractuels envers ce client, ce qui constitue une faute, cette société est mal fondée à reprocher à la société Guy Sorne Export, lorsque les camions citernes de la société Gerstacker se sont présentés à l'entrepôt de la société des cidres Dujardin à Condé-sur-Vire pour prendre livraison du cidre au prix initialement convenu et que ce chargement leur a été refusé du fait du prix pratiqué, d'avoir orienté ces camions vers une entreprise concurrente.

La faute du mandant qui a refusé de remplir ses engagements retire aux agissements de l'agent l'aspect de déloyauté qui lui est reproché.

Il convient d'ailleurs de relever qu'il n'est pas contesté par l'intimée que postérieurement, des relations commerciales directes se sont nouées entre elle et la société Gerstacker pour la vente de cidre au prix convenu en 2009 de 0,33 euro par litre de cidre doux et brut en vrac et que l'initiative de l'agent ayant permis aux camions de ne pas repartir vides a certainement contribué à la conclusion de nouveaux contrats.

Le 11 octobre 2009, la société des cidres Dujardin envoyait à la société Guy Sorne Export le courriel suivant : "nous avons besoin de savoir pour chaque pays chez qui vous souhaiteriez faire des offres afin de savoir si nous ne travaillons pas déjà avec ces importateurs sur d'autres de nos produits".

Il était répondu le 13 octobre 2009 "afin d'éclaircir sur quels marchés nous pouvons faire des offres ou non, veuillez svp nous mettre à jour le tableau ci-joint".

Cet échange de correspondance ne permet pas de retenir un manquement de l'agent dans le compte rendu de sa gestion.

En conséquence, la société des cidres Dujardin ne démontre pas l'existence d'une faute grave imputable à son agent et consistant en une transgression des instructions qui lui avaient été données.

En application des articles L. 134-11 et L. 134-12 du Code de commerce, celui-ci est donc fondé à percevoir une indemnité compensatrice de préavis inexécuté et une indemnité légale de cessation de mandat.

La société appelante remet aux débats diverses factures de commissions d'où il apparaît qu'elle a perçu 42 475 euro de commissions au cours des exercices 2007 à 2009.

En conséquence, du fait de la durée des relations entre les parties il convient de fixer l'indemnité légale de cessation mandat à la somme de 28 316,66 euro, et l'indemnité compensatrice de préavis inexécuté à la somme de 3 539 euro.

Le jugement attaqué est infirmé en toutes ses dispositions.

La société des cidres Dujardin, dont les demandes sont rejetées, est condamnée à payer à la société Guy Sorne Export une indemnité de 4 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : LA COUR, Infirme le jugement attaqué, Statuant à nouveau, Condamne société des cidres Dujardin à payer à la société Guy Sorne Export la somme de 28 316,66 euro au titre de l'indemnité légale de cessation mandat, la somme de 3 539 euro correspondant à l'indemnité compensatrice de préavis inexécuté outre la somme de 4 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne société des cidres Dujardin aux dépens de première instance et d'appel recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.