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Décisions

CA Rennes, 3e ch. com., 24 avril 2012, n° 11-01031

RENNES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Cotin

Défendeur :

Editions Atlas (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Poumarède

Conseillers :

Mmes Cocchiello, André

Avocats :

SCP Bazille, SCP Brebion Chaudet, Mes Morlon, Landon

T. com. Nantes, du 9 déc. 2010

9 décembre 2010

EXPOSÉ DU LITIGE

Le 15 juillet 1999, la société Editions Atlas, qui édite et commercialise des ouvrages littéraires et artistiques, a consenti à Monsieur Christophe Cotin un contrat à durée indéterminée d'agent commercial lui donnant mandat de vendre à titre exclusif les ouvrages répertoriés aux annexes du contrat.

Différents avenants ont ultérieurement été apportés à ce contrat et notamment un transfert, à la demande de l'agent, de son secteur géographique en région parisienne le 21 août 2001, puis en Loire Atlantique le 30 avril 2004.

Le 17 juillet 2006, moyennant le versement d'une indemnité de 14 004 euro, les parties convenaient de la réduction du secteur géographique attribué à l'agent commercial.

Le 11 septembre 2007, la société Editions Atlas SAS confiait à son agent la commercialisation de la totalité de ses produits répertoriés en trois catégories différentes. Le 12 septembre 2007, elle suspendait les facilités liées au label qualité dont il bénéficiait jusqu'alors.

Le 27 juin 2008, elle lui notifiait sa décision de ne plus lui confier la vente de nouveaux produits.

Le 27 août 2008, Monsieur Cotin, exposant que cette décision ne lui permettait plus l'exercice normal de son activité, a pris acte de la rupture de son contrat et demandé à bénéficier de l'indemnité de fin de contrat de l'article L. 134-12 du Code de commerce ainsi que de l'indemnité de préavis. Il s'est radié du registre des agents commerciaux le 1er septembre suivant.

Le 10 avril 2009, Monsieur Christophe Cotin a fait assigner la société Editions Atlas devant le Tribunal de commerce de Nantes en indemnisation de la rupture de son contrat.

Par jugement du 9 décembre 2010, le Tribunal de commerce de Nantes a rejeté l'intégralité de ses demandes et l'a condamné au paiement d'une somme de 300 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Monsieur Cotin a relevé appel de cette décision. Il demande à la cour de constater que la rupture du contrat d'agent commercial est imputable à la société Editions Atlas SAS et de la condamner en conséquence au paiement des sommes suivantes augmentées des intérêts à compter du 10 avril 2009 :

- 61 303,68 euro à titre d'indemnité de fin de contrat,

- 9 164,91 euro TTC à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 4 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Editions Atlas SAS conclut à la confirmation du jugement critiqué et demande une indemnité complémentaire de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions déposées pour l'appelant le 2 décembre 2011 et pour l'intimée le 12 janvier 2012.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Sur la demande de rejet de la pièce 43

La société Editions Atlas SAS demande le rejet de la pièce n° 43 communiquée par Monsieur Cotin le 2 février alors que l'ordonnance de clôture avait été rendue le 1er février 2012.

Monsieur Cotin fait valoir qu'il a tenté de transmettre cette pièce par fax le 31 janvier et qu'il appartenait à l'adversaire de solliciter le report de l'ordonnance de clôture. Mais, il n'est pas démontré que la communication de cette pièce était impossible avant l'ordonnance de clôture dont la date avait été portée à sa connaissance dès le 19 septembre 2011.

Elle sera en conséquence écartée des débats.

Sur l'imputabilité de la rupture du contrat d'agent commercial

L'article L. 134-12 du Code de commerce dispose qu'en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi. Cependant, cette indemnité n'est pas due lorsque la cessation du contrat résulte de son initiative à moins que cette cessation ne soit justifiée par des circonstances imputables au mandant.

En l'espèce, Monsieur Cotin soutient que la résiliation du contrat d'agent commercial dont il a pris l'initiative a été provoquée par des circonstances imputables à la société Editions Atlas, constituées par sa décision de le priver unilatéralement des nouveaux produits sur lesquels portent l'essentiel de l'activité des agents commerciaux faisant partie du réseau. Il fait valoir que cette décision avait pour but de le contraindre, après neuf années d'activité dans des conditions normales, à prendre l'initiative de la rupture, ce qui s'expliquait par l'objectif poursuivi par le mandant, à savoir le démantèlement à moindre coût de son réseau d'agents commerciaux motivé par l'évolution de sa politique commerciale.

L'article 3-1 du contrat d'agent commercial signé par Monsieur Cotin est ainsi rédigé :

"Le présent mandat est confié à titre exclusif pour les seuls produits dont la liste figure en annexes à la présente convention (annexe 1 et 2).

Le mandant se réserve la possibilité de modifier la liste des produits confiés à titre exclusif à l'agent pour des raisons de politique commerciale, notamment en cas d'insuffisance de résultats de l'agent, sous réserve d'un délai de préavis d'un mois et sans qu'une telle modification fasse obstacle à la poursuite du présent contrat.

Si le mandant met en vente de nouveaux produits non compris dans l'énumération figurant en annexe, il se réserve le droit d'en confier ou non la vente à l'agent, qui reste libre d'accepter ou de refuser, sans que ce refus puisse faire obstacle à la poursuite du présent contrat."

Les alinéas deux et trois de l'article 3-1 sus-reproduits sont autonomes l'un par rapport à l'autre, le troisième alinéa n'étant que la reprise d'une clause insérée dans les contrats-types d'agents commerciaux. Cette clause type permet seulement à l'agent commercial de refuser l'extension de l'objet du contrat à de nouveaux produits, non inclus dans les prévisions contractuelles, et garantit ainsi le respect de la commune intention des parties. Elle ne l'autorise pas en revanche à s'opposer à la décision du mandant de ne pas étendre le champ contractuel.

Les dispositions de l'alinéa deux de l'article 3-1, spécifiques au contrat en cause, accordent au mandant une prérogative exorbitante qui peut avoir pour effet de remettre en cause l'équilibre du contrat et s'assimiler alors à une rupture provoquée de celui-ci.

En l'espèce, le 27 juin 2008, en se fondant sur le dernier alinéa de l'article 3-1 du contrat seul reproduit, sans la moindre motivation, la société Editions Atlas SAS a notifié à Monsieur Cotin sa décision de ne plus lui confier la vente des nouveaux produits commercialisés par elle, et ce sans préavis.

Les protestations que l'agent commercial a formulées à l'encontre de cette décision unilatérale n'ont pas été suivies d'effet. Il est donc inexact de prétendre a posteriori qu'il aurait pu s'y opposer, ce qui ne résulte d'ailleurs pas des stipulations contractuelles invoquées.

Or, les pièces produites révèlent que le succès commercial de la société Editions Atlas, dans un marché très concurrentiel, repose sur le renouvellement rapide de la gamme d'ouvrages qu'elle offre au public, généralement sous forme de collections, chaque lancement étant soutenu par une importante campagne de publicité et des "incentives", lesdits produits, d'une durée de vie limitée à deux ans en moyenne, devenant rapidement obsolètes. Dans ce contexte, le rôle dévolu aux agents commerciaux, dans la stratégie marketing développée par le mandant, consiste principalement à démarcher la clientèle ayant marqué son intérêt pour les nouveaux produits en renvoyant les coupons insérés dans les fascicules de lancement ou joints à la publicité largement diffusée dans les revues et magazines à grand tirage. Dans un article paru en 2006, la directrice générale de la société exposait ainsi proposer environ 25 nouvelles collections par an. Les pièces produites confirment que quasiment tous les mois de nouveaux produits étaient lancés à grand renfort de publicité et de cadeaux tandis que parallèlement des produits étaient retirés de la vente.

Il en résulte qu'en privant son agent commercial de la distribution de ses nouveaux produits, le mandant le mettait dans l'impossibilité de continuer à exécuter le contrat dans des conditions économiquement viables. Il perdait en effet le bénéfice des investissements en marketing et publicité sur lesquels reposait le succès commercial des produits commercialisés par la société Editions Atlas SAS, investissements qui servaient de support à l'intervention des agents commerciaux. En tout état de cause, Monsieur Cotin était ainsi définitivement placé dans l'incapacité de remplir ses objectifs commerciaux et inexorablement asphyxié puisque sa gamme résiduelle déjà largement obsolète avait vocation à s'amenuiser rapidement tandis qu'il perdait toute crédibilité auprès de la clientèle qu'il ne pouvait satisfaire. Cette sanction, contraire à l'objectif du contrat, était donc de fait irréversible.

Cette décision extrêmement préjudiciable pour l'agent commercial n'avait pour le mandant d'autre intérêt que celui d'obliger son cocontractant à renoncer au bénéfice du contrat tout en tentant d'échapper aux conséquences légales d'une rupture dont il aurait pris l'initiative.

Elle est à mettre en relation avec le changement de politique commerciale adoptée par la société Editions Atlas SAS qui a réduit le nombre de ses agents commerciaux de 234 au mois de juin 2006 à 79 au mois de mars 2009. Pour ce faire, elle a adopté des stratégies agressives que démontrent tant l'augmentation considérable des démissions d'agents commerciaux, dont le nombre est passé de 20 en 2007 à 69 en 2008, que celui des procédures judiciaires en cours.

Vainement, la société Editions Atlas SAS soutient-elle que la décision de Monsieur Cotin de mettre fin au contrat trouverait sa justification dans la décision prise dès le 1er septembre 2008 de se radier du registre des agents commerciaux alors que l'appelant démontre avoir subi en 2008 un déficit de 3 306 euro qui ne lui permettait plus de continuer à supporter, après la modification des conditions d'exercice de son mandat, les charges inhérentes au statut d'agent commercial.

Les circonstances de la cause révèlent donc que la rupture du contrat d'agent commercial a été provoquée par la société Editions Atlas SAS pour des raisons extérieures à l'exécution du contrat de sorte que celle-ci n'est pas fondée à prétendre se soustraire à l'indemnité légale de fin de contrat et de préavis.

Sur l'indemnisation réclamée

Monsieur Cotin réclame une indemnité légale de préavis de trois mois mais, postérieurement à la lettre du 27 juin 2008 s'assimilant à la rupture du contrat, il a pu continuer à exercer son activité pendant deux mois, ce qui s'explique par le fait que les effets de la décision le privant de nouveaux produits n'étaient pas immédiatement perceptibles surtout en période estivale. Ainsi, de la lettre du mandant en date du 16 septembre 2008, il ressort qu'il a obtenu en juillet et août 2008 un chiffre d'affaires d'un montant équivalent à celui des mois de juillet et août 2007. En revanche, le mois de septembre se caractérisait par une modification importante de la gamme. Une indemnité de préavis d'un montant de 1 300 euro HT conforme à la moyenne des commissions des mois précédents lui sera en conséquence allouée, soit TTC 1 554,80 euro.

Pour le calcul de l'indemnité de fin de contrat, il convient de ne prendre en considération que le montant des commissions perçues par l'agent commercial depuis le mois de juillet 2006, date à laquelle il a été indemnisé de la perte d'une partie de sa clientèle.

Il n'est pas discuté que des mois de septembre 2006 à août 2008, il a perçu un montant total de commissions de 33 495 euro. La cour dispose en conséquence des éléments d'appréciation suffisants pour fixer à ce montant l'indemnité de fin de contrat qui lui sera accordée.

Sur l'application de l'article 700 du Code de procédure civile

Il serait inéquitable de laisser à la charge de l'appelant l'intégralité des frais exposés par lui à l'occasion de la procédure et non compris dans les dépens, en sorte qu'il lui sera alloué une somme de 4 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : LA COUR, Ecarte des débats la pièce n° 43 communiquée par Monsieur Cotin ; Infirme le jugement rendu le 9 décembre 2010 par le Tribunal de commerce de Nantes ; Prononce la résiliation du contrat d'agent commercial aux torts de la société Editions Atlas SAS ; Condamne la société Editions Atlas SAS à payer à Monsieur Cotin : à titre d'indemnité de préavis, la somme de 1 554,80 euro TTC, à titre d'indemnité de fin de contrat, la somme de 33 495 euro, ces sommes portant intérêts au taux légal à compter du 10 avril 2009 ; Condamne la société Editions Atlas SAS à payer à Monsieur Cotin la somme de 4 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Déboute les parties de toutes autres demandes contraires ou plus amples ; Condamne la société Editions Atlas SAS aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.