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Décisions

CA Lyon, 1re ch. civ. B, 19 avril 2011, n° 09-07206

LYON

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Cosmidis (Epoux)

Défendeur :

Lamiot (Epoux), SGPI Transaction (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Baizet

Conseillers :

Mme Chauve, M. Morin

Avoués :

SCP Aguiraud Nouvellet, SCP Ligier De Mauroy-Ligier, Me Barriquand

Avocats :

Mes Choulet, Lambert, SCP Baulieux-Bohe-Mugnier-Rinck

TGI Lyon ch. 1, du 4 nov. 2009

4 novembre 2009

FAITS ET PRETENTIONS DES PARTIES

Par mandat non exclusif en date du 26 février 2004, M. et Mme Lamiot ont confié à la société SGPI la vente d'une péniche de 38 mètres, construite en 1958, et aménagée en habitation leur appartenant, pour un prix de 200 000 euro.

Les époux Cosmidis suivant acte sous seing privé en date du 29 avril 2004 ont acquis cette péniche. L'acte précise que la vente est en l'état, que les acheteurs renoncent dans l'acte à tout recours envers leurs vendeurs et qu'ils sont informés que le permis de navigation est à "finir" et le carénage "à vérifier".

Les acquéreurs ont fait effectuer des travaux et sollicité en référé l'instauration d'une expertise qui a été ordonnée le 7 novembre 2005.

L'expert, M. Rivron a déposé son rapport le 19 juin 2006.

Par jugement rendu le 4 novembre 2009, le Tribunal de grande instance de Lyon a :

- dit n'y avoir lieu à annulation de la procédure,

- rejeté les demandes de M. et Mme Cosmidis,

- rejeté toutes autres demandes des parties,

- condamné les époux Cosmidis aux dépens.

Par déclaration en date du 20 novembre 2009, les époux Cosmidis ont interjeté appel de cette décision.

Aux termes de leurs conclusions n° 3, ils demandent à la cour de :

- déclarer irrecevables les conclusions des époux Lamiot faute pour eux d'avoir justifié de leur adresse actuelle,

- dire et juger que leur consentement a été vicié à la suite des manœuvres dolosives de leur vendeur qui est professionnel,

- à titre subsidiaire dire et juger que le vendeur a manqué à son obligation de renseignement ou d'information prévue aux dispositions de l'article L. 111-1 du Code de la consommation,

- à titre très subsidiaire dire que la péniche était atteinte de vices cachés,

- en tous les cas, dire que le vendeur devra réparer l'intégralité de leur préjudice,

- dire et juger que l'agence SGPI Transaction a commis une faute délictuelle à leur encontre en leur ayant annoncé une surface habitable de 200 m² alors que celle-ci n'est que de 109,30 m² et une estimation des travaux à réaliser fantaisiste,

- condamner en conséquence in solidum les époux Lamiot et la société SGPI Transaction à leur payer la somme de 15 800 euro TTC au titre des travaux nécessaires, en plus du "devis Lamiot" pour rendre la péniche conforme à sa destination et susceptible d'obtenir un permis de navigation, celle de 38 303,74 euro TTC au titre des travaux de remplacement du fond qui se sont avérés indispensables pour que la péniche soit conforme à sa destination et soit assurée de sa sécurité à flot, celle de 46 050 euro au titre du différentiel de surface habitable tel qu'il ressort de l'annonce publicitaire et du certificat de mesurage effectué par le Cabinet d'Expertise Juritec, celle de 1 196,87 euro au titre du paiement de la COT (emplacement bateau VNF) de décembre 2004 à mai 2005 pour rien, celle de 7 293,43 euro pour le remboursement du loyer de Caluire pour la même période, celle de 1 900 euro pour la taxe d'habitation de Caluire pour l'année 2005 et celle de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens qui comprendront les frais de la présente instance ainsi que l'instance en référé, outre les frais d'expertise judiciaire et de métrage du bateau effectué par le Cabinet d'Expertise Juritec, ceux d'appels distraits au profit de la SCP Aguiraud-Nouvellet.

Ils fondent leurs demandes sur le dol dont ils ont été victimes, M. Lamiot s'étant engagé sur un montant de travaux à réaliser qui était sous-estimé de moitié et leur ayant annoncé un doublage de la coque qui s'est révélé impossible, leur ayant présenté un devis de travaux qui ne concernait pas la péniche mais d'éventuels travaux sur un 38 mètres et connaissant en sa qualité de professionnel de la navigation l'état réel de la péniche vendue. Ils relèvent que M. Lamiot leur ont mensongèrement indiqué qu'une expertise n'était pas possible sur le bateau rapidement.

Ils invoquent également un manquement de leur vendeur professionnel à son obligation d'information et à titre très subsidiaire la garantie des vices cachés.

Ils reprochent à l'agence immobilière de leur avoir transmis des documents inexacts notamment un devis pour les éventuels travaux de la péniche qui avait été en fait réalisé par M. Lamiot, et sans attirer leur attention sur le fait que l'offre de prix jointe avait été réalisée hors examen du bateau en cause, de les avoir trompés sur la surface habitable du bateau.

En réponse, les époux Lamiot concluent à la confirmation du jugement et à la condamnation des époux Cosmidis à leur payer la somme de 2 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens avec distraction au profit de la SCP Ligier et Ligier de Mauroy.

Ils dénient toutes manœuvres dolosives de leur part ainsi que la qualité de professionnel que leur attribuent les appelants. Ils rappellent que le simple mensonge ne qualifie pas le dol et qu'en l'espèce le dol ne saurait résulter d'un devis sous-évalué qui n'émane pas de lui-même.

Ils estiment avoir rempli leur obligation de délivrance, en rappelant que la vente s'est effectuée en l'état et qu'ils avaient attiré l'attention des acquéreurs sur l'état du carénage et le permis de navigation.

Ils soutiennent que le surcoût des travaux provient de la volonté des acquéreurs de réaliser des chambres d'hôte dans cette péniche, ce qui ne leur avait pas été précisé. Ils observent enfin que les dispositions de la loi Carrez sur la superficie sont inapplicables en l'espèce.

Ils relèvent enfin que l'action en garantie des vices cachés ne saurait aboutir dès lors que des réserves ont été émises sur l'état du bateau et que les acquéreurs avaient renoncé à tout recours.

La société SGPI Transaction conclut également à la confirmation du jugement. A titre subsidiaire, elle demande à être relevée et garantie en tant que de besoin par les époux Lamiot et réclame la condamnation des époux Cosmidis ou des époux Lamiot à lui payer la somme de 3 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens avec distraction au profit de maître Barriquand.

Elle précise que sa mission était limitée à la mise en relation du vendeur et de l'acquéreur, ce qu'elle a fait. Elle conteste avoir commis quelque faute que ce soit et relève que la loi Carrez sur laquelle les appelants se fondent enferme l'action en réduction de prix dans un délai d'un an à compter de l'acte authentique, délai qui était écoulé au jour où l'action a été introduite. Elle relève que le métrage effectué n'est pas contradictoire et a été effectué après la réalisation des travaux entrepris par les appelants. Elle indique avoir transmis le devis de travaux sans connaître les modalités de l'établissement de celui-ci, n'étant pas un spécialiste de la construction navale et note que dans l'acte de vente, le vendeur attire l'attention des acquéreurs sur l'état du carénage qui est à vérifier.

MOTIFS ET DECISION

Les conclusions déposées par les époux Lamiot comportent leur adresse soit bateau Lio-Gis, (...).

Aucune des pièces versées aux débats ne permet de douter de la réalité de cette adresse qui a été confirmée par un courrier de la SCP d'avoués Ligier de Mauroy & Ligier.

Les conclusions des intimés sont donc bien recevables.

L'acte de vente signé par les parties le 29 avril 2004 comporte la clause suivante libellée en gras à la charge de l'acquéreur :

"1°) de prendre le bateau présentement vendu, avec ses agrès et accessoires dans son état actuel sans pouvoir, contre les vendeurs pour le bon ou mauvais état de ce bateau et de ses agrès, vices de construction apparents ou cachés, vétustes ou pour toutes causes de dépréciation que ce soit.

(...) le vendeur attire l'attention de l'acquéreur sur l'état du carénage lequel est à vérifier.

Il estime le montant des travaux (devis établi par Atelier Fluvial) à 35 000 euro permis de navigation à finir".

Les appelants fondent leur action contre leurs vendeurs sur trois fondements, le dol, le manquement à l'obligation de conseil et la garantie des vices cachés.

Aux termes des dispositions de l'article 1116 du Code civil, le dol est une cause de nullité des conventions lorsque les manœuvres pratiquées par l'une des parties sont telles, qu'il est évident que, sans ces manœuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté. Il ne se présume pas et doit être prouvé.

Le dol peut également être constitué par le silence d'une partie dissimulant à son cocontractant un fait, qui s'il avait été connu de lui, l'aurait empêché de contracter.

Il convient de rappeler qu'une obligation précontractuelle de renseignement pèse sur le vendeur en application de l'article 1602 du Code Civil, a fortiori lorsque le vendeur est un professionnel contractant avec des acquéreurs profanes.

Les acquéreurs allèguent contre leurs vendeurs une réticence dolosive d'information sur l'état réel du bateau et de sa coque, M. Lamiot leur ayant affirmé qu'un simple doublage de coque était possible pour un montant de travaux qu'il estimait à 32 093,25 euro, et leur ayant faussement indiqué qu'une expertise sur cale était impossible rapidement.

Tant M. Ruby expert choisi par les époux Cosmidis que M. Rivron expert judiciaire désigné par le tribunal, indiquent que la solution de doublage de la coque était irréalisable techniquement du fait de la trop faible épaisseur de la coque, le tableau figurant dans le rapport d'expertise laissant apparaître que sur une longueur de 38,48 mètres, seuls 4,25 mètres situés tout à l'arrière du bateau et 4,20 mètres situés à l'avant du bateau présentaient l'épaisseur minimum réglementaire de 3,9 millimètres.

M. Rivron précise que toute la carrière professionnelle de M. Lamiot s'est déroulée à bord des bateaux fluviaux, et que même s'il avait déclaré sa cessation totale d'activité à la Chambre des Métiers du Rhône le 30 septembre 2002, il restait un professionnel de la navigation connaissant la réglementation applicable aux bateaux fluviaux et sachant donc qu'il devait procéder à un sondage de coque prouvé dans les dix ans précédent la vente du bateau. Il considère que M. Lamiot du fait de sa qualité de professionnel ayant vécu au surplus sur le bateau vendu ne pouvait ignorer l'état réel du bateau.

Un devis de travaux a été présenté aux acquéreurs par les vendeurs et par l'intermédiaire de l'agence immobilière s'intitulant "offre de prix estimatifs pour éventuels travaux sur un 38 mètres". Celui-ci chiffre à la somme de 32 093,25 euro le montant des travaux à effectuer.

Si les travaux effectués par les époux Cosmidis ne sont pas les mêmes que ceux figurant sur le devis puisqu'ils ont consisté en un remplacement de la coque et non en un doublage de la coque, l'expert judiciaire précise dans son rapport que le remplacement du fonds était indispensable non seulement pour être conforme à la navigation mais surtout pour que soit assurée la sécurité de la péniche à flot, c'est à dire qu'elle soit conforme à la destination prévue par les acquéreurs de péniche logement d'habitation.

L'absence de sondage de coque réalisé et communiqué aux acquéreurs comme le fait de leur avoir présenté un devis manifestement sous-évalué par rapport aux travaux nécessaires et ne correspondant pas aux travaux à effectuer, même si l'acte de vente attire leur attention sur la nécessité de faire des travaux de carénage et l'absence de permis de navigation, caractérisent un dol par réticence.

Le jugement sera donc réformé en ce qu'il n'a pas retenu le dol invoqué par les acquéreurs.

Par contre, ce dol ne pourra être retenu que pour les travaux de carénage et non ceux nécessaires à l'obtention du permis de navigation, l'attention des acquéreurs ayant été attirée dans l'acte de vente sur cette absence et aucune estimation de prix ne leur ayant été communiquée à ce sujet.

Les acquéreurs ne prouvent nullement que leurs vendeurs leur auraient caché le coût des travaux nécessaires pour obtenir ce permis, lesquels sont constitués en grande partie au surplus de postes particulièrement apparents lors de la visite des lieux puisque constitués par exemple par l'achat d'une embarcation de secours et d'une pompe de secours manuelle. Aucune information inexacte n'a été donnée sur ce point par les vendeurs et les acquéreurs ne justifient pas en avoir sollicité à ce sujet.

Dès lors, les appelants sont fondés à réclamer des dommages et intérêts à hauteur du montant de la différence entre les travaux de carénage estimés et ceux ayant dû être effectués, soit la somme de 38 303,73 euro.

S'agissant enfin de la différence de surface invoquée par les appelants, ceux-ci se fondent sur un certificat de mesurage effectué par le cabinet Juritec sur la base de la loi Carrez alors que ce certificat précise bien que cette loi est inapplicable à une péniche qui ne constitue pas un bien en copropriété. L'expert judiciaire a d'ailleurs en réponse à un dire précisé qu'aucune réglementation n'indique ce qu'est la surface habitable d'un bateau, relevant que le calcul de la redevance d'occupation du domaine public fluvial se calcule sur la surface totale du bateau.

Ce mesurage effectué après travaux lesquels ont pu modifier les lieux, est dès lors complètement inopérant pour une péniche, les acquéreurs ayant au surplus visité la péniche et ayant pu se convaincre de la superficie de celle-ci. Il ne pourra être alloué de dommages et intérêts de ce chef.

Les époux Cosmidis connaissaient la nécessité d'effectuer des travaux sur la péniche qu'ils acquéraient même si le montant de ceux-ci leur avait été caché. Ils ne peuvent donc venir réclamer des sommes au titre de du paiement de l'emplacement du bateau, du remboursement du loyer de Caluire et de la taxe d'habitation alors qu'ils n'établissent pas que la durée des travaux est liée à la réticence dolosive ci-dessus caractérisée alors même qu'ils ont fait effecteur d'autres travaux sur leur péniche.

S'agissant des demandes présentées à l'encontre de la société SGPI, il convient de relever qu'il appartient aux époux Cosmidis qui entendent rechercher sa condamnation d'établir une faute à son encontre.

La réticence dolosive ci-dessus caractérisée émane des vendeurs et non de l'agence immobilière qui n'est pas un professionnel de la navigation et le fait de transmettre un devis à la demande des vendeurs aux acquéreurs ne saurait caractériser un manquement de sa part, rien ne permettant de supposer qu'elle aurait pu connaître le caractère inexact de ce devis.

Le descriptif qu'elle a remis aux acheteurs ne contenait pas de tromperie et la différence de surface alléguée ne saurait lui être reprochée dès lors que la loi Carrez n'est pas applicable à cette péniche.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes présentées à son encontre.

La cour estime devoir faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile en leur faveur à hauteur de 2 000 euro.

Par ces motifs : La Cour, Confirme le jugement rendu le 4 novembre 2009 par le Tribunal de grande instance de Lyon en ce qu'il a rejeté toutes les demandes présentées à l'encontre de la SARL SGPI. L'infirme pour le surplus, et statuant à nouveau, Condamne solidairement Lionel et Gisèle Lamiot à payer à Alain et Florence Cosmidis la somme de 38 303,73 euro et celle de 2 000 euro au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile. Déboute les époux Cosmidis du surplus de leurs demandes. Condamne les époux Lamiot aux dépens de première instance et d'appel, ces derniers comprenant les frais d'expertise judiciaire et de référé et étant distraits au profit de l'avoué de leurs adversaires, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.