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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 26 mai 2011, n° 10-02933

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Gallay Meylan Marine (SARL)

Défendeur :

Alvarez de Toledo

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Perrin

Conseillers :

Mmes Touzery-Champion, Pomonti

Avoués :

SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, SCP Bommart-Forster-Fromantin

Avocats :

Mes Meylan, Boursier-Taffignon

TGI Paris du 30 juill. 2009

30 juillet 2009

La SARL Gallay Meylan Marine a pour activité le courtage de navires de plaisance.

En date du 28 janvier 2002, une convention intitulée "Central Agency Agreement", prévoyant la vente d'un navire dénommé Blue Lion, était conclue entre Monsieur Jean Alvarez de Toledo et la SARL Gallay Meylan Marine représentée par son gérant, Monsieur Bernard Gallay.

La mise à prix était initialement fixée à 1 100 000 euro et la commission à 10 % du prix de vente. L'accord devait rester en vigueur jusqu'au 31 décembre 2002, et Monsieur Alvarez de Toledo pouvait mettre un terme au mandat moyennant un préavis de 60 jours.

Différentes baisses de prix ont été décidées jusqu'à ce que les parties s'accordent, le 26 janvier 2007, pour afficher le navire à un prix de 650 000 euro.

Alors que la SARL contacte Monsieur Alvarez de Toledo en vue d'organiser la visite du bateau pour un potentiel acquéreur en date du 17 février 2007, Monsieur Alvarez de Toledo informe la SARL Gallay Meylan Marine que le bateau était désormais indisponible à la vente.

Estimant que Monsieur Alvarez de Toledo a violé ses engagements contractuels, la SARL Gallay Meylan Marine assigne ce dernier par acte en date du 16 novembre 2007 aux fins d'être indemnisée du préjudice subi résultant de la privation de sa commission sur le prix de vente, qu'elle évalue à 65 000 euro, dès lors que le prix affiché était de 650 000 euro.

Par jugement du 30 juillet 2009, non assorti de l'exécution provisoire, le tribunal de grande instance de Paris estime que la SARL Gallay Meylan Marine n'établit pas que la convention du 28 janvier 2002 soit un mandat d'exclusivité ni que postérieurement au 31 décembre 2002, Monsieur Alvarez de Toledo ait confié à la SARL Gallay Meylan Marine un mandat de ce type. Cette juridiction, considérant que la SARL ne justifie pas que Monsieur Alvarez de Toledo lui avait consenti un droit à commission sur la vente du bateau même en dehors de son entremise, déboute la SARL Gallay Meylan Marine de ses demandes et déboute également Monsieur Alvarez de Toledo de sa demande reconventionnelle de dommages et intérêts pour procédure abusive.

Vu l'appel interjeté par la SARL Gallay Meylan Marine en date du 15 février 2010

Vu les conclusions signifiées le 30 mars 2011 par lesquelles la SARL Gallay Meylan Marine demande à la cour :

- d'infirmer le jugement rendu par le Tribunal de grande instance de Paris le 30 juillet 2009, et statuant à nouveau,

- dire et juger que Monsieur Alvarez de Toledo a violé les engagements contractuels consentis par lui à la société GMM aux termes du contrat d'agent central le 28 janvier 2002, constater que Monsieur Alvarez de Toledo s'est opposé en février 2007 à la visite de son navire au motif que "ses propriétaires viennent de décider d'en confier le soin à une autre personne",

- dire et juger que Monsieur Alvarez de Toledo a ainsi manqué à son obligation d'information et de bonne foi contractuelle,

- dire et juger que les éléments factuels matérialisent une présomption de réalisation d'opération de vente et/ou de transfert du navire ouvrant droit à la commission de la société Gallay Meylan Marine au regard des dispositions du contrat d'agent central, que Monsieur Alvarez de Toledo ne rapporte aucun élément de preuve contraire malgré l'obligation d'information qui lui incombe et la sommation de communication qui lui a été délivrée,

- dire et juger que la société Gallay Meylan Marine est en conséquence bien fondée à obtenir le paiement d'une commission de 65 000 euro en exécution du contrat d'agent central,

subsidiairement,

- que Monsieur Alvarez de Toledo a en tout état de cause engagé sa responsabilité contractuelle et doit être tenu d'indemniser la société GMM du préjudice subi par elle,

- que la société GMM s'est trouvée privée de toute chance de percevoir la commission prévue d'un montant égal à 10 % du prix de vente fixé s'élevant à la somme de 650 000 euro, que cette perte de chance est d'autant plus importante que l'inexécution du mandat par Monsieur Alvarez de Toledo s'est révélée à l'occasion de la visite prévue pour la vente du navire à l'un des prospects présentés par la société GMM,

- condamner en conséquence Monsieur Alvarez de Toledo au paiement de la somme de 65 000 euro à la société GMM à titre d'indemnité, en réparation de son préjudice, outre intérêts de droit à compter de la mise en demeure en date du 17 février 2007, et d'ordonner en conséquence la capitalisation des intérêts en application de l'article 1154 du Code civil,

- condamner en outre Monsieur Alvarez de Toledo à payer à la société GMM la somme de 5 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Vu les conclusions signifiées le 18 mars 2011 par lesquelles Monsieur Alvarez de Toledo demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société GMM de l'ensemble de ses demandes,

- l'infirmer pour le surplus,

statuant à nouveau,

à titre principal,

- dire et juger nulles et de nul effet ou à tout le moins inopposables à Monsieur Alvarez de Toledo les clauses de la convention "Central Agency Agreement" du 28 janvier 2002 rédigées en langue anglaise alors qu'elles auraient dû être rédigées en langue française et prononcer la nullité ou l'inopposabilité des clauses de ladite convention,

en conséquence, débouter la société GMM de l'ensemble de ses demandes,

- dire et juger irrecevable comme nouvelle la demande tendant à "juger que la société GMM est (...) bien fondée à obtenir le paiement d'une commission de 65 000 euro en exécution du contrat d'agent central" pour la première fois formulée dans ses conclusions signifiées le 10 mars 2011,

à titre subsidiaire, sur le mal fondé des demandes,

- dire et juger que la société GMM n'établit pas que la convention litigieuse du 28 janvier 2002 était encore en vigueur le 19 février 2007,

- dire et juger que la société GMM n'établit pas la violation d'une obligation prévue par la convention de Monsieur Alvarez de Toledo avant la révocation,

- dire et juger que la société ne rapporte pas la preuve de l'existence d'une chance réelle et sérieuse de vendre le navire à Monsieur Vicquenault, ni de l'événement de nature à justifier le paiement de la commission,

- dire et juger fondé l'acte de protestation à sommation de communiquer,

- débouter en conséquence la société GMM de l'ensemble de ses demandes,

à titre plus subsidiaire, dire et juger que la société GMM a manqué à son obligation professionnelle d'information et de conseil et a fait preuve de négligence et d'incompétence empêchant toute fixation des dommages et intérêts sollicités au montant de la rémunération manifestement excessive prévue,

- dire et juger que la société GMM ne démontre pas avoir subi un préjudice résultant d'une perte de chance,

- dire et juger qu'en cas de perte d'une chance, le préjudice ne peut être intégralement réparé,

débouter en conséquence la société GMM de ses demandes, fins et conclusions,

en tout état de cause,

- condamner la société GMM à payer à Monsieur Alvarez de Toledo la somme de 5 000 euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

- condamner la société GMM à payer à Monsieur Alvarez de Toledo la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

SUR CE

Sur la nullité et l'inopposabilité de la convention du 28 janvier 2002

Considérant que Monsieur Alvarez de Toledo soulève la nullité ou à tout le moins l'inopposabilité des clauses essentielles de la convention intitulée "Central Agency Agreement" en ce que cette dernière est rédigée en langue anglaise, sur le fondement des dispositions d'ordre public de la loi du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française et de l'article L. 111-1 du Code de la consommation ;

Que Monsieur Alvarez de Toledo souligne que sa langue maternelle n'est pas l'anglais et affirme que le contrat doit être frappé de nullité dès lors qu'il apparaît essentiel de protéger la partie qui ne comprend pas toutes les subtilités d'une langue qui lui est étrangère ;

Mais considérant que le Tribunal de grande instance de Paris a parfaitement relevé que Monsieur Alvarez de Toledo a lui-même apporté des aménagements manuscrits au contrat du 28 janvier 2002, et que ces mentions manuscrites étaient d'une grande importance puisqu'il s'agissait notamment d'apporter une limite temporelle à la durée du mandat en signalant que l'accord ne devait rester en vigueur que jusqu'au 31 décembre 2002 ;

Que les précisions contractuelles apportées par Monsieur Alvarez de Toledo démontrent sa compréhension des dispositions essentielles de la convention et sa capacité à apprécier la portée du contrat qu'il concluait ;

Qu'il ne sera donc pas fait droit aux demandes de l'intimée visant la nullité de la convention du 28 janvier 2002.

Sur les manquements allégués de Monsieur Alvarez de Toledo

Considérant que la SARL Gallay Meylan Marine rappelle qu'aux termes de la convention du 28 janvier 2002, Monsieur Alvarez de Toledo s'est engagé à vendre le bateau à toute personne qui lui serait présentée par le courtier en acceptant de payer ledit navire au prix convenu ; qu'il est cependant apparu le 17 février 2007, à l'occasion de l'organisation par la société Gallay Meylan Marine de la visite du navire par un prospect intéressé, que le navire n'était plus disponible à la vente ;

Que la SARL Gallay Meylan Marine fait valoir que quels que soient les motifs de la cessation de la mise à disposition du navire à la vente, cette indisponibilité constitue une violation des engagements contractuels consentis par Monsieur Alvarez de Toledo dans le cadre du mandat ;

Que le courtier estime que l'indisponibilité du navire à la vente permet de présumer qu'un transfert de propriété ou de jouissance du navire est bien intervenu, générant, aux termes de la convention du 28 janvier 2002, le droit de la société Gallay Meylan Marine à percevoir une commission ;

Considérant que Monsieur Alvarez de Toledo objecte que cette demande est irrecevable comme étant nouvelle en cause d'appel ;

Mais considérant que ce moyen est dénué de pertinence par application de l'article 565 du Code de procédure civile dès lors qu'en première instance, le courtier avait sollicité le préjudice équivalent à la privation de sa commission ;

Considérant qu'il convient de rechercher quelle était la durée de la convention du 28 janvier 2002, si celle-ci trouve application au-delà du 31 décembre 2002 et si elle est restée en vigueur jusqu'au 17 février 2007 ;

Que Monsieur Alvarez de Toledo affirme à ce titre qu'il pouvait légitimement penser, compte tenu de l'imprécision de la rédaction de l'article 7 de la convention du 28 janvier 2002 et du silence de celle-ci sur son renouvellement éventuel, que postérieurement au 31 décembre 2002, les clauses de ladite convention n'avaient plus vocation à s'appliquer et que la convention devenait caduque ;

Que le courtier réplique que le contrat a bien été poursuivi postérieurement au 31 décembre 2002 puisqu'aucune notification de cessation du contrat n'avait été adressée par Monsieur Alvarez de Toledo avant la date contractuellement prévue ;

Que la société Gallay Meylan Marine soutient également que l'exposé des faits et les pièces versées aux débats montrent clairement une exécution continue du contrat d'agent central initialement signé ;

Mais considérant que la clause 7 de la convention litigieuse, aux termes de laquelle "le présent accord restera en vigueur jusqu'au 31 décembre 2002, le préavis de 60 jours devant être donné au plus tard le 31 décembre 2002", peut légitimement être interprétée comme prévoyant l'expiration du mandat au 31 décembre 2002 ;

Qu'il appartient au courtier de rapporter la preuve du maintien des termes de ladite convention postérieurement au 31 décembre 2002 ;

Que la lettre de Monsieur Bernard Gallay du 4 février 2002 par laquelle il indique "le mandat est reconduit par tacite reconduction jusqu'à la vente ou jusqu'à ce que vous mettiez un terme après nous avoir averti par un préavis de deux mois" dont Monsieur Alvarez de Toledo n'a pas accusé réception, à laquelle il n'a pas répondu, ne saurait constituer cette preuve ;

Considérant que s'il est constant que les parties ont maintenu des relations d'affaires au-delà du 31 décembre 2002, ces relations ne s'inscrivaient plus dans le cadre de la convention litigieuse, celle-ci étant devenue caduque le 31 décembre 2002 ;

Que dès lors, les demandes de la SARL Gallay Meylan Marine, fondées sur les prétendues violations par Monsieur Alvarez de Toledo de la convention initiale ne sauraient prospérer ;

Qu'ainsi, la décision de ce dernier de rendre son navire indisponible à la vente ne saurait engager sa responsabilité contractuelle ;

Que la SARL Gallay Meylan Marine doit être déboutée de sa demande en paiement d'une commission contractuellement prévue dès lors que cette demande se heurte à l'expiration du contrat ;

Considérant que la SARL Gallay Meylan Marine sollicite en outre le paiement de sa commission au titre de l'exclusivité de sa relation avec Monsieur Alvarez de Toledo ;

Qu'il convient dès lors, indépendamment de la caducité de la convention initiale, d'examiner, dans le cadre de la poursuite des relations des parties, l'argument fondé sur l'exclusivité ;

Que le courtier expose que la commission lui est due dès lors qu'une vente ou un transfert de propriété est réalisé et que son intervention lors de la réalisation de cet événement n'est pas une condition de sa rémunération ;

Que le courtier, présumant, du fait de l'indisponibilité du navire, qu'un transfert de propriété ou de jouissance s'est réalisé, sollicite le paiement de sa commission ;

Mais considérant que la SARL Gallay Meylan Marine n'apporte aucun élément permettant d'établir que postérieurement au 31 décembre 2002, le mandataire s'est engagé à ne pas vendre à un acquéreur qu'il aurait lui-même trouvé ;

Que le courtier ne justifie pas davantage qu'il devait percevoir une commission si une vente intervenait en dehors de son entremise ;

Que faute d'établir l'existence d'une exclusivité postérieurement à l'expiration du mandat au 31 décembre 2002, les demandes du courtier, tant en paiement de la commission, que relativement à la perte de chance de percevoir une commission, ne sauraient prospérer.

Sur les manquements allégués du courtier

Considérant que Monsieur Alvarez de Toledo reproche à la société Gallay Meylan Marine d'avoir manqué à son obligation d'information et de conseil en n'informant pas son client du caractère excessif du prix initial de vente retenu ni des prix du marché, comme sa qualité de professionnel l'exigeait ;

Que le courtier réplique qu'il a fait de nombreuses démarches en vue de réduire le prix d'offre du navire à la vente et qu'il s'est heurté, jusqu'en septembre 2005, au refus et à la réticence de Monsieur Alvarez de Toledo ;

Que Monsieur Alvarez de Toledo reproche également au courtier sa négligence et son absence de diligence dans l'exercice de sa mission ;

Que le mandataire estime en outre que la procédure engagée par la SARL Gallay Meylan Marine ne tend qu'à masquer ses manquements et revêt un caractère manifestement abusif ;

Mais considérant que les pièces versées au débat attestent des démarches effectuées par le courtier aux fins de commercialiser le navire ; qu'il est constant que ce dernier a passé des annonces, publié une brochure descriptive, et fait visiter le navire ;

Que Monsieur Bernard Gallay a, à plusieurs reprises (notamment dans ses courriers des 30 juin 2003 et 31 mai 2005) insisté sur la nécessité de diminuer le prix du navire ; qu'il ressort des échanges entre les parties qu'elles ont finalement tiré les conséquences de la difficulté manifeste à vendre le navire au prix initial et qu'elles se sont accordées sur différentes baisses de prix ;

Considérant que les manquements allégués par Monsieur Alvarez de Toledo ne font l'objet d'aucune démonstration et que la société Gallay Meylan Marine n'a fait qu'user de son droit d'ester en justice ; qu'il y a lieu en conséquence de rejeter la demande de Monsieur Alvarez de Toledo.

Sur l'article 700 du Code de procédure civile

Considérant qu'aucune circonstance d'équité ne commande l'application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile en faveur de l'une ou de l'autre des parties.

Par ces motifs : Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, Y ajoutant, Déboute les parties de toutes leurs autres demandes, Condamne la SARL Gallay Meylan Marine aux dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.