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Décisions

ADLC, 5 juin 2012, n° 12-D-14

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Décision

relative à des pratiques mises en œuvre par Microsoft Corporation et Microsoft France

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré sur le rapport oral de Mme Eliezer García-Rosado, rapporteure, , l'intervention de Mme Carole Champalaune, rapporteure générale adjointe, par M. Patrick Spilliaert, vice-président, président de séance, en application des dispositions de l'article L. 461-3, alinéa 4 du Code de commerce.

ADLC n° 12-D-14

5 juin 2012

L'Autorité de la concurrence,

Vu la lettre, enregistrée le 30 août 2010 sous les numéros 10/0077 F et 10/0078 M par laquelle les sociétés Midprod et Livesynchro ont saisi l'Autorité de la concurrence de pratiques mises en œuvre par les sociétés Microsoft Corporation et Microsoft France et demandé que des mesures conservatoires soient prononcées sur le fondement de l'article L. 464-1 du Code de commerce ; Vu la décision n° 10-C-23 du 12 octobre 2010 par laquelle le président de l'Autorité a donné acte aux parties saisissantes du désistement de leur demande de mesures conservatoires, et a classé le dossier 10/0078 M ; Vu la décision n° 12-JU-02 du 2 mai 2012 par laquelle le président de l'Autorité de la concurrence a désigné M. Patrick Spilliaert, vice-président, pour lui permettre d'adopter seul une décision prévue à l'article L. 462-8 du Code de commerce en application de l'article L. 461-3 alinéa 4 du même Code ; Vu les articles 101 et 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ; Vu le livre IV du Code de commerce ; Vu les autres pièces du dossier ; La rapporteure et la rapporteure générale adjointe entendues lors de la séance de l'Autorité de la concurrence du 23 mai 2012, le commissaire du Gouvernement et les représentants des sociétés Midprod et Livesynchro ayant été régulièrement convoqués ; Adopte la décision suivante :

I. Constatations

1. Par lettre enregistrée le 30 août 2010, les sociétés Midprod et Livesynchro ont saisi l'Autorité de la concurrence de pratiques mises en œuvre par les sociétés Microsoft Corporation et Microsoft France afin d'évincer leurs concurrents du marché des systèmes de stockage, de partage et de synchronisation de fichiers sur internet. Cette saisine était accompagnée d'une demande de mesures conservatoires.

2. Par décision n° 10-C-23 du 12 octobre 2010, le président de l'Autorité a donné acte aux parties saisissantes du désistement de leur demande de mesures conservatoires et a classé le dossier 10/0078 M.

A. LES ENTREPRISES CONCERNÉES ET LE SECTEUR D'ACTIVITÉ

3. La société Midprod, créée en 2003, a pour activité la conception, la réalisation et l'exploitation de sites web, de logiciels et de matériels informatiques et la vente de services informatiques. Cette société est propriétaire du nom de domaine " livesync.com " enregistré le 20 septembre 2005.

4. La société Livesynchro a été créée en septembre 2006 afin d'assurer conjointement avec la société Midprod les activités de partage et de stockage via le site livesync.com. Ce site permet aux internautes d'échanger et de partager avec d'autres internautes des fichiers (photos, vidéos, documents). Près de 50 000 comptes y ont été créés en 2007 et 45 000 en 2008. Le site a connu ensuite un fort déclin en 2009 avec l'ouverture seulement de 1 844 comptes pour ne compter que 383 comptes encore ouverts en 2010.

5. Microsoft Corporation, dont le siège est aux Etats-Unis, est une société spécialisée dans les systèmes d'exploitation et les logiciels. Microsoft Corporation a développé le système d'exploitation Windows (Windows XP, Windows Vista et Windows 7). En outre, Microsoft Corporation, par le biais de sa filiale Microsoft Online Incorporation, société ayant son siège social aux Etats-Unis, offre des produits dans le domaine du stockage, du partage et de la synchronisation de fichiers. Ainsi, Microsoft propose la suite logicielle Windows Live, accessible directement sur internet ou via des logiciels préinstallés sur les ordinateurs. La suite Windows Live contient plusieurs applications dont Windows Live SkyDrive, qui permet de stocker et de sauvegarder des données, et Windows Live Mesh (antérieurement appelée Windows Live Folder Share puis Windows Live Sync), qui permet de synchroniser des fichiers.

6. Microsoft France, filiale française de Microsoft Corporation, ayant le statut d'agent commissionné, a pour activité principale d'assurer le soutien commercial aux offres de produits de Microsoft Corporation sur le territoire français. Aussi bien les sociétés du groupe Microsoft (ci-après Microsoft) que les sociétés Midprod et Livesynchro (ci-après Midprod et Livesynchro) sont donc présentes sur le secteur du stockage, de partage et de synchronisation de fichiers sur internet. Ce secteur se caractérise par la diffusion de plus en plus grande de l'Internet à haut débit et l'augmentation de la capacité des réseaux mobiles favorisent l'avènement du cloud computing (" informatique dans les nuages "), c'est-à-dire le stockage distant des applications et des données, et leur utilisation sous forme de prestations tarifées en fonction des usages réels. Tous les grands acteurs de l'informatique se sont désormais lancés dans des offres de cloud computing (Apple, Google, Amazon, HP, etc).

B. LES PRATIQUES DÉNONCÉES

7. Midprod et Livesynchro dénoncent trois types d'abus de la part de Microsoft :

- l'utilisation par Microsoft du nom de service d'un concurrent, en l'espèce l'utilisation des termes " Live Sync " combinée à la stratégie visant à dissuader les concurrents de faire valoir leurs droits en justice ;

- l'intégration de la suite Windows Live (dont Windows Live Mesh) dans les systèmes d'exploitation Windows ;

- la gratuité des services de stockage, de partage et de synchronisation de fichiers sur internet proposés par Microsoft.

1. L'ABUS TIRÉ DE L'UTILISATION DES TERMES " LIVE SYNC " ET DES ACTIONS EN JUSTICE

8. Les sociétés saisissantes attribuent la cause du déclin de leur site livesync.com à l'arrivée de Microsoft sur le marché avec sa suite Windows Live et notamment son application Windows Live Sync en décembre 2008 (appelée Windows Live Folder Share avant cette date) qui permet de partager et de synchroniser des fichiers. D'après elles, l'utilisation de l'appellation Windows Live Sync par Microsoft serait à l'origine de leur perte de clientèle. L'utilisation de cette appellation ainsi que les procédures entamées par Microsoft devant différents tribunaux seraient constitutives, selon Midprod et Livesynchro, d'un abus de position dominante.

9. Entre 2006 et 2008, l'application de Microsoft permettant le partage et la synchronisation de fichiers s'appelait Windows Live Folder Share. Microsoft a changé l'appellation de cette application en décembre 2008 qui est devenue Windows Live Sync. Plusieurs actions en justice ont été entamées par les saisissantes d'une part, et par Microsoft d'autre part, à la suite de l'utilisation des termes " Live Sync " par Microsoft.

10. En effet, les sociétés Midprod et Livesynchro ont obtenu, le 9 avril 2009, en référé la cessation à titre conservatoire par Microsoft de la diffusion du service Windows Live Sync sous cette appellation. Cette ordonnance a été infirmée, le 2 juillet 2009, en appel pour incompétence territoriale et l'affaire a été renvoyée devant la cour d'appel de Paris. Par arrêt du 18 mai 2010, cette cour a retenu qu'il existait des indices précis, graves et concordants de concurrence déloyale de la part des sociétés Microsoft Corporation et Microsoft France, fait défense aux sociétés Microsoft Corporation et Microsoft France d'utiliser les termes " Live Sync " et " LiveSync " pour désigner toute application de partage et de synchronisation de fichiers sous astreinte et condamné solidairement les sociétés Microsoft Corporation et Microsoft France à payer aux sociétés Livesynchro et Midprod une provision sur les dommages et intérêts ainsi qu'une indemnité de procédure.

11. Saisi au fond par Microsoft Corporation d'une action en contrefaçon et concurrence déloyale et parasitaire contre Livesynchro et Midprod pour l'utilisation du signe " livesync " ainsi que l'utilisation aux fins de référencement des signes "Windows ", " Live " et " Sync " dans le Code source du site livesync.com alors que Microsoft est titulaire des marques " Activesync ", " Live " et "Windows Live ", le tribunal de grande instance de Paris a rejeté, le 3 septembre 2010, les prétentions de Microsoft ainsi que les demandes reconventionnelles de Livesynchro et Midprod visant à ce qu'il soit jugé que l'utilisation des termes " Live Sync " par Microsoft constitue un acte de concurrence déloyale et de parasitisme.

12. Le 20 janvier 2012, la cour d'appel de Paris, statuant sur appel du jugement du tribunal de grande instance de Paris du 3 septembre 2010, a non seulement rejeté les demandes de Midprod et Livesynchro mais en outre considéré que l'utilisation par ces sociétés du nom de domaine " live-sync " et des mots clés " Live " et "Windows " dans leur Code source constituait des actes de contrefaçon de marques communautaires déposées par Microsoft Corporation. La cour d'appel a par ailleurs ordonné la restitution par Midprod et Livesynchro de la provision sur les dommages et intérêts versée par Microsoft en application de la décision de la cour d'appel de Paris du 18 mai 2010 et le versement à Microsoft de dommages et intérêts et d'une indemnité de procédure.

13. Il convient de signaler qu'à la suite de l'ordonnance du tribunal de commerce de Montpellier du 9 avril 2009 et compte tenu du caractère immédiatement exécutoire par provision d'une ordonnance de référé, Microsoft a abandonné pour la France l'appellation "Windows Live Sync " en mai 2009, son application étant devenue "Windows Live Mesh ". En tout, l'utilisation des termes "Windows Live Sync " en France par Microsoft pour son application de synchronisation aura duré de décembre 2008 à mai 2009, c'est-à-dire cinq à six mois. Microsoft a définitivement abandonné l'appellation "Windows Live Sync " pour le reste du monde au profit de l'appellation "Windows Live Mesh " en septembre 2010.

2. L'ABUS TIRÉ DE L'INTÉGRATION DES LOGICIELS EN CAUSE DANS LE SYSTÈME D'EXPLOITATION WINDOWS

14. Les parties saisissantes considèrent en outre que, en intégrant les logiciels de la suite Windows Live (dont Windows Live Mesh) dans les systèmes d'exploitation Windows, qui sont préinstallés dans la plupart des ordinateurs vendus dans le monde, Microsoft aurait abusé de sa position dominante sur le marché des systèmes d'exploitation afin de renforcer sa position sur le marché des services de partage, de stockage et de synchronisation.

3. L'ABUS TIRÉ DE LA GRATUITÉ DES SERVICES DE STOCKAGE, DE PARTAGE ET DE SYNCHRONISATION

15. Midprod et Livesynchro affirment enfin que Microsoft aurait abusé de sa position dominante sur le marché des systèmes d'exploitation en proposant des services gratuits sur le marché connexe des services de stockage, de partage et de synchronisation. En effet, ses services peuvent être téléchargés sur internet et/ou être préinstallés dans les ordinateurs de façon gratuite.

II. Discussion

16. L'article L. 462-8, alinéa 2 du Code de commerce énonce que l'Autorité de la concurrence : " peut aussi rejeter la saisine par décision motivée lorsqu'elle estime que les faits invoqués ne sont pas appuyés d'éléments suffisamment probants ".

A. SUR LA DÉFINITION DES MARCHÉS ET LA POSITION DE MICROSOFT

17. Les services concernés par les pratiques dénoncées sont les systèmes d'exploitation et les services de partage, de stockage et de synchronisation.

18. Le marché des systèmes d'exploitation a été défini par la Commission européenne et le Tribunal de Première Instance de l'Union européenne (ci-après TPI) dans les précédentes affaires concernant Microsoft (décision de la Commission du 24 mai 2004, COMP. C-3/37.792- Microsoft ; arrêt du TPI du 17 septembre 2007, Microsoft Corp. T-201/04, décision de la Commission du 16 décembre 2009, COMP. C-3/39.530 Microsoft - vente liée). Il ressort de ces décisions et de cet arrêt que Microsoft est en position dominante sur ce marché.

19. Pour ce qui est des services de partage, de stockage et de synchronisation, ils n'ont pas à ce jour fait l'objet d'une décision d'une autorité de concurrence française ou communautaire de concurrence. Il s'agit de services encore récents et qui connaissent une évolution permanente :

- les services de partage permettent de mettre des fichiers (photos, documents...) à disposition de plusieurs utilisateurs via internet (stockage local) ;

- les services de stockage permettent de stocker des fichiers ailleurs que sur le disque dur d'un ordinateur via internet (stockage distant) ;

- les services de synchronisation permettent, grâce à un logiciel, de synchroniser les données d'un même utilisateur sur plusieurs ordinateurs.

20. Les services de synchronisation sont moins répandus que les services de partage et de stockage. Ainsi, plusieurs sites internet aujourd'hui permettent de stocker et de partager des données gratuitement. Ces sites en général sont gratuits jusqu'à une certaine capacité puis deviennent payants au-delà de celle-ci. Ils se rémunèrent grâce à la publicité. De ce fait, ces sites ont particulièrement intérêt à avoir un nombre important de membres afin de valoriser leurs espaces publicitaires. Par ailleurs, les réseaux sociaux permettent également de partager et de stocker des fichiers à titre gratuit.

21. Microsoft propose des services de stockage et de partage. S'agissant du stockage distant ou cloud computing, Microsoft propose son application Windows Live SkyDrive, qui permet l'accès par l'utilisateur et les personnes qu'il a autorisées, depuis n'importe quel ordinateur connecté à internet, aux documents qui y sont stockés. En ce qui concerne le partage de documents, Microsoft propose les applications Windows Live Photos, qui permettent aux utilisateurs de charger des photos sur internet afin que d'autres utilisateurs puissent y accéder via internet, et Docs.com, qui permettent aux utilisateurs de charger et partager des documents Microsoft Office avec leurs " amis " sur le réseau Facebook. Ces services sont proposés sur le site internet de Microsoft et ne nécessitent pas d'installation sur les ordinateurs.

22. Microsoft propose également des services de synchronisation au travers de son logiciel Windows Live Mesh (antérieurement appelée Windows Folder Share puis Windows Live Sync) qui peut être soit préinstallé sur un ordinateur, soit téléchargé sur le site internet de Microsoft. Ce logiciel est utilisé pour effectuer la synchronisation simultanée de certains documents sur des ordinateurs différents d'un même utilisateur ainsi qu'entre ces ordinateurs et un service de stockage en ligne. Ce programme permet également aux utilisateurs d'accéder à leurs ordinateurs à distance à partir d'internet.

23. Les applications Windows Live SkyDrive et Windows Live Mesh peuvent être interconnectées. Elles sont gratuites et financées grâce à la publicité.

24. Midprod et Livesynchro proposent sur leur site internet livesync.com des services de partage et de stockage. Ainsi, les services proposés par livesync.com sont en concurrence directe avec l'application Windows Live SkyDrive de Microsoft et non pas avec le logiciel Windows Live Mesh (antérieurement appelé Windows Folder Share puis Windows Live Sync). Les services de partage et de stockage proposés sur le site livesync.com sont gratuits jusqu'à une certaine capacité et payants au-delà de celle-ci.

25. Les sociétés saisissantes considèrent qu'il n'y a pas lieu de distinguer entre les services de partage et de synchronisation, tout service de partage en ligne étant un service de partage en temps réel et de ce fait un service de partage synchronisé. Ainsi, les modalités de synchronisation, sur internet ou d'ordinateur à ordinateur, offriraient les mêmes fonctionnalités. D'ailleurs, les logiciels Windows Live Mesh et Windows SkyDrive de Microsoft sont interconnectés entre eux. En tout état de cause, il n'est pas nécessaire, pour les besoins de la présente affaire, de définir exactement le marché des services concernés.

26. Pour ce qui est du marché géographique, il se pourrait que celui-ci soit limité aux pays utilisant la même langue. Or, il n'est pas nécessaire, pour les besoins de la présente affaire, de définir exactement le marché géographique des services concernés.

27. Le tableau suivant liste les principaux concurrents de Microsoft sur les services de stockage, de partage et de synchronisation (source Microsoft) :

<EMPLACEMENT TABLEAU>

28. Au regard de la constante évolution de ces marchés et du nombre important d'acteurs présents, quels que soient les marchés définis, il ne paraît guère évident de retenir une position dominante de Microsoft sur le ou les marchés des services de partage, de stockage et de synchronisation. En tout état de cause, il n'est pas nécessaire pour les besoins de la présente affaire de déterminer si Microsoft dispose d'un fort pouvoir de marché sur ce ou ces marchés.

B. SUR LA QUALIFICATION DES PRATIQUES REPROCHÉES

1. SUR LES ACTES DE CONCURRENCE DÉLOYALE ET ACTIONS EN JUSTICE ABUSIVES REPROCHÉS À MICROSOFT

29. Midprod et Livesynchro considèrent que l'utilisation des termes " Live Sync " par Microsoft ainsi que les différentes actions en justice " purement fantaisistes ", selon leurs propres termes intentées par cette dernière afin de les intimider, sont constitutives d'un abus de position dominante de la part de Microsoft.

30. Il ressort de la pratique décisionnelle du Conseil puis de l'Autorité de la concurrence que lorsque certaines conditions sont remplies, un acte de concurrence déloyale peut également être constitutif d'un abus de position dominante (voir sur le dénigrement les décisions n° 07-D-33, 09-D-14 et 10-D-32). La cour d'appel de Paris a en outre considéré dans un arrêt Spinevision du 4 février 2003 que, pour que l'exercice d'une action en justice, par une entreprise en position dominante sur un marché, puisse être qualifiée d'abus au sens de l'article L. 420-2 du Code de commerce, " il faut, d'une part, que l'action, manifestement dépourvue de tout fondement, ne puisse pas être raisonnablement considérée comme visant à faire valoir les droits de l'entreprise concernée, et d'autre part, qu'elle s'inscrive dans un plan visant à empêcher, restreindre ou fausser le jeu de la concurrence sur le marché considéré " (voir également la décision de la Commission du 21 mai 1996, aff. IV/35.268).

31. Au vu des différents jugements rendus entre les parties sur les actions en contrefaçon et en concurrence déloyale, les pratiques dénoncées consistant en une concurrence déloyale et des actions en justice abusives de la part de Microsoft ne peuvent pas être qualifiées d'abus de position dominante. En effet, non seulement la cour d'appel de Paris a considéré que l'utilisation des termes " Live Sync " par Microsoft n'était pas un acte constitutif de concurrence déloyale, mais elle a en outre condamné les sociétés saisissantes pour contrefaçon. Microsoft ayant obtenu gain de cause lors de ces procédures, il ne peut pas être affirmé, comme l'exige la cour d'appel afin de qualifier des actions en justice comme étant abusives, que ses actions étaient dépourvues de tout fondement.

32. Au surplus, aucun élément du dossier ne permet de considérer que Microsoft, en utilisant les termes " Live Sync " pour son logiciel de synchronisation, aurait adopté un comportement abusif.

33. S'il est vrai que le nombre d'inscriptions sur le site livesync.com a beaucoup baissé en 2009, rien ne prouve que ceci soit dû à l'arrivée du logiciel Windows Live Sync de Microsoft. En effet, en dépit de ce qu'elles affirment dans leur saisine, Midprod et Livesynchro ne proposent que des services de partage et de stockage (et non pas de synchronisation). En effet, les services proposés par le site livesync.com ne permettent pas de synchroniser les fichiers de plusieurs ordinateurs d'un même utilisateur. Ainsi, les services proposés par livesync.com sont en concurrence directe avec l'application Windows Live SkyDrive de Microsoft et non pas avec le logiciel Windows Live Mesh (antérieurement appelé Windows Folder Share puis Windows Live Sync). Par ailleurs, cette date coïncide avec l'essor des réseaux sociaux du type Facebook qui permettent de stocker et de partager des fichiers et qui ont connu un essor très important en très peu de temps. En dépit de l'abandon des termes " Live Sync " par Microsoft en mai 2009, le site livesync n'a pas connu d'augmentation d'inscriptions depuis cette date et est aujourd'hui pratiquement sans activité : le site n'a pas subi de modifications subséquentes depuis avril 2009 et est pratiquement vide de contenu. Par ailleurs, les dirigeants des sociétés Midprod et Livesynchro n'ont pas déposé leurs comptes au tribunal de commerce pour les années 2010 et 2011 et sont dans l'incapacité de fournir les derniers chiffres d'affaires des sociétés.

2. SUR LES VENTES LIÉES DES SYSTÈMES D'EXPLOITATION WINDOWS AVEC LES LOGICIELS WINDOWS LIVE

34. Le deuxième type d'abus dénoncé consiste en l'intégration de la suite logicielle Windows Live dans les systèmes d'exploitation de Microsoft. En effet, contrairement à Windows SkyDrive (directement concurrent de livesync.com), qui ne peut être que téléchargé sur internet, les logiciels de la suite Windows Live, dont Windows Live Mesh, peuvent être soit téléchargés sur internet, soit préinstallés dans un ordinateur. Cette intégration des logiciels de la suite Windows Live dans le système d'exploitation Windows serait, d'après les sociétés saisissantes, susceptible de restreindre la concurrence, dès lors qu'elle permettrait à ces logiciels de bénéficier de

l'omniprésence du système d'exploitation Windows que les autres fournisseurs de services de stockage, de partage et de synchronisation ne pourraient pas contrebalancer. Ainsi, d'après Midprod et Livesynchro, Microsoft utiliserait sa position dominante sur le marché des systèmes d'exploitation pour ordinateurs personnels afin d'évincer ses concurrents sur les nouveaux marchés des systèmes de stockage, de partage et de synchronisation, marchés sur lesquels Microsoft détiendrait une position prééminente et qui présente des liens de connexité avec le marché des systèmes d'exploitation pour ordinateurs personnels, tant sur le plan technique que sur le plan commercial.

35. Aussi bien la Commission que le Tribunal de Première Instance de l'Union européenne (TPI) ont déjà eu à se prononcer sur ce type de pratiques mises en œuvre par Microsoft.

36. Dans une décision du 24 mars 2004 (COMP. C-3/37.792 Microsoft) confirmée sur ce point par le TPI le 17 septembre 2007 (Microsoft Corp. T-201/04), la Commission a considéré que l'intégration par Microsoft du lecteur multimédia Windows Media Player dans le système d'exploitation Windows entraînait une restriction de concurrence, dans la mesure où le fait de coupler Windows Media Player au système d'exploitation Windows, qui est préinstallé sur la majorité des ordinateurs vendus dans le monde, sans qu'il soit possible de retirer le premier du second, permettait à ce lecteur multimédia de bénéficier de l'omniprésence du système d'exploitation.

37. En conséquence, la Commission a enjoint à Microsoft d'offrir une version de son système d'exploitation Windows ne comprenant pas Windows Media Player, Microsoft conservant le droit de proposer parallèlement son système couplé avec Windows Media Player.

38. Dans une décision du 16 décembre 2009 (COMP. C-3/39.530 Microsoft), la Commission a également considéré que l'intégration par Microsoft de son navigateur web Internet Explorer dans le système d'exploitation pour ordinateurs personnels Windows était susceptible de restreindre la concurrence par les mérites entre navigateurs web et était donc susceptible d'enfreindre l'article 102 TFUE. En particulier, la Commission a estimé que cette intégration était susceptible d'entraîner des effets d'éviction dans la mesure où elle permettait à Internet Explorer d'être omniprésent sur les ordinateurs personnels du monde entier et conférait à Internet Explorer un avantage artificiel que les autres navigateurs web étaient incapables d'égaler.

39. La Commission a considéré que les engagements suivants de Microsoft étaient de nature à remédier au problème de concurrence soulevé :

- mise à disposition par Microsoft dans Windows 7 et les versions suivantes de Windows, au sein de l'EEE, d'un mécanisme permettant aux fabricants et aux utilisateurs finaux d'activer ou de désactiver Internet Explorer ;

- possibilité pour les fabricants de préinstaller les navigateurs web de leur choix ;

- mise en place, au sein de l'EEE, auprès des utilisateurs de systèmes d'exploitation Windows dont le navigateur web est Internet Explorer d'une mise à jour logicielle consistant en un écran multi choix qui permet aux utilisateurs de choisir les navigateurs qu'ils souhaitent installer.

40. Les faits relevés dans la présente affaire se distinguent nettement de ceux examinés dans les précédentes affaires Microsoft.

41. Ainsi qu'il a été constaté ci-dessus, l'application Windows Live SkyDrive, directement concurrente du site Livesyn.com, est uniquement accessible via internet et ne nécessite pas d'installation sur les ordinateurs.

42. Pour ce qui est de l'application Windows Live Mesh (antérieurement Windows Live Folder Share puis Windows Live Sync), qui n'est pas en concurrence directe avec le site livesync.com puisqu'elle est essentiellement utile pour la synchronisation de fichiers entre ordinateurs d'un même utilisateur, elle peut soit être téléchargée sur internet, soit préinstallée sur les ordinateurs.

43. En ce qui concerne la préinstallation de l'application Windows Live Mesh, Microsoft a conclu des accords pour la distribution de Windows Live Essentials (qui inclut Windows Live Mesh) avec un certain nombre d'assembleurs appelés OEM (Original Equipment Manufacturer) tels qu'Acer Inc., Dell Inc. ou Toshiba Corp. Les OEM sont libres d'offrir ou non ces programmes sur l'ordinateur qu'ils vendent. Les accords conclus par Microsoft avec les OEM à propos de la distribution de Windows Live Essentials ne comportent pas de clause d'exclusivité. Ces accords sont distincts des accords conclus entre Microsoft et les OEM qui concernent le système d'exploitation Windows. La distribution de Windows Live Essentials est ainsi totalement séparée de celle du système d'exploitation Windows. Ainsi, Windows Live Mesh n'est pas intégré dans le système d'exploitation Windows. Lorsque l'OEM décide, pour des raisons commerciales, de vendre des ordinateurs comportant Windows Live Essentials, Windows Live Mesh est alors installé comme composant de Windows Live Essentials. Au contraire, si l'OEM décide de ne pas installer Windows Live Essentials ou désire proposer tout autre logiciel, il est libre de le faire et l'utilisateur ne disposera pas de Windows Live Mesh sur son ordinateur, sauf s'il le télécharge et l'installe séparément après achat de l'ordinateur.

44. Ainsi, à la différence de Windows Media Player ou d'Internet Explorer, Windows Live Mesh n'est pas intégré au système d'exploitation Windows. Par ailleurs, lorsque la suite Windows Live est préinstallée, l'utilisateur demeure libre de télécharger les programmes des concurrents présentant les mêmes fonctionnalités.

3. SUR LA GRATUITÉ DES SERVICES DE STOCKAGE, DE PARTAGE ET DE SYNCHRONISATION DE FICHIERS PROPOSÉS PAR MICROSOFT

45. Les sociétés plaignantes considèrent que les revenus dégagés par Microsoft grâce à sa position dominante sur les services d'exploitation lui permettent de proposer des services gratuits de stockage, de partage et de synchronisation, empêchant l'arrivée de nouveaux concurrents sur ces marchés, qui eux ne peuvent pas assumer financièrement cette politique tarifaire.

46. Sur le caractère gratuit de l'offre, il convient de rappeler que les offres proposées par la quasi-totalité des acteurs, y compris celles de Microsoft et livesync.com, sont gratuites, jusqu'à une certaine capacité. En effet, il s'agit d'un marché biface mettant en relation les annonceurs et les internautes qui est financé par la publicité et les offres premium. Ces services sont gratuits dans le but d'attirer les clients, et de ce fait rendent la plateforme plus attractive pour les annonceurs qui achètent les espaces publicitaires diffusés sur les interfaces des utilisateurs. La gratuité a également pour objet de générer des demandes pour la version payante au-delà d'une certaine capacité.

47. Ce système de financement, très répandu dans le secteur des services en ligne, n'est pas en soi condamnable. Il n'a d'ailleurs pas empêché l'arrivée de nombreux opérateurs dans ce secteur.

48. Ainsi, il ne peut pas être affirmé, au vu des seuls éléments invoqués à l'appui de la saisine, que Microsoft ait abusé de sa position dominante sur le marché des services d'exploitation en proposant des services gratuits sur un marché connexe grâce aux revenus dégagés sur le marché dominé.

49. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède qu'il convient de faire application de l'article L. 462-8, alinéa 2 du Code de commerce précité.

DÉCISION

Article unique : La saisine des sociétés Midprod et Livesynchro à l'encontre des sociétés Microsoft Corporation et Microsoft France est rejetée.