Cass. crim., 8 février 2012, n° 11-81.162
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Louvel
Conseiller :
M. Dulin
Avocats :
SCP Waquet, Farge, Hazan
LA COUR : - Statuant sur les pourvois formés par Madame Catherine X, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Bordeaux, chambre correctionnelle, en date du 16 novembre 2010, qui, pour abus de faiblesse, l'a condamnée à deux ans d'emprisonnement, cinq ans d'interdiction des droits civils, civiques et de famille et a ordonné son maintien en détention ; - Joignant les pourvois en raison de la connexité ; - Sur la recevabilité du pourvoi formé le 25 novembre 2010 : - Attendu que la demanderesse ayant épuisé par l'exercice qu'elle en avait fait le 22 novembre 2010, le droit de se pourvoir contre l'arrêt attaqué, était irrecevable à se pourvoir à nouveau contre la même décision ; que seul est recevable le pourvoi formé le 22 novembre 2010 ; - Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 223-15-2, 121-4, 2°, 111-4 e t 111-3 du Code pénal, défaut de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Mme X coupable d'avoir frauduleusement abusé de la faiblesse de Mme Y pour la conduire à des actes gravement préjudiciables pour elle ;
"aux motifs qu'il ressort de l'examen des éléments du dossier que Mme Y, née le 28 août 1910 et décédée le 30 mai 2009, se trouvait depuis 1998 en état de particulière vulnérabilité et de faiblesse lié à son grand âge, aux relations conflictuelles qu'entretenaient ses enfants entre eux et à son égard relativement à un immeuble indivis et à un état d'isolement et d'insécurité affective ; que, dans ce contexte, elle vendait en 1998 l'immeuble situé (...) où elle résidait avec deux de ses enfants, pour aller vivre dans un studio où l'influence sur elle de Mme X, qu'elle fréquentait depuis 1990, s'est accrue ; qu'elle a rapidement quitté ce studio pour s'installer avec la prévenue, à diverses adresses successives ; que la situation de faiblesse de Mme Y à cette époque est corroborée par la décision du juge des tutelles du 30 septembre 1998 prononçant sa mise sous curatelle en relevant l'existence d'un contexte familial difficile, de la détérioration de ses relations affectives, d'un affaiblissement lié à l'âge et des relations avec Mme X, pouvant constituer un danger ; que le fait que cette mesure ait été levée par un jugement rendu le 1er juillet 1999 ne permet pas, dans le cadre du dossier pénal, d'écarter l'effectivité de la situation de faiblesse et de particulière vulnérabilité de Mme Y à cette époque, telle qu'elle ressort des éléments de la cause ; qu'il sera relevé que ce jugement est notamment motivé par le fait que l'emprise de Mme X sur Mme Y " n'est pas démontrée ", que les détournements qui lui sont reprochés d'avoir commis au préjudice de Mme Y " ne sont pas établis et que la plainte déposée contre elle pour abus de faiblesse a abouti à un non-lieu ", alors qu'en l'état du dossier aucun non-lieu antérieur n'est justifié et que le juge pénal est saisi quant aux agissements de Mme X ; que cette situation de faiblesse et de particulière vulnérabilité de la victime est relevée le 22 mai 2003 par le docteur Z, psychiatre, commis au cours de l'enquête de police, qui précise avoir déjà rencontré l'intéressée le 25 juillet 2000 et qui constate que " d'un point de vue purement psychiatrique, la situation extrêmement pénible vécue avec ses enfants l'a renvoyée dans une solitude et un isolement où elle ne pouvait être que la proie facile de personnes plus structurées, jouant le rôle de conseiller " ; que cet expert conclut que Mme Y présentait une " authentique faiblesse " et que, " pour obtenir son adhésion à n'importe quel projet, il suffisait de s'occuper d'elle, de s'intéresser à elle " ; que, de même, les expertises psychiatriques réalisées en 2005 font apparaître, d'une part, que Mme Y présente un affaiblissement physique, un affaiblissement visuel, un affaiblissement du jugement, dus à l'âge, dont la combinaison l'empêche de gérer et d'agir conformément à ses intérêts, sa confiance pouvant être d'autant plus abusée qu'elle ne vit pas dans un encadrement protecteur et est dépendante d'autrui pour tout (expertise du docteur A le 1er août 2005) ; d'autre part, que Mme Y souffre d'une altération de ses facultés physiques, d'une solitude affective et doit être considérée comme une personne particulièrement vulnérable et suggestible, s'étant retrouvée dans un état de faiblesse et de dépendance l'amenant à s'en remettre à autrui pour la gestion de ses biens et pouvant l'amener à prendre des décisions contraires à ses intérêts (docteur B, rapport du 16 novembre 2005) ; et, enfin, que Mme Y souffre d'un affaiblissement lié à son âge et présente une vulnérabilité et une suggestibilité liées également à son isolement relationnel et à la recherche d'une relation affective privilégiée (docteur C le 27 décembre 2005) ; qu'il apparaît, de plus, que l'état physique de Mme Y s'est progressivement dégradé, avec d'importantes difficultés à se déplacer et perte progressive de la vue ; que, depuis 1990, l'influence de Mme X sur Mme Y s'est accrue, et que depuis 1998, Mme X a abusé de cette situation de particulière vulnérabilité de la victime pour se faire remettre divers biens ; que, dans ce contexte, Mme X gérait seule les biens de Mme Y, ce qui a été reconnu par la prévenue lors de l'information et se faisait remettre des chèques en blanc signés de la victime qu'elle n'hésitait pas à utiliser à son bénéfice ; qu'elle a ainsi obtenu à son profit de Mme Y, qui ne connaissant pas l'état de ses comptes, divers chèques de montants de 10 150 euro, 3 972 euro, 3 787 euro, 5 400 euro, 4 000 euro, 3 800 euro, 3 000 euro 76 224 euro, 51 euro, 50 000 euro outre un chèque de 38 200 euro au profit de Mme D, qui était une personne âgée abusée par Mme X et qui apparaît comme un prête-nom ; qu'elle a fait signer par Mme Y à son profit un chèque de 7 620 000 euro, qui n'a en définitive pas été encaissé ; que ce montant exorbitant au regard du patrimoine de Mme Y démontre la particulière vulnérabilité de cette dernière ; que Mme X a également obtenu, en juillet 2 000, la vente en viager à son profit par la victime d'un appartement situé à Albi, moyennant une rente de 600 francs par mois ; qu'elle n'a cependant effectué que cinq versements de 600 francs, omettant de régler les autres arrérages ; qu'il apparaît ainsi que Mme X a, depuis 1998, profité de la vulnérabilité de Mme Y et frauduleusement abusé de sa situation de faiblesse ; que les agissements de Mme X ont gravement préjudicié à la victime qui a vu une partie de son patrimoine détournée et dissipée par la prévenue ; que le profit tiré par Mme X, qui était logée et nourrie par la victime, dépasse largement la rémunération à laquelle elle aurait pu prétendre au titre des soins donnés ; que Mme X ne peut valablement invoquer avoir ignoré cet état de faiblesse alors qu'elle côtoyait régulièrement la victime, vivait avec elle depuis 1999/ 2000 et connaissant son état de dépendance affective, puis physique dont elle profitait pour se faire remettre divers biens ; que l'élément intentionnel du délit s'avère donc caractérisé ; qu'il est établi, dans ces conditions, que Mme X a frauduleusement abusé depuis 1998 de la situation connue par elle de faiblesse et de vulnérabilité de Mme Y, laquelle se trouvait en état de dépendance et de contrainte morale, ne la mettant pas en mesure de résister, en gérant le patrimoine de la victime à l'encontre de ses intérêts" ;
" 1) alors que la tentative du délit de l'article 223-15-2 du Code pénal, faute d'être prévue par un texte, n'est pas punissable ; que l'infraction d'abus de faiblesse suppose en effet que les faits matériels reprochés au prévenu aient conduit la personne en situation de faiblesse à un acte ou à une abstention qui lui est gravement préjudiciable ; qu'en condamnant Mme X pour avoir abusé frauduleusement de l'état de faiblesse de Mme Y au motif qu'elle a fait signer à cette dernière et à son profit un chèque de 7 620 000 euro, tout en constatant que ce chèque d'un montant exorbitant n'avait finalement pas été encaissé, la cour a violé les articles 223-15-2, 121-4, 2°, 111-4 et 111-3 du Code pénal ;
" 2) alors que qu'en condamnant Mme X pour avoir abusé frauduleusement de l'état de faiblesse de Mme Y au motif qu'elle a fait signer à cette dernière et à son profit un chèque de 7 620 000 euro, tout en constatant que ce chèque d'un montant exorbitant n'avait finalement pas été encaissé, la cour qui n'a pas constaté que la remise des autres chèques à Mme X par Mme Y aurait été gravement préjudiciable à cette dernière, compte tenu de ses capacités financières, a privé sa décision de base légale au regard des articles 223-15-2 et 121-4, 2°, 111-4 et 111-3 du Code pénal " ;
Attendu que, d'une part, le moyen fait vainement grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré Madame X coupable d'avoir détourné un chèque de 7 620 000 euro qui, en définitive, n'a pas été encaissé, dès lors que le montant exorbitant de ce chèque au regard du patrimoine de Mme Y n'a été mentionné par la cour d'appel que pour démontrer la particulière vulnérabilité de la victime ;
Attendu que, d'autre part, la cour d'appel, après avoir relevé les montants des multiples chèques que la prévenue s'était fait remettre et l'existence d'une vente en viager à son profit, énonce que ces agissements ont gravement préjudicié à la victime qui a vu une partie importante de son patrimoine détournée par le prévenu ; d'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Mais sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 132-24, alinéa 3, du Code pénal et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a condamné Mme X à une peine de deux ans d'emprisonnement sans sursis ;
" aux motifs qu'au regard de la gravité des faits, commis au préjudice d'une personne âgée, pendant une longue période et de la personnalité de la prévenue dont le casier judiciaire comporte cinq mentions, il convient de prononcer à son encontre la peine ferme de deux ans d'emprisonnement ;
" alors qu'en matière correctionnelle, en dehors des condamnations en récidive légale prononcées en application de l'article 132-19-1, une peine d'emprisonnement sans sursis ne peut être prononcée qu'en dernier recours si la gravité de l'infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine nécessaire et si toute autre sanction est manifestement inadéquate ; qu'en outre, cette peine d'emprisonnement ferme doit, si la personnalité et la situation du condamné le permettent, et sauf impossibilité matérielle, faire l'objet d'une des mesures d'aménagement prévues aux articles 132-25 à 132-28 ; qu'en prononçant à l'encontre de Mme X une peine d'emprisonnement ferme de deux ans sans caractériser la nécessité de cette peine conformément aux dispositions de l'article 132-24 du Code pénal, ni l'impossibilité d'ordonner une mesure d'aménagement, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision et violé les articles 593 du Code de procédure pénale et 132-24 du Code pénal " ; - Vu l'article 132-24 du Code pénal ; - Attendu qu'il résulte de ce texte, qu'en matière correctionnelle, en dehors des condamnations en récidive légale prononcées en application de l'article 132-19-1 du Code pénal, une peine d'emprisonnement sans sursis ne peut être prononcée qu'en dernier recours si la gravité de l'infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine nécessaire et si toute autre sanction est manifestement adéquate ; que dans ce cas, la peine d'emprisonnement doit, si la personnalité et la situation du condamné le permettent, et sauf impossibilité matérielle, faire l'objet d'une des mesures d'aménagement prévues aux articles 132-25 à 132-28 du Code pénal ;
Attendu que, pour condamner Mme X à deux ans d'emprisonnement, l'arrêt se borne à énoncer que cette peine est justifiée au regard de la gravité des faits, commis au préjudice d'une personne âgée, pendant une longue période et de la personnalité de la prévenue dont le casier judiciaire mentionne cinq condamnations ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés ; d'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ; qu'elle sera limitée à la peine, dès lors que la déclaration de culpabilité n'encourt pas la censure ;
Par ces motifs : Sur le pourvoi formé le 25 novembre 2010 : Le Déclare irrecevable ; Sur le pourvoi formé le 22 novembre 2010 : Casse et Annule, en ses seules dispositions relatives à la peine, l'arrêt susvisé de la Cour d'appel de Bordeaux, en date du 16 novembre 2010, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ; Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée ; Renvoie la cause et les parties devant la Cour d'appel de Bordeaux, autrement composée ; Ordonne l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la Cour d'appel de Bordeaux et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.