CA Amiens, ch. économique, 20 mai 2010, n° 08-03836
AMIENS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Franke
Défendeur :
La Prairie Automobile (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Mordant de Massiac
Conseillers :
M. Bougon, Mme Bousquel
Avoués :
Me Caussain, SCP Lemal, Guyot
Avocats :
SCP Colignon-Bertin-Mangel, Associes, Me Bony
Procédure devant la cour
Par acte en date du 1er septembre 2008, Eric Franke a interjeté appel du jugement du tribunal de commerce de Soissons du 11 juillet 2008 qui l'a débouté de ses demandes formées contre la SARL La Prairie Automobile.
Eric Franke a conclu (conclusions du 2 janvier 2009).
La SARL La Prairie Automobile, intimée, a conclu (conclusions du 24 mars 2009).
Après clôture de la mise en état, l'affaire a été fixée au 26 janvier 2010 pour plaidoirie (O.C du 16 juin 2009).
Les parties et leurs conseils ont été régulièrement avisés pour cette date, dans les formes et délais prévus par la loi.
Le jour dit, la cause et les parties ont été appelées en audience publique et les débats et plaidoiries tenus dans les conditions prévues aux articles 786 et 910CPC, les avocats ne s'y opposant pas.
Après avoir entendu les avoués et avocats des parties en leurs demandes fins et conclusions, le magistrat chargé du rapport a mis l'affaire en délibéré et indiqué aux parties que l'arrêt serait rendu et mis à disposition au greffe le 20 mai 2010.
Après rapport de l'affaire par le magistrat chargé du rapport et après en avoir délibéré conformément à la loi, la cour a rendu la présente décision à la date indiquée.
Décision
Faits, procédures, demandes en appel
Eric Franke est propriétaire d'un véhicule automobile Audi 54 Quatro, mis en circulation le 6 juillet 1999.
Son véhicule étant tombé en panne entre Paris et Reims, le 10 mai 2006, Eric Franke a eu recours aux services du garage " La Prairie Automobile " à Château-Thierry.
Le garagiste a diagnostiqué une rupture de la courroie de distribution et a soumis à Eric Franke un devis de réparation, pour un montant de 8 991,90 euro TTC, qu'Eric Franke a accepté en signant l'ordre de travaux correspondant.
Lorsqu'Eric Franke est revenu chercher son véhicule, le 30 juin 2006, le garagiste lui a demandé le paiement d'une somme de 13 319,83 euro et, devant les protestations de Mr Franke, le garagiste a menacé d'exercer son droit de rétention sur le véhicule.
Contraint et forcé, Eric Franke s'est acquitté de la facture.
Par la suite, il s'est adressé au " service de protection juridique " lié à son contrat d'assurance et ce dernier a demandé au garage " La Prairie Automobile " de lui fournir la preuve de ce que, en sus du devis qu'il avait accepté, Mr Franke avait également consenti aux travaux additionnels qui justifiaient le supplément de prix par rapport au devis, soit la somme de 4 327,93 euro.
C'est dans ce contexte que, devant le silence du garagiste et par acte du 10 septembre 2007, Eric Franke a assigné la SARL La Prairie Automobile devant le tribunal de commerce aux fins de voir cette société condamnée à lui payer la somme de 4.327,93 euro.
Par jugement en date du 11 juillet 2008, le tribunal a débouté Eric Franke de ses demandes.
Pour prononcer ainsi, le tribunal a retenu que dans son devis du 12 mai 2006, le garagiste avait proposé de réparer le véhicule pour le prix de 8.991,90 euro TTC hors dépose du moteur et que la différence entre le montant du devis et la facture finale était justifiée par le coût de la dépose et par des travaux supplémentaires (remplacement de la céramique du catalyseur, remplacement de l'embrayage) que Mr Franke avait acceptés.
Eric Franke a interjeté appel de la décision.
Devant la cour de céans,
Eric Franke demande à la cour d'infirmer le jugement du tribunal de commerce, de condamner la SARL La Prairie Automobile à lui payer la somme de 4 327,93 euro, outre 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Il fait valoir que, en matière de réparation de véhicule automobile, la SARL La Prairie Automobile est un " professionnel " tandis que lui-même est un profane ; qu'ainsi, en lui proposant, après diagnostic de la panne, un devis de réparation d'un montant de 8 991,90 euro TTC hors dépose, ladite société aurait dû l'informer du coût de " la dépose " et aurait dû également l'avertir, après s'en être elle-même rendu compte, de la nécessité de changer certaine pièce, du coût de ces travaux supplémentaires et de recueillir son consentement avant d'entreprendre tout travail supplémentaire non prévu à l'origine ; qu'en procédant ainsi qu'elle l'a fait cette société a manqué à son obligation d'information et de conseil et a manqué aux obligations contractuelles résultant du devis ; que la SARL La Prairie Automobile ne saurait tirer argument de ce qu'il a accepté de régler la facture pour soutenir que " le client a, en définitive, avalisé les travaux ", puisque c'est contraint et forcé, pour pouvoir récupérer le véhicule, qu'il a effectué ce paiement.
La SARL La Prairie Automobile demande à la cour de confirmer le jugement entrepris et de lui allouer 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle soutient qu'elle n'a pas manqué à son obligation de conseil, lors de l'élaboration du devis du 12 mai 2006, puisque, n'étant pas chargé de l'entretien du véhicule d'Eric Franke, elle ne connaissait pas l'état du véhicule lorsque celui-ci lui a été remis pour réparation ; que, lors de la dépose du moteur, en vue du changement de la courroie de distribution, elle s'est rendue compte de la nécessité de changer également d'autres pièces et en a informé téléphoniquement le propriétaire du véhicule, lequel a consenti à ces travaux supplémentaires, ainsi qu'en atteste la fiche d'atelier du 20 juin 2006 ; que la différence entre le devis initial et la facture définitive correspond au coût de la dépose et au coût des travaux supplémentaires ; qu'Eric Franke n'est du reste pas recevable à contester le montant de la facture puisqu'il l'a réglé et qu'il n'a émis de contestations que longtemps après.
En cet état,
Sur la recevabilité de l'appel
Eric Franke ayant formé son recours dans les délais et forme prévus par la loi et la recevabilité de l'acte n'étant pas contestée, la cour recevra l'intéressé en son appel.
Sur le bien-fondé de l'appel
Eric Franke est appelant du jugement qui l'a débouté de ses demandes formées contre la SARL La Prairie Automobile.
Cet appel est fondé.
En effet, il résulte de l'article L. 111-1 du Code de la consommation que tout professionnel, prestataire de services, doit avant la conclusion du contrat, mettre le consommateur en mesure de connaître les caractéristiques du service et il résulte des articles 1134 et suivants du Code civil régissant les contrats que les professionnels sont tenus à une obligation d'information et de conseil lors de leurs rapports pré-contractuels et tenus à une obligation de loyauté dans l'exécution des contrats qu'ils ont souscrits.
Ainsi, en mai 2006, lorsqu'elle a diagnostiqué que la panne affectant le véhicule d'Eric Franke résultait d'une rupture de la courroie de distribution et qu'elle lui a offert de procéder à la réparation pour le prix de 8 991,90 euro TTC " hors dépose ", elle eut dû indiquer à l'intéressé le coût précis de la dépose.
En s'abstenant de donner cette indication, elle a nécessairement laissé penser à Eric Franke que le coût de la dépose était si peu important qu'il ne méritait pas d'être mentionné.
Ce faisant, la SARL La Prairie Automobile a manqué à son obligation d'information et de conseil.
Par ailleurs, dans le courant du mois de mai 2006, lorsqu'elle s'est rendu compte, lors de la dépose du moteur, que d'autres pièces méritaient d'être changées en raison de leur état, la SARL La Prairie Automobile eut dû, par application du principe susvisé, 1°) informer son client de la nécessité de changer les pièces en question (nécessité du remplacement immédiat ou à terme de la céramique du catalyseur et de l'embrayage), 2°) informer son client du coût de ces travaux (coût des pièces et coût de la main d'œuvre), 3°) recueillir le consentement exprès de son client pour la réalisation de ces travaux non inclus dans le contrat initial.
La SARL La Prairie Automobile ne saurait prétendre avoir satisfait à ces prescriptions en produisant " la fiche d'atelier " qu'elle a établie, car nul ne saurait se faire des preuves à soi-même. En l'absence de fax ou de courriers adressés à l'intéressé et en l'absence de tout ordre de travaux reçu en retour ou de tout autre moyen de preuve acceptable, la SARL La Prairie Automobile ne démontre pas qu'elle a procédé aux informations nécessaires et qu'elle a recueilli le consentement expresse de son client.
Elle ne saurait pas plus tirer argument de ce qu'en définitive Eric Franke aurait réglé la facture pour soutenir qu'il aurait avalisé le coût de la dépose et le coût des travaux supplémentaires, dès lors que, sitôt après avoir récupéré son véhicule menacé de rétention, il a engagé un contentieux.
Ce faisant, la SARL La Prairie Automobile a manqué à son obligation d'information et de conseil en n'informant pas son client des travaux qu'elle comptait engager comme elle a manqué à son obligation contractuelle en exigeant un prix supérieur à celui qui avait été arrêté entre les parties.
En conséquence, la cour infirmera le jugement entrepris et condamnera la SARL La Prairie Automobile à restituer la somme de 4 327,93 euro qu'elle a exigé en sus du prix convenu.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
La partie perdante devant, aux termes de l'article 696 CPC, être condamnée aux dépens, la cour condamnera la SARL La Prairie Automobile, qui succombe, à supporter les dépens de première instance et d'appel.
La partie perdante devant, en outre, aux termes de l'article 700 du même Code, être condamnée à payer à l'autre partie, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, une somme arbitrée par le juge, tenant compte de l'équité et de la situation économique de la partie condamnée, la cour condamnera la SARL La Prairie Automobile à payer à Eric Franke une somme de 1 500 euro, tous frais de première instance et d'appel confondus.
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit Eric Franke en son appel ; Et déclarant cet appel fondé, Infirme le jugement entrepris, Dit que la SARL La Prairie Automobile a manqué à ses obligations pré-contractuelles et contractuelles ; Condamne, en conséquence, la SARL La Prairie Automobile à payer à Eric Franke la somme de 4 327,93 euro, avec intérêts de la somme au taux légal à compter du jour de l'assignation ; Condamne la SARL La Prairie Automobile aux dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de Me Caussain, avoué, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ; Condamne la SARL La Prairie Automobile à payer à Eric Franke la somme de 1 500 euro, tous frais de première instance et d'appel confondus, au titre de l'article 700CPC.