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Décisions

CA Caen, 2e ch. civ. et com., 1 mars 2012, n° 11-00419

CAEN

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Cotilas (SA)

Défendeur :

Lisieux Distribution (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Christien

Conseillers :

Mmes Beuve, Boissel Dombreval

Avocats :

SCP Mosquet Mialon d'Oliveira Leconte, SCP Viaud Reynaud Blin Lion, SCP Grammagnac-Ygouf Balavoine, Levasseur, Mes Gacoin, Pointel

T. com. Lisieux, du 17 déc. 2010

17 décembre 2010

EXPOSÉ DU LITIGE

La société Cotilas exploite un hypermarché sous l'enseigne "Intermarché" à Lisieux.

Prétendant que la société Lisieux Distribution, qui exploite un hypermarché sous l'enseigne "Leclerc" dans la même ville, a modifié en octobre 2010 le message publicitaire figurant sur un panneau implanté sur le rond-point d'accès au parking de son magasin en annonçant que l'hypermarché Leclerc était "à peine plus loin et tellement moins cher", la société Cotilas l'a fait assigner, par acte du 15 novembre 2010, en concurrence déloyale par dénigrement et publicité trompeuse devant le Tribunal de commerce de Lisieux.

Estimant que le message incriminé relevait d'une forme hyperbolique licite de publicité et ne constituait pas une publicité comparative trompeuse, le tribunal de commerce a, par jugement du 17 décembre 2010, statué en ces termes :

"Déboute la société Cotilas de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions ;

Condamne la société Cotilas à payer à la société Lisieux Distribution la somme de 1 000 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Condamne la société Cotilas aux entiers dépens de l'instance".

La société Cotilas a relevé appel de cette décision le 9 février 2011 en demandant dans le dernier état de ses écritures à la cour de :

"Condamner sous astreinte la société Lisieux Distribution à procéder à l'enlèvement de la publicité figurant sur le panneau publicitaire situé à Lisieux, sur le rond-point de l'entrée de l'Intermarché, et ce sous astreinte de 5 000 euro par jour, dans les 48 heures de la signification du jugement à intervenir ;

Condamner la requise à payer à la requérante la somme de 100 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi ;

Condamner la requise à payer à la requérante la somme de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile".

La société Lisieux Distribution conclut quant à elle à la confirmation du jugement attaqué et sollicite le paiement d'une indemnité complémentaire de 5 000 euro au titre de ses frais irrépétibles d'appel.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions déposées pour la société Cotilas le 10 novembre 2011, et pour la société Lisieux Distribution le 15 juin 2011.

EXPOSÉ DES MOTIFS

C'est au prix d'une appréciation abstraite et isolée de chacun des éléments de la cause, détachés de leur contexte, que les premiers juges, suivant en cela l'argumentation erronée de la société Lisieux Distribution, ont estimé que le message publicitaire litigieux n'était pas un procédé de dénigrement constitutif d'un acte de concurrence déloyale, alors qu'il leur appartenait d'apprécier globalement tous les éléments pertinents du litige en tenant compte à la fois et en même temps du contenu du message, mais aussi du lieu d'implantation du panneau et de la perception que le consommateur risquait d'en avoir.

En soi, il n'est certes pas interdit à un commerçant opérant dans le secteur de la grande distribution de diffuser un message publicitaire à proximité d'un magasin concurrent.

Au demeurant, il est constant que la société Lisieux Distribution utilisait, antérieurement à octobre 2010, le panneau publicitaire situé à l'entrée du parking de l'hypermarché exploité par la société Cotilas pour faire connaître ou rappeler l'existence de son propre magasin, sans d'ailleurs provoquer de protestations de cette dernière.

Il n'est pas davantage illicite de diffuser des messages publicitaires hyperboliques se traduisant par l'emploi de l'emphase, de l'exagération ou de la caricature lorsque, notamment en raison même de leur caractère outrancier, ils ne sont pas de nature à induire le consommateur en erreur.

Ainsi, il ne saurait être, en soi, fait grief à la société Lisieux Distribution de prétendre que son magasin est "tellement moins cher".

En revanche, la diffusion d'un tel message à l'entrée même du parking du magasin de la société concurrente Cotilas conduit nécessairement les consommateurs à lui donner le sens que le magasin Leclerc situé "à peine plus loin" est "tellement moins cher" que le magasin Intermarché dans lequel ils s'apprêtent à se rendent [sic].

Or, le niveau de prix est, pour la clientèle des hypermarchés, un facteur déterminant de choix du magasin.

Pourtant, rien ne démontre que les prix pratiqués par la société Lisieux Distribution soient notablement plus bas que ceux de la société Cotilas, l'intimée produisant des études qui, à les supposer fiables, n'objectivent pas de différences de prix sensibles, et l'appelante produisant de son côté un constat d'huissier révélant que les prix qu'elle pratique sur bon nombre de produits courants sont inférieurs à ceux pratiqués par la partie adverse.

Dès lors, ce message publicitaire, tel qu'il a été exploité par la société intimée à compter d'octobre 2010, donne une image péjorative de la société appelante dans l'esprit d'une clientèle conduite à considérer que les prix qui y sont pratiqués sont sensiblement plus élevés que dans un autre hypermarché exploité sous l'enseigne "Leclerc" à quelques kilomètres de là.

La société Lisieux Distribution a donc bien commis un acte de concurrence déloyale par dénigrement de sa concurrente, la société Cotilas.

Le fait que cette dernière aurait elle-même implanté un panneau publicitaire à l'entrée d'un autre hypermarché de la ville est inopérante, dès lors que, d'une part, cette circonstance ne saurait constituer une cause exonératoire pour la société Lisieux Distribution, et qu'en toute hypothèse le message publicitaire qu'il diffuse ne contient aucun élément de comparaison dévalorisant.

Il convient donc d'ordonner la cessation de cet acte de concurrence déloyale sous astreinte.

Il s'évince en outre nécessairement de celui-ci un trouble commercial, résultant du déficit d'image subi par la société Cotilas aux yeux de sa clientèle, qui sera intégralement réparé par l'allocation d'une somme de 10 000 euro à titre de dommages-intérêts.

Enfin, il serai inéquitable de laisser à la charge de la société Cotilas l'intégralité des frais exposés par elle à l'occasion de la procédure et non compris dans les dépens, en sorte qu'il lui sera alloué une somme de 3 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : LA COUR, Infirme le jugement rendu le 17 décembre 2010 par le Tribunal de commerce de Lisieux en toutes ses dispositions ; Dit que la société Lisieux Distribution a commis un acte de concurrence déloyale à l'égard de la société Cotilas ; Condamne la société Lisieux Distribution à supprimer la mention "à peine plus loin et tellement moins cher" figurant sur le panneau publicitaire situé à Lisieux, sur le rond-point d'accès au parking du magasin exploité par la société Cotilas sous l'enseigne "Intermarché", et ce sous astreinte provisoire de 500 euro par jour de retard commençant à courir dans les huit jours de la signification du présent arrêt pendant six mois, période à l'issue de laquelle il pourra le cas échéant être à nouveau fait droit ; Condamne la société Lisieux Distribution à payer à la société Cotilas une somme de 10 000 euro à titre de dommages-intérêts ; Condamne la société Lisieux Distribution à payer à la société Cotilas une somme de 3 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société Lisieux Distribution aux dépens de première instance et d'appel ; Accorde à la société civile professionnelle d'avocats Mosquet, Mialon, d'Oliveira et Leconte le bénéfice des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.