CA Rennes, 2e ch. com., 27 mai 2008, n° 07-01913
RENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Lidl (SNC)
Défendeur :
Auchan France (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Le Guillanton
Conseillers :
Mmes Cocchiello, Boisselet
Avoués :
SCP Gautier-Lhermitte, SCP Jean Loup Bourges & Luc Bourges
Avocats :
SELAFA Magellan, Me Guin
Faits et procédure :
En octobre 2004, le magasin Auchan de Trignac a entrepris une opération publicitaire consistant à exposer dans la galerie marchande qui l'abrite deux chariots, l'un rempli de produits dits "hard discount" et l'autre de produits "premiers prix" Auchan, en indiquant, par deux affiches, les prix d'achats respectifs de leur contenu, le prix intéressant le chariot de produits "Auchan" étant moindre.
Après constat réalisé le 29 octobre 2004, la société Lidl a assigné Auchan, pris en la personne de son établissement de Trignac, devant le Tribunal de commerce de Saint Nazaire, auquel elle demandait de juger que cette opération constituait une publicité comparative illicite et par conséquent un acte de concurrence déloyale.
Par jugement du 7 février 2007, le Tribunal de commerce de Saint Nazaire l'a déboutée de toutes ses demandes, et l'a condamnée à payer à Auchan la somme de 1 000 euro au titre de l' article 700 du Code de procédure civile .
La société Lidl en a relevé appel le 23 mars 2007.
Par conclusions du 22 janvier 2008, auxquelles il est expressément fait référence pour l'exposé complet de son argumentation, elle expose que, les produits exposés étant tous des produits Lidl distribués dans trois magasins proches, elle était bien visée par cette publicité, qui constituait dès lors une publicité comparative. Or les prescriptions légales régissant cette forme de publicité, licite en son principe, soit l'article L. 121-8 du Code de la consommation, n'ayant pas été respectées, faute d'objectivité, elle demande :
Qu'il soit jugé que cette opération constitue une acte de concurrence déloyale par dénigrement,
que la société Auchan soit condamnée à lui payer la somme de 60 000 euro en réparation du préjudice subi, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation,
Que soient ordonnées la publication et l'affichage aux portes du magasin intéressé de l'arrêt à intervenir,
Que les critiques formées devant la cour par Auchan sur la validité du constat d'huissier soient rejetées, ainsi que les demandes reconventionnelles portant sur ses propres slogans "toujours moins cher" et "plus on regarde ailleurs, plus on va chez Lidl",
que lui soit allouée une indemnité de procédure de 5 000 euro.
Par conclusions du 25 février 2008, auxquelles il est expressément fait référence pour l'exposé complet de son argumentation, Auchan demande :
Sur la demande principale de Lidl :
Que le procès-verbal de constat soit déclaré nul en raison de l'intervention d'un salarié de Lidl et du non-respect par l'huissier des termes de sa mission, subsidiairement que les mentions excédant sa mission soient écartées,
Qu'il soit jugé que l'opération publicitaire critiquée n'était pas comparative faute de viser, même implicitement Lidl,
Que, même soumise à l'article L. 121-8 du Code de la consommation, elle soit jugée licite puisque portant sur un chariot de référence formant un tout et répondant à un même objectif, soit l'achat de produits premiers prix,
Que le jugement soit dès lors confirmé,
Sur sa demande reconventionnelle :
Qu'étant jugés mensongers les slogans utilisés par Lidl 'Lidl toujours moins cher' et "plus on regarde ailleurs, plus on va chez Lidl", lui soit allouée la somme de 60 000 euro en réparation du préjudice subi,
que la société Lidl soit condamnée à lui payer la somme de 10 000 euro au titre de l' article 700 du Code de procédure civile .
Sur quoi, la cour :
Sur le constat :
L'ordonnance fixant la mission de l'huissier avait expressément prévu la présence d'un membre du personnel de Lidl. De surcroît, le constat mentionne que la société Auchan était de son côté représentée par une de ses salariées. Dès lors, les deux parties ayant été représentées et mises à même de contrôler le déroulement impartial des opérations de l'huissier, aucune irrégularité ne résulte de la présence d'un salarié de Lidl lors du constat.
En ce qui concerne l'exécution de sa mission, force est de constater qu'alors que l'ordonnance le désignant lui prescrivait de "constater l'exposition des chariots et d'un tableau d'affichage présentant des produits achetés notamment chez Lidl" et d' "énumérer la liste des produits figurant sur le tableau d'affichage" et dans chacun des chariots, l'huissier a limité ses constatations au contenu des deux chariots, sans préciser si existait ou non un tableau d'affichage. Or la présence d'une liste des produits est évoquée par les termes de la requête aux fins de constat déposée le 27 octobre 2004, et par les écritures de Lidl, qui relatent que cette liste a été vue le 26 octobre 2004.
Par ailleurs, s'il lui était demandé de dresser la liste exhaustive des produits pour chacune des entreprises concernées, en reprenant les caractéristiques des produits, et de faire toutes autres constatations utiles à la requête de Lidl, ce qui lui commandait de recueillir les prix des produits, et de vérifier qu'ils étaient ou non présents dans les rayons des deux agasins, il lui incombait de recueillir ces éléments de façon contradictoire et en présence des parties, et surtout d'indiquer dans le constat la façon dont il avait procédé, et les personnes l'ayant assisté dans ces diligences. Or le constat ne contient aucune indication sur la façon dont les prix des marchandises ont été recueillis, soit auprès des représentants des parties, soit par un transport à l'intérieur des magasins, soit de toute autre manière.
Ce constat étant, par ailleurs, sur le plan formel, parfaitement régulier, et ayant été régulièrement versé aux débats, il n'y a lieu ni de l'annuler ni de l'écarter des débats. Cependant, les lacunes qu'il comporte sur l'existence et le contenu d'un tableau d'affichage de la liste des produits, et la façon dont ont été opérées les diligences relatives aux prix et à la disponibilité de chaque articles, enlève toute valeur probante aux constatations effectuées sur ces points.
Sur le caractère comparatif de la publicité en cause :
Il est constant que la totalité des produits figurant dans le chariot "hard discount" étaient commercialisés par Lidl. Pour autant, les emballages des produits ne comportaient aucune mention attirant l'attention du consommateur sur cette origine, Lidl ne commercialisant pas ses produits sous ce nom. Seul un examen minutieux des emballages produits permettait de déceler, en très petits caractères, les mentions relatives à leur fabrication pour le compte de cette société. La consonance de cette enseigne n'évoque pas spécialement son origine germanique pour le public français, et il n'est pas non plus démontré que cette origine soit notoirement connue du consommateur moyen. Dans ces conditions, il n'est pas établi que la présence de termes allemands sur les emballages permettait d'identifier leur provenance.
En revanche, l'implantation locale de Lidl à Trignac et Saint Nazaire, soit dans trois points de vente proches d'Auchan, suffisait à désigner Lidl comme l'un des magasins 'hard discount' visé par la publicité, la proximité d'autres commerces similaires comme Leader Price et ED étant indifférente. L'un des concurrents visés par la publicité étant ainsi identifiable à Lidl, cette société est fondée à demander que la licéité de cette opération soit examinée conformément aux règles applicables à la publicité comparative.
Sur la régularité de l'opération de publicité :
Selon l' article L. 121-8 du Code de la consommation , la publicité comparative doit, pour être licite, remplir trois conditions cumulatives, à savoir ne pas être trompeuse ou de nature à induire en erreur, porter sur des biens répondant aux mêmes besoins ou ayant le même objectif, et comparer une ou plusieurs caractéristiques essentielles, dont le prix.
Auchan fait à juste titre valoir que, la comparaison portant sur les prix de chariots composé d'articles satisfaisant le même besoin ou le même objectif, soit réaliser des achats "premier prix", elle doit porter sur les prix globaux.
Aucune certitude n'existe sur l'existence d'une liste des produits, ni sur les mentions qu'elle portait, notamment sur la date à laquelle les achats ont été réalisés. N'est ainsi pas rapportée la preuve que la publicité litigieuse ait pu avoir un caractère trompeur en raison de l'impossibilité dans laquelle le consommateur aurait été mis de vérifier que le contenu des deux chariots satisfaisait des besoins similaires, ou en raison de l'absence de précision sur la date des achats.
La preuve que certains produits seraient manquants, ou qu'à la date du constat le prix du chariot Auchan serait supérieur n'est pas non plus rapportée en raison des incertitudes affectant les constatations de l'huissier sur ces points, et de l'absence d'autres éléments.
Le critère du prix étant, dans la publicité, le seul pris en compte, l'observation de Lidl, selon laquelle des produits alimentaires provenant de fournisseurs différents ne seraient pas comparables, en raison de différences de qualité gustatives liées précisément à la diversité de leur origine, est sans portée. Il n'est d'autre part pas démontré que le consommateur, qui pouvait par ailleurs accéder librement au contenu de chaque chariot, et ainsi prendre connaissance des mentions figurant sur les emballages des produits, n'ait pas été mis en mesure de comparer les produits article par article et prix par prix, la plus grande incertitude régnant sur la présence d'un tableau d'affichage ou d'une liste de produits, et sur les mentions y apposées.
En revanche, le fait, démontré par les tickets de caisse produits, d'avoir en un premier temps procédé à l'achat des produits Lidl, puis d'avoir constitué, en un second temps, le chariot correspondant Auchan, permet de s'interroger sur d'éventuels alignements de prix, qui seraient venus fausser la comparaison. De même, cette comparaison portant sur un ensemble, le fait de n'avoir comptabilisé que 56 produits dans le chariot Auchan, alors que le chariot Lidl en comportait 58, sans d'ailleurs que les produits surnuméraires soient particulièrement coûteux, ne peut qu'avoir augmenté le coût global du chariot Lidl, et a donc eu un effet direct sur la comparaison. Lidl relève enfin à juste titre que les circonstances précises des achats ne sont pas établies, et que ne peuvent dès lors être écartées l'existence de promotions exceptionnelles, susceptibles, elles aussi, de fausser la comparaison.
Dès lors, la publicité litigieuse ne répondant pas à l'exigence d'objectivité posée par l'article L. 121-8 du Code de la consommation, sa mise en œuvre engage la responsabilité de la société Auchan à l'égard de sa concurrente Lidl.
Sur le préjudice :
La société Lidl ne démontre pas l'incidence du comportement déloyal d'Auchan sur ses propres résultats. Elle n'établit dès lors que l'existence d'une atteinte à son image commerciale, que les éléments versés aux débats permettent de réparer par la somme de 5 000 euro. Le caractère indemnitaire de cette créance justifie qu'elle ne porte intérêts qu'à compter du présent arrêt.
Sur les demandes de publication et d'affichage :
Au regard de l'ancienneté des faits, et de leur caractère limité dans le temps, ces mesures seraient disproportionnées à l'atteinte portée, et les demandes de ces chefs seront rejetées.
Sur les demandes reconventionnelles :
Les slogans contestés ne visent, même implicitement, aucun concurrent en particulier, en raison de leur généralité et de leur caractère abstrait. Les demandes reconventionnelles ne peuvent dès lors qu'être rejetées.
Sur les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile :
Auchan qui succombe, supportera les dépens, et les frais de procédure exposés en première instance et en appel par Lidl à hauteur de 2 000 euro.
Par ces motifs : Infirmant et complétant le jugement, Rejette la demande d'annulation du constat, Dit que la publicité comparative mise en œuvre par la société Auchan à l'égard notamment de la société Lidl n'était pas objective, et constituait dès lors un acte de concurrence déloyale, Condamne la société Auchan à verser à la société Lidl la somme de 5 000 euro en réparation du préjudice subi, Dit n'y avoir lieu à publication ni affichage, Confirmant le jugement, Rejette les demandes reconventionnelles formées par la société Auchan, Condamne la société Auchan aux dépens, avec recouvrement direct au profit de Maîtres Gautier et Lhermitte, avoués, La condamne également à payer à la société Lidl la somme de 2 000 euro au titre de ses frais irrépétibles exposés en première instance et en appel, Rejette le surplus des demandes.