CA Grenoble, ch. com., 11 décembre 2008, n° 08-00670
GRENOBLE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Hero France (SA)
Défendeur :
Andros France (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Muller
Conseillers :
MM. Bernaud, Cuny
Avoués :
SCP Calas, SCP Grimaud
Avocats :
Mes Pucci, Destremeau
La société Andros fabrique et commercialise des produits à base de fruits, et notamment des confitures sous les marques notoires Andros et Bonne Maman.
Au mois de décembre 2007, des commerciaux de la société Andros se sont procuré des exemplaires d'une clé USB distribuée par la société Hero auprès des acheteurs de la grande distribution et destinée à faire connaître par le biais d'un film vidéo un produit qu'elle s'apprêtait à lancer sous la dénomination Confi'Pure.
Estimant que l'argumentaire de vente développé sur ce support était constitutif à la fois de publicité comparative illicite et de dénigrement, la société Andros a fait assigner la société Hero devant le juge des référés du Tribunal de Commerce de Die, lequel par ordonnance du 7 février 2008 a :
Dit que la société Andros justifie de l'existence d'un trouble actuel,
Constaté que l'argumentaire diffusé par la société Hero s'appuie sur des éléments de comparaison subjectifs,
Constaté que les propos et l'image de la société Andros tels que présentés dans la vidéo litigieuse sont constitutifs d'actes de dénigrement de la part de la société Hero,
Dit que l'argumentaire diffusé par la société Hero auprès des acheteurs de la grande distribution constitue une publicité comparative illicite de nature à porter préjudice à la société Andros,
Dit que la société Andros apparaît recevable dans sa demande tendant à voir mettre un terme au trouble illicite occasionné par la diffusion de cet argumentaire,
Ordonné, à titre de mesure de substitution aux demandes de la société Andros se heurtant à une difficulté matérielle, la publication de la présente décision, dans deux revues ou journaux au choix de la société Andros et aux frais de la société Hero, étant précisé que les frais de publication seront limités à 5 000 euro par publication,
Donné acte à la société Hero de ce que la diffusion de l'argumentaire litigieux est terminée,
Ordonné en tant que de besoin la cessation de l'utilisation de la vidéo susvisée sous quelque forme que ce soit, et plus généralement toute démarche commerciale fondée sur la publicité comparative ou le dénigrement visant directement ou indirectement la société Andros, sous astreinte de 10 000 euro par infraction constatée,
Rejeté la demande de provision de la société Andros, faute de justifier d'un préjudice avéré et chiffrable,
Condamné la société Hero à payer à la société Andros la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La société Hero a interjeté appel de cette ordonnance.
Vu les conclusions signifiées le 28 juillet 2008 par la société Andros
Vu les conclusions signifiées le 16 septembre 2008 par la société Hero.
Motifs
Sur la publicité comparative
Aux termes des dispositions de l'article L. 121-8 du Code de la consommation, " toute publicité qui met en comparaison des biens ou services en identifiant, implicitement ou explicitement, un concurrent ou des biens ou services offerts par un concurrent, n'est licite que si : (.....) 3°, elle compare objectivement une ou plusieurs caractéristiques essentielles, pertinentes, vérifiables et représentatives de ces biens ou services, dont le prix peut faire partie ".
Il n'est pas contestable, ni contesté, que les sociétés Hero et Andros sont des sociétés concurrentes et qu'elles commercialisent toutes deux des biens qui sont eux-mêmes en concurrence sur le marché des confitures.
Il est par ailleurs indifférent que la publicité en cause ait été limitée à des professionnels acheteurs de la grande distribution, centrales d'achats nationales pour les enseignes de la grande distribution ou acheteurs de magasins indépendants que la société Hero désigne comme étant " principalement " les magasins réunis sous l'enseigne Leclerc, alors que ces professionnels sont les prescripteurs des produits concernés auprès des consommateurs et que l'argumentaire litigieux n'est pas exclusivement destiné à un usage interne.
La diffusion de la clé USB constitue donc bien une publicité comparative, soumise comme telle aux dispositions précitées.
La société Hero se prévaut d'un sondage réalisé auprès de 500 foyers pour affirmer que ses recettes sont " jugées significativement meilleures que celles du leader par les consommateurs ", le leader du marché étant par ailleurs identifié visuellement comme étant la société Andros.
Cette affirmation est manifestement contraire aux dispositions de l'article L. 121-8 du Code de la consommation alors qu'elle porte sur une appréciation subjective, le goût, sans au surplus préciser quelle confiture commercialisée par la société Andros a, ou aurait, fait l'objet de la comparaison, cette dernière fabriquant des produits différents relevant de catégories distinctes.
La référence à des études réalisées par des " laboratoires indépendants ", dont au demeurant le niveau de certification n'est pas précisé et dont les résultats doivent être appréciés avec prudence, n'objective pas davantage les affirmations de la société Hero.
Outre le fait que la confiture Bonne Maman n'est pas une confiture allégée et relève donc d'une catégorie différente de la Confi'Pure, la traduction en termes de goût de la présence différenciée de composés aromatiques relève d'une appréciation nécessairement subjective et il ne peut être affirmé qu'il est " prouvé scientifiquement " que la technique utilisée (flash pasteurisation) " issue de la recherche et de l'expertise des ingénieurs de Hero permet de conserver tout le goût du fruit ", par opposition à la méthode traditionnelle qui détruit les arômes, alors que l'étude Symrise, sur laquelle l'argumentaire s'appuie, mentionne (page 8) comme seules " causes possibles des quantités plus faibles de composés aromatiques dans les produits Bonne Maman : - utilisation d'autres sortes de fraises, moins intenses en arômes, - pertes de façon supérieure à la proportionnelle en composés aromatiques lors de la fabrication, - très faible stabilité au stockage des composés aromatiques ", ce qui ne permet pas d'affirmer péremptoirement dans une logique simpliste que le procédé de fabrication " permet de conserver tout le goût du fruit ", ce qui est démontré " scientifiquement " par un " laboratoire indépendant " pour être ensuite " plébiscité par les consommateurs ".
Ce mode de raisonnement, inclus dans une publicité comparative, ne peut être tenu pour une comparaison objective.
En affirmant ensuite : " résultat : notre gamme a été élue saveur de l'année 2008 ", alors que les produits Andros n'ont pas participé à ce " concours ", la société Hero tente de faire accroire que son produit, plébiscité par les consommateurs au détriment de ceux " de la marque du leader du marché ", aisément identifiable comme étant la société Andros, a obtenu ce prix par comparaison avec ceux fabriqués par cette dernière ce qui est inexact et manque également à l'objectivité requise.
Enfin, des produits qui ne présentent pas les mêmes caractéristiques et comportent donc des différences notables de composition, la Confi'Pure étant un produit qui se présente comme allégé en sucre, sans colorant ni arôme, ni conservateur alors que la confiture Bonne Maman n'est pas un produit allégé, ne permettent pas une comparaison fondée sur des critères objectifs, pertinents et essentiels au sens des dispositions de l'article L. 121-8 du Code de la consommation.
C'est donc à juste titre que le premier juge a retenu que l'argumentaire diffusé par la société Hero constituait une publicité comparative illicite.
Sur le dénigrement
Aux termes des dispositions de l'article L. 121-9 du Code de la consommation, " la publicité comparative ne peut (.....) 2° entraîner le discrédit ou le dénigrement des marques, noms commerciaux, autres signes distinctifs, biens, services, activité ou situation d'un concurrent ".
la société Hero présente dans son argumentaire vidéo le marché de la confiture comme étant un marché en déclin, vieillissant et qui se banalise tout en insistant sur le fait que la société Andros en est le " leader " et en présentant des pots de confiture dont la marque Bonne Maman a été occultée, mais néanmoins aisément identifiables par la forme du pot de verre, de l'étiquette et le couvercle à motif " Vichy ", déposés à titre de marque figurative.
Ce faisant, la société Hero, sous couvert d'une présentation du marché, donne des produits de son concurrent une image vieillissante et dévalorisante caractérisant un acte de dénigrement.
Elle se limite, pour caractériser cette image dévalorisée du marché, à la seule évocation du " leader " du marché, dont elle a pris soin au préalable de préciser qu'il s'agissait de la société Andros, et à la présentation des conditionnements caractéristiques de la marque Andros.
Elle démontre ainsi qu'elle a agi sciemment à seule fin de jeter le discrédit sur la société qu'elle considère comme sa rivale directe.
Il importe peu que la société Andros utilise elle-même à des fins commerciales une image de tradition qui ne saurait se confondre avec l'image négative véhiculée par la vidéo en cause.
Cette action de dénigrement est d'autant plus grave qu'elle s'adresse aux professionnels qui vont eux-mêmes influencer dans leurs propres pratiques professionnelles l'orientation du marché.
C'est à juste titre que le premier juge a retenu que les propos et l'image de la société Andros, tels que présentés dans la vidéo litigieuse, sont constitutifs d'actes de dénigrement.
Sur la réparation du trouble illicite
La société Andros avait sollicité devant le premier juge le retrait, sous astreinte, des clés USB litigieuses.
Le premier juge, constatant que cette mesure de réparation était inapplicable y a substitué la publication de la décision dans deux revues ou journaux au choix de la société Andros, faisant par ailleurs injonction à la société Hero d'avoir à cesser l'utilisation du film litigieux, sous peine d'astreinte.
La société Andros estime que la mesure de publication est pleinement satisfactoire.
Il convient de confirmer la décision du premier juge la mesure de publication paraissant de mettre fin au trouble illicite résultant des faits évoqués ci-dessus et adaptée aux circonstances, en précisant toutefois, alors que les destinataires de l'argumentaire litigieux sont des professionnels, que cette publication sera effectuée dans des journaux professionnels ce qui permettra ainsi de donner toute son efficacité à la mesure ordonnée.
La société Andros sollicite par ailleurs une indemnité provisionnelle de 150 000 euro à titre de " réparation complémentaire de son préjudice ", demande dont elle a été déboutée par le premier juge qui a estimé que la société Andros ne justifiait pas d'un préjudice réel, certain et liquide.
Il n'est pas démontré que les faits évoqués aient causé un trouble commercial au-delà de celui réparé par la mesure de publication, aussi convient-il de confirmer la décision du premier juge.
Sur les frais irrépétibles
Il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Andros partie des frais irrépétibles qu'elle a pu exposer, et il convient de lui allouer à ce titre une somme de 5 000 euro.
Par ces motifs, LA COUR, Statuant par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l' article 450 du Code de Procédure Civile et après en avoir délibéré conformément à la loi, Confirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris Dit toutefois que la publication de la décision sera effectuée dans deux revues ou journaux professionnels, Condamne la société Hero France à payer à la société Andros France, en sus de la somme allouée à ce titre par le premier juge, la somme de 5 000 euro par application des dispositions de l' article 700 du Code de procédure civile , Condamne la société Hero France aux dépens de première instance et d'appel et autorise la SCP Grimaud, Avoués, à les recouvrer directement contre la partie condamnée.