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Décisions

CA Versailles, 14e ch., 13 janvier 2010, n° 09-08563

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Compagnie des gaz de pétrole Primagaz (SA)

Défendeur :

Butagaz (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Fedou

Conseillers :

Mme Andrich, M. Boiffin

Avocats :

SCP Jullien, Lecharny, Rol, Fertier, SCP Fievet-Lafon, Mes Delesalle, Fourgoux

T. com. Nanterre, du 29 sept. 2009

29 septembre 2009

Faits et procédure,

Les sociétés Primagaz et Butagaz sont deux sociétés concurrentes sur le marché de la distribution de gaz de pétrole liquéfié (GPL).

Courant juillet 2009, la société Butagaz a lancé sur son site internet [...] une nouvelle rubrique intitulée "Le Comparateur" qui expose sur différentes pages une comparaison des prix du gaz en bouteille et des prix du gaz en citerne des quatre principaux intervenants sur le marché.

Contestant l'objectivité de ce comparateur et estimant que son existence est constitutive d'un trouble manifestement illicite, la SA Compagnie des gaz de pétrole Primagaz a, par acte du 31 août 2009 , assigné en référé la SAS Butagaz, pour voir ordonner à cette dernière, sous astreinte par jour de retard, de cesser la diffusion de ce comparateur dans sa version actuelle sur son site internet et sur tout autre support, et pour voir ordonner à la défenderesse, également sous astreinte par infraction constatée et par jour de retard, à procéder à un certain nombre de modifications tant pour les comparaisons des prix du gaz en citerne que pour les comparaisons des prix du gaz en bouteille.

Par ordonnance de référé du 29 septembre 2009, le président du Tribunal de commerce de Nanterre a, vu l'absence de trouble manifestement illicite et de dénigrement, dit n'y avoir lieu à référé, renvoyé les parties à se pourvoir au fond et condamné la société Compagnie des gaz de pétrole Primagaz à payer à la société Butagaz la somme de 10 000 euro sur le fondement de l' article 700 du Code de procédure civile , déboutant les parties pour le surplus et condamnant la demanderesse aux dépens.

La société Compagnie des gaz de pétrole Primagaz a interjeté appel de cette ordonnance.

Autorisée par ordonnance du 5 novembre 2009 à assigner la société Butagaz à jour fixe pour l'audience du 2 décembre 2009 à 15 heures 30, la société Compagnie des gaz pétrole Primagaz expose que le comparateur Butagaz, qui s'analyse comme une publicité comparative, n'est pas conforme aux règles édictées par les articles L. 121-1 et suivants et L. 121-8 et suivants du Code de la consommation , telles qu'interprétées par la jurisprudence.

Elle fait valoir que ce comparateur méconnaît gravement la législation susvisée en ce qui concerne la comparaison des prix du gaz en citerne, puisque :

- la périodicité trimestrielle retenue par la société Butagaz pour les relevés de prix qu'elle compare ne garantit pas aux consommateurs que les prix comparés sont ceux réellement pratiqués par les sociétés concernées ;

- la société Butagaz a exclu de ses comparaisons les "remises" accordées par les sociétés concernées à l'ensemble de leur clientèle, alors que de telles remises font partie intégrante de la réalité de la politique tarifaire pratiquée à l'égard des consommateurs ;

- la société Butagaz procède à des "relevés de prix" auprès d'un panel de clients composé d'à peine "2 à 3 clients par marque".

Elle relève que, s'agissant des comparaisons sur les prix du gaz en bouteille, les comparaisons effectuées sont de nature à induire manifestement en erreur le consommateur moyen, dans la mesure où la présentation retenue sur chaque page internet (et plus particulièrement celle des graphiques) pour annoncer les prix pratiqués pour chaque type de bouteilles induit en erreur le consommateur moyen sur les auteurs véritables des prix pratiqués.

Elle souligne qu'au travers des slogans figurant sur la page de présentation générale du comparateur, la société Butagaz procède à des appréciations et jugements de valeur sur ses concurrents, lesquels dépassent largement le cadre empathique ou critique autorisé en matière de publicité et discréditent totalement lesdits concurrents aux yeux des consommateurs.

En conséquence, elle demande à la cour, en infirmant l'ordonnance entreprise, de :

- ordonner à la société Butagaz, sous astreinte de 10 000 euro par infraction constatée et par jour de retard passé le délai de 24 heures à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, de :

* en ce qui concerne les comparaisons des prix du gaz en citerne :

- procéder quotidiennement à la mise à jour du comparateur,

- intégrer dans ses comparaisons les remises accordées par la société Primagaz à sa cliente, telles que par exemple la remise estivale,

- recueillir les informations nécessaires auprès d'un panel de vingt clients minimum par marque ;

* en ce qui concerne les comparaisons des prix du gaz en bouteille :

- mentionner sous chaque graphique que "les prix moyens comparés sont ceux pratiqués par un panel de magasins de la grande distribution qui sont totalement libres de la fixation de leurs prix de revente" ;

- ordonner à la société Butagaz, sous astreinte de 10 000 euro par jour de retard passé le délai de 24 heures à compter de la signification de l'ordonnance à intervenir, de retirer de la page d'accueil du comparateur figurant sur le site [...] les termes suivants :

"faut-il nécessairement payer le prix fort pour avoir des produits de qualité'' et "constatez sans tarder que, parmi les grandes marques du secteur, une seule se différencie pour préserver votre pouvoir d'achat" ;

- se réserver le pouvoir de liquider, s'il y a lieu, les astreintes prononcées en application de l'arrêt à intervenir ;

- condamner la société Butagaz à payer à la société Primagaz la somme de 10.000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les entiers dépens.

La SAS Butagaz conclut à la confirmation en toutes ses dispositions de l'ordonnance entreprise et à la condamnation de la société Compagnie des gaz de pétrole Primagaz au paiement de la somme de 15 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile , ainsi qu'aux dépens.

Elle indique faire appel, pour la mise en place du relevé des prix et de la méthodologie de la comparaison, à une société tierce extérieure et indépendante, GFK, société de renommée mondiale qui intervient en France et en Europe pour la panélisation des marchés de biens durables et leurs consommables.

Elle expose, s'agissant du prétendu grief relatif à la comparaison sur les prix du gaz en citerne, que :

- il ressort de son site Internet que la comparaison a porté uniquement sur le barème public accessible à tous les opérateurs concernés et à l'exclusion des remises et de toute offre promotionnelle qui pourrait être proposée par chacun des fournisseurs de gaz ;

- dès lors que les barèmes des sociétés concernées ne sont pas modifiés à un rythme quotidien ou même hebdomadaire, il est totalement injustifié de réclamer une mise à jour quotidienne du site ;

- dans la mesure où les barèmes des fournisseurs de gaz sont des barèmes nationaux, deux à trois clients par marque et par trimestre paraissent largement suffisants comme reflétant parfaitement le prix public officiel décidé par chaque gazier pour le gaz en citerne.

Elle observe, s'agissant de la comparaison du prix du gaz en bouteille, que l'objection relative à l'identité des personnes qui proposent les prix est mal fondée, car cette identité est parfaitement clarifiée et connue du public, et, toujours pour le prix du gaz en bouteille, elle précise avoir choisi d'exclure de la comparaison les bouteilles de gaz 6 et 10 kg qui ne permettaient pas une comparaison réellement objective et identique entre les produits.

Elle relève que la présentation générale du comparateur sur son site n'est pas de nature à jeter le discrédit sur Primagaz, dans la mesure où il est démontré que les comparaisons figurant sur le site, dont il n'est pas allégué qu'elles soient trompeuses, sont établies par un organisme extérieur indépendant dont la fiabilité n'est pas sérieusement contestée.

Elle ajoute que la partie adverse ne démontre l'existence d'aucun préjudice qui lui aurait été causé depuis la mise en place de la comparaison et ne justifie pas d'un péril résultant d'hypothétiques pertes de clients ni d'une quelconque atteinte à son image auprès des consommateurs.

Motifs de l'arrêt :

Considérant qu'il y a lieu de joindre les instances enrôlées sous les numéros 09-8730 et 09-8563 ;

Considérant que selon l' article L. 121-8 du Code de la consommation transposant la directive n° 2006-114 du 12 décembre 2006 , la publicité comparative définie comme : celle portant sur des biens ou des services répondant aux mêmes besoins ou ayant le même objectif dont une ou plusieurs caractéristiques essentielles, pertinentes, vérifiables et représentatives dont le prix peut faire partie, sont comparées, est licite si elle n'est pas trompeuse ou de nature à induire en erreur ;

Que selon la jurisprudence communautaire, les conditions de licéité doivent être interprétées dans le sens le plus favorable à la publicité comparative considérée comme de nature à stimuler la concurrence entre les fournisseurs de biens et de services dans l'intérêt des consommateurs ;

Considérant que le site " [...] " offre, selon procès-verbal de constat dressé le 25 juillet 2009 à la requête de la société Compagnie des gaz de pétrole Primagaz, la possibilité de comparer le prix du gaz en citerne et celle de comparer le prix du gaz en bouteille ;

Considérant que la société Compagnie des gaz de pétrole Primagaz dénonce, en ce qui concerne la comparaison du prix du gaz en citerne, l'absence de mise à jour quotidienne des prix pratiqués par chacun des intervenants sur le marché et l'absence de prise en compte, en ce qui concerne les prix qui lui sont attribués, de la remise estivale offerte pour toute commande passée entre le 1er juin et le 31 août 2009 ;

Considérant sur le premier point que la société Compagnie des gaz de pétrole Primagaz soutient que la société Butagaz doit procéder à une mise à jour quotidienne des prix de son comparateur afin de garantir aux consommateurs que les prix comparés sont bien ceux qui sont pratiqués au moment où ils consultent ;

Qu'en l'absence de démonstration qu'une variation des prix pourrait intervenir de façon quotidienne et que son propre barème a été modifié sans que les exemples comparatifs en tiennent compte, la société Compagnie des gaz de pétrole Primagaz ne justifie pas du bien-fondé de sa prétention ;

Considérant, s'agissant de la seconde critique relative au gaz en citerne, que chacun des opérateurs économiques cité par le comparateur de prix figurant sur le site Butagaz, soit les sociétés Antargaz, Totalgaz, Compagnie des gaz de pétrole Primagaz et société Butagaz publie un barème de prix officiel dont il mentionne la date à partir de laquelle il prend effet ;

Que ce barème public, se déclinant dans le comparateur, selon l'âge de l'habitation pour laquelle une citerne est enterrée et une tonne de gaz est commandée, est le critère de comparaison retenu ;

Que les barèmes versés aux débats font apparaître que la société Primagaz contrairement à la société Butagaz ne fait, sur son barème officiel, aucune différence entre une basse ou haute saison ou entre une période hivernale ou une période estivale, se bornant à indiquer que les prix mentionnés qui décroissent en fonction de l'importance de la livraison sont applicables au 1er mars 2009 ;

Que la société Compagnie des gaz de pétrole Primagaz qui justifie avoir adressé à ses clients une offre promotionnelle les incitant, en leur octroyant des remises proportionnées au tonnage commandé, à commander pendant la période estivale , ne verse aucun document de nature à établir qu'à la date à laquelle elle a fait constater les éléments apparaissant sur le comparateur, les prix indiqués sur le comparateur ne correspondaient pas aux prix figurant sur son barème officiel ou que la société Butagaz ait introduit, dans les éléments de calcul la concernant, les incidences d'offres commerciales occasionnelles ;

Que la société Compagnie des gaz de pétrole Primagaz qui a choisi de ne pas pérenniser ou officialiser une offre qui à défaut d'être incluse dans le barème qu'elle-même édite, reste purement promotionnelle, ne peut reprocher à la société Butagaz dont le comparateur indique clairement que " les exemples présentés ont pour objet de comparer les prix des livraisons en gaz propane aux particuliers , ces prix n'incluent pas les remises ou toute offre de nature promotionnelle qui pourraient être proposées ", de ne pas mentionner le prix auquel pourrait prétendre un client de la société Compagnie des gaz de pétrole Primagaz bénéficiant de l'offre estivale ;

Considérant encore que la société Compagnie des gaz de pétrole Primagaz se borne à dénoncer le faible nombre de clients référents faisant partie du panel de comparaison sans apporter aucun élément de nature à établir que le choix de la société GFK de se reporter à deux ou trois clients référents par marque et par trimestre alors que l'élément de comparaison choisi est le barème officiel national de chaque marque, induirait une tromperie ou une erreur ;

Que le fait que la comparaison du prix du gaz en citerne selon les barèmes officiels de chacun des fournisseurs comparés apparaisse favorable à la société Butagaz ne peut à lui seul établir l'absence de licéité de la promotion de ses propres produits par l'intermédiaire de ce comparateur de prix ;

Considérant qu'en ce qui concerne le prix du gaz en bouteille, le comparateur se fonde non pas sur un barème officiel mais sur trois produits : le butane et le propane en bouteilles de 13 kilos et la bouteille de propane de 35 kilos dont les prix sont relevés dans 220 points de vente en France métropolitaine, hors Corse, ainsi qu'indiqué dans le paragraphe situé à gauche des graphiques intitulé " la méthodologie en résumé " ;

Que la société Compagnie des gaz de pétrole Primagaz reproche, l'absence d'indication du véritable auteur des prix constatés, à savoir le commerçant, alors que ceux-ci sont totalement libres de la fixation du prix de revente, faisant valoir qu'il est essentiel que le consommateur soit informé sans la moindre ambiguïté de l'identité des personnes qui pratiquent les prix faisant l'objet de comparaison ;

Considérant que si, sur la page concernée, pour le prix moyen de la bouteille de 13 kilos de butane, ne figure que le nom des fournisseurs soit Butagaz, Primagaz, Totalgaz et Antargaz, la société Compagnie des gaz de pétrole Primagaz ne produit aucun élément de nature à établir que l'échelle des prix mentionnés qui sont indiqués comme résultant d'une moyenne arithmétique, serait totalement faussée dans ses proportions par l'incidence de la liberté dont disposent les magasins de la grande distribution de fixer le prix de revente au regard des prix de vente dans ces magasins ;

Que dans la mesure où le consommateur ne peut ignorer que les grandes surfaces qui commercialisent des produits, comme tout distributeur indépendant, en fixent le prix en fonction de celui qu'elles obtiennent des fournisseurs ou producteurs, l'absence de précision de ce que ces commerçants sont totalement libres de la fixation des prix de revente, alors que le comparateur avise le lecteur éventuel de ce que le panel est constitué de 150 hypermarchés et de 77 supermarchés, ne constitue pas en soi, l'occultation d'une circonstance précise dont la connaissance serait de nature à faire reculer un nombre significatif de consommateurs ni une atteinte manifestement illicite aux droits de la société Compagnie des gaz de pétrole Primagaz dont le produit similaire est comparé selon un paramètre, certes favorable à la société Butagaz, mais matériellement exact et vérifiable ;

Qu'à défaut de démonstration de l'existence d'un trouble dont le caractère illicite doit être manifeste pour que le juge des référés soit tenu d'y mettre fin, il y a lieu de renvoyer la société Compagnie des gaz de pétrole Primagaz à se pourvoir devant le juge du fond ;

Considérant que la société Compagnie des gaz de pétrole Primagaz soutient encore qu'en interrogeant " faut-il payer le prix fort pour avoir des produits de qualité " et en affirmant qu'une seule marque " se différencie pour préserver votre pouvoir d'achat ", la société Butagaz fait apparaître les autres grands marques du secteur comme des profiteurs qui ne se soucient aucunement du pouvoir d'achat du consommateur et que de tels propos sont particulièrement dévastateurs dans un contexte de crise économique ;

Qu'il ne peut être retenu, avec l'évidence requise en référé, que le discrédit serait jeté sur la société Compagnie des gaz de pétrole Primagaz et ses produits par ce message publicitaire, destiné à présenter un comparateur du prix de certains produits similaires dont la confrontation notamment en ce qui concerne les prix, relève de la nature même de la publicité comparative et ne peut pas, en soi, entraîner le discrédit ou le dénigrement d'un concurrent qui pratique des prix plus élevés ;

Qu'en conséquence de tout ce qui précède, il y a lieu de confirmer l'ordonnance de référé entreprise ;

Considérant que la société Compagnie des gaz de pétrole Primagaz, renvoyée par le premier juge à se pourvoir au fond, succombe en son appel et doit être condamnée à verser à la société Butagaz la somme de 2 500 euro en remboursement des frais non compris dans les dépens ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant contradictoirement et en dernier ressort, Joint les instances enrôlées sous les numéros 09-8730 et 09-8563 ; Confirme l'ordonnance de référé rendue entre les parties le 29 septembre 2009 par le président du Tribunal de commerce de Nanterre ; Y ajoutant : Condamne la société Compagnie des gaz de pétrole Primagaz à verser à la société Butagaz la somme de 2 500 euro (deux mille cinq cents euro) en application de l' article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société Compagnie des gaz de pétrole Primagaz aux entiers dépens autorisation étant donnée aux avoués en la cause de les recouvrer conformément aux dispositions de l' article 699 du Code de procédure civile