CA Orléans, 10 juillet 2008, n° 07-01772
ORLÉANS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Continent France (SNC)
Défendeur :
Lidl (SNC)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Remery
Conseillers :
MM. Garnier, Monge
Avoués :
Me Bordier, SCP Desplanques-Devauchelle
Avocats :
Selarl JP Karsenty, Me Braun
Au cours d'une opération commerciale organisée en novembre 2004 à l'intérieur de son magasin à l'enseigne Carrefour, situé à Saint Pierre des Corps, la société Continent France a exposé des chariots remplis de marchandises et apposé des affiches comparant les prix d'une quarantaine d'articles offerts à la vente avec ceux pratiqués par les magasins concurrents Lidl et Netto. Estimant ces messages publicitaires constitutifs de concurrence déloyale et contraires aux règles sur la publicité comparative édictées par le Code de la consommation, la société Lidl a assigné, par acte du 23 novembre 2005, la société Continent en réparation de son préjudice.
Par jugement du 1er juin 2007, le Tribunal de commerce de Tours a dit que la société Continent n'avait pas respecté les dispositions des articles L. 121-8 et L. 121-9 du Code de la consommation et avait ainsi commis des actes de concurrence déloyale au détriment de la société Lidl, l'a condamnée en paiement de la somme de 60 000 euro à titre de dommages et intérêts outre celle de 3 000 euro sur le fondement de l' article 700 du Code de procédure civile , et a ordonné la publication de la décision à intervenir dans les journaux " La Nouvelle République " et " LSA " aux frais de la société Continent avec un coût maximal de 4 000 euro par insertion, ainsi que l'affichage de cette décision sur les portes et les vitrines du magasin Carrefour pendant quinze jours sous astreinte de 1 000 euro par jour de retard.
La société Continent France a relevé appel et demande à la Cour d'infirmer la décision entreprise, de débouter la société Lidl de ses demandes, la publicité litigieuse répondant aux exigences de la loi telles qu'interprétées par la jurisprudence communautaire et de condamner cette société à lui payer la somme de 10 000 euro pour procédure abusive. De son côté, la société Lidl conclut à la confirmation du jugement dans toutes ses dispositions.
Pour l'exposé complet des faits, de la procédure, ainsi que des prétentions et moyens des parties, qui seront analysés en même temps que leur discussion dans les motifs qui suivent, il est expressément renvoyé à la décision entreprise et aux conclusions signifiées les 31 octobre 2007 (société Continent France) et 20 mai 2008 (société Lidl).
A l'issue des débats, le président d'audience a indiqué aux parties que l'arrêt serait rendu le 10 Juillet 2008.
Sur quoi
Sur la publicité comparative illicite
Attendu que l'opération litigieuse a consisté pour la société Continent à exposer trois chariots remplis de produits ménagers et alimentaires provenant, pour l'un d'eux, de ses rayons, et pour les deux autres, des établissements à l'enseigne Lidl et Netto ; que ces chariots étaient surmontés d'un tableau comparatif sous la forme de tickets de caisse agrandis, répertoriant les marchandises concernées de chaque établissement avec l'annonce suivante : " Tous les jours Carrefour moins cher sur des produits de tous les jours aux prix les plus bas " et " Carrefour St Pierre des Corps : 16,66 % moins cher que Lidl St Avertin ", la valeur du chariot Lidl étant de 50,12 euro contre 41,77 euro pour celle de Carrefour ;
Qu'en dessous des listes de produits figurait la mention selon laquelle " ces totaux sont effectués après correction apportée en raison des différences de quantité ou de contenance pour quelques produits sur des produits comparables et constatés par Maître Bernard Batailly (huissier de justice à Tours) le 11 octobre 2004 ", une dernière indication informant les consommateurs que le constat établi par l'huissier était disponible pour consultation à l'accueil du magasin ;
Attendu qu'aux termes de l'article L. 121-8 du Code de la consommation , toute publicité qui met en comparaison des biens ou services en identifiant un concurrent ou des biens ou services offerts par un concurrent, n'est licite qu'à la condition de n'être pas trompeuse ou de nature à induire en erreur, de porter sur des biens ou services répondant aux mêmes besoins ou ayant le même objectif, et de comparer objectivement une ou plusieurs caractéristiques essentielles, pertinentes, vérifiables ou représentatives de ces biens ou services, dont le prix peut faire partie ;
Qu'en l'espèce, en dépit du fait que la société appelante soutient que la publicité comparative mise en œuvre respecte le texte précité, dans la mesure où la comparaison aurait porté sur des biens répondant aux mêmes besoins ou ayant le même objectif, conformément à la législation actuelle, et à la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes (arrêt du 19 septembre 2006) et non pas sur des produits identiques vendus dans les mêmes conditions comme prévu dans les dispositions antérieures à l' ordonnance du 23 août 2001 , il n'en reste pas moins, en premier lieu, que les échantillons des produits arbitrairement choisis par la société Continent ne sont pas réellement représentatifs des achats moyens en grande surface et sont en nombre beaucoup trop restreint pour justifier le bien fondé du thème publicitaire sous-jacent tendant à faire admettre aux consommateurs l'idée qu'elle vend tous ses produits " de tous les jours " moins chers que ses concurrents et notamment la société Lidl ; que sous couvert d'une comparaison de produits de consommation courante, la société appelante a, en réalité, entrepris une démarche visant à rechercher des prix inférieurs pratiqués par son enseigne par rapport à la concurrence alors que l'exigence d'objectivité aurait impliqué de sélectionner préalablement un panel représentatif des produits couramment utilisés, puis d'en faire ensuite la comparaison en termes de prix ;
Qu'ensuite, une publicité comparative portant sur les prix ne saurait concerner que des produits dont les caractéristiques essentielles doivent être significatives, pertinentes et vérifiables et que tel n'est pas le cas lorsqu'il s'agit de produits génériques de premier prix, identifiés par une simple appellation générale comme "cassoulet, raviolis, café moulu, confiture de fraise, etc", dont il n'est pas établi qu'ils aient eu le même fabricant, la même origine ni surtout les mêmes caractéristiques tant par leur composition et les ingrédients mis en œuvre, leur conditionnement, que leur qualité notamment gustative et donc le plaisir à les consommer ; qu'à cet égard, et sans qu'il soit nécessaire d'entrer dans le détail des marchandises invoquées par les parties, la comparaison des produits de marque de distributeur tient de la gageure, dès lors que, sans aucune précision, " le paquet de café pur robusta, la confiture avec 35 g de fruits et les raviolis à 4% de viande " de Carrefour sont forcément moins chers que " le paquet de café pur arabica, la confiture avec 50 g de fruits et les raviolis à 15 % de viande " de Lidl, et la publicité ainsi formulée ne permet pas de s'assurer que les produits répondent à un même besoin ; qu'en outre, une publicité comparative doit permettre aux personnes auxquelles elle s'adresse d'avoir une connaissance précise des données sur lesquelles se fonde la comparaison, et la seule présentation des tickets de caisse, alors que les chariots étaient recouverts d'une grille empêchant l'examen des articles, ne mettait pas les consommateurs en mesure de vérifier leurs caractéristiques essentielles propres à justifier les différences de prix ;
Attendu, enfin, que ni la société Continent, ni le constat de son huissier de justice, Maître Batailly, ne précisent la date du relevé des prix initiaux sur la base desquels la publicité comparative a été élaborée, ce qui, comme le relève la société Lidl, peut dissimuler un ajustement provisoire de certains prix, pour les seuls besoins de la cause ;
Attendu qu'il résulte de tout ce qui précède que les pratiques publicitaires de la société Continent ont été déloyales à l'égard de sa concurrente directe comme ayant eu pour objet de détourner, avec des arguments tendancieux, une clientèle commune, et que le jugement mérite confirmation de ce chef ;
Sur les préjudices
Attendu qu'ayant procédé à une publicité comparative illicite constitutive de concurrence déloyale, la société Continent a ainsi causé un trouble commercial à sa concurrente, et qu'un préjudice, fût-il moral, s'infère nécessairement du seul dénigrement commis ; que, néanmoins, à défaut de pouvoir apprécier l'étendue du préjudice allégué à hauteur de 60 000 euro, dès lors que la société intimée ne rapporte pas la preuve d'un détournement effectif de clientèle ou d'une baisse de chiffre d'affaires, la Cour allouera, par infirmation du jugement sur ce point, la somme de 2 000 euro à la société Lidl à titre de dommages et intérêts, et confirmera, pour le surplus, les publications et affichages ordonnés par le Tribunal, dans les conditions précisées dans le dispositif du présent arrêt ;
Que le sens du présent arrêt implique de rejeter la demande en dommages et intérêts pour procédure abusive formée par la société Continent, l'argument selon lequel cette société aurait pu ne pas conserver pendant un an les éléments justificatifs de la publicité manquant de pertinence puisque les documents comptables et les pièces justificatives des commerçants doivent, selon l'article L. 123-22 du Code de commerce, être conservés pendant dix ans ;
Attendu que la société Continent supportera les dépens d'appel et versera, en outre, la somme de 5 000 euro à la société Lidl sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort ; Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a retenu que la publicité comparative mise en œuvre par la société Continent France, à l'enseigne Carrefour à Saint Pierre des Corps, était illicite et par suite déloyale ; L'infirmant quant au quantum de la condamnation ; Et statuant à nouveau ; Condamne la société Continent France à payer à la société Lidl la somme de 2 000 euro à titre de dommages et intérêts ; Ordonne la publication du présent arrêt dans deux quotidiens ou revues du choix de la société Lidl sans que le coût des insertions supporté par la société Continent France ne dépasse la somme de 4 000 euro HT par insertion ; Ordonne également l'affichage du dispositif du présent arrêt à l'entrée principale du magasin Carrefour de Saint Pierre des Corps pendant 15 jours sous astreinte de 1 000 euro par jour de retard à compter de l'expiration d'un délai de 10 jours après la signification de la présente décision ; Condamne la société Continent France aux dépens d'appel et à verser la somme de 5 000 euro à la société Lidl par application de l' article 700 du Code de procédure civile ; Accorde à la SCP Desplanques-Devauchelle, titulaire d'un Office d'Avoué, le droit reconnu par l'article 699 du même Code.