Livv
Décisions

CA Aix-en-Provence, 1re ch. B, 28 octobre 2010, n° 10-07822

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Segeric

Défendeur :

Promondo (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Grosjean

Conseillers :

MM. Naget, Fournier

Avoués :

SCP Maynard-Simoni, SCP Tollinchi Perret-Vigneron-Baradat-Bujoli-Tollinchi

Avocats :

Mes Touboul, Stifani, Settineri

TGI Grasse, du 22 mars 2010

22 mars 2010

EXPOSÉ DES FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS

M. André Segeric a reçu des courriers de la société Promondo, exerçant sous l'enseigne Vital Confort, lui annonçant un gain. Il a mis cette société en demeure de s'exécuter, mais en vain.

Le 19 juin 2008, M. André Segeric a fait assigner la SAS Promondo devant le Tribunal de grande instance de Grasse en paiement des gains promis.

Par jugement en date du 22 mars 2010, le Tribunal de grande instance de Grasse a :

- débouté M. André Segeric de sa demande fondée sur les dispositions des article 1371 du Code civil et L. 121-36 du Code de la consommation,

- débouté M. André Segeric de sa demande fondée sur l'article 1382 du Code civil

- débouté la SAS Promondo de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,

- condamné M. André Segeric aux dépens,

- dit n'y avoir lieu à condamnation au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par déclaration de la SCP Maynard et Simoni, avoués, en date du 22 avril 2010,

M. André Segeric a relevé appel de ce jugement.

L'affaire a été fixée à bref délai, en application des dispositions de l'article 910 alinéa deux du Code de procédure civile.

Par ses conclusions, déposées et notifiées le 15 juillet 2010, M. André Segeric demande à la cour d'appel, au visa des articles 1370, 1371 du Code civil et L. 121-36 du Code de la consommation, de :

- réformer le jugement,

- condamner la SAS Promondo au paiement d'une somme de 56 000 euro avec intérêts au taux légal à compter de la décision, au titre de l'engagement unilatéral de l'intimée, subsidiairement en application de l'article 1382 du Code civil,

- condamner la SAS Promondo au paiement d'une somme de 2 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la SAS Promondo aux entiers dépens, ceux d'appel distraits au profit de la SCP Maynard et Simoni, avoués.

M. Segeric expose avoir reçu de Vital Confort une attestation de gain de 22 500 euro le 16 octobre 2007, une autre lettre de paiement pour une somme de 15 500 euro et un troisième courrier lui annonçant un gain de 18 000 euro le 16 novembre 2007.

M. Segeric estime que la présentation de ces documents donnait à penser que le gain était attribué de manière certaine.

Il considère à titre subsidiaire, que si ce document doit être considéré comme une loterie, celle-ci est faite en contravention avec les dispositions de l'article L. 121-36 du Code de la consommation.

Il estime subsidiairement avoir été victime d'une tromperie, et que la société Promondo a commis une faute engageant sa responsabilité délictuelle.

Par ses conclusions, déposées et notifiées le 3 septembre 2010, la SAS Promondo demande à la cour d'appel, au visa des articles 1371 et 1382 du Code civil, de :

- confirmer le jugement,

- condamner M. Segeric au paiement d'une somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner M. Segeric aux entiers dépens, ceux d'appel distraits au profit de la SCP Tollinchi Perret-Vigneron Bujoli-Tollinchi, avoués.

La société Promondo estime que l'aléa figurant dans ce courrier promotionnel était apparent et que M. Segeric était prévenu qu'il participait à un jeu dont le gain annoncé était soumis à aléa.

Elle estime avoir respecté les dispositions du Code de la consommation alors qu'il n'y avait pas d'obligation d'achat. Elle considère qu'aucune faute ne peut lui être reprochée.

MOTIFS,

Les faits :

M. Segeric produit plusieurs courriers qui lui ont été adressés par la société Promondo à l'enseigne Vital Confort :

- un courrier du 16 octobre 2007 ainsi présenté : "procès-verbal de gain (...) Mr Segeric est déclaré gagnant devant témoins (...) cher Monsieur Segeric, c'est vous qui allez recevoir votre chèque officiellement gagné (...) je vous confirme son montant : 22 500 euro (...) Rappel : si vous ne renvoyez pas votre bon d'acceptation du chèque dans les délais, vous perdrez automatiquement le prix que vous avez gagné", avec joint un "ordre de paiement au profit de Mr Segeric",

- à la suite de la réponse de M. Segeric demandant, avec une commande, l'envoi de chèque, un courrier du 22 novembre 2007 ainsi libellé : "dossier vainqueur" et "tous nos compliments, Monsieur Segeric, vous avez gagné. C'est très sérieux, Un prix versé par chèque à votre bénéfice est bien pour vous. Vous l'avez gagné dans le cadre de notre grand jeu (...) Mr André Segeric vous êtes désigné gagnant d'un prix versé par chèque (...)", auquel était joint un document intitulé "Confirmation officielle d'envoi de chèque. Notification de gain." plus un autre document dénommé "certificat attributif de gain" précisant : "Mr André Segeric. Nous avons bien reçu votre commande et nous vous remercions de votre fidélité. C'est pourquoi nous vous envoyons ce courrier car vous êtes le grand et heureux gagnant de l'extraordinaire somme de 22 500 euro (...) communiqué officiel, Monsieur André Segeric ; la signature ci-contre confirme bien votre statut de grand gagnant" et comportant la mention : "attestation personnelle: je soussignée Irène Richard, directrice financière de Vital Confort certifie par la présente qu'un seul bordereau de garantie de versement de gain N° (...) nominatif a été remis à Monsieur André Segeric et qu'à ce titre il peut prétendre à la remiser de 22 500 euro (...)"

- un courrier du 25 octobre 2007 comprenant plusieurs documents :

- "Titre de remise d'un chèque (...) Monsieur Segeric, nous devons vous remettre le chèque spécial que vous avez gagné (...) Certificat de remise de 15 000 euro",

- "ordre officiel (...) Monsieur André Segeric, le résultat est confirmé (...) vous êtes autorisé à solliciter la somme exceptionnelle de 15 500 euro (...) Mr Segeric, je souhaiterais vivement vous adresser par pli postal recommandé avec AR à votre adresse personnelle (...) ce chèque de 15 500 euro. Il est déjà établi, signé et en attente d'être adressé

- "déclaration de mise à disposition des fonds (...) service de contrôle et d'attribution des plaques officielles de paiement 15 500 euro",

- "lettre de paiement Cher gagnant, Par la présente, j'atteste que notre huissier de justice a procédé au tirage des 15 500 euro et j'ai l'honneur de vous annoncer que vous êtes notre grand gagnant. Ce n'est pas une éventualité mais une certitude",

- "certificat attributif (...) grand gagnant unique",

- "avis recommandé de gain".

- un courrier du 18 novembre 2007 : "tous mes compliments Monsieur Segeric vous avez gagné nous devons vous verser la somme de 18 000 euro (...) confirmation officielle d'envoi de chèque" et avec une "notification définitive de versement".

M. Segeric, n'ayant pas reçu les gains promis malgré ses demandes, adressa à la société Promondo une lettre recommandée avec avis de réception, reçue le 28 janvier 2008 par cette société. Il mit en demeure cette société de versement ces sommes de 22 500 euro, 15 500 euro et 18 000 euro, soit 56 000 euro.

- Le droit :

M. Segeric fonde sa demande à titre principal sur l'article 1371 du Code civil.

L'article 1371 dispose que les quasi-contrats sont les faits purement volontaires de l'homme, dont il résulte un engagement quelconque envers un tiers, et quelquefois un engagement réciproque des deux parties.

Sur ce fondement, il doit être retenu que l'organisateur d'une loterie, qui annonce un gain à une personne dénommée sans mettre en évidence à première lecture l'existence d'un aléa, s'oblige par ce fait purement volontaire à le délivrer.

Les documents adressées de manière réitérée par la société Promondo à M. Segeric ne mettent pas en évidence à première lecture, ni même à deuxième lecture, l'aléa qui établirait aux yeux d'un destinataire normalement attentif que l'expéditeur ne s'est pas formellement et volontairement engagé à remettre le gain annoncé.

Malgré le renvoi équivoque à un règlement expliquant en un texte difficilement lisible et peu intelligible, présenté sous une forme compacte et rebutante, en petits caractères, qu'il ne s'agit que du droit de participer à une loterie dont le gagnant recevra cette somme, ce courrier est de nature à persuader tout destinataire moyen que cette somme est gagnée avec certitude.

Tous les documents et toutes les formules utilisées par la société Promondo sont révélateurs d'une volonté de faire croire à l'existence certaine d'un gain, et les clauses de réserve pour aléa sont si ambiguës que le consommateur moyen ne s'en aperçoit pas. La mention en petits caractères dans l'un des documents "jeu gratuit. Attribution soumise à aléa" à côté des mentions en gros caractères annonçant que le gagnant est M. Segeric ne permet pas au lecteur d'imaginer que son gain annoncé avec certitude est en réalité soumis à aléa. Cette mention est révélatrice de la volonté de la société Promondo de faire semblant de prévenir d'un aléa, pour tenter d'échapper à la loi, alors qu'elle seule sait qu'elle joue avec les destinataires de ces courriers un jeu auquel ceux-ci n'ont pas conscience de se prêter.

La société Promondo sera condamnée à verser les sommes promises.

Compte tenu de ce qu'il est fait droit à la demande présentée au principal, il n'y a pas lieu de se prononcer sur les demandes subsidiaires.

Par ces motifs : Statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe, Infirme le jugement rendu le 22 mars 2010 par le Tribunal de grande instance de Grasse, Condamne la société Promondo SAS à payer à M. André Segeric la somme de cinquante-six mille euro (56 000 euro), Condamne en outre la société Promondo SAS à payer à M. André Segeric Alice Avantages la somme de 1 500 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Promondo SAS aux dépens et autorise la SCP Maynard et Simoni, avoués à recouvrer directement contre elle les dépens dont elle affirme avoir fait l'avance sans avoir reçu provision.