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Décisions

CA Poitiers, 3e ch. civ., 15 février 2012, n° 11-00201

POITIERS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

D. Duchesne (SA)

Défendeur :

Amblard

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Jeanpierre-Cleva

Conseillers :

MM. Charlon, Ralincourt

Avocats :

SCP Musereau-Mazaudon-Provost-Cuif, SCP Paille-Thibault-Clerc

TGI Saintes, du 24 déc. 2010

24 décembre 2010

Vu le jugement en date du 24 décembre 2010 par lequel le Tribunal de grande instance de Saintes a :

- condamné la société D. Duchesne, exerçant sous l'enseigne "TV Direct Distribution", à payer à Jean-Michel Amblard la somme de 10 000 euro,

- débouté Jean-Michel Amblard de sa demande en dommages et intérêts,

- condamné la société D. Duchesne aux dépens et au paiement de la somme de 1 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Vu l'appel interjeté contre cette décision par la société D. Duchesne le 7 janvier 2011 ;

Vu les conclusions en date du 25 mai 2011 par lesquelles la société D. Duchesne demande :

- d'infirmer le jugement entrepris,

- de constater que le régime des quasi-constats est inapplicable,

- de dire que le litige relève des articles L. 121-36 et suivants du Code de la consommation,

- de constater que les jeux publicitaires diffusés par la société D. Duchesne sont parfaitement licites,

- en tout état de cause, de dire que l'engagement dont se prévaut Jean-Michel Amblard est sans cause et donc nul,

- de dire que la société D. Duchesne a mis en évidence l'existence d'un aléa,

- de débouter Jean-Michel Amblard de ses demandes,

- de la condamner aux dépens et au paiement de la somme de 2 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Vu les conclusions en date du 21 juillet 2011 par lesquelles Jean-Michel Amblard demande :

- de débouter la société D. Duchesne de ses prétentions,

- de confirmer le jugement du tribunal de grande instance de Saintes,

- subsidiairement, et pour le cas où il serait jugé que la société D. Duchesne n'a pas commis de faute contractuelle, de condamner dans tous les cas la société D. Duchesne,

- de condamner la société D. Duchesne aux dépens ;

MOTIFS DE LA DÉCISION

La société anonyme de droit belge D. Duchesne exerce une activité de vente à distance sous l'enseigne TV Direct Distribution ; elle a adressé plusieurs courriers à Jean-Michel Amblard qui considère que ces envois lui attribuaient la somme de 10 000 euro dont il réclame le paiement en application de l'article 1371 du Code civil, alors que la société D. Duchesne estime cette demande irrecevable et infondée.

L'article 1371 du Code civil consacre l'existence du quasi-contrat par lequel une personne s'engage volontairement envers un tiers ; cette obligation légale n'est pas soumise aux prescriptions des articles 1108 et suivants du Code civil, applicables aux seuls contrats ; elle n'a pas plus de caractère délictuel ou quasi-délictuel et il importe donc peu que la loterie organisée par la société D. Duchesne fût licite et respectât les dispositions de l'article L. 121-36 du Code de la consommation, enfin, s'agissant d'une loterie autorisée par la loi, elle n'entre pas dans le champ d'application de l'article 1965 du Code civil qui ne concerne que les jeux et paris contraires à l'ordre public.

Dès lors les prétentions de Jean-Michel Amblard sont recevables et il convient d'en examiner le bien-fondé au regard des seules dispositions de l'article 1371 du Code civil.

L'un des courriers reçus par Jean-Michel Amblard, lui annonçait que "le grand tirage de la remise Définitive des 10 000 euro a eu lieu et [que] votre chèque vous attend (...) ce n'est pas tous les jours que l'on peut se vanter de gagner un jeu d'argent dont l'unique chèque bancaire s'élève à 10 000 euro ! Mais c'est bien votre cas aujourd'hui" et l'organisateur de la loterie demandait au destinataire de "valider" ses informations personnelles en expliquant : "nous devons transmettre votre dossier gagnant aux services compétents en charge de la remise de votre chèque, quel qu'il soit, une erreur pourrait remettre en cause son attribution" ; il était encore demandé à Jean-Michel Amblard de réclamer son chèque dans les huit jours, car "passé ce délai, vous cédez irrévocablement vos droits à la remise définitive des 10 000 euro quoi qu'il devait arriver".

Jean-Michel Amblard a aussi reçu une enveloppe où était mentionnée "Gagnant Confirmé" - "Envoi de votre chèque en attente du retour des documents inclus dans ce courrier". À l'intérieur, un "avis de paiement" lui certifiait nommément qu'il avait "définitivement gagné un chèque validé n° 213891405 grâce à votre Numéro Personnel qui a été officiellement désigné gagnant sous le contrôle de l'huissier de justice" et lui garantissait "Obligatoirement (...) l'envoi du chèque de 10 000 euro à (son) propre bénéfice". Suivait la "procédure de remise de chèque" expliquant que "l'attribution du chèque de 10 000 euro (...) a été placée sous contrôle officiel. Aussi vous pouvez être assuré que le chèque validé (...) vous sera remis dès réception de votre demande !". Sur une autre partie de la même page : "Votre numéro Attribué (...). Montant du Chèque Bancaire 10 000 euro (...) Mode de Paiement souhaité des 10 000 euro : Chèque bancaire". Toujours sur la même page un simili-chèque à l'ordre de M. Amblard (sic) précisait notamment "somme à réclamer par M. Amblard - Montant en lettre Dix Mille Euros", le montant en chiffre étant indiqué trois fois sur ce simili-chèque.

Au verso de ce document, est détaillée la "Procédure de Remise de Chèque" - "C'est sous Contrôle officiel que s'est faite l'attribution des 10 000 euro. À la demande de la Direction générale, l'attribution du chèque de 10 000 euro dont je vous fais part personnellement dans cette lettre, a été placée sous contrôle officiel. Aussi, vous pouvez être assuré que le chèque validé N° 213 891 405 vous sera bien envoyé dès réception de votre demande ! (...) Commander n'est pas obligatoire mais c'est le meilleur moyen de recevoir à coup sûr votre chèque validé N° 213 891 405 que vous avez définitivement gagné (...)."

Un autre envoi intitulé "acte officiel de gain" reconnaissait "officiellement" Jean-Michel Amblard "gagnant et (...) donc bénéficiaire garanti d'un chèque" et il était précisé que "Jean-Michel Amblard peut prétendre à l'unique chèque bancaire de 10 000 euro (...) nous vous garantissons dès réception de votre commande la remise de votre chèque sous 15 jours", ces considérations étant accompagnées d'un bandeau vertical : "conclusions définitives".

Jean-Michel Amblard a reçu d'autres courriers aux contenus similaires, dont les exemples suivants :

- "postulat de paiement officiel - Monsieur Amblard c'est le plus beau jour de votre vie. À l'instant même, ce mardi 19 août 2008 à 15 h, vous venez d'être déclaré comme le seul Grand Gagnant du Chèque Unique de 10 000 euro à votre bénéfice exclusif. C'est incontestable ! Ce chèque de 10 000 euro va vous être envoyé à votre adresse, par pli spécial recommandé. C'est un engagement définitif de notre part."

- "Il est confirmé que M. Amblard recevra bien le règlement de 10 000 euro (...) sous huit jours maximum" ;

- "Nous devons vous expédier ce chèque bancaire certifié de 10 000 euro établi à votre ordre (...) les conclusions du procès-verbal rédigé par l'huissier de justice attestent de façon tout à fait formelle votre statut de gagnant confirmé" ;

- "Dernier avis. Je comprends qu'en lisant ce courrier, vous puissiez avoir des doutes et pourtant c'est incontestable et je tiens à vous le confirmer à nouveau personnellement : le courrier que vous avez entre les mains n'est pas un jeu mais bien un courrier important vous concernant" et dès réception d'une commande, "j'aurai le plaisir de procéder officiellement et immédiatement à l'envoi à votre domicile d'un règlement soit 10 000 euro cash".

La société D. Duchesne a aussi joué sur l'ambiguïté de vocabulaire ; ainsi dans le document intitulé "confirmation expresse de remise" elle écrit : "M. Amblard, le règlement de "10 000 euro en un seul versement" que la direction générale m'a demandé de vous envoyer est prêt ! M. Amblard est bien la seule personne concernée ! - Pour recevoir le chèque de 10 000 euro à votre nom M. Amblard il vous suffit de nous retourner dans les délais requis les bons documents sont attendus par l'huissier" et plus loin sur la même page : "Engagement de Remise de Règlement" - Il est confirmé que M. Amblard recevra bien le règlement de "10 000.00 euro en un seul versement" à l'adresse indiquée ci-dessus (...) s'il commande au moins un article dans le catalogue joint."

Dans ce courrier la société D. Duchesne profite de la polysémie du mot "règlement" qui de prime abord apparaît utilisé comme signifiant l'action de payer la somme de 10 000 euro au destinataire, mais qui renvoie aussi, mais beaucoup plus discrètement, à la règle "d'une prochaine version" du jeu AT803 puisqu'il faut se reporter à un cartouche écrit perpendiculairement aux autres mentions de ce courrier.

Le même procédé est employé lorsque la société D. Duchesne écrit que la carte nationale de gagnant de Jean-Michel Amblard est son 'assurance d'être bénéficiaire gagnante à notre jeu : "le chèque de 10 000 euro est uniquement pour vous !", où ce qui apparaît à la première lecture comme l'annonce d'une bonne nouvelle - confortée par d'autres éléments comme un "certificat d'attribution de Gain National" - n'est en réalité que le titre même du jeu.

Par ailleurs, si dans les courriers adressés à Jean-Michel Amblard figure un extrait du règlement du jeu auquel il participait, la présentation de cet extrait est fait à chaque fois sous forme d'une bloc typographique compact en lettres capitales, sans interlignes, ce qui en rend la lecture particulièrement rebutante, en contraste avec la variété des typographies, de la mise en pages, des couleurs, des formules exclamatives et mélioratives employées par la société D. Duchesne dans les autres parties vantant le gain de 10 000 euro, de sorte que toute l'attention du destinataire était concentrée sur les assertions personnalisées qui le portaient à croire de bonne foi qu'il était l'unique gagnant du lot principal désigné par le prétirage.

Ainsi dans ses courriers successifs la société D. Duchesne a asséné Michel Amblard des formules péremptoires sur le "postulat" (c'est à dire selon le dictionnaire, un principe indémontrable qui paraît légitime, incontestable) qu'il est était "irrévocablement", "strictement et définitivement", "obligatoirement", "à coup sûr", "officiellement", "réglementairement", "formellement" le seul et unique gagnant d'un chèque de 10 000 euro et, confronté à de telles assertions, le destinataire ne pouvait, à première lecture et dès l'annonce du gain, en déduire que le résultat du jeu se trouvait en réalité soumis à un aléa et que seul un pré-tirage avait été effectué sans que soit encore désigné le gagnant du lot principal.

Il en résulte que la société D. Duchesne s'est obligée, par ces faits purement volontaires, à délivrer le gain de 10 000 euro à Jean-Michel Amblard et il convient en conséquence de confirmer la décision entreprise.

Par ces motifs : LA COUR ; Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 24 décembre 2010 par le Tribunal de grande instance de Saintes ; Y ajoutant : Déboute la société D. Duchesne de ses demandes ; La condamne aux dépens ; Admet la SCP Paillé-Thibault-Clerc au bénéfice du recouvrement direct des dépens dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision.