Livv
Décisions

CA Dijon, 1re ch. civ., 31 mai 2012, n° 10-02334

DIJON

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Garage Gremeau (SAS)

Défendeur :

Etoile 21 (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Jourdier

Conseillers :

MM. Plantier, Besson

Avoués :

Me Gerbay, SCP Fontaine Tranchand, Soulard

Avocats :

Mes Guigue, Mathieu, Chiron

T. com. Dijon, du 7 oct. 2010

7 octobre 2010

EXPOSÉ DES FAITS, DE LA PROCÉDURE et DES PRÉTENTIONS DES PARTIES :

La société Garage Gremeau a été, depuis 1982 et jusqu'au 1er juillet 2003 sur le territoire de Dijon, concessionnaire exclusif (réparateur agréé et distributeur exclusif) de la marque automobile Mercedes-Benz. Après avoir décidé de procéder à une importante restructuration de son réseau de distribution de véhicules automobiles, la société Daimler Chrysler France, exploitante de cette marque, a notifié à la société Garage Gremeau, par lettre recommandée avec accusé de réception du 25 juin 2001, la résiliation de son contrat de concession exclusive, moyennant un préavis de deux ans expirant le 30 juin 2003.

Par courrier en date du 25 septembre 2001, la société Garage Gremeau a contesté cette résiliation.

Le 31 juillet 2002, le Règlement CE 1400-2002 a supprimé le système de concession exclusive pour lui substituer un système de distribution sélective, lequel s'est imposé, à compter de cette date, à tous les fabricants automobiles. Selon ce règlement, le fournisseur est tenu :

- d'agréer en tant que réparateur officiel tout candidat satisfaisant à des critères objectifs de sélection, mis en œuvre de façon non discriminatoire ;

- d'agréer en tant que distributeur de véhicules neufs, tout candidat respectant des critères de sélection qualitative, sous réserve de la possibilité pour le fournisseur de restreindre le nombre de distributeurs.

Par courrier en date du 28 septembre 2002, la société Garage Gremeau a présenté sa candidature à la société Daimler Chrysler France afin d'être agréée, conformément aux critères de sélection mis en place par la société Daimler Chrysler France, en qualité de distributeur et de réparateur de la marque Mercedes Benz.

Le 2 octobre 2002, la société Daimler Chrysler France a cependant refusé verbalement d'agréer la société Garage Gremeau en tant que distributeur Mercedes Benz, faisant le choix d'agréer M. Jean-Claude Bernard et M. Michel Chwatacz pour le secteur de Dijon. Ces derniers ont reçu confirmation de cet accord au mois de janvier 2003, et ont créé la société Etoile 21.

En réponse à une nouvelle demande formée par la société Garage Gremeau par lettre du 6 février 2003, la société Daimler Chrysler France a réitéré sa position par courrier du 18 février 2003, et lui a refusé son agrément en tant que distributeur Mercedes Benz. Le 18 juin 2003 elle agréait la société Etoile 21 en qualité de réparateur puis en qualité de distributeur de voitures neuves, à compter du 1er juillet 2003.

Par acte d'huissier du 23 juin 2003, la société Garage Gremeau a fait assigner la société Daimler Chrysler France devant le Tribunal de commerce de Dijon en référé, pour être judiciairement agréée à compter du 1er juillet 2003, à tout le moins en qualité de réparateur officiel de la marque Mercedes Benz.

Par ordonnance du 30 juin 2003, la société Daimler Chrysler France a été condamnée, sous astreinte de 100 000 euro par jour de retard, à agréer la société Garage Gremeau en qualité de réparateur officiel Mercedes Benz. La décision a été confirmée par un arrêt de la Cour d'appel de Dijon du 29 janvier 2004, et le pourvoi formé à l'encontre de celui-ci a été rejeté par arrêt de la Cour de cassation en date du 9 juin 2005.

Parallèlement à cette procédure de référé, la société Garage Gremeau a également fait assigner, selon acte d'huissier du 27 juin 2003, la société Daimler Chrysler France devant le juge du fond, afin d'obtenir son agrément en qualité de réparateur et de distributeur Mercedes Benz, et à titre subsidiaire, de la voir condamner à lui payer la somme de 6 171 903 euro à titre de dommages-intérêts.

Par jugement en date du 25 septembre 2003, confirmé en toutes ses dispositions par un arrêt de la Cour d'appel de Dijon du 1er avril 2004, le Tribunal de commerce de Dijon a condamné la société Daimler Chrysler France à agréer la société Garage Gremeau en qualité de réparateur Mercedes Benz, déboutant toutefois celle-ci de sa demande tendant à être agréée en qualité de distributeur.

Par arrêt en date du 28 juin 2005 rectifié le 12 juillet 2005, la Cour de cassation a cassé et annulé l'arrêt du 1er avril 2004 rendu par la Cour d'appel de Dijon en ce qu'il a dit que la société Daimler Chrysler France avait pu sans faute refuser l'agrément de la société Garage Gremeau en qualité de distributeur de véhicules neufs et a renvoyé la cause et les parties devant la Cour d'appel de Paris. L'affaire est toujours pendante, ayant fait l'objet d'un sursis à statuer en raison d'une procédure pénale.

Par arrêt du 7 mars 2006, la Cour de cassation a rejeté le grief, formé à l'encontre des dispositions du même arrêt du 1er avril 2004, par lesquelles la Cour d'appel de Dijon avait condamné la société Daimler Chrysler France à agréer la société Garage Gremeau en qualité de réparateur Mercedes Benz.

Par acte du 6 mai 2004, la société Garage Gremeau a fait délivrer une assignation à bref délai à la société Etoile 21 devant le Tribunal de commerce de Dijon, lui reprochant des actes de concurrence déloyale à son encontre de nature à engager sa responsabilité délictuelle, et demandant la condamnation de la société Etoile 21 à lui verser diverses sommes à titre de dommages et intérêts, outre le paiement d'une somme de 15 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

A la suite des plaintes pénales avec constitution de partie civile qu'elle a déposées le 30 juillet 2004 à l'encontre de M. Didier Guillemin, l'un de ses anciens employés, et des sociétés Etoile 90 et Etoile 21 et de leur dirigeant légal, M. Jean-Claude Bernard, la société Garage Gremeau a demandé au tribunal, par conclusions du 9 septembre 2004, le prononcé d'un sursis à statuer dans l'attente de l'issue de l'instruction de ces plaintes.

Par jugement du 25 novembre 2004, le tribunal a ordonné le sursis à statuer. La société Garage Gremeau s'est par la suite désistée de sa plainte, et une ordonnance de non-lieu a été rendue considérant que les faits dénoncés n'étaient pas caractérisés.

Suite à la demande formée par la société Garage Gremeau, le même tribunal a ordonné, le 1er juin 2006, la radiation et le retrait du rôle de l'instance engagée sur l'assignation à bref délai.

Par acte en date du 24 juillet 2006, la société Garage Gremeau a de nouveau assigné la société Etoile 21 et demandé au tribunal de constater que la société Etoile 21 s'était rendue coupable d'actes de concurrence déloyale.

En l'état de ses dernières écritures présentées au tribunal, la société Garage Gremeau a demandé à titre principal :

- de voir condamner la société Etoile 21 au paiement de la somme de 7 457 029,66 euro au titre d'actes de concurrence déloyale résultant du débauchage de la plupart de ses salariés, avec publication de la décision à intervenir dans 4 journaux, ainsi que la somme de 20 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- de disjoindre la demande reconventionnelle de la société Etoile 21 et de surseoir à statuer dans l'attente de l'arrêt devant être rendu par la Cour d'appel de Paris, saisie sur renvoi de cassation de l' arrêt de la Cour d'appel de Dijon du 1er avril 2004 ; elle a demandé à titre subsidiaire de voir débouter la société Etoile 21 de toutes ses demandes, et de la voir condamner au paiement de la somme de 20 000 euro au titre des frais de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Etoile 21 a demandé pour sa part au tribunal, à titre principal, de déclarer irrecevable en ses demandes la société Garage Gremeau, de la condamner à lui payer la somme de 5 000 euro pour procédure abusive, ainsi que celle de 15 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle a sollicité à titre subsidiaire la jonction de l'instance portée devant le tribunal enregistrée sous le n° 2006005891 avec l'instance radiée du rôle portant le n° 2004004788, ainsi que le prononcé d'un sursis à statuer dans l'attente de la décision à intervenir sur les plaintes déposées par la société Garage Gremeau.

Plus subsidiairement, elle a conclu au débouté de la société Garage Gremeau.

La société Etoile 21 a également formé une demande reconventionnelle tendant à voir condamner la société Garage Gremeau à lui payer par provision la somme de 110 213 euro à titre de dommages-intérêts correspondant aux ventes de véhicules neufs réalisées par celle-ci, à valoir sur son entier préjudice, et a demandé au tribunal d'ordonner une expertise destinée à évaluer les ventes de véhicules neufs de la marque Mercedes Benz réalisées par la société Garage Gremeau depuis le 1er juillet 2003, de fixer en conséquence son préjudice, et d'interdire à la société Garage Gremeau de procéder à la vente de véhicules neufs particuliers de marque Mercedes Benz qu'elle aurait acquis en infraction aux règles de réseau de distribution sélective, sous astreinte de 5 000 euro, demandant par ailleurs l'allocation de la somme de 30 000 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par jugement en date du 7 octobre 2010, faisant suite à l'audience du 3 juin 2010 lors de laquelle les parties ont convenu de l'abandon, par la société Garage Gremeau de l'instance engagée à bref délai, le Tribunal de commerce de Dijon a :

- pris acte de l'abandon de la première instance introduite le 6 mai 2004, du retrait de la demande d'irrecevabilité de l'instance de la part de la société Etoile 21 ;

- dit la société Garage Gremeau recevable en ses demandes ;

- débouté la société Garage Gremeau de l'ensemble de ses demandes ;

- reçu la société Etoile 21 en ses demandes reconventionnelles, l'y a dit mal fondée et l'en a déboutée ;

- dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire ;

- condamné la société Garage Gremeau à payer à la société Etoile 21 la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- dit toutes autres demandes, fins et conclusions des parties injustifiées et en tous cas mal fondées, les en a déboutées ;

- condamné la société Garage Gremeau en tous les dépens de l'instance.

Par déclaration inscrite au greffe de la cour d'appel le 28 octobre 2010, la société Garage Gremeau a interjeté appel de ce jugement.

Aux termes de ses conclusions récapitulatives transmises au greffe le 31 janvier 2012, la société Garage Gremeau demande à la cour :

1) Sur sa propre demande :

- A titre principal :

- d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

- de juger que les dispositions de l'article L. 122-12 du Code du travail n'ont pas vocation à s'appliquer ;

- de juger que la société Etoile 21 a commis des actes de concurrence déloyale à son encontre ;

- de condamner en conséquence la société Etoile 21 à lui payer, à titre de dommages et intérêts, la somme de 7 457 029,66 euro, cette somme se décomposant comme suit :

* préjudice lié à la perte de la marge brute : 6 866 247 euro ;

* préjudice lié au non-respect du préavis par les salariés débauchés par la société Etoile 21 : 19 480,03 euro ;

* préjudice lié à l'embauche de nouveaux salariés et à leur formation : 71 302,63 euro ;

* préjudice moral : 500 000 euro ;

- A titre subsidiaire, si la cour d'appel estimait ne pas être en mesure d'évaluer la perte de marge brute résultant des actes de concurrence déloyale imputables à la société Etoile 21, de désigner tel expert judiciaire afin d'authentifier ces chiffres ;

- En tout état de cause :

- d'ordonner la publication de la décision à intervenir, aux frais de la société Etoile 21 dans 4 journaux (Bien Public, Journal du Palais, Argus de l'automobile et Journal de l'automobile) ;

- de dire que la société Garage Gremeau sera autorisée à procéder auxdites insertions aux frais avancés de la société Etoile 21 lesquels devront lui être immédiatement remboursés sous 48 heures et au vu des factures y afférentes ;

2) Sur la demande reconventionnelle émanant de la société Etoile 21 :

- de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

- de débouter en conséquence la société Etoile 21 de sa demande ;

3) Sur les frais irrépétibles et sur les dépens :

- de réformer le jugement entrepris ;

- de condamner la société Etoile 21 à lui payer la somme de 20 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- de condamner la société Etoile 21 en tous les dépens.

- Aux termes de ses dernières conclusions déposées au greffe le 28 juin 2011, la société Etoile 21, intimée, demande à la cour :

- de confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Dijon en ce qu'il a débouté la société Garage Gremeau de l'ensemble de ses demandes ;

- de débouter la société Garage Gremeau de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

- de réformer le jugement entrepris en ce qu'il a dit la société Etoile 21 mal fondée en ses demandes reconventionnelles et l'en a déboutée, et ce faisant :

- de condamner la société Garage Gremeau à lui payer par provision la somme de 110 213 euro à titre de dommages-intérêts correspondant aux ventes de véhicules neufs dont la liste est donnée dans l'attestation de M. Tonnoir, expert-comptable, à valoir sur son entier préjudice ;

- de désigner tel expert qu'il plaira au tribunal avec mission de :

* se rendre dans les locaux de la société Garage Gremeau ou dans tout autre lieu où serait entreposé l'ensemble de sa comptabilité et de ses documents sociaux ;

* rechercher par tous moyens les ventes de véhicules neufs particuliers de la marque Mercedes Benz réalisées par la société Garage Gremeau depuis le 1er juillet 2003 ;

* rechercher dans quelles conditions de commercialisation ont eu lieu ces ventes ;

* se faire remettre tous documents relatifs auxdites ventes ;

* déterminer la marge brute à laquelle la société Etoile 21 aurait pu prétendre pour chaque vente et fixer en conséquence son préjudice ;

- d'interdire à la société Garage Gremeau de procéder à la vente de véhicules neufs particuliers de marque Mercedes Benz qu'elle aurait acquis en infraction aux règles du réseau de distribution sélective et ce, sous astreinte de 5 000 euro par acquisition ou vente constatée ;

- de condamner la société Garage Gremeau aux entiers dépens, ainsi qu'à lui payer la somme de 30 000 euro par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

En application de l'article 455 du Code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, à leurs dernières conclusions susvisées.

La clôture de la procédure est intervenue le 16 février 2012.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

I - sur les demandes de la société Garage Gremeau

Attendu que pour caractériser la concurrence déloyale et le parasitisme économique auxquels se serait livrée la société Etoile 21 à son encontre, la société Garage Gremeau invoque :

- un débauchage brutal et massif de son personnel, formé et qualifié, ayant désorganisé son entreprise, et ayant permis à son concurrent sans bourse délier de remplir les critères d'agrément Mercedes Benz,

- le démarchage fautif de sa clientèle par l'utilisation de deux documents techniques appartenant au Garage Gremeau et emportés par un ancien salarié réembauché par la société Etoile 21, à savoir une liste de 29 clients intitulée "portefeuille au 27/6/2003" et un "programme des livraisons en cours jusqu'en janvier 2004", et par la participation des salariés débauchés à ses campagnes publicitaires,

- le dénigrement du Garage Gremeau auprès de ses clients ;

A) sur les griefs invoqués par la société Garage Gremeau

sur le débauchage de personnel

Attendu que le tribunal de commerce a exactement retenu que sept salariés de la société Garage Gremeau ont rejoint la société Etoile 21 dès le 1er juillet 2003, terme du contrat de concession de la première, c'est-à-dire des carrossiers peintres (MM. Bauer, Bruley, Thiebaud) et des techniciens ou mécaniciens auto (MM. Dabulewicz, Lecuret, Henriot, Sommet) ; que le 4 juillet ils ont refusé de répondre à l'huissier de justice chargé par le président du tribunal de commerce de recueillir leurs explications sur les circonstances de leur embauche ; que l'huissier a également constaté qu'aucun des contrats de travail à effet du 1er juillet 2003 n'était daté ;

Que trois des salariés concernés (MM. Sommet, Lecuret, Dabulewicz), avec au moins trois autres embauchés un peu plus tard (MM. Janiszcwski et Leonard, préparateurs, et Gambier, magasinier) avaient écrit un mois d'avance à leur employeur pour l'informer de leur transfert chez la SAS Etoile 21 "en application des dispositions d'ordre public de l'article L. 122-12 alinéa 2 du Code du travail" et avaient reçu une réponse faisant valoir que le Garage Gremeau continuait au moins son activité de réparateur agréé et de vente de véhicules d'occasion et que sauf démission de leur part leur contrat de travail se poursuivait ; qu'ils sont néanmoins partis sans autre formalité ;

Attendu que sauf peut-être pour Monsieur Gambier, mais la société Garage Gremeau conteste l'authenticité des documents produits en copie par la société Etoile 21 pour établir qu'elle l'aurait dispensé de préavis, il n'est pas établi que le préavis a été respecté, en tout cas pour les neuf autres salariés; que la lettre d'information de départ, précitée, ne constituant pas une expression de volonté de rupture du contrat, n'a pas pu faire courir le délai de préavis ;

Attendu que les dispositions de l'article L. 122-12 du Code du travail ne suffisent pas à justifier le départ des salariés vers la société Etoile 21, puisque la société Garage Gremeau a perdu seulement une partie de son activité de concessionnaire, celle relative à vente de véhicules neufs Mercedes, et qu'elle a conservé une activité importante de réparation et vente de véhicules d'occasion, et de distributeur agréé de véhicules Smart; que par conséquent il n'est pas établi que les conditions d'application du transfert des salariés étaient réunies, d'autant plus que les dix employés en question, embauchés par la société Etoile 21, se rattachaient à la seconde activité (peintres, carrossiers, préparateurs (...)) ;

Attendu que protégés par les dispositions susvisées du Code du travail, les salariés du Garage Gremeau n'avaient pas de raison de se précipiter à changer d'employeur, sauf si, comme l'attestent Monsieur Marillier, Monsieur Dyssli et Monsieur Georges, les dirigeants du nouveau concessionnaire ont fait pression sur ces salariés afin qu'ils rejoignent la société Etoile 21 dès le démarrage de son activité, en leur faisant croire qu'ensuite il serait trop tard et qu'ils risquaient de se retrouver sans emploi ; que ces attestations sont d'autant plus crédibles que les dirigeants de la société Etoile 21 avaient le plus grand intérêt à se procurer ainsi facilement le personnel qualifié nécessaire à leur agrément comme réparateur de la marque Mercedes, qu'ils ont obtenu dès les premiers jours de juillet 2003 ;

Attendu que l'utilisation d'une lettre-type de référence au Code du travail, l'absence de lettre d'embauche ou de tout autre document préparatoire à celle-ci (ressortant également du constat d'huissier), l'omission de la date de conclusion du contrat de travail, sont autant d'indices d'une action concertée et préméditée de la société Etoile 21 pour bénéficier des salariés qualifiés du concurrent en faisant pression sur eux ; que les attestations en sens contraire rédigées par les anciens salariés de manière stéréotypée, et toutes datées du 7 mai 2004 ou de quelques jours après, alors qu'ils sont employés par la société Etoile 21depuis près d'un an et ont été informés par elle du procès engagés par la société Garage Gremeau, sont insuffisantes à apporter la preuve de décisions personnelles de ces salariés, exemptes de pressions ; qu'en tout état de cause la société Etoile 21 les a embauchés alors qu'ils n'étaient pas déliés de leurs engagements envers la société Garage Gremeau ;

Attendu que sans qu'il soit besoin d'examiner le cas des autres salariés encore passés directement du Garage Gremeau à Etoile 21, c'est-à-dire MM. Humblot, Chapit (magasinier), Charlot et Perrat (mécanicien), il est ainsi établi que la société Etoile 21 s'est livrée à un débauchage fautif d'une part importante du personnel de la société Garage Gremeau, pour servir ses intérêts au détriment de ceux de la société qui demeurait sa concurrente à Dijon ;

sur le détournement de clientèle

Attendu que la société Etoile 21 se trouve bien en possession de deux documents, répertoriant des clients du Garage Gremeau, qui ne sont pas publics mais font partie des documents internes à celui-ci, issus de son système informatique, comme l'a démontré le constat d'huissier du 20 juillet 2004, et qui sont bien distincts du fichier des immatriculations de la marque, ce dernier légalement accessible, comme les fichiers des prospects dénommés "database marketing" et "salespro" appartenant à Daimler Chrysler France ;

Qu'il n'est pas formellement établi que ces deux documents ont été utilisés par la société Etoile 21 pour démarcher des personnes qui n'auraient pas pu être connues autrement ; qu'en effet ces deux documents sont joints à une attestation produite par la société Etoile 21 (pièce 112) à l'appui de ses dires sur le fait que l'ancien concessionnaire continuerait à vendre irrégulièrement des véhicules Mercedes, attestation rédigée par Monsieur Didier Guillemin qui a quitté la société Garage Gremeau en mars 2004 pour être embauché par le nouveau concessionnaire ; que la preuve d'une utilisation fautive d'un fichier de clientèle n'est donc pas rapportée ;

Attendu qu'en revanche, pour la société Etoile 21, la récupération de la clientèle a été grandement facilitée par la présence en son sein des anciens salariés de sa concurrente, dont elle a largement utilisé les noms et photos pour illustrer ses documents publicitaires ; que le caractère fautif du débauchage rejaillit donc sur ces actes de démarchage de la clientèle, participant dès lors eux aussi de la concurrence déloyale ;

sur le dénigrement

Attendu que la société Garage Gremeau verse aux débats des attestations émanant de clients, selon lesquelles des salariés démissionnaires du Garage Gremeau auraient dénigré la qualité de ses prestations et son honnêteté ;

Que cependant ces propos isolés, tenus par des personnes autres que les représentants légaux de la société Etoile 21, ne peuvent pas être imputés à faute à celle-ci, à défaut de preuve qu'ils procédaient de consignes, ou à tout le moins d'une incitation de sa part ;

Attendu qu'il n'en reste pas moins établi que dans la récupération des salariés et de la clientèle de la société Garage Gremeau, la société Etoile 21 a commis à l'encontre de sa concurrente des actes de concurrence déloyale qui engagent sa responsabilité pour le préjudice qui en est résulté ;

B) sur le préjudice

Attendu que pour la société Garage Gremeau, se retrouver presque du jour au lendemain avec une dizaine de personnes en moins, sur un effectif total de 38 selon l'attestation de son expert-comptable, et tous rattachés à l'activité réparations et après-vente, a forcément désorganisé profondément l'entreprise qui avait fixé des rendez-vous avec ses clients pour des révisions et réparations (par exemple trois carrossiers sur six sont partis) ; qu'elle a dû rappeler du personnel en vacances (attestation de Monsieur Ambrosioni), embaucher des intérimaires, comme le montrent les bulletins de paye versés aux débats, puis de nouveaux salariés qu'elle a dû envoyer en formation, ce qu'elle justifie par les documents de stage ; que la perturbation créée par le débauchage massif imputable à la société Etoile 21 est confirmée par plusieurs attestations de salariés (MM. Minary, Dessein, Benedetto, etc.) ou de clients ainsi que de l'expert-comptable de la société Garage Gremeau ;

Que la société Etoile 21 soutient à tort que les salariés l'ayant rejointe n'avaient pas acquis un savoir-faire propre chez leur précédent employeur ; que la nécessité d'une formation permanente des techniciens automobiles n'exclut nullement le fait que la société Garage Gremeau avait investi en formation de son personnel et que les salariés passés chez le nouveau concessionnaire étaient qualifiés et expérimentés ; que ce dernier a bien bénéficié de l'investissement effectué par la société Garage Gremeau ;

Attendu que les agissements ci-dessus décrits ont permis à la société Etoile 21 de démarrer à bon compte une activité de mécanique et réparation au détriment de la même activité de son concurrent ;

Qu'ainsi le préjudice résultant des actes de concurrence déloyale imputables à la société Etoile 21 est bien réel et distinct de celui consécutif au retrait de la concession de distribution de véhicules neufs Mercedes Benz, décidé par la société Daimler Chrysler France ;

Que la société Etoile 21 doit indemniser le coût de la perturbation de l'activité réparations et après-vente conservée par le Garage Gremeau ;

Qu'en fonction des éléments communiqués par la société Garage Gremeau, notamment sur les préavis non respectés (19 480 euro), sur le coût de la formation de son personnel (39 284 euro + 32 017 euro), cependant partiellement amorti, postes auxquels il faut ajouter le manque à gagner sur l'activité considérée et, au titre du préjudice moral invoqué, le préjudice immatériel lié à la désorganisation de l'entreprise, la réparation due par la société Etoile 21 doit être fixée à 150 000 euro toutes causes de préjudice confondues ;

Attendu que l'ancienneté des faits rend inopportune la demande de publication de l'arrêt ;

II - sur la demande reconventionnelle de la société Etoile 21

Attendu que la société Etoile 21 a repris devant la cour la demande reconventionnelle, rejetée par le tribunal de commerce, et tendant à voir condamner la société Garage Gremeau à des dommages et intérêts pour infractions au réseau de distribution sélective des véhicules Mercedes Benz ; qu'elle soutient en effet que malgré la résiliation de son contrat de concession, la société Garage Gremeau a continué à effectuer des ventes et à diffuser une publicité trompeuse ;

Attendu que la société Garage Gremeau s'oppose à cette demande, d'abord en sollicitant un sursis à statuer dans l'attente de l'issue du litige l'opposant à la société Daimler Chrysler France et visant à faire reconnaître que celle-ci n'avait pas le droit de lui refuser son agrément dans le cadre de son réseau de distribution sélective ;

Attendu cependant que même s'il était jugé que la société Daimler Chrysler France aurait dû agréer le Garage Gremeau, cela ne légitimera pas a posteriori des ventes effectuées à l'époque en dehors de tout agrément ; que le cas échéant l'inexécution, par le titulaire de la marque, de ses obligations se résoudra en dommages et intérêts ;

Qu'il convient donc d'examiner les griefs de la société Etoile 21 ;

Attendu que l'existence de ventes effectuées par la société Garage Gremeau après le terme de sa concession, 1er juillet 2003, ne suffit pas à prouver des ventes illicites, puisque l'ancien concessionnaire avait le droit d'écouler ses stocks et de vendre des voitures d'occasion, et de livrer les voitures commandées lors des ventes conclues avant le terme du contrat de concession ; qu'il a pu également réaliser des ventes de véhicules neufs Mercedes en qualité d'apporteur d'affaires à un distributeur agréé ou de mandataire ;

Attendu que les griefs de la société Etoile 21 reposent d'abord sur l'attestation de Monsieur Guillemin, ancien commercial de la société Garage Gremeau, ayant donné sa démission en mars 2004 pour rejoindre le nouveau concessionnaire, démission motivée selon lui par son refus de cautionner des ventes irrégulières ; que cependant la situation de l'auteur de l'attestation ne permet pas de reconnaître à celle-ci une totale objectivité ; que de plus la société Garage Gremeau apporte des éléments en faveur de la régularité des ventes incriminées par Monsieur Guillemin dans le cadre de contrats d'apporteur d'affaires ;

Attendu que la société Etoile 21 soutient qu'il appartient à la société Garage Gremeau de prouver que les 93 ventes du 2ème semestre 2003 et les 16 ventes de 2004 ont bien été effectuées dans des conditions régulières, alors que c'est à elle d'apporter au moins des indices de ses accusations ; que sur ce plan les affaires qu'elle dénonce ne sont pas probantes ;

Qu'ainsi l'infraction au réseau dans l'affaire Adema on line - Georget n'est pas établie dès lors que la société Garage Gremeau n'était que mandataire ; qu'à l'exception des ventes Gaspard (juillet 2003) et Guerreiro (décembre 2003), les autres bons de commande produits sont antérieurs au 1er juillet 2003 ou ne comportent pas de date, ou encore visent un véhicule d'occasion ou manifestement en stock la livraison étant prévue immédiatement (ventes Grandet, Stradis, Supraero, Tussiaux, Cahuet);

Attendu que de plus la société Garage Gremeau verse aux débats plus de 20 dossiers de commande comme apporteur d'affaires pour les sociétés Jousselin et Covema, et les contrats correspondants, qui viennent contredire les accusations de la société Etoile 21; qu'il n'y a aucune raison de mettre en doute la véracité de ces documents approuvés par des tiers ;

Que dans ces conditions, sachant que les stocks représentaient 59 voitures au 1er juillet 2003 et qu'il a fallu plusieurs mois pour les écouler, il n'est pas établi que la société Garage Gremeau a pratiqué des ventes en infraction au réseau de façon significative ayant pu causer un préjudice à la société Etoile 21 ;

Attendu que le grief de publicité trompeuse n'est pas plus établi, les documents incriminés par la société Etoile 21 ne comportant aucune affirmation d'une qualité dont la société Garage Gremeau ne serait pas autorisée à se prévaloir, en tout cas pour ceux émanant de cette société qui n'est pas responsable des propos tenus par des tiers ; que les constats d'huissier dressés à la demande de la société Etoile 21 le 31 juillet 2003 et les 8 et 15 avril 2004 ne caractérisent pas non plus d'infractions aux règles du réseau de distribution sélective ; que la société Garage Gremeau associe toujours la référence à la marque Mercedes Benz à sa qualité de réparateur agréé ;

Attendu que par conséquent le tribunal de commerce a rejeté à bon droit la demande reconventionnelle de la société Etoile 21, sans ordonner d'expertise ; que dès lors il n'y a pas lieu de prononcer une interdiction de procéder à des ventes illicites sous peine d'astreinte ;

Par ces motifs : LA COUR, Infirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté la société Garage Gremeau de l'ensemble de ses demandes et l'a condamnée aux dépens et à payer 5 000 euro à la société Etoile 21 en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Statuant à nouveau : Juge que la société Etoile 21 a commis des actes de concurrence déloyale au détriment de la société Garage Gremeau ; en conséquence Condamne la société Etoile 21 en réparation du préjudice causé par sa faute à payer à la société Garage Gremeau la somme de 150 000 euro de dommages et intérêts ; Rejette la demande de publication de l'arrêt ; Confirme le jugement déféré pour le surplus, et en tant que de besoin Rejette la demande reconventionnelle de la société Etoile 21 fondée sur des griefs d'infractions aux règles du réseau de distribution sélective qui ne sont pas établies ; Condamne la société Etoile 21 à payer à la société Garage Gremeau la somme de 10 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société Etoile 21 aux entiers dépens de première instance et d'appel ; Accorde à Maître Philippe Gerbay, avoué à la cour, et à la SCP Adida et associés, avocat au barreau de Dijon, le bénéfice des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.