CA Versailles, 14e ch., 25 mai 2011, n° 10-04393
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Pierre Fabre Médicament (SAS)
Défendeur :
Laboratoires Genevrier (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Andrich
Conseillers :
M. Boiffin, Mme Beauvois
Avocats :
SCP Keime Guttin Jarry, SCP Bommart Minault, Mes Gorny, Couste
Faits et procédure,
La société Laboratoires Genevrier commercialise un médicament dénommé Chondrosulf ayant pour principe actif le chondroïtïne sulfate sodique, destiné au traitement symptomatique à effet différé de l'arthrose du genou et de la hanche. Ce médicament a reçu une autorisation de mise sur le marché - AMM - en janvier et juin 1993.
La société Pierre Fabre Médicament commercialise quant à elle, sous l'appellation Structum, (AMM du 4 janvier 2001), un médicament appartenant à la même famille et relevant de la même classe thérapeutique.
Le 26 novembre 2008, la Commission de la Transparence de la Haute Autorité de la Santé a émis des avis sur ces deux médicaments afin de "réévaluer le service médical rendu conformément à l'article R. 163-21 du Code de la Sécurité Sociale".
Elle a indiqué que le service médical rendu par le Chondrosulf était faible et que celui rendu par le Structum était insuffisant pour être pris en charge par la collectivité nationale.
Elle a ainsi recommandé, pour le Chondrosulf, un "maintien de l'inscription sur la liste des spécialités remboursables aux assurés sociaux et sur la liste des médicaments agréés à l'usage des collectivités et divers services publics" et, pour le Structum, donné un avis défavorable au maintien de son inscription sur ces mêmes listes.
Lors du 22ème congrès français de rhumatologie s'étant tenu le 1er décembre 2009, la société Pierre Fabre Médicament a présenté les résultats d'une étude de non-infériorité qui avait pour but de comparer l'efficacité et la tolérance du Structum et du Chondrosulf et qui avait conclu à une efficacité comparable entre les deux médicaments.
Reprochant à la société Pierre Fabre Médicament d'utiliser les résultats de cette étude - dite Fardellone - sous forme d'un abstract - résumé - diffusé auprès du corps médical par le biais de ses visiteurs médicaux afin d'assurer la promotion de son médicament présenté comme aussi efficace et moins cher que le Chondrosulf et estimant qu'il s'agissait d'une publicité comparative illicite, la société Laboratoires Genevrier a, le16 avril 2010, assigné cette société en référé afin qu'il lui soit fait interdiction d'utiliser en publicité cette étude.
Suivant une ordonnance contradictoire rendue le 27 mai 2010, le juge des référés du Tribunal de commerce de Nanterre :
- a interdit à la SAS Pierre Fabre Médicament d'utiliser d'exploiter ou de faire référence à l'étude de non-infériorité intitulé "comparaison de l'efficacité et de la tolérance de Structum" (500mg 2 fois par jour) et "Chondrosulf (400mg 3 fois par jour) dans le traitement de la gonarthrose", de quelque manière que ce soit et/ou sur quelque support que ce soit et ce sous astreinte de 1 000 euro par infraction constatée à compter de la signification de l'ordonnance et dit n'y avoir lieu à référé pour le reste des demandes,
- s'est réservé la liquidation éventuelle de ladite astreinte,
- a débouté la SAS Pierre Fabre Médicament de l'ensemble de ses demandes,
- a condamné la SAS Pierre Fabre Médicament à payer à SA Laboratoires Genevrier la somme de 4 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
La SAS Pierre Fabre Médicament a interjeté appel de cette décision.
Elle estime excessive et dénuée de fondement légal l'interdiction décidée par le premier juge en faisant valoir que l'abstract de l'étude Fardellone a été soumis au comité scientifique de la Revue Française de Rhumatologie qui l'a validé, puis a été publié de manière objective dans cette revue à comité de lecture, conformément aux recommandations de la Commission de publicité de l'AFSSAPS et de la Charte de la visite médicale.
Elle ajoute qu'en tout état de cause et contrairement à ce qu'a retenu le premier juge, il n'est aucunement établi que ses visiteurs médicaux en aient fait état auprès de médecins, l'abstract n'ayant été adressé qu'à ceux qui en avaient expressément fait la demande.
Elle considère que rien ne permet d'affirmer que les résultats de l'étude Fardellone soient contraires aux conclusions de la Commission de la Transparence alors qu'elle ne pouvait demander à celle-ci de réviser son avis avant d'utiliser ces résultats mais que depuis l'ordonnance entreprise, le Directeur Général de l'AFSSAPS a accordé la modification du libellé de l'indication du Structum qui est désormais identique à celui du Chondrosulf ('traitement symptomatique des douleurs arthrosiques de la hanche et du genou'), tandis que la Commission de la Transparence doit prochainement émettre un nouvel avis sur le service médical rendu de son médicament qui 'a vocation à passer d'insuffisant à faible', ce qui aura pour effet d'harmoniser le service médical rendu - SMR - des deux spécialités concurrentes.
Dans ses dernières conclusions signifiées le 11 octobre 2010, la SAS Pierre Fabre Médicament demande donc à la cour d'infirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise, de débouter la société Laboratoires Genevrier de l'ensemble de ses prétentions et de la condamner à lui verser la somme de 15 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Dans ses dernières conclusions signifiées le 4 janvier 2011, la société Laboratoires Genevrier maintient que l'utilisation par la société Pierre Fabre Médicament de l'étude de non-infériorité à des fins de publicité comparative était illicite au regard des dispositions des articles L. 5122-2 du Code de la Santé Publique, L. 121-8 et 9 du Code de la consommation et de la recommandation de l'AFSSAPS dès lors que cette étude qui n'avait pas fait l'objet d'une publication dans une revue scientifique à comité de lecture, est fondée sur une méthode scientifiquement contestable, en raison, notamment, de l'absence d'un troisième groupe placebo, que la présentation des données comparatives qui y figurent n'est pas objective mais trompeuse puisque contraire ou non conforme aux conclusions de la Commission de la Transparence formulées dans son avis du 26 novembre 2008.
Elle soutient que la preuve de l'utilisation promotionnelle de l'abstract litigieux par les visiteurs médicaux de la société Pierre Fabre Médicament résulte tant des données collectées par l'organisme CEGEDIM auprès des médecins généralistes et rhumatologues que par la lettre 'standard' d'envoi de cette étude datée du 9 avril 2010.
Elle souligne, enfin, que l'utilisation à des fins publicitaires de l'étude de non-infériorité lui a été préjudiciable ainsi qu'en atteste la baisse sensible des ventes de son médicament enregistrée en février 2010.
La société Laboratoires Genevrier demande à la cour de confirmer l'ordonnance dont appel dans toutes ses dispositions, de débouter la société Pierre Fabre Médicament de toutes ses prétentions et de la condamner à lui verser la somme de 20 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Motifs de la décision,
Considérant que, contrairement à ce que soutient la société Pierre Fabre Médicament et ainsi que l'a retenu à juste titre le premier juge, il ne saurait être sérieusement contesté que les visiteurs médicaux de cette société ont fait état de l'étude dite Fardellone lors de leurs visites aux médecins généralistes et rhumatologues ;
Que la présentation de cette étude et parfois sa remise sont, en effet, attestées par les données collectées de janvier à mars 2010 par l'organisme CEGEDIM auprès d'un échantillon représentatif de ces professionnels de santé, données dont rien ne permet de mettre en doute l'exactitude ;
Qu'elles sont aussi confirmées par les demandes de communication de l'abstract de cette étude que les médecins ont adressées à la société Pierre Fabre Médicament à la suite de la visite de ses délégués à l'information médicale, comme cette société l'indique elle-même en produisant un exemplaire de 'la lettre standard d'envoi de l'abstract aux médecins en ayant fait la demande' ;
Que ces présentation et communication, destinées à promouvoir la prescription du Structum, constituent une publicité au sens des dispositions de l'article L. 5122-1 du Code de la santé publique ;
Considérant que selon les dispositions de l'article L. 5122-2 de ce Code, une telle publicité "...doit présenter le médicament ou produit de façon objective et favoriser son bon usage', de même que 'respecter les dispositions de l'autorisation de mise sur le marché" ;
Que s'agissant, de plus, d'une publicité comparative, fondée sur une étude de non-infériorité autre que celles issues du dossier d'autorisation de mise sur le marché et retenues pour l'élaboration de l'avis de la Commission de la Transparence, destinée à mettre en évidence les caractéristiques et, plus particulièrement, l'efficacité et le coût du Structum par référence à ceux du Chondrosulf, elle doit également, conformément aux recommandations de l'AFSSAPS, correspondre aux conclusions de cette commission ainsi qu'avoir été publiée dans une revue à comité de lecture ;
Qu'en l'espèce, la société Pierre Fabre Médicament reconnaît qu'à l'époque des faits litigieux et à la date à laquelle le premier juge a statué, l'étude dite Fardellone "n'avait pas encore été publiée dans un revue à comité de lecture" ;
Qu'elle ne satisfaisait donc pas à une des conditions posées pour son utilisation à des fins publicitaires ;
Considérant que la société Pierre Fabre Médicament fait cependant valoir qu'il lui était possible de communiquer sur la base de l'abstract ou résumé de cette étude puisque celui-ci avait été, dans le respect des préconisations de la Commission de publicité de l'AFSSAPS et de la Charte de la visite médicale, publié dans une revue à comité de lecture, en l'occurrence la Revue de Rhumatisme, après avoir été soumis au comité scientifique de la Société Française de Rhumatologie ;
Considérant, toutefois, que tant l'étude dite Fardellone que son résumé ou abstract, tels que versés aux débats, qui précisent, en introduction, que cette "étude de non-infériorité...avait pour objectif de comparer deux spécialités pharmaceutiques à base de chondroïtïne sulfate...", comportent la conclusion suivante : "Structum et Chondrosulf ont une efficacité clinique comparable sur le soulagement de la douleur et l'amélioration fonctionnelle des patients souffrant de gonarthrose sur six mois avec un très bon profil de tolérance" ;
Qu'ainsi que l'a également estimé à juste titre le premier juge, cette conclusion ne correspond pas et n'est pas conforme à l'avis émis le 26 novembre 2008 par le Commission de Transparence de la Haute Autorité de la Santé selon lequel le service médical rendu par le Structum 500mg est "insuffisant pour être pris en charge par la solidarité nationale" tandis que celui rendu par le Chondrosulf a été qualifié de "faible", ce qui, à la différence du précédent, a justifié à un avis favorable au maintien de son inscription sur la liste des spécialités remboursables aux assurés sociaux et sur la liste des médicaments agréés à l'usage des collectivités et divers services publics ;
Considérant que comme l'a relevé la société Laboratoires Genevrier, la société Pierre Fabre Médicament ne peut pas plus le contester sérieusement puisqu'elle a précisément sollicité le 5 novembre 2009 la réévaluation du service médical rendu par son médicament "sur la base des résultats" de l'étude comparative Fardellone ;
Considérant, de plus, que la modification du libellé de l'indication thérapeutique du Structum, désormais identique à celui du Chondrosulf, est sans portée à cet égard, alors, en outre, qu'elle n'a été obtenue que le 19 août 2010, soit postérieurement à l'ordonnance entreprise ;
Considérant que c'est ainsi par une juste appréciation des faits qui lui étaient soumis que le premier juge a, indépendamment des critiques formulées par la société Laboratoires Genevrier à l'encontre de la méthodologie suivie pour la réalisation de l'étude Fardellone, retenu que l'utilisation de celle-ci ou de son résumé - abstract - auprès des professionnels de santé constituait une publicité comparative trompeuse et illicite en ce qu'elle tendait à les persuader, en contradiction avec les avis émis par la Commission de Transparence, de l'efficacité comparable des deux médicaments - Structum et Chondrosulf - et était donc à l'origine d'un trouble manifestement illicite auquel il convenait de mettre fin en faisant interdiction, sous astreinte, à la société Pierre Fabre Médicament d'utiliser et d'exploiter cette étude ou d'y faire référence de quelque manière que ce soit et/ou sur quelque support que ce soit ;
Considérant que le premier juge a exactement statué sur les dépens et l'application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Qu'en conséquence, l'ordonnance entreprise sera confirmée en toutes ses dispositions ;
Considérant que la société Pierre Fabre Médicament qui succombe en son recours, doit être condamnée aux dépens d'appel et à verser à la société Laboratoires Genevrier la somme de 5 000 euro par application en cause d'appel de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs ; LA COUR, Statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort, Confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise ; Y ajoutant, Condamne la société Pierre Fabre Médicament à payer à la société Laboratoires Genevrier la somme de 5 000 euro (cinq mille euro) par application en cause d'appel de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société Pierre Fabre Médicament aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.