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Décisions

CA Angers, 1re ch. B, 1 mars 2012, n° 11-01388

ANGERS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Duchesne (SA)

Défendeur :

Goubet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Varin-Missire

Conseillers :

Mme Pierru, M. Travers

Avocats :

SCP Chatteleyn, George, SCP Gontier-Langlois, Mes Massei, Conte, Pigeau

TGI Le Mans, du 22 mars 2011

22 mars 2011

FAITS ET PROCÉDURE

Au cours de l'année 2009, Mme Goubet a reçu de la société D. Duchesne (société Duchesne), exerçant sous l'enseigne TV distribution, spécialisée dans la vente par correspondance de produits ménagers, des documents publicitaires personnalisés lui annonçant le gain d'un chèque de 15 500 euro, au vu desquels elle a commandé divers objets les 24 juin et 12 août 2009.

Après une lettre recommandée du 30 juillet 2009 restée infructueuse, Mme Goubet, par acte du 21 mai 2010, a sollicité la condamnation de la société Duchesne, sur le fondement des articles 1371 et 1382 du Code civil et des articles L. 121-36 et suivants du Code de la consommation, au paiement de la somme de 15 500 euro, avec intérêts au taux légal à compter de sa réclamation, de la somme de 10 000 euro à titre de dommages-intérêts et de la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par jugement du 22 mars 2011, le Tribunal de grande instance du Mans a fait droit à ses demandes, dans la limite, pour les dommages-intérêts, de la somme de 1 000 euro.

La société Duchesne a relevé appel de cette décision.

Les parties ont conclu. L'ordonnance de clôture a été rendue le 2 janvier 2012.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières conclusions du 19 août 2011, la société Duchesne, appelante, poursuivant l'infirmation du jugement déféré, demande à la cour de :

- constater que :

* ses jeux publicitaires sont parfaitement licites ;

* elle n'a commis aucune faute, ayant par ailleurs souscrit aux seules obligations auxquelles elle s'était engagée ;

* elle n'a pris aucun engagement ferme de versement d'un prix ;

* Mme Goubet disposait de toutes les informations nécessaires à sa participation aux jeux et n'a pu se méprendre ;

- déclarer Mme Goubet irrecevable et en toute hypothèse mal fondée en toutes ses demandes, fins et conclusions ; l'en débouter ;

- la condamner à lui payer la somme de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction pour ces derniers.

Elle fait valoir que si les sociétés de vente par correspondance doivent mettre en évidence l'existence d'un aléa, le consommateur doit être diligent et se prêter à une lecture attentive de l'intégralité des documents publicitaires qu'il reçoit. Elle expose qu'en l'espèce, tous les documents publicitaires et plus particulièrement le règlement du jeu attirent l'attention du client sur les modalités de fonctionnement de celui-ci et surtout sur l'aléa inhérent au pré-tirage au sort du nom du gagnant. Elle considère qu'elle n'a ainsi pris aucun engagement de versement de prix et que Mme Goubet disposait de toutes les informations nécessaires.

Elle conteste par ailleurs le fait que la loterie soit payante, faisant valoir que le règlement du jeu donne la marche à suivre pour participer à la loterie en passant une commande ou en ne passant pas de commande. Elle ajoute que le législateur autorise les loteries payantes depuis la loi du 17 mai 2011.

Aux termes de ses dernières conclusions du 19 octobre 2011, Mme Goubet, intimée, demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et, y ajoutant, de condamner la société Duchesne à lui verser la somme de 3 000 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Elle indique que l'existence de l'aléa affectant l'attribution du prix doit être mise clairement en évidence, à première lecture, dès l'annonce du gain. Elle estime qu'il ne saurait utilement lui être reproché de ne pas avoir procédé à une lecture minutieuse du règlement du jeu, alors même qu'elle était présentée sans équivoque comme la gagnante certaine du jeu. Elle conclut que, dans ces conditions, elle s'est légitimement laissée convaincre par la certitude de son gain, sans que sa bonne foi puisse être sujette à caution et que la société Duchesne s'est quant à elle valablement engagée à lui délivrer le lot gagnant.

Elle prétend d'autre part qu'il ressort clairement des documents publicitaires qui lui ont été adressés que la délivrance de son lot lui était offerte "moyennant un simple achat" au catalogue, en sorte que la société Duchesne ne peut utilement prétendre avoir respecté son obligation de gratuité. Elle soutient que les pratiques de la société sont déloyales.

MOTIFS

Sur l'existence d'un engagement quasi-contractuel :

Il résulte de l'article 1371 du Code civil que l'organisateur d'un jeu publicitaire qui annonce un gain à une personne dénommée sans mettre en évidence à première lecture l'existence d'un aléa, s'oblige par ce fait purement volontaire à le délivrer.

Pour condamner la société Duchesne, le tribunal, après avoir constaté que celle-ci a adressé à Mme Goubet quarante-quatre documents comportant tous, dans des termes très proches, des affirmations d'où il résultait qu'elle était la gagnante certaine du lot mis en jeu, a considéré que la seule évocation abstraite d'un tirage au sort formulée indirectement dans le règlement figurant au verso de certains documents n'était pas de nature à donner connaissance à l'intéressée de l'existence d'un aléa, ces mêmes documents comportant tous au recto l'annonce claire et catégorique, contrastant singulièrement avec la lecture malaisée et le langage complexe dudit règlement, qu'elle était la gagnante du jeu organisé.

La société Duchesne ne dénie pas que certaines affirmations figurant sur les documents envoyés à Mme Goubet, telles celles reproduites dans le jugement, étaient de nature à lui faire croire qu'elle avait gagné un chèque de 15 500 euro.

Elle prétend toutefois que l'aléa était mis en évidence et que la lecture des documents en intégralité, nonobstant "les mentions publicitaires attractives", lui permettait de comprendre le caractère éventuel du gain ou à tout le moins de faire naître un doute dans son esprit.

Mais, si le règlement joint aux envois dispose effectivement qu'il s'agit d'un jeu gratuit avec pré-tirage du gagnant potentiel du prix principal mis en jeu et que ce prix n'est qu'une éventualité, il précise également que le pré-tirage a déjà été réalisé par l'huissier de justice avant l'envoi des documents et que le gagnant est la personne dont le numéro de participation a été tiré au sort. Ce règlement n'est pas dans ces conditions en soi de nature à combattre à première lecture les mentions nominatives et péremptoires tendant à faire croire à Mme Goubet qu'elle était justement la seule gagnante des 15 500 euro, à l'instar de celle figurant sur l'avis officiel de confirmation (pièce 4) "la seule grande gagnante est identifiée : c'est vous Mme Goubet. Votre numéro unique 102 268 205 gagne la somme de 15 500 euro (...).", précédée de l'indication suivante volontairement peu lisible et obscure "Renvoyez simplement l'acte officiel d'acceptation de chèque désigné seul grand gagnant par l'huissier de justice et nous dirons alors". De même, la précision dans le règlement que la société Duchesne ne fait aucune offre ferme n'est pas particulièrement éclairante.

Même répétée en divers endroits des documents, la mention figurant sur les documents d'une attribution du prix "sous aléa" ou "sous les aléas habituels" ne suffit pas davantage à rendre d'emblée évident qu'au moment de la réception des courriers, le gain de 15 500 euro était hypothétique, une telle occurrence étant contredite par les énonciations affirmant par ailleurs, de manière catégorique, que le gain était définitivement acquis.

Il en va de même pour la même raison de la mention, de lecture difficile, insérée en bas des bons de commande, qui indique au destinataire qu'il a participé à un pré-tirage.

Au demeurant, les multiples tournures de phrases présentant le gain de 15 500 euro comme officiel et définitif n'ont précisément pour raison d'être que d'entretenir le consommateur dans la croyance qu'il est le gagnant, comme le suggère du reste l'article 14 du règlement selon lequel celui-ci fait appel au sens de l'observation, aux facultés d'analyse et d'une manière générale à l'intelligence de tous ceux qui souhaitent participer à ce jeu.

Ainsi, la découverte de l'aléa, dont la société Duchesne se prévaut, ne pouvait résulter que de plusieurs lectures successives des documents publicitaires et du rapprochement de leurs différentes énonciations.

N'étant démontré par aucun élément que Mme Goubet ne serait pas de bonne foi, le jugement sera dès lors confirmé en ce qu'il a condamné, en application de l'article 1371 du Code civil, la société Duchesne à lui délivrer le gain de 15 500 euro.

Sur le non-respect de l'obligation de gratuité de l'article L. 121-36 :

Le premier juge, au vu de la documentation adressée à Mme Goubet, a retenu que sa participation au jeu était sans équivoque conditionnée à de préalables commandes, en contravention des dispositions de l'article L. 121-36 du Code de la consommation qui prévoient que les opérations publicitaires réalisées par voie d'écrit qui tendent à faire naître l'espérance d'un gain attribué à chacun des participants, quelles que soient les modalités du tirage au sort, ne peuvent être pratiquées que si elles n'imposent aux participants aucune contrepartie financière ni dépense sous quelque forme que ce soit.

Comme le relève la société Duchesne, le règlement joint aux envois précise qu'il s'agit d'un jeu "gratuit et sans obligation d'achat ou de paiement" (art.2) et que les destinataires disposent de deux options pour réclamer leur prix en passant une commande ou sans commander (art.6).

Cependant, en contradiction avec ces indications, il est précisé entre autres sur :

- l'avis de paiement (pièce 1) : le chèque est à Mme Goubet "moyennant un simple achat. C'est la simple et unique condition" ;

- l'attestation de garantie d'envoi d'un règlement (pièce 5) : "je m'engage formellement à procéder à la remise de ce règlement dès réception de votre commande (...) conformément aux clauses obligatoires établies ci-jointes (...)" ;

- la carte d'identification (pièce 13) : "clauses obligatoires (...) en respectant les points suivants vous avez l'assurance de recevoir le règlement de (...) 1 Effectuez une commande. Ce règlement précis ne peut être envoyé que suite à une commande (...)" ;

- l'extrait des règlements par chèque prévus ou effectués (pièce 14) : au recto : "dernier rappel : Mme Goubet, (...) vous recevrez bien le règlement à votre nom si vous commandez au moins un article dans le catalogue joint" ; au verso : passer une commande est indispensable pour recevoir le règlement de (...), mais sans commande de votre part l'envoi de ce règlement pourra être définitivement suspendu".

Si ces trois derniers documents visent en réalité le règlement du jeu et non celui d'une somme d'argent, il reste que cette présentation constitue un stratagème commercial déloyal de nature à convaincre les participants de passer une commande pour ne pas perdre le gain annoncé. Une telle manœuvre est illicite. Elle a été à l'origine pour Mme Goubet d'un préjudice à la fois matériel, constitué par la charge de commandes qu'elle n'aurait pas sinon réalisées, et moral, né de la conscience d'avoir été abusée. La somme de 1 000 euro allouée par le premier juge constitue une juste réparation et sera confirmée.

Par ces motifs : Statuant publiquement et contradictoirement, Confirme le jugement en toutes ses dispositions ; Y ajoutant, Condamne la société Duchesne à payer à Mme Goubet la somme de 2 000 euro au titre des frais irrépétibles d'appel ; Condamne la société Duchesne aux dépens d'appel, qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.