CA Rennes, 1re ch. B, 22 avril 2011, n° 10-01970
RENNES
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Distribution Casino France (SAS)
Défendeur :
Confédération Générale du Logement et de la Consommation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Simonnot
Conseillers :
M. Gimonet, Mme Le Brun
Avocats :
SCP d'Aboville de Moncuit Saint-Hilaire, SCP Guillou Renaudin
Par ordonnance du 8 janvier 2010, le juge des référés du Tribunal d'instance de Rennes a :
- dit n'y avoir lieu à sursis à statuer ;
- déclaré recevable l'action de l'association Confédération générale du logement et de la consommation (CGLC 35) ;
- condamné la société Distribution Casino France à procéder à l'affichage en centimètres de la dimension des écrans sur tous les produits mis en vente dans son établissement de Saint-Grégoire et dans les publications qu'elle édite, dans les 15 jours de la signification de la présente décision et, passé ce délai, sous astreinte de 50 euro par infraction constatée ;
- condamné la société Distribution Casino France à payer à l'association CGLC 35 une provision de 2 000 euro à titre de dommages-intérêts ;
- condamné la société Distribution Casino France à payer à l'association CGLC 35 la somme de 850 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;
La société Distribution Casino France a interjeté appel de cette décision et a demandé à la cour, par conclusions signifiées le 18 mars 2011 :
- d'infirmer l'ordonnance de référé ;
- de déclarer irrecevable l'action de l'association CGLC 35 ;
- de débouter l'association CGLC 35 de toutes ses demandes ;
- de condamner l'association CGLC 35 à lui payer la somme de 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens devant être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;
L'association Confédération générale du logement et de la consommation (CGLC 35) a demandé à la cour, par conclusions signifiées le 8 mars 2011 :
- de confirmer l'ordonnance de référé en ce qu'elle a déclaré recevable et bien fondée son action ;
- d'infirmer partiellement l'ordonnance de référé et
- de condamner la société Distribution Casino France à procéder à un affichage régulier, de manière apparente sur son lieu de vente, dans ses locaux, à l'accueil et à l'entrée du magasin et dans un format suffisamment visible et lisible pour les consommateurs, l'arrêt à intervenir condamnant de telles pratiques illicites, pendant une durée de deux mois, ce, aux frais de ce professionnel et sous astreinte de 1 500 euro par jour de retard à compter du prononcé de l'arrêt à intervenir et pendant 2 mois à l'issue duquel délai il sera de nouveau fait droit ;
- de condamner la société Distribution Casino France à procéder sous forme d'une publication, de manière apparente, "dans un format suffisamment visible et lisible pour les consommateurs (pas inférieur au corps 8)" en première page de son site Internet l'arrêt à intervenir condamnant de telles pratiques illicites, pendant une durée de deux mois, ce, aux frais de ce professionnel et sous astreinte de 1 500 euro par jour de retard à compter du prononcé de l'arrêt à intervenir et pendant 2 mois à l'issue duquel délai il sera de nouveau fait droit ;
- de condamner la société Distribution Casino France à procéder à une publicité régulière et à indiquer "dans toutes ses brochures, documentation ou sur tous ses supports (physiques, virtuels, papiers, informatiques, technologiques et autres...)" la dimension des écrans sur tous les produits qu'elle "vend, échange, dispose", conformément à la législation applicable, ce, sous astreinte de 500 euro "par produit détenu, entreposé, vendu, mise à la vente, offert et par jour de retard" à compter de la signification de l'arrêt à intervenir et pendant 2 mois à l'issue duquel délai il sera de nouveau fait droit ;
- de condamner la société Distribution Casino France à lui payer la somme provisionnelle de 20 000 euro " pour la réparation au préjudice collectif " ;
- de condamner la société Distribution Casino France, sous astreinte de 1 500 euro par jour de retard à compter de l'arrêt à intervenir à fournir " l'ensemble des documents comptables et financiers justifiant du nombre de catalogues imprimés et diffusés sur le département d'Ille-et-Vilaine durant la période considérée, ces documents devant être certifiés comptablement " ;
- de condamner la société Distribution Casino France à lui payer la somme de 6 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens devant être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;
SUR CE,
SUR LA RECEVABILITÉ DE L'ACTION DE L'ASSOCIATION CGLC 65
Considérant que la société Distribution Casino France conteste la capacité à agir de l'association CGLC 35 ;
Qu'elle reproche en réalité au président de l'association un défaut de pouvoir de représenter la personne morale au sens de l'alinéa 3 de l'article 117 du Code de procédure civile ;
Considérant que la société Distribution Casino France fait valoir que l'article 11 des statuts prévoit que l'organe de direction et d'orientation entre les assemblées générales de l'association CGLC 35 est le Conseil d'administration, à l'exception des pouvoirs précisés par le règlement intérieur et dévolus au Bureau et que l'article 5 indique que les pouvoirs du Bureau et du Conseil scientifique seront définis dans un règlement intérieur, alors que l'article 13 précise, qu'à l'exception des pouvoirs dévolus exclusivement au Bureau et au conseil scientifique, le Conseil d'administration est compétent pour prendre toutes les décisions nécessaires au fonctionnement de l'association et l'accomplissement de son objet social ;
Qu'elle soutient donc que, le règlement intérieur n'ayant été édicté que le 8 mars 2011, il incombait à l'association CGLC 35 de justifier du pouvoir conféré au conseil d'administration pour agir en justice ;
Mais considérant que l'article 13 des statuts précisant, qu'à l'exception des pouvoirs dévolus exclusivement au Bureau et au conseil scientifique par le règlement intérieur, le Conseil d'administration est compétent pour prendre toutes les décisions nécessaires au fonctionnement de l'association et l'accomplissement de son objet social, il s'ensuit, qu'en l'absence de règlement intérieur, le conseil d'administration avait le pouvoir de décider de l'engagement d'une procédure judiciaire ;
Qu'en outre, le président de l'association ayant reçu de l'article 15 des statuts le pouvoir de représenter celle-ci en justice " sans mandat spécial du conseil d'administration ou de l'AG ou du bureau tant en demande qu'en défense, ce dernier pouvait, faute d'une disposition contraire des statuts ou du règlement, intenter une action en justice au nom de l'association " ;
Et considérant qu'en tout état de cause, le conseil d'administration, par décision du 2 septembre 2009, a donné à la présidente de l'association " mandat absolu... de décider d'agir en justice ou de ne pas le faire dès lors que les intérêts d'un adhérent et/ou l'intérêt collectif des consommateurs seront menacés... sans demander préalablement l'autorisation du Conseil d'administration " ;
Que c'est à juste titre que le premier juge a déclaré recevable l'action de l'association Confédération générale du logement et de la consommation ;
SUR LA PRISE EN CONSIDÉRATION DU CONSTAT D'HUISSIER
Considérant que l'association CGLC 35 fonde notamment sa demande sur un procès-verbal de constat d'huissier et une sommation interpellative dressés le 9 novembre 2009 à sa requête et sur l'autorisation du président du tribunal de grande instance de Rennes ;
Mais considérant qu'il ressort de l'ordonnance du juge des référés du tribunal de grande instance de Rennes du du 12 mai 2010 que ce magistrat, saisi en rétractation de l'ordonnance sur requête du 4 novembre 2009 portant autorisation de réaliser le constat dans les locaux de la société Distribution Casino France, a en outre prononcé la nullité de ladite ordonnance ainsi que celle du constat et de la sommation interpellative réalisée le 9 novembre 2009 ;
Que ces procès-verbaux annulés doivent être écartés des débats dès lors que, contrairement à ce que soutient l'association CGLC 35, ceux-ci n'ont pas été communiqués par la société Distribution Casino France dans le cadre de la présente instance ;
SUR L'AFFICHAGE EN POUCES DE LA DIMENSION D'ÉCRANS INFORMATIQUES
Considérant qu'il ressort de l'attestation établie par Monsieur Bernard Catalan le 6 novembre 2007 - en réalité 2009 - que ce dernier a constaté que la dimension des écrans d'ordinateurs, téléviseurs et appareils photographiques exposés dans le magasin de la société Distribution Casino France à Saint-Grégoire était exprimée en pouces ;
Que la société Distribution Casino France ne contestant pas la teneur de cette attestation mais discutant au contraire du bien fondé d'un affichage en pouces, les faits dénoncés dans cette attestation doivent être considérés comme établis ;
Considérant que l'association CGLC 35 invoque également une brochure éditée par la société Distribution Casino France valable du 9 au 21 novembre 2009 qu'elle verse aux débats (pièce n° 6) ;
Que ce prospectus présentait des appareils ayant des écrans vidéos dont la dimension était annoncée en pouces ;
Considérant que l'association CGLC 35 reproche à la société Distribution Casino France d'avoir ainsi utilisé une unité de mesure différente de celles établies par les lois et règlements nationaux et notamment par le décret du n° 61-501 du 3 mai 1961 relatif aux unités de mesure et au contrôle des instruments de mesure ;
Qu'elle fait valoir que le système de mesure obligatoire en France est le système métrique décimal à 7 unités de base, de sorte qu'il ne peut être fait usage du pouce, unité de mesure anglo-saxonne qui correspond à 2,54 centimètres ;
Qu'elle ajoute que la société Distribution Casino France, en ne permettant pas aux consommateurs de savoir la taille réelle des écrans, a méconnu les dispositions des articles L. 111-1 et suivants du Code de la consommation, selon lesquelles tout professionnel vendeur de biens doit, avant la conclusion du contrat, mettre le consommateur en mesure de connaître les caractéristiques essentielles du bien ;
Qu'elle indique encore que le fait de ne pas fournir les documents conformément aux normes relève de la notion de pratique commerciale déloyale et trompeuse au sens de l'article L. 121-1 du Code de la consommation ;
Considérant que le juge des référés a rendu l'ordonnance dont l'association CGLC 35 demande la confirmation sur le fondement de l'article 849 du Code de procédure civile ;
Que selon ce texte, le juge du tribunal d'instance peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ;
Qu'au terme de l'alinéa second de ce dernier texte, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le juge peut accorder une provision au créancier ou ordonner l'exécution de l'obligation ;
Considérant que la société Distribution Casino France invoque l'existence d'une tolérance voire d'un usage autorisant d'exprimer la dimension des écrans vidéo en pouces ;
Considérant en effet, en ce qui concerne l'unité de mesure employée, que si le décret du 3 mai 1961 a rendu obligatoire en France le système métrique décimal à 7 unités de base, il demeure que l'usage est répandu, dans un certain nombre de domaines de recourir de manière systématique à des unités de mesure, de masse ou de volume anglo-saxonne ;
Qu'il en va ainsi notamment pour les moniteurs TV ou les écrans d'ordinateurs dont la dimension est calculée systématiquement en mesurant la diagonale de l'écran exprimée en pouces ;
Que si la dimension des écrans de téléviseurs est exprimée parfois à la fois en pouces et en centimètres, celle des écrans d'ordinateurs est toujours indiquée en pouces ;
Qu'il en résulte que, si la société Distribution Casino France n'a pas respecté le décret n° 61-501 du 3 mai 1961 relatif aux unités de mesure et au contrôle des instruments de mesure, promulgué à une époque à laquelle les micro-ordinateurs n'existaient pas, elle n'a fait que se conformer à un usage commercial unanime en affichant la dimension des écrans proposés par elle à la vente en pouces, unité de référence constituant la norme en matière d'informatique ;
Qu'en ce qui concerne les écrans de téléviseurs, le ministère de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi a indiqué dans une réponse du 24 septembre 2009 à une question de M. Gérard Longuet qui, certes ne lie pas la cour, que :
" Les professionnels utilisent, en effet, depuis plusieurs années une unité de mesure anglaise, le pouce, pour exprimer la taille des diagonales des écrans. Les professionnels s'appuient sur le fait que l'indication exprimée en pouces désigne une classe d'appareils et non pas une dimension... Le système d'unité des pouces étant encore présent en Europe (la grandeur du pouce a été uniformisée en 1959 et fixée à 2,54 cm) et des unités de mesures étrangères étant utilisées dans d'autres domaines (les aviateurs expriment l'altitude en pieds, les marins expriment la vitesse en noeuds, etc...), la pratique des fabricants et des revendeurs d'écrans plats est tolérée à la condition que les indications fournies aux consommateurs soient loyales. Ainsi, un écart de plusieurs centimètres entre la taille d'un écran exprimée en pouces et sa taille réelle en centimètres est susceptible de constituer, sous réserve de l'appréciation souveraine des tribunaux, une pratique commerciale déloyale, en application de l'article L. 121-1 du Code de la consommation. " ;
Considérant que certaines associations de consommateurs elle-mêmes font paraître des publications concernant des écrans vidéo dans lesquelles la dimension des écrans est annoncée exclusivement en pouces, ainsi l'association " Que Choisir " qui a présenté un comparatif d'ordinateurs portables sur son site Internet en avril 2009 ;
Que la nature d'un écran d'ordinateur ou de téléviseur est identique à celle d'un appareil photographique ;
Considérant que le fait d'exprimer la dimension d'un écran par la longueur de sa diagonale en pouces n'apparaît pas comme relevant d'une des vingt-deux pratiques commerciales trompeuses énoncées à l'article L. 121-1 du Code de la consommation ;
Qu'en effet, il n'est pas établi ni même soutenu qu'il existerait un écart entre la taille des écrans exprimée en pouces et leur taille réelle ;
Considérant que le fait pour la société Distribution Casino France d'utiliser cette norme anglo-saxonne, utilisée en France depuis le début de la commercialisation des micro-ordinateurs, n'apparaît pas, avec l'évidence requise devant la juridiction des référés, comme mettant le consommateur dans l'impossibilité de connaître les caractéristiques essentielles du bien au sens des dispositions des articles L. 111-1 et suivants du Code de la consommation ;
Qu'en effet, la connaissance du nombre exact de centimètres séparant le coin supérieur d'un écran de son coin inférieur opposé n'apparaît pas avec évidence comme essentielle dans l'achat d'un micro-ordinateur dont la dimension réelle de la diagonale est annoncée en pouces ; que le consommateur peut procéder à une comparaison objective certaine avec d'autres écrans en comprenant aisément qu'un écran de 17 pouces est plus grand qu'un écran de 15 pouces, alors qu'il appréhende la dimension de l'écran par une constatation visuelle globale ;
Qu'en ce qui concerne les téléviseurs, le consommateur moyen est également en mesure de constater la différence entre un écran ayant une diagonale de 37 pouces et un écran de 40 ou 46 pouces, ces unités ayant une valeur objective et retrouvant immanquablement dans les références de tous les téléviseurs mis sur le marché ;
Considérant par ailleurs que la CGLC 35 n'est en mesure de faire état que d'une plainte d'un consommateur qui s'insurge contre l'absence d'affichage en centimètres de la diagonale des écrans d'ordinateurs et dont l'attestation conduit à penser qu'il avait surtout à coeur de faire respecter le décret du 3 mai 1961 réprimé par une contravention de 3e classe ;
Considérant en définitive qu'en raison, d'une part, de l'absence de dommage imminent et d'un trouble manifestement illicite, et d'autre part, de l'existence d'une contestation sérieuse sur l'existence d'une faute civile imputée à la société Distribution Casino France et génératrice d'une atteinte effectivement portée à l'intérêt collectif des consommateurs, il convient d'infirmer l'ordonnance du premier juge et de dire n'y avoir lieu à référé ;
Par ces motifs : LA COUR, Confirme l'ordonnance de référé, mais seulement en ce qu'elle a déclaré recevable l'action de l'association Confédération générale du logement et de la consommation (CGLC 35) ; Infirme l'ordonnance de référé en toutes ses autres dispositions ; Statuant à nouveau : Ecarte des débats le procès-verbal de constat d'huissier et la sommation interpellative réalisés par le 9 novembre 2009 et déclarés nuls par ordonnance du 12 mai 2010 du juge des référés du Tribunal de grande instance de Rennes ; Dit n'y avoir lieu à référé ; Condamne l'association Confédération générale du logement et de la consommation à payer à la société Distribution Casino France la somme de 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel d'appel qui seront recouvrés, pour ceux d'appel, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.