CA Paris, Pôle 5 ch. 10, 20 octobre 2010, n° 09-03756
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Nutrition et santé (SAS)
Défendeur :
Association Consommation Logement et Cadre de Vie
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Giroud
Conseillers :
Mmes Mouillard, Saint-Schroeder
Avocats :
SCP Oudinot, Flauraud, Me Bodin-Casalis
Depuis 1991, la société Nutrition et Santé, propriétaire de la marque Gerblé, commercialise sous le statut des produits diététiques des barres chocolatées dénommées " Barre Mémoire Orange-Chocolat " et " Carré Mémoire Chocolat ", dans des emballages comportant des allégations relatives à la mémoire.
Courant 2006, l'association agréée de consommateurs Consommation, Logement et Cadre de Vie (ci-après la CLCV) lui a demandé des informations sur ces produits, qu'elle a ensuite transmises à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, aux fins d'évaluation scientifique des allégations par l'Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments (ci-après l'AFSSA).
L'AFSSA ayant rendu, le 27 juin 2007, un avis selon lequel ces allégations n'étaient pas justifiées, la CLCV a assigné Nutrition et Santé, le 13 novembre 2007, pour qu'il lui soit fait interdiction d'en faire usage et obtenir des dommages et intérêts.
Par jugement du 20 janvier 2009, le Tribunal de grande instance de Paris a :
- dit que certaines des allégations, qu'il cite, sur les emballages des barres chocolatées en cause sont de nature à induire en erreur le consommateur sur les propriétés du produit, ses qualités substantielles et les résultats pouvant en être attendus,
- fait interdiction à Nutrition et Santé de faire usage de ces allégations publicitaires sur tous supports notamment sur l'emballage des barres chocolatées et ce, sous astreinte de 1 500 euro par jour de retard à l'expiration d'un délai de trente jours à compter de la signification du jugement,
- ordonné la diffusion dans trois quotidiens nationaux au choix de la CLCV, dans la limite d'un coût unitaire de 5 000 euro chacun, d'un communiqué judiciaire,
- ordonné la diffusion de ce communiqué judiciaire sur la page d'accueil du site Internet www.gerble.fr pendant une durée d'un mois, sous astreinte de 1 000 euro par jour de retard passé le délai de trente jours à compter de la signification du jugement,
- condamné Nutrition et Santé à payer à la CLCV 10 000 euro en réparation du préjudice porté à la collectivité des consommateurs, outre 4 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
LA COUR :
Vu l'appel de ce jugement interjeté par Nutrition et Santé le 23 février 2009 ;
Vu les conclusions signifiées le 19 juin 2009 par lesquelles l'appelante poursuit l'infirmation du jugement et demande à la cour d'écarter des débats l'avis de l'AFSSA du 27 juin 2007, émis en violation des principes du contradictoire et des droits de la défense, et, sur le fond, de juger non trompeuses les allégations publicitaires utilisées, en conséquence, de débouter la CLCV de toutes ses demandes et de la condamner à lui payer 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Vu les conclusions signifiées le 9 octobre 2009 par lesquelles la CLCV poursuit la confirmation du jugement, sauf sur le montant de l'indemnité allouée et demande à la cour de condamner Nutrition et Santé à lui payer à ce titre une somme de 30 000 euro, de débouter cette dernière de toutes ses demandes et de la condamner en outre à lui verser 5 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
SUR CE :
Considérant que Nutrition et Santé fait grief au tribunal d'avoir méconnu les règles de la preuve en matière de publicité trompeuse en lui transférant la charge de démontrer le caractère non trompeur de ses allégations et de ne pas avoir tiré les conséquences juridiques de l'absence du respect des principes du contradictoire et des droits de la défense lors de l'avis émis par l'AFSSA ; qu'elle demande à la cour de tenir compte des nouveaux éléments qui confortent le bien-fondé de ses allégations, et fait valoir à cet égard que, tant que la Commission européenne n'aura pas établi la liste positive des allégations de santé prévue par le règlement n° 1924-2006, ce qu'elle aurait dû faire avant le 31 janvier 2010, les mesures transitoires instaurées par l'article 28 de ce règlement en autorisent l'utilisation ; qu'enfin, elle soutient que les allégations reprochées ne peuvent être qualifiées de trompeuses ;
Considérant, d'abord, que le principe de la contradiction impose que toute pièce ou observation soumise à une autorité publique appelée à rendre une décision puisse être discutée par les parties concernées ; qu'en l'espèce, l'AFSSA n'a pas rendu une décision, mais un simple avis, et, dans cette affaire, c'est au tribunal puis à la cour qu'il appartient de rendre une décision ; que cet avis leur ayant été soumis parmi les autres éléments en débats et Nutrition et Santé ayant été mise en mesure de le discuter et de produire tout élément de défense qu'elle juge utile, aucune atteinte aux principes invoqués n'est caractérisée ;
Considérant, ensuite, sur la charge de la preuve, que la CLCV agit sur le fondement de l'article L. 421-2 du Code de la consommation qui autorise les associations de consommateurs agréées à demander aux juridictions civiles d'ordonner toute mesure propre à faire cesser des agissements illicites ; que l'article L. 121-1 du même Code prohibe toute publicité comportant des allégations fausses ou de nature à induire en erreur lorsque celles-ci portent sur les qualités substantielles et les propriétés du produit qui fait l'objet de la publicité ;
Qu'en l'espèce, il n'est pas contesté que les mentions litigieuses, selon lesquelles les barres commercialisées par Nutrition et Santé sont destinées aux seniors de plus de 50 ans soucieux d'entretenir leur vivacité mentale, parce qu'elles contiennent de la cérocholine, créée par les nutritionnistes de Gerblé, à propos de laquelle " des tests cliniques ont mis en évidence une amélioration significative des performances intellectuelles : une mémorisation accrue, une plus grande concentration et une meilleure vivacité mentale ", et de la vitamine B9, qui " joue un rôle fondamental dans la synthèse des neurotransmetteurs " et " ainsi dans les fonctionnements cérébral et nerveux ", constituent des allégations de santé - au sens du règlement CE n° 1424-2006 du 20 décembre 2006 concernant les allégations nutritionnelles et de santé portant sur les denrées alimentaires, entré en application le 1er juillet 2007 - en ce qu'elles affirment l'existence d'une relation entre, d'une part, une denrée alimentaire et l'un de ses composants, et, d'autre part, la santé (article 2, 5), et plus précisément en ce qu'elles décrivent le rôle d'un nutriment ou d'une autre substance dans les fonctions de l'organisme (article 13, paragraphe I, a) ;
Or considérant qu'il résulte de l'article 6 du règlement précité qu'il incombe à celui qui se prévaut d'une telle allégation d'en justifier au moyen de preuves scientifiques généralement admises ; qu'il suit de là, une publicité reproduisant une allégation de santé n'étant licite que si elle n'est pas trompeuse, que c'est à Nutrition et Santé qu'il appartient d'apporter la justification précitée ; qu'il suit de là, que le grief pris d'une inversion de la charge de la preuve n'est pas fondé ;
Considérant, enfin, sur les mesures transitoires, qu'en premier lieu, Nutrition et Santé ne peut se retrancher derrière l'article 28, 1 du règlement dès lors que ce texte n'autorise la commercialisation des denrées alimentaires non conformes au règlement, qui ont mises sur le marché avant la date d'application de ce texte, que jusqu'à leur date de péremption et pas au-delà du 31 juillet 2009 ; que Nutrition et Santé, qui ne fournit aucune précision sur les dates de péremption de ses produits, et qui ne prétend pas avoir mis fin à leur commercialisation depuis le 31 juillet 2009, n'établit donc pas qu'elle répond aux conditions du texte qu'elle invoque ;
Qu'en second lieu, s'il est exact que le règlement précité prévoit, en son article 13, paragraphe 3, que la Commission européenne doit définir une liste des allégations de santé autorisées et, en son article 28, que les allégations de santé visées à l'article 13, paragraphe I, a, peuvent être utilisées jusqu'à l'adoption de cette liste, il précise aussi, au point 5 de cet article, que ces allégations seront utilisées sous la responsabilité des exploitants du secteur alimentaire, à condition qu'elles soient conformes au règlement et aux dispositions nationales existantes, et sans préjudice de l'adoption des mesures de sauvegarde visées à l'article 24, soit celles qui peuvent être prises par un Etat membre, notamment lorsqu'il a de sérieuses raisons d'estimer que la justification scientifique n'est pas suffisante ; que c'est donc à tort que Nutrition et Santé en tire le principe d'une immunité générale qui la mettrait à l'abri de toute poursuite sur le territoire national ;
Considérant, sur les allégations, qu'en ce qui concerne celle selon laquelle la vitamine B9 joue un rôle fondamental dans la synthèse des neurotransmetteurs et ainsi dans les fonctionnements cérébral et nerveux, Nutrition et Santé, qui se prévaut dans ses écritures de plusieurs études scientifiques, n'en produit aucune ; qu'au demeurant, l'AFSSA a estimé, pour sa part, que l'étude invoquée (étude Larue 1997) avait conclu à des associations relativement faibles entre la vitamine B 9 et les résultats des tests cognitifs, et citait encore d'autres travaux contradictoires quant aux effets invoqués ;
Que, pour ce qui est de la cérocholine, Nutrition et Santé se prévaut d'une seule étude, réalisée en 1989 et non publiée, qui, selon elle, établirait un lien entre la lécithine de soja et les troubles cognitifs de la sénescence ; que toutefois, Nutrition et Santé avait elle-même précisé, en transmettant cette étude à la CLCV (pièce 14), qu'elle était le fruit d'une collaboration entre l'Institut de recherche sur la prévention du vieillissement cérébral de l'hôpital Kremlin-Bicêtre et l'équipe médicale de son actionnaire de l'époque (Rhône-Poulenc Santé), ce qui jette un doute sur son indépendance ; qu'en outre, l'AFSSA l'a jugée insuffisante en raison de ses nombreux biais méthodologiques, notamment en raison d'une faible homogénéité des groupes ; qu'il ressort en effet de ce document que les effets de la lécithine ont été testés en double aveugle par comparaison de l'effet de la lécithine avec celui d'un placebo sur deux groupes d'une trentaine d'individus âgés de 40 à 75 ans, sans que soit précisée la répartition précise de ces derniers à l'intérieur des groupes, seul un âge moyen équivalent - de 55 ans - étant indiqué ; qu'au surplus, cette étude, certes favorable, se terminait prudemment par la conclusion suivante : " Ces premiers résultats tout à fait encourageants nous engagent à proposer une expérimentation plus large avec des tests plus particulièrement centrés sur des activités cognitives conservées ", ce qui n'a pas été fait ; qu'enfin, l'AFSSA a précisé que la cérocholine est essentiellement composée d'acides gras de la série n-6 et que, d'après la bibliographie, un lien est établi entre le fonctionnement cérébral et un apport en acides n-3 et non n-6 ;
Qu'en cet état, ces allégations ne sont pas justifiées ; que c'est donc à juste titre que le tribunal en a déduit qu'elles sont de nature à induire le consommateur en erreur sur les propriétés des produits et le résultat attendu de leur consommation et qu'il a interdit à Nutrition et Santé d'en faire usage et a ordonné des mesures de diffusion et de publicité ; qu'enfin, il a statué sur les dommages et intérêts par une appréciation que la cour fait sienne ;
Que le jugement doit donc être confirmé en toutes ses dispositions, sauf à préciser que le point de départ du délai d'astreinte court à compter de la signification de l'arrêt et non du jugement ;
Et considérant, vu l'article 700 du Code de procédure civile, qu'il y a lieu d'allouer à la CLCV une indemnité et de rejeter la demande de l'appelante à ce titre ;
Par ces motifs : Confirme le jugement en toutes ses dispositions, sauf à préciser que le point de départ du délai d'astreinte court à compter de la signification de l'arrêt et non du jugement, Condamne la société Nutrition et Santé à payer à l'association CLCV une somme de 5 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile et rejette sa demande formée à ce titre, Condamne la société Nutrition et Santé aux dépens d'appel, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.