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Décisions

CA Rouen, 2e ch., 7 janvier 2010, n° 09-00067

ROUEN

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Martin

Défendeur :

Bellet (Consorts)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Bartholin

Conseillers :

M. Lottin, Mme Holman

Avoués :

SCP Lejeune Marchand Gray Scolan, SCP Duval Bart

Avocats :

Mes Vermont, Rique Serezat

TGI Le Havre, du 4 déc. 2008

4 décembre 2008

Exposé du litige

M. Franck Bellet et son épouse Madame Maryline Touellou ont acquis le 21 juin 2001 auprès de M. Jacques Martin, garagiste exerçant sous l'enseigne Garage Martin, un véhicule Renault Espace affichant 64 000 kilomètres au compteur, au prix de 21 152 euro avec le bénéfice d'une garantie assurée par la société Nationale de Service Automobile (NSA).

Le garage Martin est intervenu à plusieurs reprises entre septembre 2001 et juin 2002, suite à des problèmes divers affectant le véhicule qui ont été en grande partie pris en charge dans le cadre de la garantie, la dernière intervention s'étant achevée le 28 juin 2002. Suite à l'apparition, ce même 28 juin au soir lors du retour de M. Bellet à son domicile, d'un bruit qui s'avérera correspondre à un important problème du moteur nécessitant un échange standard, des opérations d'expertise amiable, confiées d'une part à M. Cadot par l'assureur des époux Bellet, d'autre part au cabinet JRF expertises par le garagiste ont conclu à une usure des cales latérales du vilebrequin.

Par acte en date du 24 mars 2003, les époux Bellet ont assigné M. Martin aux fins de voir prononcer l'annulation de la vente du véhicule et voir condamner le garagiste à leur payer les sommes de 2 036,15 euro au titre des frais engagés, de 3 700 euro au titre de leur préjudice de jouissance et de 21 152 euro au titre de la restitution du prix, ainsi qu'une indemnité de 650 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Le Tribunal d'instance du Havre s'est déclaré incompétent par jugement du 9 décembre 2003 au profit du Tribunal de grande instance du Havre.

Le juge de la mise en état du Tribunal de grande instance du Havre a ordonné le 9 décembre 2004 une expertise judiciaire confiée à M. Lavole, qui a déposé son rapport le 30 mars 2006.

M. Martin a assigné en garantie son assureur la société NSA et la société Renault aux fins notamment de leur voir déclarer communes les opérations d'expertise.

Par jugement rendu le 4 décembre 2008, le Tribunal de grande instance du Havre a :

- mis hors de cause la société Renault Sas,

- déclaré M. Jacques Martin, exerçant sous l'enseigne "Garage Martin" responsable, sur le fondement de l'article 1147 du Code civil, des dommages résultant des avaries survenues sur le véhicule Renault Espace appartenant à M. et Madame Franck Bellet,

- condamné M. Jacques Martin à payer à M. et Madame Franck Bellet les sommes de:

* 16 168,46 euro au titre des frais de remise en état,

* 3 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice lié au trouble de jouissance ainsi qu'au préjudice moral subi,

- dit que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter du jour du jugement,

- condamné M. Jacques Martin à payer aux époux Bellet la somme de 2 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- déclaré l'action engagée par Jacques Martin à l'encontre de la société Nationale de Services Automobiles-NSA irrecevable comme prescrite,

- ordonné l'exécution provisoire du jugement à hauteur de la moitié des condamnations ci-dessus prononcées à titre principal, à l'exception du chef de dispositif relatif à l'application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- débouté les parties de toute demande plus ample ou contraire,

- condamné M. Jacques Martin aux entiers dépens dans lesquels seront inclus les frais de l'expertise judiciaire de M. Lavole.

Pour statuer comme il l'a fait, le tribunal, après avoir écarté le grief tiré du manquement à l'obligation d'information et de conseil lors de la restitution du véhicule le 28 juin 2002 à l'issue de la dernière réparation effectuée, a retenu une faute de M. Martin pour avoir omis d'informer M. Bellet le 1er juillet 2002, lors d'une nouvelle présentation du véhicule, de la nature de la panne décelée et des risques de dégradation importante du moteur qu'entraînerait toute utilisation, alors qu'il ne pouvait ignorer en sa qualité de professionnel que le jeu latéral excessif du vilebrequin entraînerait un défaut de lubrification et une destruction du moteur.

M. Martin a interjeté appel de cette décision à l'encontre des époux Bellet et de la société NSA.

Le désistement de son appel à l'encontre de la société NSA, selon courrier du 30 avril 2009, a été constaté par ordonnance du 26 mai 2009.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 6 novembre 2009.

Prétentions et moyens des parties

Pour l'exposé des prétentions et des moyens des parties, il est renvoyé aux conclusions signifiées le 8 octobre 2009 par M. Martin et le 29 septembre 2009 par les époux Bellet.

Leurs moyens seront examinés dans les motifs de l'arrêt.

M. Martin, qui sollicite l'infirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions, demande à la cour à titre principal de dire qu'aucun contrat ne s'est noué entre lui et les époux Bellet postérieurement au 28 juin 2002.

A titre subsidiaire, il conclut à l'absence de faute du garage et à titre plus subsidiaire à l'absence de préjudice en lien de causalité avec le manquement à l'obligation de conseil qui lui est reproché.

En tout état de cause, il demande à la cour de débouter les époux Bellet de toutes leurs demandes et de les condamner à lui payer une somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Les époux Bellet sollicitent la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a retenu la responsabilité de M. Martin et a condamné ce dernier à leur payer une somme de 16 168,46 euro.

Sur leur appel incident, ils sollicitent la condamnation de M. Martin à leur verser la somme de 27 000 euro au titre du leur préjudice de jouissance.

En tout état de cause, ils demandent à la cour de condamner l'appelant à leur payer une somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Sur ce, la Cour,

Sur la faute de M. Martin

Au soutien de son appel M. Martin prétend qu'aucune faute contractuelle commise le 1er juillet 2002 ne peut être retenue à son égard dès lors que sa dernière relation contractuelle avec les époux Bellet a pris fin le 28 juin 2002 par la remise du véhicule réparé à M. Bellet à l'issue de l'intervention du garage pour les changements de la pompe à eau et de la courroie de distribution, dont l'expert a conclu qu'elle était sans relation avec le sinistre affectant le vilebrequin.

S'il admet que M. Bellet est passé au garage le 1er juillet 2002 en raison du bruit que faisait le véhicule et affirme avoir diagnostiqué la panne ce jour-là avec l'aide du cabinet d'expertise automobile Bouchard Ellero qui était présent au garage comme tous les lundis, M. Martin souligne que M. Bellet a refusé la proposition qui lui était faite d'un échange standard, de telle sorte qu'en l'absence d'accord, aucune relation contractuelle ne s'est nouée.

Toutefois, ainsi que l'a souligné le tribunal, M. Martin a accepté le 1er juillet 2002 de prendre en charge le véhicule afin de diagnostiquer le désordre à l'origine du bruit de moteur et d'en confier notamment l'examen à l'expert automobile présent sur place.

Il y a donc bien eu une prestation exécutée au bénéfice de M. Bellet, sans qu'il importe qu'il y ait eu ou non une commande ou un ordre de travaux écrit.

Au surplus il résulte de l'article L. 111-1 du Code de la consommation que tout professionnel vendeur de biens ou prestataire de services doit, avant la conclusion du contrat, mettre le consommateur en mesure de connaître les caractéristiques essentielles du bien ou du service. En l'espèce, M. Martin expose avoir fait une proposition à M. Bellet d'échange standard du moteur.

En toute hypothèse, il appartient au vendeur d'établir qu'il a satisfait à son obligation d'information et de conseil.

Le témoignage de M. Penquin expert stagiaire du cabinet Bouchard Ellero, donné près de 7 ans après les faits, est peu probant compte tenu du souvenir nécessairement imprécis que peut avoir ce témoin si longtemps après.

Au surplus, M. Penquin affirme seulement que M. Martin et lui ont conseillé à M. Bellet de ne plus utiliser le véhicule en l'état, mais ne précise pas si ce client a été informé des conséquences prévisibles d'une telle utilisation ni si cela lui laissait la possibilité de ramener le véhicule à son domicile ou chez un concessionnaire ou agent Renault proche, étant observé que M. Martin indique lui-même avoir conseillé cette dernière solution et que l'expert estime qu'il aurait fallu prévoir dès ce moment un remorquage.

Or il appartient à M. Martin de faire la preuve de ce qu'il a exécuté son obligation d'informer son client sur le danger de continuer à rouler avec son véhicule dans cet état.

Cette preuve n'est pas rapportée et la faute contractuelle de M. Martin est établie.

L'appelant ne saurait se réfugier derrière la faute qu'aurait selon lui commis M. Bellet en continuant à rouler alors que "même pour un béotien, le réflexe était de ne pas rouler" dès lors que son client était précisément venu le consulter sur la conduite à tenir à la suite de l'apparition de ce bruit.

Sur le lien de causalité et le préjudice

M. Martin prétend qu'aucun lien de causalité ne saurait exister entre un éventuel manquement de sa part à son obligation de conseil le 1er juillet 2002 et le sinistre intervenu dès lors que dès ce jour-là le moteur était hors d'usage eu égard à la nature de la panne et à la gravité de l'avarie.

Il souligne en outre que la plupart des réparations évoquées par l'expert (freins, amortisseurs, pneus) sont sans relation avec la panne moteur litigieuse mais sont la conséquence de l'immobilisation prolongée du véhicule, laquelle relève selon lui de la seule responsabilité des époux Bellet en raison de leurs errements de procédure.

Toutefois il résulte des conclusions de l'expert judiciaire que 'pratiquement toutes les dégradations relatées ci avant (sur le moteur), l'exception de l'éjection des deux demi-cales, sont apparues pendant les 214 kms parcourus après le 1er juillet 2002" et que , pour prévenir le sinistre, il aurait fallu impérativement immobiliser le véhicule à l'instant de la perception de bruit.

Par ailleurs, l'immobilisation du véhicule, qui a duré plus de sept ans, est pour l'essentiel la conséquence du refus de M. Martin d'assumer sa responsabilité, lequel a nécessité une longue procédure, et seulement pour une petite partie la conséquence des deux erreurs de procédure évoquées, puisqu'il s'est écoulé un an entre la décision d'incompétence du tribunal d'instance et la décision du juge de la mise en état ordonnant l'expertise, ce qui constitue le retard maximum imputable aux deux erreurs commises par les époux Bellet quant à la compétence de la juridiction saisie au fond et quant à la compétence du juge saisi pour obtenir la mesure d'expertise (juge des référés au lieu du juge de la mise en état).

Or il est justifié que les réparations jugées nécessaires par l'expert dans son rapport d'expertise, déposé en mars 2006 alors que l'immobilisation du véhicule avait duré moins de quatre ans, soient mises à la charge de M. Martin maintenant que la durée d'immobilisation imputable à ce dernier s'élève à plus de 6 ans déduction faite de l'année imputable aux époux Bellet.

Le jugement entrepris sera en conséquence confirmé en ce qu'il a condamné M. Martin à payer aux époux Bellet une somme de 16 168,46 euro TTC au titre des frais de remise en état avec intérêts au taux légal à compter du dit jugement.

S'agissant du préjudice de jouissance lié à l'immobilisation du véhicule, les époux Bellet sollicitent leur indemnisation sur la base de 15 euro par jour sur 5 ans.

Si la cour juge la réclamation excessive, la somme de 3 000 euro allouée par le tribunal est manifestement insuffisante pour réparer un tel préjudice.

Il sera alloué aux époux Bellet de ce chef une somme de 15 000 euro.

M. Martin sera débouté de sa demande faite sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et sera condamné à payer aux époux Bellet, en plus de la somme allouée de ce chef par les premiers juges, l'indemnité mentionnée au dispositif au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel.

Par ces motifs, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, excepté en celles qui ont condamné M. Martin à payer aux époux Bellet une somme de 3 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice lié au trouble de jouissance et au préjudice moral subi, Statuant à nouveau du chef infirmé, Condamne M. Martin à payer aux époux Bellet une somme de 15 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice lié au trouble de jouissance avec intérêts au taux légal à compter du jugement entrepris, Y ajoutant, Déboute M. Martin de sa demande faite sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne M. Martin à payer aux époux Bellet une somme de 3 000 euro au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel, Condamne M. Martin à payer les dépens d'appel avec droit de recouvrement direct au profit des avoués de la cause, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.