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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 3 juin 2010, n° 07-10447

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Musthane (SAS)

Défendeur :

Satujo (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Perrin

Conseillers :

Mme Mouillard, M. Remenieras

Avoués :

Me Teytaud, SCP Narrat Peytavi

Avocats :

Me Diez, Pichavant

T. com. Bobigny, du 10 mai 2007

10 mai 2007

La société Musthane, qui fabrique et vend des produits industriels en caoutchouc dans le cadre de brevets et licences depuis 1989, commercialise un obturateur anti-pollution, sous le nom " Must stop securit ", qui permet d'empêcher le rejet de produits nocifs en dehors des sites industriels ;

La société Satujo, sa concurrente, fabrique des produits de même gamme et complémentaires et propose à la vente un produit appelé " Post fix ", similaire au " Must stop securit " ;

Lors du " Salon Pollutec " consacré aux équipements et technologies de l'environnement, la société Satujo indique sur sa brochure commerciale qu'elle est le " seul fabricant-installateur " de ce type de produit, ce qui est constaté par un procès-verbal de constat réalisé par un huissier le 30 novembre 2005, à la demande de la société Musthane qui considère que cette publicité est mensongère et qu'elle constitue un acte affectant son activité économique ;

C'est dans ces conditions que la société Musthane a assigné la société Satujo afin de voir juger qu'elle s'est rendue coupable à son détriment d'actes de publicité mensongère et de dénigrement indirect ;

Par jugement du 10 mai 2007, le Tribunal de commerce de Bobigny a débouté la société Musthane en toutes ses demandes, les a dit non fondées, a reçu la société Satujo en sa demande reconventionnelle, y a fait droit et a condamné Musthane au paiement à Satujo de 5 000 euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

La société Musthane a interjeté appel le 14 juin 2007 ;

LA COUR,

Vu les conclusions signifiées le 8 avril 2010 par lesquelles la société Musthane, au visa de l'article L. 121 du Code de commerce et de l'article 1382 du Code civil, conclut à la réformation de la décision entreprise d'appel en toutes ses dispositions, et demande à la cour de :

- dire et juger que la société Satujo s'est rendue coupable au détriment de la société Musthane d'actes de publicité mensongère et de dénigrement indirect,

- en conséquence, interdire à la société Satujo de reproduire et distribuer la publicité litigieuse objet des débats,

- ordonner sous astreinte et aux frais de la société Satujo la destruction de l'ensemble des documents commerciaux, prospectus et publicités faisant état de cette information mensongère,

- condamner la société Satujo au paiement à titre de réparation du préjudice des sommes suivantes : 30 000 euro de dommages et intérêts à titre provisionnel du fait des ventes manquées consécutives à cette publicité particulièrement déloyale et 2 000 euro de dommages et intérêts à titre provisionnel du fait de l'atteinte et à la dévalorisation de son image auprès des groupes industriels et des consommateurs en général,

- désigner tel expert qu'il plaira à la cour de nommer aux frais de l'intimée avec mission de : se rendre au siège social de la société Satujo, dans ses éléments secondaires, et généralement en tous lieux utiles, effectuer toutes recherches ou constatations utiles afin de découvrir l'étendue de la diffusion des campagnes publicitaires mensongères et les conséquences de ces pratiques commerciales sur la captation des marché par Satujo, entendre les parties comme tout sachant et se faire remettre tous documents contractuels ou autres nécessaires à l'accomplissement de sa mission, fournir à la cour tout élément nécessaire à la détermination des préjudices subis au titre de la concurrence déloyale et du dénigrement, dire que l'expert pourra se faire assister de tout sachant de son choix, notamment dans le domaine informatique, dire qu'en cas de difficulté il en sera référé à la cour, dire que l'expert devra déposer son rapport dans les trois mois de sa saisine, ordonner la réouverture des débats aux termes du rapport d'expertise pour la liquidation des préjudices,

- ordonner la publication du dispositif du jugement à intervenir sur le website de la société Satujo à l'adresse: http://www.satujo.com, pendant une durée de trois mois à compter de la signification du jugement à intervenir, cette publication devant figurer sur la page d'accueil dudit site et située en haut de page,

- dire que le texte des publications pourra être accompagné de la publicité litigieuse,

- ordonner la publication du dispositif du jugement à intervenir dans dix revues périodiques au choix de l'appelante et ce aux frais de la société Satujo à hauteur d'une somme de 40 000 euro,

- condamner la société Satujo à rembourser à la société appelante l'intégralité des frais de constat accompli par Me Dubois,

- condamner la société Satujo à payer à la société Musthane la somme de 7 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Vu les conclusions signifiées le 17 mars 2008, par lesquelles la société Satujo conclut à la confirmation en toutes ses dispositions du jugement rendu par le Tribunal de commerce de Bobigny en date du 10 mai 2007 et demande à la cour de :

- dire et juger que la société Satujo n'est l'auteur d'aucune publicité mensongère,

- débouter la société Musthane de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a condamné la société Musthane à payer à la société Satujo les sommes de : 5 000 euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, 3 000 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- y ajoutant, condamner la société Musthane à payer à la société Satujo la somme de 3 000 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile correspondant aux frais irrépétibles assumés en cause d'appel ;

SUR CE :

Considérant que la société Musthane reproche à la société Satujo d'avoir indiqué sur sa brochure commerciale et son stand d'exposition lors du salon Pollutec qui a eu lieu en novembre 2005, qu'elle est le " seul fabricant-installateur " d'obturateur anti-pollution et que " Satujo n° 1 des solutions gonflables c'est la garantie de résultat du seul fabricant-installateur ", alors qu'elle souligne être également fabricant et installateur de ce type de produit et que la société Satujo s'est ainsi rendue coupable au détriment de Musthane d'acte de publicité mensongère et de dénigrement indirect ;

Considérant que la société Satujo estime n'être l'auteur d'aucune publicité mensongère aux motifs que la publicité litigieuse ne comporte aucune allégation ou présentations fausses ou susceptibles d'induire le public en erreur dès lors qu'elle procède bien à l'installation de son matériel par ses propres équipes, alors que la société Musthane les sous-traite;

Considérant que selon l'article L. 121-1 du Code de la consommation, sont interdites les publicités "comportant des indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur ... sur la nature, composition, qualités substantielles ... du produit"; qu'il ressort de la jurisprudence constante en la matière que constitue un acte prohibé au sens de l'article L. 121-1 du Code de la consommation le fait de faire de la publicité en se présentant avec des titres inexistants ou en se drapant d'une fausse qualité ; que la jurisprudence retient comme acte de dénigrement par diffusion d'une publicité mensongère au sens de l'article 1382 du Code civil, l'exposé de la prétention que l'on possède une position unique par rapport à un marché déterminé alors qu'il n'en est rien ;

Considérant qu'il ressort du procès-verbal de constat de Me Laurent Dubois, huissier de justice, en date du 30 novembre 2005, réalisé lors du salon Pollutec, que la société Satujo se présente auprès des clients et prospects comme " le seul installateur de solution gonflable ", qu'elle fait apparaître sur le cloisonnement en côté extérieur de son stand l'affirmation suivante : " concepteur de l'obturateur à poste fixe leader en Europe, seul fabricant-installateur ", et qu'apparaît sur le bas de la page centrale des publicités disponibles à l'extérieur du stand et en libre-service que : " Satujo n° 1 des solutions gonflables c'est la garantie de résultat su seul fabricant-installateur ";

Considérant que la société Satujo produit et commercialise un produit similaire au produit Must stop securit de la société Musthane, que les deux produits ont les mêmes fonctionnalités et sont vendus sensiblement au même tarif ; que la société Satujo inclut dans son prix l'installation du produit et précise dans ses documents publicitaires adressés aux clients et prospects qu'elle est à la fois fabricant et installateur de son produit appelé " Post-fix ", qu'elle produit des attestations de ses salariés affirmant procéder aux installations de ses produits ; que dès lors elle possède bien le statut de fabricant-installateur ;

Considérant que la société Musthane produit et commercialise son obturateur anti-pollution sous le nom " Must stop securit " ; que ses tarifs ne comprennent pas l'installation de ce produit ; que la fiche de présentation du produit " Must stop securit " explique dans son verso que " le produit est facile d'installation et d'utilisation " et que la fiche des " accessoires en configuration basique " détaille précisément l'installation de l'obturateur ; qu'aucun des supports publicitaires de la société Musthane ni la plaquette de présentation de cette dernière à l'occasion du salon Pollutec ne mentionne la faculté de voir l'obturateur installé par la société Musthane ; que dès lors le statut de fabricant-installateur de la société Musthane ne ressort pas de sa documentation ;

Considérant en outre qu'il n'est fait mention d'une possibilité d'installation que dans les feuilles d'interventions, télécopies et factures émanant de la société Musthane, que seules deux des feuilles d'interventions produites sont antérieures au présent litige ; qu'il ressort de ces diverses pièces versées aux débats que la société Musthane propose en option aux clients qui le souhaitent l'installation ou la maintenance de ses obturateurs d'anti-pollution ; que la société Musthane indique à ses clients que l'installation de ce système est très simple et pourra être effectuée par leurs soins mais qu'elle propose toutefois un forfait d'installation en propre par un de ses techniciens ; qu'il ressort de la facture d'installation en page 4 de la télécopie de Perstop SA en date du 14 avril 1995 la mention d'un prix forfaitaire de 2 880 F pour des prestations mais aucune indication de la nature desdites prestations ; que le site Internet de Musthane mentionne sa proposition d'installer le produit "Must stop securit" ; que les attestations des techniciens d'installation de la société Musthane certifiant avoir procédé à des installations de produits de leur société concernent des faits postérieurs au salon Pollutec, ou ne mentionnent aucune date concernant lesdites installations et que l'un de ces techniciens a été embauché par Musthane le 29 mai 2006 donc postérieurement à l'instance en cours ; qu'il ne ressort pas de ces éléments que la société Musthane procédait elle-même à l'installation de ses produits avant le salon Pollutec ;

Considérant que la société Musthane ne rapportant pas la preuve de son statut de fabricant-installateur au même titre que la société Satujo, cette dernière peut donc se prévaloir de la qualité de " seul fabricant-installateur " dès lors qu'aucun de ses concurrent ne possède la même qualité ; que la société Satujo n'est l'auteur d'aucune publicité mensongère ; que le jugement des premiers juges sera confirmée de ce chef ;

Considérant qu'en l'absence de publicité mensongère et de dénigrement indirect, il n'y a pas lieu d'ordonner sous astreinte la destruction des documents publicitaires, ni de condamner la société Satujo à verser les sommes de 30 000 euro de dommages et intérêts du fait des ventes manquées et 20 000 euro du fait de l'astreinte et à la dévalorisation de son image, ni à désigner un expert pour déterminer les préjudices du fait de la concurrence déloyale et du dénigrement, ni d'ordonner la publication du jugement aux frais de Satujo, ni de condamner Satujo au paiement des frais du constat d'huissier de Me Dubois ; qu'il y a lieu de débouter la société Musthane de toutes ces demandes ; que le jugement des premiers juges doit être confirmé sur ce point ;

Considérant que l'existence d'un litige entre Musthane et une autre société est totalement étrangère à l'instance en cours ; qu'il ne peut en être déduit un abus de droit commis par Musthane dans l'exercice de son droit de recours ; qu'il y a lieu de réformer la décision des premiers juges la condamnant à payer à la société Satujo les sommes de 5 000 euro de dommages et intérêts pour procédure abusive et 3 000 euro sur le fondement de l'article du Code de procédure civile ;

Et considérant que la société Satujo a engagé des frais non compris dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser en totalité à sa charge ; qu'il y lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile dans la mesure qui sera précisée au dispositif et de rejeter la demande de la société Musthane à ce titre ;

Par ces motifs : Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a condamné la société Musthane à payer à la société Satujo les sommes de 5 000 euro de dommages et intérêts pour procédure abusive et 3 000 euro sur le fondement de l'article du Code de procédure civile.