CA Rouen, 1re ch. 1er cabinet, 7 novembre 2007, n° 06-02842
ROUEN
Arrêt
PARTIES
Défendeur :
Montaigne Direct (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bouché
Conseillers :
Mme Le Carpentier, M. Gallais
Avocats :
SCP Greff Peugniez, SCP Duval Bart
ARRET :
Paulette M épouse S, née en 1926, a reçu par voie postale un certificat de remise de prix de 100 000 F accompagnée d'un facsimile de lettre manuscrite datée du 6 décembre 2001 émanant de la secrétaire chargée des remises de prix de la société Biotonic spécialisée dans la vente par correspondance de produits diététiques et cosmétiques ;
Ayant passé deux commandes qui ont donné lieu les 13 et 27 décembre 2001 à l'émission de notes d'envoi contenant facturation, ayant payé et reçu les marchandises, Paulette M épouse S n'a jamais eu pour autant le gain annoncé, mais seulement de nouveaux documents ;
Elle a saisi le Tribunal de grande instance de Rouen par assignation délivrée à la société Biotonic le 5 décembre 2002 en paiement de la somme de 15 224, 90 sur le fondement de la responsabilité principalement quasi-contractuelle, subsidiairement contractuelle ;
Sur exception d'incompétence soulevée par la société Montaigne Direct, nouvelle dénomination de la société Biotonic, le juge de la mise en état s'est déclaré incompétent au profit du Tribunal de grande instance de Grasse ; son ordonnance a toutefois été infirmée par la Cour d'appel de Rouen le 10 mars 2005 et, sans attendre l'issue du pourvoi en cassation formé par la société, la procédure au fond s'est poursuivie devant le Tribunal de grande instance de Rouen ; - Par arrêt du 12octobre2006, la Cour de cassation a déclaré le pourvoi non admis ;
Suivant jugement du 26 mai 2006, ce tribunal a débouté Paulette M épouse S de sa demande et l'a condamnée aux dépens, motif pris que de l'ensemble des documents produits aux débats il ne résulte pas de la part de la société de vente une volonté de lui remettre le gain mais une information suffisante sur l'existence d'un aléa ;
Paulette M épouse S a relevé appel de cette décision et, aux termes de ses conclusions signifiées le 27 novembre 2006, elle demande à la cour, par réformation, de condamner la société Biotonic au paiement de 15 244, 90 avec intérêts au taux légal capitalisés à compter de la mise en demeure du 4 janvier 2001, outre 3 000 en application de l'article 700 du Code de procédure civile;
Comme en première instance, elle se livre à un rappel détaillé des termes des divers documents reçus pour conclure qu'il n'y avait aucun doute quant à l'attribution du chèque annoncé ;
S'agissant du droit, elle soutient que la démarche de la société Biotonic ne s'inscrit pas dans le cadre d'une loterie ou d'un jeu promotionnel au sens de l'article L. 121-36 du Code de la consommation dont les conditions ne sont pas réunies mais relève d'un engagement quasi-contractuel au sens de l'article 1371 du Code civil ;
La société anonyme Montaigne Direct, anciennement Biotonic, conclut le 5 juin2007 à la confirmation du jugement déféré et aux constats que les jeux publicitaires qu'elle diffuse sont parfaitement licites, qu'elle n'a commis aucune faute et a souscrit aux seules obligations auxquelles elle s'était engagée, et qu'il n'existe aucun engagement ferme de versement d'un prix ;
La société concluante demande la condamnation de l'appelant à lui payer une indemnité de 2 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Sur ce, LA COUR,
Pour protéger le consommateur des excès de l'annonceur, les articles L. 121-36, 37 et 38 du Code de la consommation exigent qu'une loterie remplisse un certain nombre de conditions parmi lesquelles:
- la loterie ne doit pas imposer de contrepartie financière ou dépens sous quelque forme que ce soit,
- le bulletin de participation à l'opération publicitaire doit être distinct de tout bon de commande de bien ou de service,
- les documents présentant l'opération ne doivent pas être de nature à susciter la confusion avec un document administratif ou bancaire libellé au nom du destinataire,
- ces documents doivent comporter un inventaire lisible des lots mis enjeu,
- la mention suivante doit apparaître : " le règlement des opérations est adressé à titre gratuit à toute personne qui en fait la demande " et les documents doivent indiquer l'adresse à laquelle peuvent être envoyées cette demande et celle du nom de l'officier ministériel dépositaire ;
La société Montaigne Direct soutient qu'elle n'a pas violé ces textes et, notamment, l'obligation de gratuité : les documents reçus par Paulette M épouse S indiquent la gratuité du jeu sans obligation d'achat, les envois concomitants de simples documents publicitaires ou de commande ne constituent pas des opérations publicitaires au sens de l'article L. 121-36 et n'y sont pas soumis, enfin, s'agissant de la contrepartie financière supportée par la candidate sélectionnée pour le jeu, l'obligation d'apposer un timbre postal sur l'enveloppe-réponse s'accompagne expressément d'une offre de son remboursement sur simple demande ;
Or, dans le premier envoi du 6 décembre 2001, une " lettre" de Marie B , disant secrétaire chargée des remises de prix, accompagne un certificat de remise de prix intitulé " 100 000 frs à réclamer d'urgence " ; elle est ainsi libellée:
" Très chère cliente, la notification que je vous adresse aujourd'hui nécessite réellement toute votre attention. Je comprends que vous puissiez avoir des doutes et pourtant c'est incontestable et je tiens à vous le confirmer à nouveau personnellement,
- nous n'attendons plus qu'une simple commande de votre part,
- quel que soit son montant, dès réception par nos services administratifs et uniquement dans ce cas, j'aurai le plaisir de procéder officiellement et immédiatement à l'envoi à votre domicile d'un règlement de " 100 000F par chèque bancaire ".
Je me permets d'insister, surtout agissez vite car sans réponse de votre part, je serai obligée de suspendre définitivement l'envoi de ce règlement.
J'attends donc avec impatience votre commande dans les tous premiers jours... "
Sans nécessité de développer une analyse exhaustive des autres documents successivement adressés à Paulette M épouse S, force est de constater à partir de ces premiers documents que sa participation à l'opération publicitaire s'accompagne nécessairement d'une commande qui en est la condition expresse.
Cette obligation de consommer, qu'accompagne toujours la volonté de lui attribuer " un " chèque est ensuite réitérée à plusieurs reprises dans d'autres envois, ce alors même que Paulette M épouse S a passé deux commandes d'articles en décembre 2001 et les a reçus et payés ;
L'article L. 121-36 n'a pas été respecté ;
Paulette M épouse S se prévaut alors des dispositions de l'article 1371 du Code civil qui définit le quasi-contrat comme un fait purement volontaire de l'homme dont il résulte un engagement quelconque envers un tiers ;
A défaut, à ses yeux, d'aléa clairement exprimé dans son annonce de gain, Paulette M épouse S demande la condamnation de la société de vente à répondre de son engagement par la remise de la somme annoncée de 15 244,90 (100 000 francs) ;
La société Montaigne Direct réplique que les courriers et avis ensuite envoyés indiquaient l'existence d'un pré-tirage et que, dès lors, elle n'a pris aucun engagement de payer les 100 000 francs réclamés ;
Or, la société produit de nombreux documents publicitaires qui ne concernent pas Paulette M épouse S, qui, pour certains, portent sur des gains et des tirages de montants différents et dont la présentation pour beaucoup sous forme de photocopies ne permet pas à la cour d'exercer son contrôle sur leur sincérité recto et verso;
S'agissant de ceux indiscutablement adressés à l'appelante, il appartient à la société Montaigne Direct de démontrer qu'en sa qualité d'organisatrice d'une loterie annonçant un gain à personne dénommée, elle a mis en évidence l'aléa, à défaut de quoi elle s'oblige par ce fait purement volontaire à délivrer le gain ;
Il résulte de la lettre de la secrétaire chargée des remises de prix du 6 décembre 2001 ci-dessus reproduite et du certificat de remise de prix spécifiant " ce document vaut preuve irréfutable ; conformément au règlement, nous affirmons ce jour que le chèque de 100 000,00 F sera envoyé à Paulette S dès réception de sa participation et agrément de l'huissier de justice ", qu'aucune référence évidente n'est faite à un aléa en rapport avec un tirage au sort ou une loterie;
Certes, ainsi que la société Montaigne Direct le fait valoir, en bas du certificat apparaît une mention " pré-tirage sans obligation d'achat effectué sous le contrôle de maitre Franck, huissier de justice à Nice, avec un seul gagnant et des perdants. Règlement complet joint "
Cependant, non seulement cette information est donnée, hors cadre, en caractères minces et minuscules nécessitant pour un client normalement attentif et bien voyant l'usage d'une loupe, mais l'absence d'obligation d'achat qui y figure est contraire aux termes du courrier de Marie B ;
Quant au règlement figurant au verso du certificat, écrit en couleur ocre sur fond rose et composé de 34 lignes sans espaces, sans paragraphes et sans interlignes, il est totalement illisible ;
Eu égard à de tels procédés, il est à ce stade particulièrement déplacé de la part de la société Montaigne Direct de prétexter la mauvaise foi de la consommatrice pour se soustraire à l'application des dispositions de l'article 1371 du Code civil ;
Il apparaît ainsi que la société Montaigne Direct n'a pas immédiatement adressé à Paulette M l'information lui permettant de savoir que l'attribution du prix est soumise à un aléa ;
Peu importe qu'ensuite, au fil des correspondances, la société ait progressivement initié sa cliente à l'idée qu'elle pourrait ne pas se voir remettre le prix, eu égard à un système de pré-tirage et de tirage, dès lors qu'elle n'a pas annoncé de manière évidente et dès le premier envoi le caractère aléatoire de l'opération promotionnelle qu'elle lançait ;
En exécution de l'engagement ferme qu'elle a pris envers elle, la société Montaigne Direct doit être condamnée à remettre 100 000 francs (15 244,90 euro) à Paulette M épouse S.
Cette somme produira intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 5 décembre 2002 valant mise en demeure (et non comme écrit par erreur dans les conclusions de l'appelante le 4 janvier2001) ;
Le procédé exagérément attractif et trompeur employé à des fins commerciales a conduit Paulette M épouse S à engager une procédure judiciaire pour faire confirmer ses droits ; les frais qu'elle a dû exposer à cette fin doivent, en équité, être pris en charge par la société condamnée ;
Par ces motifs, - Infirmant le jugement du 26 mai 2006, - Condamne la société Montaigne Direct, nouvelle dénomination de Biotonic, à payer à Paulette M. la somme de 15 244,90 euro augmentée des intérêts au taux légal à compter du 5 décembre 2002 et une indemnité de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.