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Décisions

CA Lyon, 1re ch. civ. A, 30 juin 2011, n° 10-03748

LYON

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Jardin Imprévu (SAS)

Défendeur :

Wallflower (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gaget

Conseillers :

Mme Devalette, M. Semeriva

Avoués :

SCP Baufume-Sourbe, SCP Aguiraud Nouvellet

Avocats :

SCP Colbert, Me Le Stanc

CA Lyon n° 10-03748

30 juin 2011

EXPOSÉ DU LITIGE

Faisant grief à la société Wallflower de commercialiser des " tableaux végétaux " reproduisant les caractéristiques originales de ses propres produits, en particulier leur présentation, leurs formes, leur dénomination et les termes des publicités en vantant les mérites, la société Jardin Imprévu a assigné cette dernière en concurrence déloyale et parasitaire.

Elle est appelante du jugement qui, pour rejeter ses demandes, a essentiellement retenu :

- que " les produits ont des ressemblances, puisque le principe de base est similaire, mais avec des différences techniques très marquées, comme le confirme indirectement l'enregistrement accepté de leurs brevets respectifs, selon les dires des parties à la barre ",

- que le concept est la réplique, pour la décoration intérieure, de créations urbanistiques des années 80, ce qui écarte ipso facto toute notion de création artistique,

- que la société Jardin Imprévu exploite sous l'enseigne Flowerbox et que la dénomination de la société Wallflower y ressemble quelque peu, mais que cela ne peut générer une confusion,

- que les arguments publicitaires peuvent difficilement être opposés compte tenu de la similarité des produits considérés.

La société Jardin Imprévu fait valoir :

- que les actions en contrefaçon et en concurrence déloyale ont des fondements distincts,

- que la société Wallflower a adopté un comportement parasitaire en reproduisant les caractéristiques essentielles et la présentation de ses produits et en reprenant à l'identique son concept, puisque, dans les deux cas, il s'agit de tableaux végétaux composés de micro-plantes, dans un cadre à base de forme carrée qu'aucune contrainte technique ne dictait,

- que l'originalité n'est pas une condition de la protection par l'action en parasitisme et qu'en toute hypothèse, son concept est original,

- qu'elle a en outre imité son enseigne en créant un risque de confusion, repris les termes de ses publicités et faussement revendiqué la nouveauté du concept, ce qui constitue une pratique commerciale trompeuse au sens de l'article L. 121-1 du Code de la consommation.

Elle demande en conséquence d'ordonner le retrait des produits litigieux et des outils de communication incriminés, de désigner un expert aux fins d'évaluation du préjudice et de condamner la société Wallflower à lui payer une provision de 100 000 euro ainsi qu'une indemnité de 15 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Wallflower fait valoir :

- que la société Jardin Imprévu ne fonde son action ni sur sa demande de brevet ni sur la marque dont elle est titulaire, car tous deux sont nuls en réalité,

- que les produits qu'elle commercialise sont bien différents de ceux de la partie adverse,

- qu'elle justifie d'investissements,

- qu'il n'existe aucun risque de confusion entre enseignes, que les documents publicitaires sont tout à fait distincts et que la communication qui lui est reprochée n'est en rien mensongère,

- qu'il n'y a donc ni faute, ni préjudice ni, le cas échéant, lien de causalité entre les deux.

Elle soutient que c'est au contraire la société Jardin Imprévu qui se livre à des pratiques commerciales trompeuses ainsi qu'à des mesures d'intimidation et que la procédure est abusive.

Elle demande d'infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté ses demandes reconventionnelles et de prononcer condamnation sur ces points, de mettre une amende civile à la charge de la société Jardin Imprévu et de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

La société Jardin Imprévu fait d'abord grief à la société Wallflower d'avoir reproduit les caractéristiques essentielles ainsi que la présentation de ses produits et d'avoir en outre repris son concept.

Cela n'est pas interdit en soi, aucun droit privatif couvrant ces caractéristiques, cette présentation ou ce concept n'étant invoqué.

Il faut donc examiner si les conditions même de cette imitation la fait dégénérer en faute.

De ce point de vue, il convient d'abord de constater que les produits de la société Jardin Imprévu se présentent sous la forme d'une boîte carrée, dans laquelle des orifices ronds permettent de placer des pots, le client "composant lui-même sa Flowerbox en adaptant la composition florale"', selon l'argumentaire de cette société.

Le produit commercialisé par la société Wallflower consiste en un support, également carré, pourvu sur son arrière d'un élément de taille moindre et de profondeur importante ; cet ensemble est pourvu de végétaux pré-installés.

Au moment de l'achat, comme après installation, ces deux supports produisent donc une impression visuelle tout à fait différente, celui de la société Jardin Imprévu se présentant comme une boîte de forme régulière dans laquelle s'insèrent des végétaux, celui de la société Wallflower consistant en un support pourvu de cet élément arrière, visible sous certains angles.

Par ailleurs, les matériaux utilisés pour ces supports sont différents.

Le tribunal a souligné en outre que le mode de fonctionnement est également différent ; cela serait inopérant si cette différence entre les techniques respectives restait de peu d'importance pratique pour le public concerné ; mais tel n'est pas le cas, car les deux objets ont un maniement différent, tant en ce qui concerne l'installation des plantes (en pots à choisir, dans un cas, pré-plantées dans une poche de culture, dans l'autre), que leur entretien (arrosage manuel, éventuellement après dépose, pour les produits Flowerbox, arrosage automatique grâce au système installé dans l'élément arrière pour les supports Wallflower).

Il en résulte en effet que le produit Flowerbox se limite à un support composant un " tableau floral " vertical, tandis que le produit Wallflower se présente comme un petit jardin vertical.

En conclusion, la seule similitude est que les deux produits sont de forme carrée ce qui, peu important que d'autres formes de support soient possibles, ne caractérise pas à soi seul une reprise fautive d'un élément caractéristique.

Dans ces conditions, la société Wallflower n'a pas copié les produits de la société Jardin Imprévu, ni repris leurs éléments, ni même ne les a imités.

Quant à la prétendue captation du concept, voire de " l'essence du concept ", ces deux dispositifs se proposent en effet d'obtenir des résultats similaires en termes de décoration intérieure.

L'action en concurrence déloyale ou en parasitisme n'exige pas que le concept en question soit original, voire qu'il puisse être protégé par un droit d'auteur dont l'entreprise plaignante serait titulaire, ce qui n'est d'ailleurs pas possible, ce prétendu concept se ramenant à une idée, celle d'accrocher des tableaux végétaux aux murs, qui, par nature, n'est pas susceptible d'une telle protection.

La société Jardin Imprévu n'expose pas en quoi son produit, pris en son apparence et sa structure, révélerait l'empreinte de la personnalité de son auteur, ou même présenterait un caractère propre.

Sa revendication, très subsidiaire à une protection ne peut être accueillie, d'autant qu'en toute hypothèse, les éléments caractéristiques de son produit ne sont pas imités.

Les reproches adressés à la société Wallflower sont dépourvus de tout fondement.

La société Jardin Imprévu fait encore grief d'imitation de ses signes distinctifs (dénomination et enseigne) et de son argumentaire de vente.

Le premier reproche ne peut en réalité concerner que l'enseigne de la société Jardin Imprévu, sa dénomination n'étant en rien imitée par celle de la société Wallflower.

En réalité, cette enseigne n'est pas " Flowerbox ", mais selon les pièces produites, " Flowerbox Gallery " ; toutefois, l'existence de ce second terme n'est pas pertinente pour l'examen demandé, le premier identifiant à lui seul cette enseigne ; dès lors, les similitudes visuelles, phonétiques et conceptuelles entre les signes comparés sont importantes et la similarité des produits contribue à en accentuer encore les effets.

Dans le second volet de ses reproches, la société Jardin Imprévu souligne les ressemblances entre les discours commerciaux des deux entreprises en citant notamment :

- des slogans très proches : " accrochez la nature à vos murs ", d'un côté, " accrochez un jardin sur vos murs ", " invitez la nature chez vous ", " changez la nature de vos murs ", de l'autre,

- l'emploi commun de produits présentés dans des décors de salles de bains,

- l'affirmation des mêmes valeurs ; à titre d'exemples, en ce qui la concerne : " respect de l'environnement, Flowerbox privilégie l'usage de matériaux en phase avec le développement durable et la protection de l'environnement " ; de la part de sa concurrente : " viva l'environnement, Wallflower respecte l'environnement, l'ensemble des composants sont des matériaux entièrement recyclables " ; il est fait référence pour le surplus aux autres exemples, nombreux, cités aux conclusions quant aux revendications de créativité et de design.

Les similitudes ainsi dénoncées sont donc assez marquées et concernent plusieurs éléments de communication des deux entreprises.

Mais il en résulte seulement que la société Jardin Imprévu a fait choix d'une enseigne très évocatrice, car quoiqu'elle mette en œuvre des mots de la langue anglaise, elle est immédiatement compréhensible par le consommateur moyen français comme se rapportant à une boîte contenant des fleurs.

Elle a donc placé son activité sous une enseigne réputée moderniste (puisqu'en langue anglaise) et transparente quant à l'identification de son secteur d'activité.

Cette même stratégie de la part de la société Wallflower et les similitudes en résultant ne peuvent en soi constituer une faute, à moins que l'ensemble de son fonctionnement et notamment de sa manière de se présenter auprès du public crée un risque de confusion.

Or, de ce point de vue, les deux sociétés mettent ainsi en exergue les atouts de leur produit : nature, créativité, beauté formelle et, dans la mesure où il s'agit là de qualités que le public attend de produits végétaux à installer à domicile, cette convergence de thèmes de communication n'est pas fautive.

La formulation des slogans correspondant n'est que le décalque de cet argumentaire de fond, car il s'agit bien d'installer sur le mur une jolie décoration et donc " d'accrocher la nature sur les murs ".

Tout au plus pourrait-on considérer que la présentation systématique du produit concurrent dans une salle de bains, qui imiterait le choix fait à ce propos par la société Jardin Imprévu, pourrait être critiquable mais, pratiquée de façon ponctuelle, au milieu d'autres mises en scène toutes différentes, cette circonstance ne révèle pas de faute.

En conclusion, les similitudes dénoncées se bornent à refléter une réalité qui n'a rien d'illicite, qui est que les produits sont similaires, en concurrence directe sur le même marché auprès du même type de public, et il n'importe nullement que d'autres intervenants se trouvant dans la même situation choisissent d'autres types d'argumentaires commerciaux.

Si même on considérait que ces ressemblances font difficulté, il faut encore tenir compte de l'ensemble des facteurs ; or :

- la société Wallflower n'utilise pas le signe seul, mais le combine avec des éléments figuratifs de couleur verte, assez complexes et encadrant le terme, qui n'est d'ailleurs pas écrit en un mot, mais " Wall ", séparé par une feuille verte de " Flower ", écrit en caractères plus petits,

- les techniques de commercialisation sont différentes, la société Jardin Imprévu offrant le produit à la vente dans des boutiques spécialisées à l'enseigne " Flowerbox Gallery ", celui de la société Wallflower étant distribué par des fleuristes non spécialisés.

Ces considérations ne seraient pas opérantes en matière de contrefaçon, mais elles le sont en matière de parasitisme où il s'agit, non point d'évaluer l'atteinte abstraite à un droit dont le périmètre est pré-défini, mais d'examiner si les conditions concrètes de l'activité sont fautives au vu de la réalité des comportements respectifs.

En l'espèce, il ressort de l'ensemble des éléments présentés que cette faute n'existe pas.

Certes, la société Jardin Imprévu produit un article de presse (" Elle Aquitaine " du 17 novembre 2008), qui présente les produits Wallflower en présentant une photo d'un produit Flowerbox, sous le titre " Flowerbox Wallflower " et qui donne l'adresse d'un distributeur de la société Wallflower.

Mais ce seul document n'implique pas que le risque de confusion est sensible pour le public concerné, car si même un journaliste - dont rien ne permet d'affirmer qu'il serait 'spécialisé', comme le prétend la société Jardin Imprévu - manque de prudence et commet une telle erreur, il ne s'assimile pas au consommateur moyen en situation concrète de découvrir ou même de comparer les deux produits ; en tout cas, cet élément isolé ne démontre pas la faute de la société Wallflower.

Les reproches adressés à cette dernière ne sont pas fondés.

La société Jardin Imprévu soutient enfin que, par le biais d'une présentation erronée, la société Wallflower laisse croire au public que son concept est nouveau et unique, en violation de l'article L. 121-1 du Code de la consommation.

A défaut d'autre précision, la demande paraît se fonder sur l'alinéa 2° b) de ce texte, en ce que ce message reposerait sur des allégations fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur les caractéristiques essentielles du bien ou du service, ici ses qualités substantielles, ce qui supposerait que le caractère innovant du produit fasse partie de ces qualités.

A l'admettre, faute de débat à ce propos, le grief portant sur le terme un concept " nouveau " manque en fait, la pièce citée à ce propos retraçant seulement l'emploi du slogan " c'est nouveau ".

Pour le surplus, la société Wallflower vante " un concept de décoration révolutionnaire " et " un système de culture vertical unique ".

Mais le caractère mensonger de ces messages n'est nullement établi, car cette société commercialise effectivement un produit dont il n'est pas même prétendu que la conception technique aboutissant, non point à un simple support vertical recevant des pots, mais à un jardin vertical autonome, serait antériorisée.

Par ailleurs, l'attention du consommateur est particulièrement attirée sur cet effet de " mini-jardin " ou de " jardin-miniature ", et non point sur le caractère révolutionnaire d'un tableau végétal vertical.

Dès lors, le consommateur n'est pas induit en erreur, les éléments de commercialisation, dont il sait d'ailleurs qu'ils sont assez couramment hyperboliques, lui permettant de prendre la mesure exacte du caractère relatif de la nouveauté ainsi vantée.

Le grief ne peut être accueilli.

Les reproches formulés par la société Jardin Imprévu n'ont de substance, ni en eux-mêmes, ni en la possible synergie qui résulterait de l'accumulation des faits reprochés, dont il ressort seulement qu'un nouvel entrant sur le marché utilise sans faute des concepts et méthodes qui sont de libre parcours

Cette conclusion s'impose particulièrement au regard du fondement essentiel de la demande, qui vise le parasitisme.

D'abord, la théorie corrective ainsi citée ne saurait trouver à s'appliquer entre intervenants se trouvant en concurrence directe ou indirecte sur le même marché ; dire en ce cas qu'il serait interdit de se placer dans le sillage du concurrent pour capter sans bourse délier les fruits de ses investissements aboutirait en effet à interdire la concurrence en accordant au plaignant l'équivalent d'un droit privatif.

Ensuite, à supposer même que la mise en œuvre de l'interdiction du parasitisme ne doive pas être confinée au cas où un intervenant sur un tout autre marché utilise des tels investissements de manière injustifiée ou de façon telle qu'il porte préjudice à leur auteur, la société Wallflower justifie de ses investissements propres, notamment pour la mise au point de son produit, qui n'imite nullement les caractéristiques essentielles de celui de la société Jardin Imprévu et manifeste un développement spécifique, de sorte qu'il n'y a pas de captation d'investissement ou de notoriété.

Le jugement rejetant les demandes de la société Jardin Imprévu doit en conséquence être confirmé.

Il en va de même s'agissant de la demande reconventionnelle portant sur la revendication, fautive selon la société Wallflower, de " l'idée d'accrocher des plantes aux murs ", qualifiée aussi de " concept novateur, original et unique ", dans la mesure où, si les travaux de Patrick Blanc en matière d'urbanisme montrent que dans ce domaine l'idée de mur ou jardin végétal n'était pas neuve au moment de la première commercialisation de société Jardin Imprévu, rien ne permet d'exclure une démarche commerciale novatrice dans le fait de transposer ce concept à la décoration intérieure, de sorte que cette société ne se prévalant pas expressément, dans ces messages, d'une création artistique, ses propos n'excèdent pas les limites posées par la loi.

S'agissant au contraire de la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive, la société Jardin Imprévu ne s'est pas contentée de porter en justice une demande dont elle pouvait attendre qu'elle soit reçue.

Elle a agi en s'abstenant de faire valoir le droit de marque dont elle dispose sur le signe " Flowerbox " ou d'évoquer la demande de brevet qu'elle a déposée.

Elle a donc consciemment introduit le débat sur un fondement inadéquat, qu'elle, à supposer même qu'elle l'estime pertinent, n'a utilisé qu'en présentant le débat en feignant de penser que sa simple position de première arrivante sur lui marché lui conférerait une protection plus grande encore que celle qu'elle aurait pu attendre d'un titre de propriété industrielle.

Il s'agit là d'un détournement de procédure qui n'a été mis en œuvre que pour inventer un barrage à l'arrivée du concurrent assigné, ce qui constitue une manœuvre d'intimidation.

Une telle manœuvre est contraire aux fins même d'une action judiciaire et constitue un acte déloyal.

Dans ces conditions, l'exercice de l'action dégénère en faute, dont s'infère nécessairement un préjudice puisque la société Wallflower a été troublée dans son activité commerciale.

Ce préjudice sera réparé par l'octroi d'un somme de 15 000 euro.

Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, hors celle rejetant la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive, Statuant à nouveau de ce chef, condamne la société Jardin Imprévu à payer à la société Wallflower une somme de 15 000 euro à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, Vu l'article 700 du Code de procédure civile, la condamne à lui payer une somme complémentaire de 10 000 euro, Condamne la société Jardin Imprévu aux entiers dépens d'appel, avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP Aguiraud - Nouvellet, avoué.