CA Paris, 5e ch. A, 7 juin 2006, n° 05-01697
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Duchesne (Sté)
Défendeur :
Goyard
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Riffault-Silk
Conseillers :
MM. Roche, Byk
Avocats :
Mes Couturier, Pamart
De juillet à octobre 2002, Mme Goyard a reçu de la part de la société Duchesne, spécialisée dans la vente par correspondance de produits ménagers et exerçant son activité sous les marques TV Direct et les Indispensables, différents courriers dont elle estime qu'ils lui laissaient croire qu'elle avait gagné à différentes loteries publicitaires des sommes allant de 7 500 à 10 000 euro. Mme Goyard, ayant vainement réclamé les lots qui lui auraient été ainsi promis, a, par acte du 10 février 2003, assigné devant le tribunal de commerce d'Evry la société Duchesne en paiement de la somme de 97 500 euro correspondant aux lots promis et ce sur le fondement alternatif de la responsabilité contractuelle ou délictuelle de cette dernière.
Par jugement du 5 janvier 2005, le tribunal saisi a condamné, au titre des dispositions de l'article 1371 du Code civil, la société Duchesne à payer à Mme Goyard la somme de 97 500 euro qu'elle sollicitait, outre les intérêts légaux à compter de la décision et 2.000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Régulièrement appelante, la société Duchesne a, par conclusions enregistrées le 17 janvier 2006, prié la cour de :
- infirmer le jugement ;
Et statuant à nouveau,
- constater l'absence de toute faute de sa part ;
- débouter Mme Goyard de ses demandes et la condamner aux entiers dépens ainsi qu'au versement de la somme de 1 500 euro au titre des frais hors dépens.
Par conclusions enregistrées le 15 mars 2006, Mme Goyard a demandé, pour sa part, à la cour de :
-confirmer le jugement ;
- subsidiairement au cas où la responsabilité contractuelle de l'appelante ne serait pas retenue, condamner cette dernière à lui verser 97 500 euro à titre de dommages-intérêts pour tromperies manifestes au visa de l'article 1382 du Code civil ;
- condamner enfin la société Duchesne aux dépens et au paiement de la somme de 4 000 euro au titre des frais hors dépens.
Sur ce,
Considérant que commet une faute de nature à engager sa responsabilité quasi-délictuelle la société de vente par correspondance qui adresse à un consommateur normalement avisé et diligent, en vue de l'inciter à acheter des articles de son catalogue et en créant une confusion dans son esprit par la croyance erronée en un gain d'un bien de valeur, un document associant intentionnellement, de manière sélective et répétée, le nom de l'intéressé, la qualité de gagnant et la mention d'un bénéfice ou de l'obtention d'un lot et ce au travers de termes personnalisés, affirmatifs et inscrits en caractères de grande taille ;
Considérant, en l'espèce, que les documents adressés à Mme Goyard par la société Duchesne étaient, ainsi que les premiers juges l'ont exactement relevé, fortement personnalisés et présentaient, tant par leur typographie que par le choix des mots retenus, l'aspect de documents officiels, ce que ne pouvait que souligner la référence constante à l'intervention d'un huissier de justice ; que, surtout, ils comportaient systématiquement des affirmations telles que : " c'est un engagement ferme et définitif ", " vous êtes bien la grande gagnante ", " constat de gain garanti ", " vous êtes déclarée définitivement grande gagnante d'un chèque, ainsi la somme de 10 000 euro est bien à vous " ou encore " vous avez vraiment gagné... nous vous garantissons l'envoi de 10 000 euro à votre ordre exclusif "; qu'au regard de ces éléments de fait et de l'équivoque ainsi constamment entretenue et ce, contrairement aux exigences des articles L. 121-36 et L. 121-37 du Code de la consommation , la société appelante ne saurait utilement soutenir que le règlement du jeu qui précisait les modalités réelles d'attribution des lots était joint à chaque envoi alors, d'une part, que ce document avait volontairement été rendu illisible par sa présentation et, d'autre part, était, de toute façon, en contradiction formelle avec les promesses sus-rappelées, elles-mêmes libellées en termes extrêmement apparents voire agressifs ; que, par ailleurs, il convient d'observer qu'aucun motif lié à sa volonté d'assurer la publicité et la vente de ses produits n'autorisait la société Duchesne à s'affranchir de son obligation de loyauté envers le consommateur dont elle sollicitait le concours ni des règles régissant la responsabilité civile en présentant de façon affirmative la simple éventualité du gain hypothétique de sommes importantes ; que la faute de nature quasi-délictuelle ainsi commise par la société appelante, celle-ci n'ayant jamais exprimé une quelconque volonté d'attribuer les lots mis en jeu et n'ayant, en l'absence de tout fait volontaire à cet effet, pu prendre aucun éventuel engagement envers l'intimée susceptible de mettre en jeu sa responsabilité sur le fondement de l' article 1371 du Code civil , a été génératrice vis à vis de Mme Goyard d'un préjudice moral lié à la déception ressentie par celle-ci et à la mesure de l'espoir de gain suscité ; que celui-ci sera justement évalué, compte-tenu de l'ensemble des circonstances de la cause, à la somme de 10 000 euro ;
Qu'il y a lieu, en conséquence, de confirmer le jugement sauf à substituer aux motifs retenus par les premiers juges ceux ci-dessus énoncés et à réduire à la somme en principal de 10 000 euro le montant de l'indemnité allouée à Mme Goyard ;
Sur l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile :
Considérant que l'équité commande, dans les circonstances de l'espèce, de condamner la société Duchesne à payer à Mme Goyard la somme de 1 000 euro au titre des frais hors dépens ;
Par ces motifs, LA COUR statuant, publiquement et contradictoirement, - Reçoit l'appel jugé régulier en la forme, - Au fond, - Confirme le jugement sauf à substituer aux motifs retenus par les premiers juges ceux ci-dessus énoncés et à réduire à la somme en principal de 10 000 euro le montant de l'indemnité allouée à Mme Goyard - Déboute les parties du surplus de leurs conclusions respectives.