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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 18 janvier 2008, n° 06-09120

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Anacours (SARL)

Défendeur :

Assimil (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Girardet

Conseillers :

Mme Regniez, M. Marcus

Avoués :

SCP Guizard, SCP Bommart - Forster - Fromantin

Avocats :

Mes Sultan, Sauvage

T. com. Paris, du 28 avr. 2006

28 avril 2006

La Cour est saisie par la société à responsabilité limitée Anacours (ci-après société Anacours) qui interjette appel contre le jugement contradictoire rendu par le Tribunal de commerce de Paris le 28 avril 2006 qui a :

- dit que la société Anacours, en faisant diffuser le spot publicitaire en cause sur les ondes de la radio MFM Ile-de-France, a contrevenu aux dispositions de l'article L. 121-9 du Code de la Consommation sur la publicité comparative et s'est rendue coupable d'actes de concurrence déloyale par dénigrement au préjudice de la société Assimil,

- interdit à la société Anacours de diffuser la publicité litigieuse ou toute publicité similaire reprenant les éléments litigieux et ce, sous astreinte de 15 000 euro par infraction constatée à partir du lendemain de la signification du présent jugement,

- Condamné la société Anacours à payer à la société Assimil la somme de 10 000 euro en réparation du préjudice subi, toutes causes confondues ;

- ordonné la publication du dispositif du présent jugement dans un organe de presse de la région 11e de France au choix de la société Assimil et aux frais de la société Anacours sans que le coût global de l'insertion ne puisse excéder la somme de 4 000 euro hors taxe,

- dit qu'il n'y a lieu à exécution provisoire,

- condamné la société Anacours à payer à la société Assimil la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- débouté les parties de leurs demandes plus amples, autres ou contraires aux présentes dispositions,

- condamné la société Anacours aux dépens, dont ceux à recouvrer par le Greffe liquidés à la somme de : 47,88 euro toutes taxes comprises (dont TVA. 7.53 euro).

La société Assimil édite des méthodes d'apprentissage des langues étrangères, dont l'une d'elle s'ouvre par la phrase "My tailor is rich" dès la première leçon.

La société Assimil ayant entendu courant novembre, sur la radio MFM Ile-de-France, un message publicitaire vantant les mérites des méthodes d'enseignement des langues de la société Anacours spécialisée dans le soutien scolaire, débutant par la phrase "My tailor is rich", a assigné ladite société devant le Tribunal de commerce de Paris, afin d'obtenir la cessation immédiate de sa diffusion.

C'est ainsi qu'est né le présent litige.

Dans ses dernières conclusions en date du 11 octobre 2007, la société Anacours, appelante, demande à la Cour de bien vouloir :

- déclarer la société Anacours recevable et bien fondée en son appel,

- y faisant droit, infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,

- constater que la société Assimil ne rapporte pas la triple preuve qui lui incombe d'une faute de la société Anacours, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre ces deux éléments,

- constater en outre que la société Assimil ne démontre aucun dénigrement, ni aucune concui-rence déloyale de la part de la société Anacours,

- en conséquence,

- débouter la société Assimil de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions, pour être particulièrement mal fondées, - subsidiairement, et au cas où, par extraordinaire, la Cour retiendrait néanmoins la responsabilité de la société Anacours, voir réduire à un euro symbolique seulement le montant des sommes allouées à la société Assimil,

- en tout état de cause,

- rejeter la demande de publication formée par la société Assimil,

- condamner la société Assimil à verser à la société Anacours une somme de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Dans se dernières conclusions en date du 25 octobre 2007, la société Assimil, intimée, demande à la Cour de bien vouloir :

- dire et juger mal fondé l'appel de la société Anacours,

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a jugé que la société Anacours a contrevenu aux dispositions de l'article L. 121-9 du Code de la consommation sur la publicité comparative et s'est ainsi rendue coupable d'actes de concurrence déloyale par dénigrement,

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a ordonné la publication du dispositif de la décision dans un organe de presse de la région 11e de France, au choix de la société Assimil, et aux frais de la société Anacours, sans que le coût global de cette insertion ne puisse excéder la somme de 4 000 euro hors taxe,

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a interdit à l'appelante de diffuser la publicité litigieuse ou toute publicité similaire reprenant les éléments litigieux et ce, sous astreinte de 15 000 euro par infraction constatée à partir du lendemain de la signification de la décision,

- infirmer le jugement déféré en ce qui concerne le montant des dommages-intérêts alloués à la société Assimil,

- en conséquence,

- condamner la société Anacours à verser à la société Assimil la somme de 150 000 euro en réparation du préjudice subi par la société Assimil,

- débouter la société Anacours de l'intégralité de ses demandes,

- condamner la société Anacours à verser à la société Assimil la somme de 8 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, - condamner la société Anacours aux entiers dépens.

Sur ce,

Considérant que la société Assimil édite depuis de nombreuses années une méthode d'apprentissage de la langue anglaise dont une des phrases mises en exergue est: "my taylor is rich" ; qu'ayant entendu sur la radio MFM, courant novembre 2005, un spot publicitaire vantant les mérites des méthodes d'enseignement de la société Anacours, commençant par la phrase "Mon tailor is rich", la société Assimil a assigné cette société sur le fondement de la violation de l'article L. 121-9 du code de la consommation et sur celui de la concurrence déloyale ;

Que pour un plus ample exposé des faits, il sera renvoyé à la relation précise qu'en font les premiers juges dans la décision entreprise ;

Considérant que la société Anacours fait valoir, comme elle le fit devant les premiers juges, qu' elle développe une activité pluridisciplinaire de soutien scolaire dispensée par des professeurs, qui est sans rapport avec l'activité de la société Assimil ; qu' elle n'a nullement entendu se moquer des prestations de la société Assimil avec laquelle elle n'est donc pas en situation de concurrence et qui n'est d'ailleurs pas citée dans le spot publicitaire incriminé ; qu'elle ajoute que ce spot n'a été diffusé que les 14 et 15 novembre 2005 par une régie publicitaire et que dès réception de la lettre recommandée avec accusé de réception que lui adressa la société Assimil, elle fit cesser la diffusion du spot litigieux ; qu'au fond, elle avance que la société Assimil tente de se prévaloir de la marque "My tailor is rich" alors qu'elle n'en est pas titulaire, qu'elle n'aurait donc aucune qualité à agir; qu'elle estime en tous cas, n'avoir commis ni dénigrement, ni concurrence déloyale d'autant que c'est la société W Régie Publicitaire qui a élaboré le message litigieux, qu'au surplus l'expression litigieuse est courante et n'est pas inévitablement associée à la société Assimil sauf par ceux qui sont déjà clients de la société Assimil de sorte qu' aucun acte de concurrence déloyale ne peut lui être reproché ;

Considérant que la société Assimil lui oppose en substance qu'elles sont, l'une et l'autre, en situation de concurrence, que la phrase " my tailor is rich "est la première phrase de "l'Anglais sans peine", ouvrage d'A. Cherel, inventeur de la méthode d'apprentissage qu'elle utilise, et que la phrase précitée a fait le tour du monde et est reprise en clin d'oeil dans les premières pages de la méthode d'auto-apprentissage commercialisée aujourd'hui sous le titre "Le Nouvel Anglais sans peine"; qu'elle en déduit que c'est parce que cette phrase désigne une méthode d'apprentissage bien précise que la société Anacours l'a utilisée dans ses publicités avant de conclure à la confirmation de la décision entreprise en ce qu'elle a retenu que la diffusion du spot incriminé contrevient aux dispositions de l'article L. 121-9 du code de la consommation et que ce faisant, la société Anacours a commis des actes de concurrence déloyale ;

Considérant que le spot litigieux se présente sous la forme d'un échange de propos entre deux personnes, dans les termes suivants: Mon tailor is rich Ah là là, et ben toi, on voit bien que tu n'as pas vécu en Angleterre! Rigole pas, je dois aider ma fille en anglais et je t'assure, je sais vraiment pas quoi faire; T'as pensé à Anacours ?... ... Bien sûr ! En plus, Anacours propose de nouvelles méthodes de travail Découvrez vite Anacours ... Avec Anacours, découvrez la façon la plus sûre de progresser!

Sur la recevabilité de la société Assimil à agir :

Considérant que l'action engagée par la société Assimil est une action en concurrence déloyale fondée sur la violation alléguée des dispositions du code de la consommation relatives à la publicité comparative, par l'usage, dans un contexte qualifié de dénigrant, de la phrase "mon tailor is rich" ;

Qu'il est dès lors indifférent qu'un tiers puisse être titulaire de la marque éponyme "my tailor is rich", la présente action n'étant nullement fondée sur la contrefaçon de cette marque; qu'au surplus, cette marque n'a été déposée que pour désigner les produits de la classe 25 ;

Que la société Assimil est donc recevable à agir sur le terrain de la concurrence déloyale dans la mesure où elle établit que par l'usage commercial quelle en fit, cette phrase la désigne et est assimilée aux activités qu'elle a développées dans le domaine de l'apprentissage de la langue anglaise ;

Considérant que les documents qu'elle produit à cet égard témoignent qu'il y 70 ans, les premières méthodes d'apprentissage qu'elle a commercialisées sous le titre notamment de " l'anglais sans peine", l'ont été en mettant en exergue la phrase "my tailor is rich" et que celle-ci, reprise jusqu'à nos jours, est devenue un élément de son image comme en attestent les extraits de la presse généraliste et de la presse économique publiés dans les dix dernières années; que la société Assimil établit ainsi l' avoir fréquemment utilisée auprès de sa clientèle comme un clin d'oeil, voire comme un symbole, qui en raison de son caractère ancien si non vieillot, illustre la permanence de son activité et l'importance de son expérience ;

Que cette phrase n'est nullement banale mais quelque peu singulière dans sa signification, ce qui explique qu'elle a pu marquer les esprits et qu'elle demeure encore aujourd'hui associée à la méthode de la société Assimil qu'elle figure d'ailleurs en bonne place sur le site internet de cette dernière ;

Qu'elle participe ainsi de l'image et de l'histoire de la société Assimil ;

Sur la situation de concurrence entre les deux sociétés

Considérant que, nonobstant les différences de statut et de méthodes utilisées, la société Assimil commercialisant une méthode d'autoapprentissage alors que la société Anacours a recours à des enseignants qu'elle met en relation avec des clients pour assurer un soutien scolaire, ces deux sociétés proposent, l'une et l'autre, des moyens et méthodes pour apprendre la langue anglaise; qu'elles sont ainsi en concurrence sur le marché de l'apprentissage de cette langue d'autant qu'elles s'adressent à un publie pour partie identique, à savoir : les enfants scolarisés du primaire jusqu' à la classe terminale ;

Sur la publicité comparative

Considérant que la société Assimil invoque au soutien de son action la violation de l'article L. 121-9 du code de la consommation qui énonce que la publicité ne peut notamment: " entraîner le discrédit ou le dénigrement des... noms commerciaux, autres signes distinctifs, biens, services, activités d'un concurrent" ;

Considérant que la société Anacours ne prétend cependant pas que le spot litigieux constituerait une publicité comparative mais estime n'avoir commis "ni dénigrement ni concurrence déloyale" et affirme avoir été d'une particulière bonne foi ;

Considérant qu'il convient ainsi d'apprécier si l'usage de la phrase litigieuse dans ce spot publicitaire, présente un caractère dénigrant et, partant, constitue un acte de concurrence déloyale ;

Considérant que comme l'ont relevé pertinemment les premiers juges par des motifs pertinents et adoptés, l'usage de cette phrase dans le contexte sus-décrit, est de nature à ridiculiser la méthode d'enseignement de la société Assimil, d'autant que le premier personnage n'est pas capable de restituer correctement la dite phrase, et à inviter l'auditeur à faire le choix d'une autre méthode qualifiée de "la façon la plus sûre de progresser" ;

Que se trouvent en conséquence caractérisés et réunis, le dénigrement implicite d'une méthode et de la société qui la diffuse, et la concurrence déloyale subséquente ;

Sur la responsabifité de la société Anacours

Considérant que le spot litigieux a été réalisé sous le contrôle de l'appelante et a été diffusé pour valoriser ses activités ; que c'est d'ailleurs elle qui, comme elle le soutient, en a fait cesser la diffusion dès qu'elle reçut la lettre de l'intimée; que si elle n'a pas rédigé elle même le texte du spot, il lui appartenait de se le faire communiquer avant toute diffusion pour s'assurer de la liceité de son contenu; qu'elle ne saurait donc exciper de sa bonne foi, sa faute, au moins par négligence, engageant sa responsabilité ;

Sur les mesures réparatrices

Considérant que la société Assimil a nécessairement subi un préjudice d'image qui l'a, ne serait-ce qu'implicitement mais nécessairement, décridibilisée; Considérant toutefois qu 'il ressort des débats que la diffusion du message publicitaire a été très limitée, à la fois dans le temps et dans l'espace, car seule une radio régionale apparaît l'avoir fait entendre ;

Que le préjudice d'image de la société Assimil qui ne précise pas l'audience de cette radio, n'a nullement l'importance qu'elle prétend ; qu'il convient en conséquence au vu des documents produits relatifs notamment à l'interruption rapide de la diffusion du message dont il n'est nullement prouvé qu'elle aurait pu excéder trois jours, d'infirmer la décision des premiers juges et de condamner la société Anacours à verser à la société Assimil la somme de 5000 euro à titre de dommages et intérêts ;

Que l'équité commande de la condamner à verser en outre la somme de 4000 euro sur le fondement de l'article 700 du NCPC ;

Par ces motifs, LA COUR, Confirme la décision entreprise sauf pour ce qui concerne le montant de la réparation due par la société Anacours à titre de dommages et intérêts, L'infirme sur ce point et, statuant à nouveau, Condamne la société Anacours à verser à la société Assimil la somme de 5000 euro à titre de dommages et intérêts, La condamne en outre à verser à la société Assimil la somme de 4000 euro sur le fondement de l'article 700 du NCPC pour les frais irrépétibles de l'instance d'appel, et à supporter les entiers dépens dont les montant sera recouvré dans les formes de l'article 699 du même code, par la SCP Bommart, Forster Fromantin, avoués.