CA Rennes, 1re ch., 2 octobre 2009, n° 09-00281
RENNES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Confédération Générale du Logement
Défendeur :
JP Luce-Luce Voyages (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Beuzit
Conseillers :
Mme Le Brun, M. Gimonet
Avocats :
SCP Guillou & Renaudin, SCP d'Aboville, De Moncuit Saint-Hilaire & Le Callonnec
Au cours du mois d'octobre 2008, la société JP Luce-Luce Voyages, a fait distribuer auprès d'un nombre limité de personnes des courriers publicitaires proposant la participation à un tirage au sort de lots constitués par des voyages ;
La Confédération générale du logement a saisi le juge des référés du Tribunal de grande instance de Saint-Malo en cessation de cette loterie ;
Par ordonnance du 8 janvier 2009, le juge des référés du Tribunal de grande instance de Saint-Malo, a déclaré l'action de la confédération générale du logement irrecevable et l'a condamnée aux dépens ;
La Confédération générale du logement a interjeté appel de cette décision et, par conclusions du 1er septembre 2009, a demandé à la cour :
- de la dire recevable en son action,
- d'infirmer l'ordonnance de référé,
- de débouter la société Luce de ses demandes ;
- de constater les manquements de la société Luce aux dispositions relatives aux loteries "et notamment celle relative à la loi du 21 mai 1836, les articles L. 121-36 et suivants du Code de la consommation" ;
- de condamner la société Luce à lui payer la somme de 10 000 euro à titre de dommages-intérêts ;
- d'ordonner que le jugement à intervenir soit :
* publié de manière apparente, d'une part, dans le journal Ouest-France, édition rubrique régionale, et le journal " le Pays Malouins " et d'autre part, dans un journal consumériste, à la requête de la CGL et à la charge de la société JP Luce, le coût de ces insertions se trouvant limité pour chacune d'elles à la somme de 1 500 euro,
* affiché de manière apparente dans tous les locaux de la société JP Luce et dans tous les lieux gérés par ses agences ou ses filiales et sur son site internet, le coût de cet affichage étant limité à la somme de 1 500 euro, l'affichage ayant lieu à compter de la signification de l'arrêt pendant une durée de 6 mois, sous astreinte de 150 euro par jour de retard, ce, pendant deux mois à l'issue de laquelle il sera de nouveau fait droit ;
- de condamner la société JP Luce à lui payer la somme de 2 500 euro à titre d'indemnité pour frais irrépétibles ainsi qu'à payer les dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;
La société JP Luce-Luce Voyages, par conclusions du 1er septembre 2009, a demandé à la cour :
- de confirmer l'ordonnance entreprise,
- subsidiairement, de débouter la Confédération générale du logement de l'ensemble de ses demandes ;
- de condamner la Confédération générale du logement à lui payer la somme de 2 500 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'à payer les entiers dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du même Code ;
Sur ce,
Sur la recevabilité de l'action :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 421-1 du Code de la consommation, les associations régulièrement déclarées ayant pour objet statutaire explicite la défense des intérêts des consommateurs peuvent, si elles ont été agréées à cette fin, exercer les droits reconnus à la partie civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif des consommateurs ;
Que selon l'article L. 421-2, ces associations peuvent demander à la juridiction civile, statuant sur l'action civile, d'ordonner au défenseur toute mesure destinée à faire cesser ces agissements illicites ; qu'il est constant que la recevabilité de cette action est subordonnée à l'existence d'une infraction pénale sans qu'il y ait lieu de rechercher si une procédure pénale a été engagée ou non ; que la Confédération générale du logement fondant son action sur le non-respect des articles L. 121-36 et L. 121-37 et suivants du Code de la consommation, puni d'une amende de 37 500 euro aux termes de l'article L. 121-41, et sur la violation de la loi du 21 mai 1836 portant prohibition des loteries et instaurant un délit puni de deux ans d'emprisonnement et d'une amende de 60 000 euro, cette action est à l'évidence recevable au regard de l'exigence de l'existence d'une infraction à la loi pénale ;
Considérant par ailleurs que, même en l'absence de prévision statutaire expresse quant à l'emprunt des voies judiciaires, une association peut agir en justice au nom d'intérêts collectifs dès lors que ceux-ci entrent dans son objet social ;
Que les statuts de la Confédération générale du logement d'Ille-et-Vilaine, régulièrement déclarée à la préfecture d'Ille-et-Vilaine et bénéficiant d'un agrément préfectoral du 14 novembre 2005, précisent que cette association a pour objet "la défense des intérêts individuels et collectifs de ses membres et des consommateurs, la formation, l'information et la représentation de ses membres en particuliers et des usagers du logement en général dans tous les domaines du logement et de la consommation" ; qu'il en résulte que la Confédération générale du logement peut agir dans le cadre judiciaire pour la défense d'intérêts collectifs ;
Que l'ordonnance de référé sera donc infirmée et l'action de la Confédération générale du logement déclarée recevable ;
Sur le fond,
Considérant que la société JP Luce-Luce Voyages a adressé à des consommateurs une lettre contenant un bon de participation à un tirage au sort à l'occasion de sa " semaine anniversaire " permettant de gagner l'un des trois lots suivants :
- 1er lot : un vol aller/retour Rennes/Monastir, pour 2 personnes, offert par Marmara ;
- 2e lot : un séjour à Venise pour 1 personne, offert par Italowcost ;
- 3e lot : un Aller/Retour journée Saint-Malo/Jersey, pour 2 personnes, offert par Voyages aux iles ;
Considérant que la Confédération générale du logement estime en premier lieu que ce tirage au sort constitue une loterie prohibée au sens de la loi du 21 mai 1836 ;
Mais considérant que le délit de loterie prohibée n'est constitué que s'il a été réclamé aux participants une contrepartie consistant dans une obligation d'achat ou dans le versement d'une somme d'argent ; qu'en l'espèce, il ne résulte nullement du courrier de la société JP Luce-Luce Voyages que la participation au tirage au sort aurait été soumise à une quelconque obligation d'achat ou dans le versement d'une somme d'argent, le courrier en cause mentionnant d'ailleurs que les lots sont offerts par divers organismes de voyage ; que le délit de loterie prohibée n'est donc pas constitué ;
Considérant que la Confédération générale du logement estime en second lieu que le tirage au sort est contraire aux dispositions des articles L. 121-36 et suivants du Code de la consommation ;
Considérant que cet article vise les opérations publicitaires réalisées par voie d'écrit qui tendent à faire naître l'espérance d'un gain attribué à chacun des participants sans autre distinction ; qu'il n'importe dès lors de rechercher si lesdits documents étaient à destination de tous publics ou d'un public ciblé comme constituant la clientèle de l'agence ;
Considérant que, si le courrier portant bon de participation fait état de diverses réductions, d'ailleurs modestes, offertes de manière générale et non sur des prestations de voyage précises par Marmara, Mille lieux, Italcost, Voyage aux îles, Emeraude vacances et Look voyages pendant la " semaine anniversaire ", il reste qu'il ne résulte pas de ce courrier une obligation de passer commande d'un voyage pour participer au tirage au sort ;
Que par ailleurs, le bulletin de participation au tirage au sort est distinct de tout bon de commande, même s'il invite le participant à faire état de ses projets de voyage ; qu'aucun bon de commande ne figure d'ailleurs à quelque autre endroit du document publicitaire ;
Considérant en revanche que les documents présentant l'opération publicitaire ne respectent pas les prescriptions de l'article L. 121-37 du Code de la consommation en ce qu'ils ne précisent pas la valeur commerciale des lots ; que la société JP Luce-Luce Voyages a donc contrevenu aux dispositions protectrices des consommateurs ;
Considérant qu'eu égard à la faible quantité de documents publicitaires établis et envoyés au public (753 envois selon le contrat passé avec la Poste) et à la gravité relative de l'illicéité en cause, il apparaît que le préjudice découlant de l'atteinte à l'intérêt collectif des consommateurs doit être réparé par l'allocation de la somme d'un euro à titre de dommages-intérêts, sans qu'il y ait lieu à publication ou affichage du présent arrêt ;
Par ces motifs, LA COUR, - Infirme l'ordonnance de référé ; - Déclare l'action de la Confédération générale du logement d'Ille-et-Vilaine recevable ; - Condamne la société JP Luce-Luce voyage à payer à la Confédération générale du logement d'Ille-et-Vilaine la somme de 1 euro à titre de dommages-intérêts.