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Décisions

CA Limoges, 1re ch. civ. sect. 1, 11 avril 2007, n° 06-00268

LIMOGES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Duchesne (SA)

Défendeur :

Durand-Marquet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Jean

Conseillers :

Mme Missoux-Sartrand, Pugnet

Avoués :

SCP Coudamy, Me Garnerie

Avocats :

Me Spano, SCP Grimaud - Pastaud

TGI Limoges, du 2 févr. 2006

2 février 2006

Faits, procédure :

Au début du mois de l'année 2004 Jean Pierre Durand-Marquet a reçu de la société anonyme D. Duchesne, spécialisée dans la vente par correspondance de produits ménagers sous l'enseigne "TVD Santé", un courrier l'informant, selon lui, qu'il avait participé à un grand tirage et qu'il était établi qu'il avait d'ores et déjà gagné.

Il a retourné, le 16 avril 2004, le titre d'encaissement autorisé demandant à faire valoir ses droits acquis et à recevoir le chèque gagné.

Il y a ensuite reçu un courrier de TVD Santé contenant un ordre officiel d'envoi de chèque et lui certifiant, selon lui, qu'il était gagnant d'un chèque de 9 900 euro à condition de retourner ce document avec une simple commande.

C'est ce qu'a fait M. Durant-Marquet le 7 juin 2004, en commandant un produit d'un montant de 36,89 euro. N'ayant reçu ni le gain promis ni le produit commandé, il a fait assigner devant le Tribunal de grande instance de Limoges la société Duchesne en responsabilité sur le fondement des dispositions des articles 1101 et suivants du Code civil, 1147, 1371, subsidiairement 1382 et 1383, sollicitant la livraison du produit commandé et le règlement du gain annoncé d'un montant de 9 900 euro.

Par jugement du 2 février 2006 le Tribunal de grande instance de Limoges n, pour l'essentiel, condamné la société Duchesne, avec exécution provisoire, à livrer à M. Durand-Marquet le produit commandé et à lui verser la somme de 9 900 euro outre les intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure, sur le fondement de l'article 1371 du Code civil, aux motifs que cette société, organisatrice d'un tirage, avait annoncé à M. Durand-Marquet un gain, sans mettre en évidence l'existence d'un aléa, de telle sorte qu'elle s'était volontairement engagée à le lui délivrer.

La société Duchesne a déclaré interjeter appel de ce jugement le 28 février 2006.

Elle rappelle que les jeux publicitaires, destinés à soutenir la promotion des ventes sont réglementés et que la rédaction de ces textes doit s'adresser, selon la jurisprudence, à un consommateur, doté d'une intelligence et d'une capacité de compréhension moyenne.

En l'occurrence elle affirme que M. Durand-Marquet a reçu un matériel publicitaire qui exposait, sur un mode attractif, mais sans ambiguïté et de manière très lisible qu'il avait la possibilité d'être l'éventuel gagnant du jeu mais qu'il s'agissait d'un simple pré-tirage et que le gain annoncé présentait un caractère hypothétique.

Le gagnant, pré-tiré au sort par huissier le 29 janvier 2004 était M. Esposito, lequel a participé à l'opération en renvoyant son bon et a reçu la somme mise enjeu en étant destinataire d'un chèque de 10 000 euro.

La société Duchesne insiste sur le fait que M. Durant-Marquet a également reçu, en même temps que les documents publicitaires, le règlement du jeu, in extenso, alors que ce n'était pas une obligation pour elle en l'absence de demande en ce sens de sa part.

Elle fait valoir que le jeu en question comportait l'aléa exigé par la Cour de Cassation pour sa validité, le pré-tirage au sort du gagnant, ce que rappelait le bon de participation mais également le bon de commande.

Par ailleurs elle relève que M. Durand-Marquet, exerçait la fonction d'Avoué près la Cour d'Appel avant de prendre sa retraite et qu'il disposait de toutes les connaissances juridiques requises et d'une intelligence supérieure à celle d'un consommateur normalement avisé et diligent, qu'en aucun cas sa bonne foi n'avait été surprise.

Elle précise également qu'elle a proposé à M. Durand-Marquet de lui rembourser sa commande.

M. Durand-Marquet fait conclure à la confirmation du jugement entrepris.

Il considère que les documents qu'il a reçus mettaient en évidence la certitude d'un gain, et cela à deux reprises, d'une part en recevant l'annonce qu'il avait participé au pré-tirage, qu'il avait gagné quelque chose et que son numéro personnel avait été choisi et qu'en retournant le Titre d'Encaissement Autorisé Gagnant il connaîtrait son gain, d'autre part en recevant ultérieurement un ordre officiel d'envoi de chèque et une correspondance manuscrite réservée au grand gagnant, attestant que tel était son statut.

L'intimé en déduit que par cette présentation des choses la société Duchesne s'était engagée à lui délivrer le gain annoncé surie fondement des dispositions de l'article 1371 du Code civil, comme l'ont retenu les premiers juges.

A titre subsidiaire il invoque l'article 1101 du Code civil en faisant valoir qu'un accord de volonté avait existé lorsqu'il avait accepté de recevoir le chèque de 9900 euro en retournant le Titre d'Encaissement Autorisé le 16 avril 2004, ce qui contraignait la société Duchesne à lui remettre la somme promise.

A titre très subsidiaire il invoque les dispositions des articles 1382 et 1383 du Code civil en exposant que son préjudice correspondrait au gain promis.

Vu les conclusions déposées au greffe le 27 juin 2006 pour la société Duchesne;

Vu les conclusions déposées au greffe le 13 octobre 2006 pour Jean-Pierre Durand-Marquet;

Vu l'Ordonnance de clôture rendue le 24janvier 2007 et le renvoi de l'affaire à l'audience du 6 mars 2007 où elle fut plaidée et mise en délibéré à ce jour ;

DISCUSSION

Attendu que les jeux publicitaires tels que ceux en cause organisés par la société Duchesne sont réglementée par les articles L. 121-36 et suivants du Code de la consommation dans sa section VI consacrée aux loteries publicitaires ;

Attendu que l'organisateur d'une loterie qui annonce un gain et une personne dénommée, s'oblige, par ce fait purement volontaire, à le délivrer, sauf s'il a mis en évidence l'existence d'un aléa ;

Attendu qu'il résulte des pièces produites qu'au début du mois d'avril 2004 M. JP Durand-Marquet a été informé par TVD Santé que le numéro de Code confidentiel qui lui était attribué, 575 978 003, lui permettait de recevoir un chèque de 10 000 euro ;

Mais attendu que cette phrase était immédiatement suivie de celle qui l'informait que sa demande était faite conformément au règlement qu'il acceptait ainsi que les aléas habituels ;

Attendu qu'il était indiqué, sur ce même document, en marge et selon un mode d'inscription vertical, qu'il s'agissait d'un pré-tirage gratuit et sans obligation d'achat, effectué sous le contrôle d'un huissier de justice, "prix soumis à aléa" et que le règlement complet était joint;

Que ce règlement, dont M. Durand-Marquet ne conteste pas qu'il était joint aux pièces qu'il avait reçues, mentionne, dans son article 5, que le prix principal n'est qu'une éventualité pour l'ensemble des participants, à l'exception du gagnant principal dont le nom figure sur le procès-verbal dressé par l'huissier de justice, et dans son article 10 qu'il s'agit d'une animation à caractère publicitaire présentant des termes attractifs destinés à promouvoir auprès des destinataires les produits TVD Santé ;

Attendu qu'en outre figurait à titre de rappel, au dessus du règlement, un paragraphe intitulé "condition unique d'attribution" en caractères rouges et gras, selon lequel le numéro personnel devait correspondre à celui tiré au sort par l'huissier ;

Attendu que ces documents révélaient à M. Durand-Marquet, que le premier prix de 10 000 euro ne lui était pas d'ores et déjà acquis mais restait soumis à l'aléa d'un pré-tirage au sort par huissier de justice, qu'en revanche sa participation à ce jeu promotionnel lui permettrait de gagner l'un des prix réservés à chaque participant ;

Attendu que ce gain lui était confirmé par un document imprimé intitulé "preuve d'attribution d'un prix" stipulant qu'il avait d'ores et déjà gagné un chèque pour de vrai ;

Attendu que la mention suivant selon laquelle il était garanti à M. Durand-Marquet, obligatoirement, qui plus est l'envoi des 10 000 euro à son ordre exclusif sous 48 heures ne pouvait s'interpréter qu'à la lecture du règlement, c'est-à-dire qu'à la condition que son numéro personnel ait été tiré au sort par l'huissier, ce que rien n'établissait ;

Attendu qu'il résulte de l'ensemble des documents produits, la mise en évidence d'un aléa à la remise du gain revendiqué par M. Durand-Marquet, qu'il n'y a donc pas lieu de considérer que la société Duchesne s'est engagée à délivrer un chèque de 10 000 euro à M. Durand-Marquet, sur le fondement des dispositions de l'article 1371 du Code civil ;

Attendu que M. Durand-Marquet évoque également un gain de 9900 euro, mais qu'il s'agit d'un jeu distinct de celui précédemment évoqué dont le premier prix était un chèque de 10 000 euro, et dont le numéro de dossier est différent (604 455 728 au lieu de 575 978 003) ;

Attendu que la seule pièce qu'il verse aux débats est la copie d'un imprimé intitulé "ordre officiel d'envoi de chèque" émanant de la même enseigne TVD Santé sur lequel apparaît également la mention selon laquelle M. Durand-Marquet accepte le règlement et les aléas habituels;

Que ce document fait également apparaître que le fait de posséder nominativement ce document-jeu-promotionnel logiquement attractif prouve la participation à un pré-tirage contrôlé par huissier de justice, ce qui signifie que le ou les gagnants potentiels des différents prix ont d'ores et déjà été définis et que la personne nommée a réellement gagné un prix dans la liste jointe ;

Attendu que ce document établit qu'il existe un aléa à la remise du gain de 9900 euro dont il est précisé par ailleurs qu'il s'agit d'un chèque unique et qu'en raison de son importance il est recommandé de lire attentivement l'ensemble des documents-règlement joints ;

Attendu que les autres mentions du document confirment que M. Durand-Marquet fait partie des gagnants ou grands gagnants ;

Qu'il n'y a pas lieu toutefois de considérer que la société Duchesne s'est engagée, sur le fondement des dispositions de l'article 1371 du Code civil, à lui délivrer le chèque de 9900 euro qui correspond au premier prix mis enjeu ;

Attendu qu'en présence d'un aléa aucun accord de volonté n'a pu avoir lieu entre les parties sur la remise du gain réclamé par M. Durand-Marquet et il n'apparaît pas que la société Duchesne a commis un fait fautif susceptible d'avoir engagé sa responsabilité sur le fondement des articles 1382 et 1383 du Code civil ;

Par ces motifs, LA COUR, statuant en audience publique, par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi ; Infirme en toutes ses dispositions le jugement déféré rendu le 2 février 2006 par le Tribunal de grande instance de Limoges ; Statuant à nouveau ; Déboute Jean-Pierre Durand-Marquet de l'ensemble de ses demandes ; Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Déboute la société Duchesne de sa demande en paiement.