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Décisions

CA Bordeaux, 5e ch. civ., 2 mai 2012, n° 10-4933

BORDEAUX

Arrêt

PARTIES

Défendeur :

Polyclinique de Bordeaux Tondu (SA), C.P.A.M. de la Gironde

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Miori

Conseillers :

M. Ors, Mme Sallaberry

TGI Bordeaux, du 9 juin 2010

9 juin 2010

Madame A a été atteinte dans son enfance d'une poliomyélite ayant entraîné une atrophie de la jambe et du mollet gauches. Porteuse de chaussures orthopédiques, elle a indiqué marcher normalement et ne pas souffrir.

Souhaitant remédier à l'aspect inesthétique de son mollet gauche, elle a consulté le Docteur A., chirurgien plastique et esthétique, le 6 août 2002 ; celui-ci lui a proposé pour remédier à ce problème de mettre en place une prothèse du mollet gauche à l'aide d'un implant en silicone.

L'opération a été programmée pour le 23 août 2002 ; le document destiné à recueillir son consentement éclairé à l'intervention lui a été remis lors de la consultation et porte sa signature en date du 10 août 2002.

Madame A a été opérée le 23 août 2002 à la Polyclinique du Tondu, une prothèse Eurosilicone lui a été implantée dans le mollet gauche. Elle a dû subir une deuxième intervention chirurgicale le 24 octobre 2002 en raison de la persistance des douleurs post-opératoires et de la survenance d'une plaie circonférentielle du bord latéral interne du mollet gauche, intervention au cours de laquelle le docteur B. a procédé au retrait de l'implant. Madame A a été soignée pour une infection à staphylocoques. Par la suite, elle a été hospitalisée à deux reprises au CHU de Bordeaux, en décembre 2002 et en janvier 2003 ; il a été diagnostiqué une thrombophlébite surale gauche en janvier 2004.

Par acte d'huissier en date du 7 juin 2007 Madame A a assigné le docteur B. et la clinique du Tondu devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Bordeaux aux fins d'obtenir la désignation d'un expert.

Par ordonnance de remplacement d'expert en date du 26 juillet 2007, le docteur C. a été finalement désigné. Il a déposé son rapport définitif le 14 janvier 2008.

Par acte d'huissier en date du 14 novembre 2008, Madame A a assigné le docteur B., la clinique du Tondu et la CPAM de la Gironde devant le tribunal de grande instance de Bordeaux aux fins d'obtenir la condamnation in solidum du médecin et de la clinique à réparer l'entier préjudice résultant de l'intervention subie le 23 août 2002 et de ses suites.

Par jugement en date du 9 juin 2010, le tribunal de grande instance de Bordeaux a débouté Madame A de toutes ses demandes, a laissé les dépens à sa charge et a dit n'y avoir lieu à appliquer les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par déclaration en date du 2 août 2010, Madame A a relevé appel de cette décision. Dans ses dernières conclusions, elle demande à la cour de :

- Réformer le jugement déféré

Statuant de nouveau,

- Condamner solidairement le docteur B. et la clinique du Tondu à lui verser en réparation de son préjudice les sommes suivantes:

* au titre de l'I.T.T. et du D.F.T., la somme de 8 000 euro,

* au titre des souffrances endurées, la somme de 8 000 euro,

* au titre de l'atteinte esthétique, la somme de 7 000 euro,

* au titre de la gêne dans la vie affective et familiale la somme de 7 000 euro

* au titre de l'article 700 du Code de procédure civile la somme de 3 000 euro

- Condamner solidairement le docteur B. et la clinique du Tondu à supporter les entiers dépens avec application des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions déposées le 1er septembre 2011, la Polyclinique de Bordeaux Tondu demande à la cour de :

- Confirmer le jugement déféré

- Rejeter toutes les demandes formées à son encontre comme irrecevables et en tout cas mal fondées

- Condamner Madame A à lui verser une indemnité de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'à supporter les entiers dépens avec application des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions déposées le 20 septembre 2011, la CPAM demande à la cour de :

- Lui donner acte de ce qu'elle n'a aucune créance à faire valoir

- Condamner Madame A à lui verser la somme de 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'à supporter les entiers dépens avec application, pour les dépens d'appel des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions déposées le 19 septembre 2011, le docteur B. demande à la cour de :

- Confirmer le jugement entrepris

- Condamner Madame A à lui verser la somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'à supporter les entiers dépens avec application, pour les dépens d'appel des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 22 février 2012.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Dans son rapport, l'expert a conclu en ces termes "les interventions réalisées par la docteur B. ont été effectuées dans les règles de l'art avec conscience, avec une prise en charge adaptée à la suite des complications infectieuses qui sont survenues".

Sur le manquement à l'obligation d'information :

Madame A reproche au médecin un défaut d'information, lors de l'unique consultation du 6 août 2002, au cours de laquelle elle dit n'avoir eu aucune information précise sur les modalités et les risques de l'intervention, qui a été fixée, ce jour-là, 3 semaines plus tard, sans qu'elle ait revu le chirurgien. Elle reproche à celui-ci de s'être contenté de lui remettre le document intitulé consentement éclairé qui comporte des dates erronées "remis le 1er août 2002 signé le 10 août 2002", alors qu'elle n'a vu le docteur B. que le 6 août et dit avoir signé le document le jour même.

Le docteur B. indique que lors des opérations d'expertises, Mme A ne s'est pas plaint d'un défaut d'information. Il précise avoir donné oralement au cours de la consultation une information complète à sa patiente, et lui avoir remis le document de consentement éclairé, versé au dossier.

L'intervention chirurgicale concernée par le manquement à l'obligation d'information dont se plaint Madame A est régie par l'article L. 1111-2 du Code de la santé publique dans sa rédaction issue de la loi du 4 mars 2002.

Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser.

L'information est délivrée au cours d'un entretien individuel, elle doit porter sur les risques fréquents ou graves normalement prévisibles. Le compte rendu de consultation n'est pas obligatoire, non plus que la remise d'un document écrit. Cependant, un tel document permet au médecin de rapporter la preuve qui lui incombe d'avoir satisfait à son obligation d'information.

En matière de chirurgie esthétique, l'obligation d'information est renforcée dans la mesure où cette chirurgie n'est pas liée à une nécessité médicale, mais a pour but d'améliorer une apparence physique. Elle est prévue par les dispositions de l'article L. 6322-2 du Code de la santé publique qui prévoit une information par le praticien portant sur les conditions de l'intervention, les risques et les éventuelles conséquences et complications. Cette information est accompagnée de la remise d'un devis détaillé. Un délai minimum doit être respecté par le praticien entre la remise de ce devis et l'intervention éventuelle.

En l'espèce, Madame A a été reçue le 6 août 2002 par le docteur B. . Il n'est pas contesté que le document de consentement éclairé lui a été remis lors de la consultation et non le 1er août 2002 comme mentionné par erreur. En revanche, Madame A ne rapporte pas la preuve qu'elle l'ait signé aussitôt, alors qu'il porte sa signature avec la date du 10 août 2002.

Il convient de se référer aux motifs de la décision déférée dans lesquels le premier juge a reproduit intégralement le texte de l'information écrite remise à l'appelante et signée par elle.

Il ressort clairement de ce document que le risque d'infection a été porté à sa connaissance, avec d'autres risques liés à la mise en place de prothèse : hématome, troubles de la cicatrisation, nécrose cutanée, lésion nerveuse sensitive et/ou motrice, extrusion de la prothèse.

Ainsi, l'information spécifique liée à l'implantation de la prothèse a été délivrée, le risque d'extrusion étant limité à l'implant tandis que le risque infectieux se rattache tant à l'intervention en elle-même qu'à celui généré par la prothèse.

Le devis prévu par les dispositions de l'article L. 6322-2 du Code de la santé publique est versé au dossier. Le délai écoulé entre la consultation, la remise du devis et l'intervention correspond au délai minimum visé par ce texte.

Dès lors, aucun manquement à l'obligation d'information n'est établi à l'encontre du docteur B.

La décision déférée sera confirmée sur ce point.

Sur le défaut de la prothèse et la responsabilité du Docteur A :

Madame A soutient que le médecin est débiteur d'une obligation de sécurité résultat en ce qui concerne le matériel qu'il utilise dans l'exécution d'un acte médical, en particulier la pose d'une prothèse. Elle critique la position du tribunal qui a écarté sa responsabilité dans la mesure où le fabricant de l'implant est identifié, elle souligne que l'implant n'a pas été analysé alors que lors de son retrait le docteur B. a évoqué une défectuosité le concernant. Elle estime que le médecin et la clinique ont commis une faute en ne procédant pas aux analyses.

Le docteur B. demande la confirmation de la décision déférée qui a fait une exacte application de l'article 1386-1 du Code civil, en ne retenant pas sa responsabilité au titre d'une éventuelle défectuosité non démontrée de l'implant.

Il ressort des pièces médicales versées au dossier, que le docteur B. a mis en place le 23 août 2002 un implant de marque Eurosilicone, en gel de silicone, par voie poplitée transversale. Il résulte du rapport d'expertise que le suivi post-opératoire a été fait correctement. Consulté en urgence le 20 octobre 2002, le docteur B. a pris la décision de pratiquer l'ablation de la prothèse. Le prélèvement bactériologique a démontré la présence de Staphylocoque pathogène. Le traitement mis en place par le docteur B. a été jugé comme adapté par l'expert. Ce dernier a souligné que "l'examen de la prothèse retirée montre une légère opacité dans son pôle supérieur mais pas de rupture ou de brèche traumatique". Au demeurant, à défaut d'analyse de celle-ci qui n'a pas été conservée, aucune conséquence ne peut être tirée de cette seule constatation.

L'article L. 1142-11 du Code de la santé publique issu de la loi du 4 mars 2002 dispense la victime de l'obligation de rapporter la preuve d'une faute pour engager la responsabilité du professionnel de santé, lorsque le dommage résulte du défaut d'un produit de santé. Mais s'agissant d'implants, il y a lieu de faire application des articles 1386-1 et suivants du Code civil visant le régime applicable aux produits défectueux. Ce texte est ainsi rédigé : "Le producteur est responsable du dommage créé par le produit qu'il soit ou non lié par un contrat avec la victime". Le défaut de sécurité de tout produit de santé fonde la responsabilité objective du producteur, fabricant ou distributeur dudit produit

C'est par de justes motifs auxquels la cour se réfère et qu'elle adopte, que le tribunal a indiqué que la responsabilité du chirurgien ne peut être recherchée sur le fondement de l'obligation de sécurité de résultat qui pèse sur lui en ce qui concerne les matériels qu'il utilise pour l'exécution d'un acte médical, d'investigation ou de soins, puisqu'en sont exclus les dispositifs médicaux implantables et qu'au titre du régime de responsabilité du fait des produits défectueux, le chirurgien, "fournisseur" du produit, n'engage sa responsabilité au titre de la défectuosité du matériel implanté qu'en cas d'impossibilité d'identifier le producteur ou le fabricant.

En l'espèce, il n'est pas contesté que le fabricant du produit, la société Eurosilicone, est parfaitement identifié ; dès lors la responsabilité du docteur B. ne peut pas être recherchée pour une défectuosité de l'implant sur le fondement de l'article 1386-1 du Code civil.

La décision déférée sera également confirmée sur ce point.

Sur la responsabilité de la clinique :

C'est à juste titre que la Polyclinique observe que, hors le cas de la défectuosité d'un produit de santé, non établie en l'espèce, l'établissement de soins ne peut être déclaré responsable qu'en cas de faute. Or, l'appelante ne lui a fait aucun grief, ne dirigeant ceux-ci qu'à l'encontre du docteur B..Par ailleurs, ce dernier intervenant dans le cadre de l'exercice libéral, la clinique n'est pas responsable des fautes qu'il aurait le cas échéant pu commettre. En effet, il n'est ni démontré ni même allégué de faute dans l'organisation de la clinique ni d'infection de nature nosocomiale. En conséquence, Madame A sera déboutée de toutes ses demandes à l'encontre de la Polyclinique du Tondu.

La CPAM estime abusive sa mise en cause par l'appelante dans la mesure où elle a clairement indiqué suite à l'avis du médecin conseil qu'elle n'avait aucune créance à faire valoir. Il sera constaté toutefois qu'elle n'en a tiré aucune conséquence, se bornant à demander l'allocation d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du Code procédure civile. L'abus n'est pas caractérisé, le tiers payeur étant partie à la première instance, sa mise en cause étant nécessaire pour qu'elle puisse faire valoir ses droits.

Il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, toutes les parties seront déboutées des demandes formées de ce chef.

Madame A qui succombe en son appel sera condamnée à en supporter les dépens.

Par ces motifs, LA COUR : - Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, - Y ajoutant, - Déboute Madame A de l'intégralité de ses demandes.