CA Bourges, ch. civ., 13 octobre 2011, n° 10-01740
BOURGES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Duchesne (SA)
Défendeur :
Dubief
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Richard
Conseillers :
MM Lachal, Fradin
Avoués :
Mes Rahon, Guillaumin
Avocats :
Mes Chas, Bougerol
Vu le jugement, frappé du présent appel, rendu le 12 octobre 2010 par le Tribunal de grande instance de Châteauroux qui a condamné la SA D. Duchesne à payer à M. Jacques Dubief la somme de 80 000 euro avec intérêts de droit à compter du 9 septembre 2009 et la somme de 1 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Vu les dernières conclusions signifiées le 11 juillet 2011 par la SA D. Duchesne, appelante, tendant à :
- prononcer la nullité du jugement de première instance ;
- constater que les jeux publicitaires diffusés par la société D Duchesne sont parfaitement licites ;
- constater qu'aucune faute ne peut être mise à la charge de la SA D. Duchesne, qui par ailleurs a souscrit aux seules obligations auxquelles elle s'était engagée ;
- constater qu'il n'existe aucun engagement de versement d'un prix à la charge de la SA D. Duchesne ;
- débouter M. Jacques Dubief de l'ensemble de ses demandes et le condamner au paiement de la somme de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Vu les dernières conclusions signifiées le 25 mai 2011 par M. Jacques Dubief, intimé, tendant à confirmer intégralement le jugement déféré, subsidiairement à condamner la SA D. Duchesne à lui payer une somme de 80 000 euro à titre de dommages et intérêts pour son préjudice moral, en tout cas à condamner la SA D. Duchesne à lui payer une somme de 3 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Vu l'ordonnance de clôture en date du 23 août 2011 ;
Sur quoi, LA COUR
Attendu que la SA D. Duchesne, société de droit belge, est spécialisée dans la vente par correspondance sous différentes dénominations commerciales notamment " TV direct distribution ", " TV direct distribution santé au naturel ", " Notre Vie " ; qu'au soutien de la vente de ses produits sur catalogue, l'entreprise organise des loteries publicitaires ;
Attendu que par courriers, M. Jacques Dubief a reçu, de ces entreprises, huit offres comportant pour chacune d'elles l'annonce d'un gain de 10 000 euro ; que, sans y être obligé pour participer aux opérations publicitaires correspondantes (AT 706 n°376 - D709/D710 n°378 - X709 n°378 - E711/E731 n°380 - AB712 n°381 - K803/K823 n°382 - K802/822 n°382 - Y805/806 n°385), il a répondu par huit commandes d'un montant unitaire inférieur à 25 euro ; que les produits commandés ont été envoyés les 1er et 25 octobre 2007, 9 novembre 2007 (deux commandes), 29 février 2008, 3 mars 2008, 1er avril 2008 et 6 juin 2008 ; que par contre, il n'a reçu de la société aucun chèque de 10 000 euro ; que M. Jacques Dubief a alors fait assigner la SA D. Duchesne devant le tribunal de grande instance de Châteauroux pour la voir condamner à lui verser la somme de 80 000 euro ; que le jugement déféré a fait droit à la demande ;
Attendu que la SA D. Duchesne considère que le jugement déféré est nul, les premiers juges ayant méconnu le principe du contradictoire en relevant d'office un moyen de droit, à savoir un fondement de la décision sur l'article 1371 du Code civil alors que M. Dubief recherchait la responsabilité contractuelle de la société, sans inviter les parties à présenter leurs observations ; qu'aux termes du troisième alinéa de l'article 16 du Code de procédure civile le juge ne peut en effet fonder sa décision sur les moyens de droit qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations, même si aux termes de l'article 12 du même Code, comme le motive le tribunal, le juge doit trancher le litige conformément aux règles qui lui sont applicables ; qu'en conséquence, le jugement déféré est nul pour ne pas avoir respecté le principe de la contradiction ;
Attendu qu'en appel, M. Jacques Dubief soumet désormais sa demande, à titre principal, sur le fondement de l'article 1371 du Code civil et, subsidiairement, sur le fondement de l'article 1147 du Code civil, ce que les dispositions de l'article 565 du Code de procédure civile permettent ;
Attendu qu'au fond, la SA D. Duchesne fait valoir que l'intégralité de ses documents publicitaires met en évidence les modalités du fonctionnement du jeu et l'existence d'un aléa inhérent au pré-tirage au sort du nom du gagnant tout en rappelant que le critère de consommateur moyen normalement attentif et diligent est retenu par une jurisprudence constante dans ce type de litige ; que M. Jacques Dubief répond que la société Duchesne s'affranchit de l'obligation de mettre en évidence l'aléa qui affecte les jeux promotionnels et qu'elle a fait naître chez lui une certitude de gain en employant des procédés publicitaires fallacieux et dolosifs ;
Attendu qu'en l'espèce, si le jugement déféré reprend dans sa motivation une partie des documents personnalisés adressés à M. Jacques Dubief contenant des affirmations catégoriques, pour certains d'un caractère se voulant officiel comme en témoignent les références faites au contrôle d'un huissier de justice et aux avis conformes de la 'direction', tout en multipliant les mentions attractives pouvant laisser croire à l'existence certaine d'un gain, il n'en demeure pas moins que chaque document invite à " lire attentivement les conditions réglementaires " contenues dans le document, parfois en faisant figurer une flèche orientée vers l'endroit où est imprimé le règlement du jeu, et indique que " les prix sont soumis à l'aléa du tirage au sort qui a été effectué " ou qu'il existe " l'aléa du pré-tirage " ou que les " prix sont soumis à aléa " ; qu'il y a lieu de noter que même les enveloppes, contenant les documents publicitaires que verse aux débats M. Jacques Dubief, font apparaître, sous les logos des diverses entreprises composant la société, la mention " département des pré-tirages gratuits ; liste (et descriptif) des prix soumis à aléas et règlement joints " et invitent à lire l'ensemble des documents en précisant même parfois en gros caractères au verso de l'enveloppe " tout est à lire attentivement " " les prix sont soumis à l'aléa du tirage au sort qui a été effectué " ; que dans ces conditions, l'existence de l'aléa affectant l'attribution des prix de chaque loterie en cause était clairement mise en évidence, à première lecture, dès l'annonce du gain ; qu'ainsi, M. Jacques Dubief s'est rendu compte qu'il avait uniquement gagné le droit de participer à huit tirages au sort et non celui de se faire remettre les huit chèques de 10 000 euro mis en jeu ; qu'au vu des pièces produites, les bulletins de participation aux opérations de loteries publicitaires étaient bien distincts de tout bon de commande de bien comme l'exige l'article L. 121-36 alinéa 2 du Code de la consommation, M. Jacques Dubief versant même un bon de commande vierge dont il a détaché le bulletin de participation à la loterie ; que la SA D. Duchesne n'a alors pas commis de faute à l'égard de M. Jacques Dubief pouvant ouvrir droit à dommages et intérêts ; qu'ainsi les demandes de M. Jacques Dubief seront rejetées ;
Attendu qu'aux termes de l'article 696 du Code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens tant de première instance que d'appel ;
Attendu qu'il n'y a pas lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Par ces motifs, LA COUR, Dit le jugement déféré nul pour ne pas avoir respecté le principe de la contradiction ; Statuant à nouveau, Rejette les demandes formées par M. Jacques Dubief ; Condamne M. Jacques Dubief aux dépens tant de première instance que d'appel ; Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile.