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Décisions

CA Aix-en-Provence, 1re ch. B, 13 octobre 2011, n° 11-01418

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Duchesne (SA)

Défendeur :

C (Consorts)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Grosjean

Conseillers :

Mme Demont-Pierot, M. Fournier

TGI Draguignan, du 9 déc. 2010

9 décembre 2010

EXPOSÉ DES FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS,

La société anonyme de droit belge Duchesne, dont le siège social est à Nivelles, en Belgique, exerce une activité de vente par distribution sous l'enseigne " TV Direct Distribution ".

La société Duchesne a envoyé à M. Pierre C. un courrier l'informant qu'il avait gagné la somme de 10 000 euro.

Le 28 mars 2008, M. Pierre C. a fait assigner la SA Duchesne devant le tribunal de grande instance de Draguignan en paiement de cette somme.

M. Pierre C. est décédé le 14 avril 2009, laissant pour lui succéder les consorts C. :

- Mme Sylvie C.,

- M. Yannick C.,

- Mme Fabienne C.,

Ceux-ci ont poursuivi la procédure.

Par jugement en date du 9 décembre 2010, le Tribunal de grande instance de Draguignan a :

- condamné la société DD. à payer à Mme Sylvie C., M. Yannick C. et Mme Fabienne C. la somme de 10 000 euro avec intérêts au taux légal à compter de l'acte introductif d'instance en date du 28 mars 2008,

- condamné la société DD. à payer à Mme Sylvie C., M. Yannick C. et Mme Fabienne C. la somme de 1 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire,

- condamné la société Duchesne aux entiers dépens, dont distraction au profit de M. C.

Par déclaration de la SCP, la SCP L.- P.-L.- A., avoués, en date du 25 janvier 2011, la SA Duchesne a relevé appel de ce jugement.

L'affaire a été fixée à bref délai, en application des dispositions de l'article 905 alinéa deux du Code de procédure civile.

Par ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 19 août 2011, la SA Duchesne à l'enseigne commerciale TV Direct Distribution demande à la cour d'appel de :

- réformer le jugement,

- constater que les jeux publicitaires diffusés par la société Duchesne sont parfaitement licites,

- constater qu'aucune faute ne peut être mise à la charge de la société Duchesne qui a par ailleurs souscrit aux seules obligations auxquelles elle s'était engagée,

- constater qu'il n'existe aucun engagement ferme de versement d'un prix à la charge de la société Duchesne,

- débouter M. C. de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- condamner M. C. au paiement d'une somme de 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner M. C. aux entiers dépens, ceux d'appel distraits au profit de la SCP L.- P.-L.- A., avoués.

La société Duchesne expose que les jeux qu'elle diffuse fonctionnent par pré-tirage au sort du nom du gagnant au sein du fichier client et avant même la diffusion du jeu. Elle précise que le destinataire du courrier de la société Duchesne doit simplement renvoyer son bon de commande et attendre la clôture du jeu pour savoir s'il était la personne pré-tirée au sort.

La société Duchesne fait valoir que le règlement du jeu est joint aux envois, et que ce règlement précise aux articles 10 et 14 le caractère attractif des documents en indiquant que l'opération est une animation à caractère publicitaire présentant des termes attractifs et ne présente aucune offre ferme.

La société Duchesne rappelle que dans l'enveloppe, le client trouve un matériel publicitaire indiquant selon elle sans ambiguïté qu'il s'agit d'un pré-tirage.

La société Duchesne estime que ces documents publicitaires s'adressent à des consommateurs dotés d'une intelligence et d'une capacité de compréhension moyenne qui permettent dès réception de comprendre qu'il existe un aléa.

La société Duchesne considère qu'un consommateur ne peut prétendre au paiement, sauf à être de mauvaise foi.

Par leurs dernières conclusions, déposées et notifiées le 1er juin 2011, Mme Sylvie C., M. Yannick C. et Mme Fabienne C., en qualités d'héritiers de feu Pierre C. décédé le 14 avril 2009, demandent à la cour d'appel, au visa du règlement de Bruxelles I du 22 décembre 2000, des articles 1371 et 1382 du Code civil, des articles L. 121-36 et L. 121-37 du Code de la consommation, de :

- confirmer le jugement,

- subsidiairement, juger que la SA Duchesne a commis une faute engageant sa responsabilité, et la condamner au même montant,

- y ajoutant, condamner la SA Duchesne au paiement d'une somme de 3 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice moral,

- dire que la société Duchesne a violé les articles L. 121-36 et L. 131-37 du Code de la consommation,

- condamner la société Duchesne à leur payer 3 000 euro à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral,

- condamner la SA Duchesne au paiement d'une somme de 3 000 euro à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive,

- condamner la SA Duchesne au paiement d'une somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la SA Duchesne aux entiers dépens, dont ceux d'appel distraits au profit de la SCP B.G.B., avoués.

Les consorts C. rappellent que, par application de l'article 51) a du règlement européen CE 44/2001 du 22 décembre 2000, la compétence des tribunaux français ne peut être contestée, ce qui d'ailleurs n'est pas discuté.

Les consorts C. font observer que les documents adressés à M. Pierre C. ne mettaient en évidence aucun aléa et que la somme annoncée était bien présentée comme un gain effectif à une personne dénommée.

Ils font remarquer que même le règlement dont se prévaut la société Duchesne ne met pas en évidence et de manière non équivoque un aléa.

Ils estiment que M. Pierre C. était de bonne foi.

A titre subsidiaire, les consorts C. considèrent que le responsable de l'envoi de ce courrier a commis une faute engageant sa responsabilité vis à vis de M. C.

Les consorts C. estiment que la société Duchesne a commis par ailleurs des actes délictueux en violation des dispositions du Code de la consommation, alors que le bon de commande était inclus dans le même document que le bulletin de participation, en violation des articles L. 121-36 et L. 121-37 du Code de la consommation. Ils considèrent que la société Duchesne a créé une confusion en présentant des documents commerciaux comme des documents administratifs ou bancaires.

MOTIFS,

- Les faits :

Les consorts produisent un courrier qui a été adressé à M. Pierre C. le 18 octobre 2007 par TV Direct Distribution, ainsi libellé :

" Avis officiel de confirmation: M. Pierre C.....le seul grand gagnant est identifié : c'est vous M. C. votre numéro unique 672 690 185 gagne la somme de 10 000 euro.. "...

" Cher Monsieur C., cher gagnant, l'huissier de justice assermenté vient de m'avertir que le n°d'attribution 672690185 qui vous a été exclusivement accordé vous permet de pouvoir réclamer la très importante somme de 10 000 euro. C'est bien vous et vous seul, M.C., qui êtes concerné par ce courrier personnalisé... répondez dans les plus brefs délais car j'ai donné l'ordre d'adresser l'unique chèque bancaire définitif de 10 000 euro au seul bénéfice du grand gagnant, Monsieur C. ".

Au verso de cette feuille, en lettres serrées sans espaces, en une présentation volontairement illisible, figurait un règlement du jeu TV Direct Distribution.

M. Pierre C. a répondu à ce courrier, pièce également produite, en faisant une commande le 25 octobre 2007 et en adressant à la société TV Direct Distribution par lettre recommandée avec avis de réception reçue le 29 octobre 2007 par cette société, le bulletin " vignette " de " gagnant confirmé " demandant à recevoir le chèque de 10 000 euro.

- L'action en paiement pour quasi-contrat :

L'article 1371 dispose que les quasi-contrats sont les faits purement volontaires de l'homme, dont il résulte un engagement quelconque envers un tiers, et quelquefois un engagement réciproque des deux parties.

Sur ce fondement, il doit être retenu que l'organisateur d'une loterie, qui annonce un gain à une personne dénommée sans mettre en évidence à première lecture l'existence d'un aléa, s'oblige par ce fait purement volontaire à le délivrer.

Les documents adressés par la société D à M. Pierre C. ne mettent pas en évidence l'aléa qui établirait aux yeux d'un destinataire normalement attentif que l'expéditeur ne s'est pas formellement et volontairement engagé à remettre le gain annoncé.

Malgré la mention au verso de ce courrier d'un règlement expliquant en un texte difficilement lisible et peu intelligible, présenté sous une forme compacte et rebutante, en petits caractères, qu'il ne s'agit que du droit de participer à une loterie dont le gagnant recevra cette somme, ce courrier donne à penser à tout destinataire moyen que cette somme est gagnée avec certitude.

Tous les documents et toutes les formules utilisées par la société Duchesne sont révélateurs d'une volonté de faire croire à l'existence certaine d'un gain, avec des clauses de réserve si ambiguës que le consommateur moyen ne s'en aperçoit pas.

Le jugement condamnant la société Duchesne à verser cette somme de 10 000 euro sera confirmé.

- L'action fondée sur le Code de la consommation :

L'article L. 121-36 du Code de la consommation dispose que les opérations publicitaires réalisées par voie d'écrit qui tendent à faire naître l'espérance d'un gain attribué à chacun des participants, quelles que soient les modalités de tirage au sort, ne peuvent être pratiquées que si elles n'imposent aux participants aucune contrepartie financière ni dépense sous quelque forme que ce soit.

L'acceptation du chèque de 10 000 euro n'était pas clairement subordonnée à une commande, même s'il résultait du libellé du document une forte incitation à passer une commande, permettant un traitement prioritaire du courrier.

L'article L. 121-37 du Code de la consommation dispose que les documents présentant l'opération publicitaire ne doivent pas être de nature à susciter la confusion avec un document administratif ou bancaire libellé au nom du destinataire ou avec une publication de la presse d'information.

L'avis de gain d'un chèque de 10 000 euro ressemble à un document bancaire.

En tout état de cause, il n'en résulte pas de préjudice.

Il ne peut être dit que la société Duchesne a fait preuve de résistance abusive.

Le jugement sera purement et simplement confirmé.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe, Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 9 décembre 2010 par le Tribunal de grande instance de Draguignan, Condamne en outre la société Duchesne à payer aux consorts C. à la somme de 1 500 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d'appel, s'ajoutant à ceux de première instance.