CA Douai, 1re ch. sect. 1, 9 janvier 2012, n° 11-02463
DOUAI
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Pollion
Défendeur :
Pitch On Putt (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Merfeld
Conseillers :
Mmes Metteau, Doat
Avoués :
SCP Deleforge, Franchi, SCP Thery - Laurent
Avocats :
Mes Deve, Delahay
La SARL Pitch On Putt édite un magazine régional de golf dénommé Le Par, distribué gratuitement.
A l'occasion de son centième numéro, elle a organisé un jeu concours, sans obligation d'achat, avec pour premier prix un séjour d'une semaine à l'île Maurice dans l'hôtel Véranda Resort et transport par Air France.
En janvier 2008, elle a informé M. Sébastien Pollion qu'il était le gagnant du concours. Ce dernier a reçu son lot sous forme d'un bon d'échange lors d'une cérémonie organisée le 29 mars 2008. Ce bon précisait qu'il était " valable 1 an " et qu'il concernait un séjour, pour deux personnes, à l'héritage Golf et Spa Resort, pendant sept nuits, en chambre double luxe et en demi-pension, le vol aller-retour Air France et un green free par jour et par personne. Le gagnant devait contacter une personne de l'hôtel et Air France pour organiser son séjour qui devait se dérouler " hors vacances scolaires, sur réservation et selon disponibilités et confirmation de l'hôtel ".
Par lettre recommandée du 21 octobre 2008, la SARL Pitch On Putt a contacté M. Pollion s'étonnant de ce que celui-ci n'ait pas manifesté sa volonté de bénéficier du voyage et lui précisant que le séjour devait intervenir avant le 30 décembre 2008.
Le 1er novembre 2008, M. Pollion indiquait par mail qu'il avait l'intention de partir en mars 2009. En réponse, par courriel du 5 novembre 2008, M. Wattinne, directeur du magazine, l'invitait à prendre contact sans tarder avec Air France.
S'estimant trompé dans la mesure où Air France lui a confirmé que le bon d'échange concernant les billets d'avion n'était valable que jusqu'au 31 décembre 2008 alors qu'il souhaitait partir en mars 2009, qu'il n'a donc pas profité du séjour gagné, M. Sébastien Pollion a, par acte d'huissier du 14 septembre 2010, fait assigner la SARL Pitch On Putt devant le tribunal d'instance de Roubaix pour faire constater que la société organisatrice du jeu concours avait engagé sa responsabilité civile délictuelle à son égard en lui fournissant une information trompeuse et/ou incomplète quant à la durée de validité du lot gagné et en conséquence, pour la voir la condamnée à lui payer la somme de 8 500 euro à titre de dommages et intérêts et celle de 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
La SARL Pitch On Putt s'est opposée à ces demandes au motif que M. Pollion avait mis plus de dix mois pour se manifester pour l'utilisation du voyage alors qu'il était parfaitement informé que celui-ci n'était valable que jusqu'au 31 décembre 2008. À titre subsidiaire, elle a relevé que les sommes réclamées étaient exorbitantes au regard de la valeur réelle du voyage.
La décision déférée a été rendue dans ces conditions.
M. Sébastien Pollion demande à la cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a constaté, dit et jugé que la société Pitch On Putt avait manqué à son obligation d'information à son égard en ne lui précisant pas clairement la date limite de validité de son gain dès l'attribution de celui-ci,
- confirmer le jugement en ce qu'il a dit et jugé que la faute commise par la société Pitch On Putt lui avait causé un préjudice qu'il convenait de réparer,
- le réformer en ce qu'il a estimé que le préjudice subi s'analysait en une perte de chance d'effectuer le voyage qui lui avait été attribué et en ce qu'il lui a alloué la somme de 1 000 euro de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi,
statuant à nouveau :
- constater, dire et juger qu'il bénéficie d'une créance certaine et exigible à l'encontre de la société Pitch On Putt,
- dire et juger que, privé de son droit de partir en voyage à l'île Maurice, il est fondé à solliciter une indemnisation au moins équivalente à la valeur du lot annoncé et remporté,
- condamner la société Pitch On Putt à lui payer la somme de 8 500 euro au titre du préjudice subi,
- la condamner à lui payer la somme de 2 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'à tous les frais et dépens de la procédure.
Il rappelle que les loteries publicitaires font l'objet d'une réglementation stricte destinée à protéger les consommateurs et qu'elles sont encadrées par les articles L. 121-36 à L. 121-41 du Code de la consommation qui imposent notamment l'absence de toute contrepartie financière de la part du consommateur, un bulletin de participation distinct de tout bon de commande, un règlement déposé auprès d'un officier ministériel, adressé gratuitement sur simple demande, et que les documents présentant la loterie fournissent aux participants des informations complètes, claires et objectives en particulier quant aux lots. Il fait valoir qu'en l'espèce, il a été désigné comme le grand gagnant d'un voyage à l'île Maurice et qu'il s'est vu attribuer un bon d'échange valable un an lors de la remise officielle des prix. Il précise que pour gagner ce jeu concours, il a été invité à répondre à huit questions, la dernière étant une question bonus destinée à départager d'éventuels candidats ex aequo. Il en conclut qu'aucune place n'a été laissée au hasard dans l'attribution des lots et que dans la mesure où il connaissait les réponses, il pouvait légitimement être confiant quant à sa réussite, ce qui a été confirmé puisqu'il a gagné le concours.
Il en découle, selon lui, que la société Pitch On Putt a manqué à son obligation d'information et de loyauté ainsi qu'à ses obligations légales dans la mesure où il a été trompé par l'imprécision et la confusion des messages publicitaires qui lui ont été adressés ou remis puisque, dans le mail qui lui a été envoyé pour l'informer de son gain, aucune mention relative à la durée de validité du voyage n'était indiquée et qu'on contraire, sur le bon d'échange, cette durée était précisée comme étant d'un an. Il en conclut, ce document lui ayant été remis le 29 mars 2008, qu'il pouvait penser que sa validité courait jusqu'en mars 2009, que la société organisatrice du jeu a engagé sa responsabilité civile délictuelle à son égard en ne lui exposant pas nettement la situation et que le tribunal a donc pu la condamner à réparer le préjudice subi et ce d'autant que le jeu concours n'avait fait l'objet d'aucun règlement pour son organisation.
Il précise que les faits litigieux sont survenus à une date postérieure à l'attribution du gain puisque ce n'est que le 21 octobre 2008 qu'il a appris que le bon d'échange qui lui avait été remis en mars 2008 n'était valable que jusqu'au 31 décembre 2008 de sorte que son préjudice, alors qu'il n'existe aucun aléa quant à l'attribution du lot, ne peut consister en une perte de chance d'effectuer le voyage gagné. Il estime qu'il est patent qu'il n'a pas pu utiliser son bon en raison du comportement fautif de la société Pitch On Putt qui a postérieurement et unilatéralement modifié les conditions d'utilisation du lot attribué. Il en déduit qu'il dispose d'une créance certaine et exigible à l'encontre de cette société. Il ajoute que son préjudice est important ; il a été privé de l'attribution d'un gain substantiel, il a été déçu, frustré et a eu le sentiment d'avoir été abusé. Il indique que ce préjudice doit être apprécié en tenant compte de sa bonne foi et des capacités d'un consommateur moyen qui aurait, comme lui, été trompé dans une pareille situation. Il fait valoir que le prix remporté peut-être évalué à la somme de 7 500 euro, montant qu'il réclame à titre de dommages et intérêts. Il ajoute que la remise du document publicitaire s'analyse comme un engagement unilatéral de volonté source d'une obligation pour le magazine de lui remettre effectivement ce lot. Il fait également état d'un préjudice moral qu'il chiffre à 1 000 euro.
La SARL Pitch On Putt sollicite de confirmer le jugement en toutes ses dispositions, de débouter M. Pollion de toutes ses autres demandes, fins et conclusions, de la condamner à lui payer la somme de 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel et de le condamner aux dépens de première instance et d'appel.
Elle précise qu'elle est financée par les publicités qui figurent dans son magazine, qu'elle n'a pas une surface financière importante et que c'est donc grâce à un partenariat avec Air France et avec une chaîne hôtelière qu'elle a pu organiser le concours et proposer le premier prix. Elle reconnaît que les règles du Code de la consommation n'ont pas été respectées mais précise qu'il s'agissait non pas d'une opération publicitaire mais d'un concours organisé au profit de golfeurs. Elle affirme que M. Pollion a été informé dès le mois de janvier 2008 qu'il avait remporté le premier prix mais également que la validité du bon d'échange Air France expirait le 31 décembre 2008 bien qu'il n'y ait aucune trace écrite de cette information. Elle ajoute qu'un règlement du jeu était disponible sur Internet et que le participant a pu en prendre connaissance.
Elle reconnaît également que le tribunal a, à juste titre, retenu que M. Pollion avait subi un préjudice évalué à 1 000 euro suite au manquement à son obligation d'information.
Elle précise, en effet, que ce dernier n'est pas un consommateur de bonne foi puisqu'il était parfaitement informé de l'expiration du délai de validité des billets d'avion. Elle souligne, en outre, que le bon d'échange a été remis le 29 mars 2008 mais que ce n'est que le 1er novembre 2008 qu'il s'est manifesté (suite à une lettre recommandée qui lui a été envoyée) et que s'il avait, à cette date, pris l'initiative de contacter Air France il aurait obtenu la confirmation de la date limite de validité des billets. Elle explique qu'en réalité, M. Pollion a voulu organiser directement avec l'hôtel un séjour entre le 8 et le 15 mars 2009, avec trois couples d'amis.
Elle estime que le préjudice ne peut être chiffré en tenant compte de la grille tarifaire de l'hôtel communiquée qui s'applique à la période de novembre 2009 à octobre 2010 alors que le devis du 27 août 2008 spécifiait un prix de séjour sur place de 1 908 euro par couple. En tout état de cause, elle ajoute que cette somme ne peut être retenue puisque l'hôtel avait accepté la date de voyage proposée par M. Pollion. Elle en conclut que la perte de chance ne peut résulter que de l'absence de validité des billets d'avion, que cette perte de chance ne découle que de l'absence de réaction rapide du gagnant et donc de l'impossibilité de bénéficier des billets d'avion. A ce sujet, elle constate que la proposition tarifaire versée aux débats par M. Pollion concerne un voyage en classe affaires alors qu'il n'avait jamais été question d'une telle prestation. En outre, elle fait valoir qu'il convient de tenir compte de la hausse importante des carburants et des surtaxes imposées par les compagnies d'assurances depuis 2008. Elle en conclut que les billets pouvaient être valorisés en octobre 2010 à 990 euro.
MOTIFS DE LA DÉCISION
M. Sébastien Pollion, comme la SARL Pitch On Putt, sollicitent la confirmation du jugement en ce qu'il a retenu que la société, organisatrice d'un jeu concours à l'occasion de la parution de son centième numéro en novembre 2007, avait manqué à son obligation d'information à l'égard du gagnant en ne précisant pas clairement la date limite de validité de son gain dès l'attribution de celui-ci, engageant par ce fait sa responsabilité délictuelle.
En effet, le tribunal a, à juste titre, relevé qu'alors que l'organisateur de jeu concours est tenu d'une obligation d'information concernant la nature, la valeur, les modalités d'attribution et d'utilisation du gain annoncé, le magazine Le Par n'avait pas respecté cette obligation dans la mesure où :
- dans le journal, le premier prix était décrit comme une semaine à l'île Maurice au Véranda Resort avec Air France, sans précision quant à la date limite de validité du voyage.
- le courriel du 5 mars 2008 annonçant à M. Pollion son gain, l'informait uniquement de ce qu'il était LE grand gagnant du voyage et l'invitait à la remise officielle des prix, sans plus de précisions.
- lors de la cérémonie du 29 mars 2008, le bon d'échange précisait qu'il était valable un an et qu'il devait être pris hors vacances scolaires, sur réservation et selon les disponibilités. Ce bon n'était pas daté et ne mentionnait pas non plus de date limite de validité.
- c'est uniquement par la lettre recommandée du 21 octobre 2008 que la date limite d'utilisation a été mentionnée. En outre, le courrier électronique du 5 novembre 2008 ne faisait plus mention de l'obligation d'utiliser le voyage avant la fin de l'année 2008 alors même que M. Pollion avait clairement indiqué qu'il entendait partir en mars 2009. Ce n'est que le 18 décembre 2008 que M. Wattinne a communiqué à son gagnant un mail d'Air France affirmant que les billets gagnés n'étaient valables que jusqu'à la fin de l'année.
Il peut être déduit de ces éléments que M. Pollion pouvait raisonnablement penser, jusqu'au 21 octobre 2008, que les billets d'avion qu'il avait gagnés pourraient être utilisés jusqu'au mois de mars 2009 et ce d'autant qu'il avait pris contact avec l'hôtel qui lui avait confirmé la possibilité d'un séjour au cours du mois de mars 2009. La société Pitch On Putt, qui ne rapporte la preuve d'aucune parution du règlement du jeu-concours sur Internet, d'aucune information, même verbale, antérieure au 21 octobre 2008 s'agissant de la date limite d'utilisation des billets d'avions gagnés, a donc manqué à son obligation d'information relativement au gain délivré dans le cadre du jeu qu'elle a organisé.
Elle doit donc réparer le préjudice subi par M. Pollion.
A ce sujet, il convient de relever que :
M. Pollion, gagnant du jeu organisé par la SARL Pitch On Putt, s'est effectivement vu remettre le gain annoncé. En effet, le bon d'échange qui lui a été délivré lui permettait d'obtenir des billets d'avion pour l'île Maurice et d'y effectuer un séjour avec la personne de son choix pendant une semaine, dans les conditions annoncées sur le magazine.
L'information tardive qui lui a été donnée quant à son obligation d'organiser ce voyage avant la fin de l'année 2008 (information donnée le 21 octobre 2008) n'a donc fait que le priver d'une chance de pouvoir profiter de son lot. En effet, il aurait pu organiser ce voyage et prévoir, en prenant contact avec Air France et l'hôtel dès le mois d'avril 2008, un séjour au cours de cette année 2008. Il aurait même pu voyager en novembre ou début décembre 2008 suite à la réception du courrier recommandé. Cependant, la mauvaise foi de M. Pollion dans sa volonté d'organiser son séjour n'est pas établie, celui ayant légitimement pu penser, jusqu'en octobre 2008, qu'il avait encore 6 mois pour profiter de son lot.
C'est donc à juste titre que le tribunal a analysé le préjudice subi par M. Pollion comme une perte de chance d'effectuer le voyage qui lui avait été attribué.
Cette perte de chance doit, compte tenu de la date de remise du lot, de la date de limite de validité des billets, de la date d'envoi de la lettre recommandée informant M. Pollion, de l'absence de contacts pris par ce dernier avec Air France entre octobre 2008 et décembre 2008, être évalué à 60 % de la valeur du lot qui sera fixée à 3 888 euro (séjour de 1 908 euro selon les propositions tarifaires faites par l'hôtel pour un séjour en mars 2009 et 990 euro par passager au titre des billets d'avion selon le mail d'Air France concernant la valeur des billets offerts). Le préjudice de M. Pollion doit donc être chiffré à 2 332,80 euro, la SARL Pitch On Putt ne pouvant prétendre que la perte de chance ne porte que sur les billets d'avion dans la mesure où M. Pollion, faute de transport, n'a pas pu effectuer le séjour bien que celui-ci soit encore possible en mars 2009.
M. Pollion, qui s'était impliqué dans l'organisation de son séjour, avait pris contact avec l'hôtel et décidé de partir avec trois couples d'amis, a subi un préjudice moral compte tenu de sa perte de chance de bénéficier de son lot ; il lui sera alloué, en réparation, une somme de 500 euro de dommages et intérêts.
La SARL Pitch On Putt sera donc condamnée à payer à M. Pollion la somme totale de 2 832,80 euro.
Le jugement sera réformé en ce sens.
La SARL Pitch On Putt succombant, elle sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.
Il serait inéquitable de laisser à M. Pollion la charge des frais exposés et non compris dans les dépens. La SARL Pitch On Putt sera condamnée à lui payer la somme de 800 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel et le jugement sera confirmé en ce qu'il lui a accordé 300 euro à ce titre en première instance.
Par ces motifs, LA COUR, statuant par arrêt contradictoire : Infirme le jugement en ce qu'il a fixé à 1.000 euro le montant des dommages et intérêts alloués à M. Sébastien Pollion à la charge de la SARL Pitch On Putt ; le confirme pour le surplus ; Statuant à nouveau du chef infirmé : Condamne la SARL Pitch On Putt à payer à M. Sébastien Pollion la somme de 2 832,80 euro à titre de dommages et intérêts ; Condamne la SARL Pitch On Putt aux dépens d'appel avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP Deleforge Franchi, Avoués ; Condamne la SARL Pitch On Putt à payer à M. Sébastien Pollion la somme de 800 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel.