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Décisions

CA Amiens, ch. économique, 1 avril 2010, n° 08-00870

AMIENS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Franquet (SA)

Défendeur :

Gaidoz

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Mordant de Massiac

Conseillers :

Mme Bousquel, M. Bougon

Avoués :

SCP Tetelin - Marguet - De Surirey, SCP Le Roy

Avocats :

Mes Carnoye, Mathieu

TGI Laon, ch. com., du 23 janv. 2008

23 janvier 2008

FAITS :

La SA Franquet conçoit, construit, et vend des machines agricoles.

Monsieur Hervé Gaidoz a une entreprise de travaux agricoles et a acheté à la SA Franquet une automotrice de récolte de betteraves Tetra d'une valeur de 125 580 euro, livrée le 25 avril 2003, qu'il a utilisé en 2003 et 2004.

Le 28 octobre 2005, la Drire (Direction régionale de l'industrie de la recherche et de l'environnement), répondant au courrier que lui avait adressé Monsieur Gaidoz le 18 octobre dans lequel il l'interrogeait sur la conformité du véhicule, afin de pouvoir circuler sur la route, lui indiquait, qu'à sa connaissance, le véhicule vendu n'avait pas été réceptionné, et que, bien que construit en 1998, il était assujetti au respect de la réglementation en vigueur.

Cet organisme ajoutait après avoir noté que le véhicule, de marque Franquet et de type Tetra, avait été construit en 1998, que le constructeur de ces véhicules avait entrepris, à l'époque, de réceptionner les véhicules de sa fabrication, mais que sa démarche n'avait pu aboutir.

Reprochant à sa venderesse de ne pas avoir fait agréer la machine susvisée par le service des mines et de ne pas l'avoir pourvue d'une plaque d'immatriculation conforme, Monsieur Gaidoz lui demandait, sans effet, de régulariser la situation.

Procédures :

C'est dans ce contexte que Monsieur Hervé Gaidoz, par acte du 16 janvier 2006, a assigné la SA Franquet devant le Tribunal de grande instance de Laon afin d'entendre prononcer la résolution de la vente sur plusieurs fondements : Les vices cachés de la chose, l'obligation de délivrance conforme, et le vice du consentement du fait d'une réticence dolosive de son vendeur, d'entendre la venderesse condamnée à lui restituer le prix de vente, soit la somme de 125 580 euro et à lui régler la somme de 15 000 euro à titre de dommages intérêts.

Par jugement rendu le 25 juillet 2006, le tribunal désignait un expert qui a déposé son rapport en décembre 2006.

Par jugement en date du 23 janvier 2008, le tribunal a prononcé la résolution de la vente et ordonné la restitution du prix de cette vente par la SA Franquet à Monsieur Hervé Gaidoz pour un montant de 95 580 euro, condamné la SA Franquet à régler à Monsieur Hervé Gaidoz la somme de 15 000 euro au titre du préjudice économique subi par ce dernier et celle de 2 500 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Le tribunal a notamment considéré que la SA Franquet n'a pas respecté son obligation de délivrance conforme de la chose vendue car elle n'était pas homologuée par la Drire, et qu'elle n'a remis la copie de la réception CE du type de véhicule lors de sa livraison, alors que la plaquette publicitaire indiquant ses caractéristiques techniques portait mention qu'elle était conforme à la législation sur la circulation routière,

Il a également retenu le dol à la charge de la venderesse en considérant qu'elle avait dissimulé volontairement à son acquéreur une démarche antérieure en homologation auprès de la Drire, équipé la machine d'équipements inutiles s'il n'était pas autorisé à circuler sur les axes routiers, mentionné sur un bon de livraison et sur la facture que la machine avait été enlevée par camion, alors que l'acheteur avait emporté et conduit la machine par voie routière après la livraison, en se faisant accompagner, de façon intentionnelle, car elle ne pouvait pas ignorer que la possibilité de circuler était un élément déterminant sans lequel Monsieur Hervé Gaidoz n'aurait pas contracté, même à un tarif intéressant, et qu'il aurait pu résilier la vente à tout moment si la mention : " non réceptionnée par les services de la Drire " avait été apposée sur la facture.

Le tribunal a diminué le prix à restituer de la valeur de la déprécation de la machine du fait de son utilisation en 2003 et 2004 par Monsieur Hervé Gaidoz, et dit que le préjudice de Monsieur Hervé Gaidoz provenait de son obligation d'acquérir une autre machine et de l'immobilisation de la machine litigieuse.

La SA Franquet a interjeté appel de la décision par déclaration au secrétariat-greffe de la cour d'appel de céans le 27 février 2008.

Demandes en appel

la SA Franquet, appelante, demande notamment à la cour dans ses dernières écritures déposées au secrétariat greffe de la juridiction de céans le 16 janvier 2009 d' infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et de déclarer l'action de Monsieur Gaidoz irrecevable et subsidiairement mal fondée.

Elle soutient que la demande en résolution de la vente sur le fondement des vices cachés serait irrecevable faute d'avoir été engagée à bref délai, et mal fondée parce que l'acheteur aurait été au courant du défaut qu'il invoque, lors de l'achat; que l'action en non-conformité serait irrecevable puisque la machine livrée était conforme aux stipulations contractuelles, l'absence de réserves par l'acheteur lors de la livraison, et son utilisation pendant deux ans faisant obstacle à la résolution de la vente pour non-conformité ; que l'intention dolosive ne serait pas établie car la plaquette publicitaire évoquée par les premiers juges, remise au moment de la livraison et non lors de la conclusion de la vente avait été établie dans le cadre d'un futur programme de commercialisation, et que le vendeur n'aurait pas été tenu à une obligation précontractuelle d'information sur l'absence d'homologation de la machine par la Drire, et ce, d'autant plus qu'il s'agissait d'un contrat passé entre deux professionnels.

Elle ajoute que le bien a subi une dépréciation totale due à son usage par l'acheteur, égale à la valeur de la machine, l'expert ayant noté que l'acquéreur de ce prototype, datant de plusieurs années, sait que sa valeur sera nulle après quelques années d'utilisation, le préjudice subi du fait de l'impossibilité de revendre la machine n'existerait pas en cas de restitution, du prix, et il n'y aurait aucun préjudice économique puisque les besoins de l'intimé ont évolué et que la machine n'y était plus adaptée.

Monsieur Hervé Gaidoz demande notamment à la cour dans ses dernières écritures déposées au secrétariat greffe de la juridiction de Céans le 11 mai 2009 de confirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions.

Il soutient que le vendeur a manqué à son obligation de délivrance conforme en ne lui remettant pas des documents administratifs indispensables à une utilisation normale du véhicule, et d'information en ne lui donnant pas tous les renseignements utile à la mise en œuvre du matériel vendu, il ajoute que la réticence dolosive serait caractérisée, l'impossibilité de circuler sur les axes routiers lui ayant été cachée.

Son préjudice serait d'autant plus important qu'il ne peut pas céder cette machine, et a dû acheter une autre machine d'une valeur de 40 000 euro.

En cet état,

Sur la recevabilité de l'appel :

La SA Franquet ayant formé son recours dans les délais et forme prévus par la loi, et la recevabilité de l'acte n'étant pas contestée, la cour recevra l'intéressée en son appel.

Sur le bien fondé de l'appel :

Il résulte des pièces de la procédure que Monsieur Gaidoz a engagé son action en nullité de la vente sur les fondements de l'existence d'un vice caché, d'une réticence dolosive ayant vicié son consentement, et sur la non-conformité de la chose vendue.

Le tribunal a prononcé la résolution de la vente à la fois sur le fondement de la non-conformité de la chose et sur le dol du vendeur.

Dans ses dernières conclusions d'appel, Monsieur Gaidoz soutient sa demande sur le fondement du défaut de conformité de la chose vendue et sur l'existence d'une réticence dolosive ayant vicié son consentement.

Il convient d'observer que la garantie des vices cachés n'a pas à jouer en présence d'un dol, et, que, dans ce cas, l'acheteur peut se placer, à son choix, sur le terrain de l'annulation, ou sur celui de la garantie.

L'article 1116 du Code civil dispose que le dol est une cause de nullité du contrat lorsque les manœuvres pratiquées par l'une des parties sont telles qu'il est évident que sans ces manœuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté.

Il ne se présume pas, et doit être prouvé.

En l'espèce, il convient d'observer que l'expert a indiqué dans son rapport que toutes les machines du type de celle vendue étaient considérées comme pouvant être conduites sur route.

Monsieur Gaidoz, entrepreneur agricole, au vu des nécessités évidentes de son activité pouvait légitimement penser qu'il pouvait utiliser la machine sur les routes.

La faiblesse du prix ne pouvait, à elle seule, alerter l'acheteur, alors qu'il s'agissait d'une machine datant de 1998.

Le vendeur ne prouve pas qu'il a averti son acheteur, au moment de la vente, de l'absence de réception du véhicule par la Drire, alors que cette information était importante pour l'usage du véhicule, que le vendeur ne pouvait ignorer, en sa qualité de professionnel.

L'attestation du PDG de la SA Franquet, es qualités, est, sur ce point, inopérante, et ce, d'autant plus qu'il n'est pas possible de se constituer de preuves à soi-même.

Le vendeur pouvait d'autant moins ignorer l'importance pour son acheteur de la possibilité pour la machine vendue de circuler sur route qu' il résulte des attestations produites par l'intimé que ce dernier a pris livraison de l'automotrice en se faisant escorter, et non au moyen d'un camion-plateau, et qu'il a quitté le lieu de livraison par la voie routière, alors que le vendeur a mentionné sur la facture que l'enlèvement s'était fait par camion.

Le vendeur reconnaît avoir remis à l'acheteur une notice mentionnant la conformité de la machine à la réglementation routière, lui a donné de ce fait une information mensongère corroborant les éléments ci-dessus, même si la remise du manuel d'utilisation est notée sur les documents contractuels comme devant être faite lors de la livraison.

Il n'établit pas avoir démenti cette information, par la suite.

Les considérations du vendeur aux termes desquelles les machines du type de celle vendues ne seraient que rarement homologuées et seraient tout de même assurées en cas de circulation routière sont inopérantes, personne n'étant dispensé de respecter la loi.

Le vendeur est tenu de donner à l'acquéreur toutes les précisions indispensables ou utiles pour l'usage de la chose vendue, et cela de façon claire. Ce devoir lui incombe, non seulement envers un acheteur profane, mais aussi envers un acheteur professionnel, en dehors du domaine de sa maîtrise technique, la nécessité de l'information étant renforcée lorsque l'usage de la chose nécessite une autorisation administrative.

Le caractère intentionnel du manquement à son obligation précontractuelle d'information par le vendeur résulte des mentions susvisées sur la facture, des mentions figurant sur la notice remise, et de la tentative antérieure d'homologation par la Drire de véhicules au moment de la fabrication de la machine litigieuse comme en témoigne le courrier adressé par la Drire à l'intimé le 28 octobre 2005, (la société Franquet n'apportant pas de preuve contraire, les justificatifs de demandes d'homologation produits par l'appelante portant sur des véhicules de type différents de celui vendu et étant antérieurs à la date de fabrication de la machine litigieuse), alors que le courrier de la Drire fait référence à la machine de type Tetra.

La SA Franquet s'est donc bien rendue coupable d'une manœuvre frauduleuse, par sa réticence dolosive.

Le fait de circuler sur les routes, était, à l'évidence, essentiel pour Monsieur Gaidoz, dont la compagnie d'assurance a indiqué, dés qu'elle a connu la non-conformité de la machine qu'elle ne l'assurerait pas en cas d'accident, et qui avait besoin de circuler sur route pour utiliser la machine dans le cadre de son travail.

Le dol est donc constitué.

L'action de l'intimé sur ce fondement est recevable et bien fondée, sans qu'il y ait lieu d'examiner plus avant la recevabilité et le fondement des autres fondements juridiques invoqués.

Il y avait donc bien lieu de prononcer la résolution de la vente, et le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.

Sur les effets de la résolution

La résolution remet la cause et les parties dans l'état dans lequel elles se trouvaient avant la vente, la chose et le prix doivent donc être restitués par chacune des parties,

Le vendeur n'est pas fondé à obtenir une indemnité correspondant à l'utilisation, toutefois, le juge doit rechercher si le véhicule restitué n'a pas subi de dépréciation due à son usage et dont la charge doit incomber à l'acheteur.

Au vu des productions des parties et du rapport d'expertise, il est constant que l'acheteur a payé la machine 125 580 euro TTC, en avril 2003, et l'a utilisée en 2003 et 2004.

L'expert a noté page 6 de son rapport que " l'acquéreur de ce prototype, datant de plusieurs années, sait que sa valeur sera nulle après quelques années d'utilisation ", et page 10 de son rapport que " sa valeur, au jour du rapport, en décembre 2006, (soit à peu prés 4 ans après l'achat) est très faible et correspond à la valeur, démontée des pièces utilisables en occasion, qui le composent ".

Il convient donc d'évaluer la valeur de dépréciation de la machine consécutive à la seule utilisation par l'acquéreur durant à peu prés 2 ans sur les 4 années ayant suivi son achat, à la moitié de son prix de vente, soit, 62 790 euro, la même somme devant être restituée par l'appelante à Monsieur Gaidoz.

Le jugement entrepris sera donc réformé sur ce point.

La résolution de la vente et la restitution de 50 % du prix rendent indifférent le fait que Monsieur Gaidoz ne peut plus vendre la machine.

Monsieur Gaidoz ne démontre pas de préjudice particulier du fait de la résolution de la vente, l'achat d'une autre machine n'étant pas une cause de préjudice, et aucune demande précise n'étant formulée au titre du crédit bail,

Monsieur Gaidoz sera donc débouté de sa demande d'indemnisation d'un préjudice économique, et le jugement sera réformé sur ce point.

Il sera également réformé en ce qui concerne ses dispositions sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

La partie perdante devant, aux termes de l'article 696 du Code de procédure civile, être condamnée aux dépens, la cour condamnera la SA Franquet, qui succombe principalement, à supporter les dépens de la procédure d'appel,

La partie perdante devant, en outre, aux termes de l'article 700 du même Code, être condamnée à payer à l'autre partie, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, une somme arbitrée par le juge en tenant compte de l'équité et de la situation économique de la partie condamnée, la cour condamnera la SA Franquet à payer à Monsieur Hervé Gaidoz une somme de 1 500 euro, tous frais de première instance et d'appel confondus.

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit la SA Franquet en son appel, Confirme la décision entreprise en toutes ses dispositions sauf celles concernant le montant du prix de vente à restituer par la SA Franquet à Monsieur Gaidoz, le préjudice économique de Monsieur Gaidoz, et en ses dispositions sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, Réformant sur ces différents points, Ordonne la restitution du prix de la vente par la SA Franquet à Monsieur Hervé Gaidoz pour un montant de 62 790 euro TTC, Déboute Monsieur Gaidoz de ses demandes au titre du préjudice économique.