CA Agen, 1re ch. com., 14 janvier 2008, n° 07-00159
AGEN
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Claas France (SAS)
Défendeur :
Locamoisson (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Muller
Conseillers :
MM. Marguery, Certner
Avoués :
Me Burg, SCP Vimont
Avocats :
Me Gauclère, Selarl Faggianelli-Cellier
Exposé du litige
Dans des conditions de régularité de forme et de délai non discutées, la SAS Claas France a interjeté appel du jugement rendu par le Tribunal de commerce d'Auch le 15/12/07 :
- ayant dit que les agissements de la SARL Locamoisson n'étaient pas constitutifs de publicité mensongère susceptible de créer la confusion,
- l'ayant déboutée de l'intégralité de ses prétentions,
- l'ayant condamnée, outre à supporter les entiers dépens, à payer à la SARL Locamoisson la somme de 2 000 euro par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Les faits de la cause ont été relatés par le premier Juge en des énonciations auxquelles la Cour se réfère expressément ;
Vu les ultimes écritures déposées par l'appelante le 06/11/07 aux termes desquelles elle conclut à l'infirmation de la décision entreprise et, au visa des articles 1382 du Code civil, L. 121-1 du Code de la consommation et 31 du nouveau Code de procédure civile, demande à la cour d'appel :
* de dire et juger que les agissements de la SARL Locamoisson sont constitutifs de publicité mensongère et susceptible de créer la confusion,
* de condamner cette dernière à lui verser la somme d'un euro au titre des préjudices causés tant à elle-même qu'aux concessionnaires Claas locaux et à la clientèle locale de la marque,
* de condamner l'intimée à procéder à ses frais à la publication de la décision à intervenir dans le plus prochain numéro de la revue " France Agricole " et dans les trois prochains numéros de la revue " Matériel Agricole-Service ", selon une insertion rédigée par l'appelante et qui occupera une pleine page,
* de débouter l'intimée de sa demande en allocation de la somme de 8 000 euro à titre de dommages et intérêts,
* de condamner l'intimée à lui verser en toute hypothèse la somme de 6 000 euro par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Elle fait pour l'essentiel valoir l'argumentation suivante :
1°) la publicité faite par annonce par la société intimée est triplement trompeuse : les photos publiées ne correspondent pas aux produits dont la vente est offerte en légende ; les produits proposés ne sont pas visibles dans les locaux de l'intimée à la date de l'annonce, ce qui n'est pas précisé ; aucune des machines dont il est question n'était susceptible d'être livrée à court terme,
2°) la SARL Locamoisson a manqué à son obligation d'information loyale à l'égard de la clientèle en communiquant sur des produits non visibles en ses magasins et a ainsi trompé cette dernière sur les qualités substantielles des produits visés dans l'annonce, laquelle est effectivement trompeuse sur l'année modèle, la présence du produit sur place et sa disponibilité ; ces éléments caractérisent l'infraction instituée à l'article L. 121-1 du Code de la consommation,
3°) cette publicité est préjudiciable aux distributeurs officiels de la marque, la clientèle et à elle-même ; le dommage résulte du détournement de la clientèle des distributeurs de ladite marque et de la désorganisation du réseau de distribution par l'effet de la publicité mensongère,
4°) elle a un intérêt légitime à agir au sens de l'article 31 du nouveau Code de procédure civile afin d'empêcher le détournement de la clientèle au moyen de procédés déloyaux,
5°) de jurisprudence constante, il importe peu que le préjudice allégué soit quantifié ou quantifiable car l'existence d'un dommage résultant des procédés fautifs utilisés s'infère nécessairement des actes déloyaux constatés,
6°) la demande en dommages et intérêts adverse est purement fantaisiste ; une action en justice n'est pas en soi constitutive d'une " manœuvre déstabilisatrice caractéristique de concurrence déloyale " comme le soutient l'adversaire, mais manifeste le droit d'ester en justice.
Vu les écritures déposées par la SARL Locamoisson le 13/09/07 aux termes desquelles elle conclut à la confirmation du jugement querellé, sauf à le réformer sur sa demande reconventionnelle, et demande à la cour de condamner la société appelante à lui verser :
* la somme de 8 000 euro de dommages et intérêts,
* la somme de 2 000 euro par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Elle fait pour l'essentiel valoir l'argumentation suivante :
1°) les éléments constitutifs de la publicité mensongère incriminée à l'article L. 121-1 du Code de consommation ne sont pas réunis : si les machines ayant fait l'objet de l'annonce litigieuse n'étaient effectivement pas physiquement présentes dans ses locaux, elles étaient commandées et devaient par conséquent être à sa disposition dans un avenir très proche; l'infraction n'est pas constituée dès lors que l'offreur détient les produits dans des lieux et dans des conditions lui permettant de les remettre à l'acheteur dans des délais adéquats eu égard à leur nature,
2°) elle est parfaitement libre de vendre des machines de marque Claas neuves, hors du circuit de distribution de la société Claas France, dès lors qu'elles sont disponibles à la vente ; les procédés de l'appelante portent atteinte à la liberté de son commerce et constituent des actes de concurrence deloyale.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Dans la livraison du mois de novembre 2005 de la revue " Matériel Agricole-Service ", la SARL Locamoisson a fait paraître un annonce relative à la location et à la vente notamment de trois moissonneuses-batteuses de marque Claas ; chaque annonce est constituée d'une photographie de l'engin proposé et d'un texte relatif aux spécificités de la machine en question, à savoir: année 2006, type Lexion 520, type Lexion 530 et Lexion 57 ;
Autorisée par Ordonnance sur requête en date du 22/11/05, la SAS Claas France a fait constater par procès-verbal dressé par ministère d'Huissier de Justice le 08/12/05 que seul le modèle Claas Lexion 520 se trouvait dans les magasins de l'intimée, l'intimée refusant de laisser relever les numéros de série de cet engin et des autres présents ;
Le même jour, elle faisait délivrer sommation interpellative à la SARL Locamoisson de déclarer l'origine des trois engins objets de la publicité litigieuse ; le dirigeant social de cette dernière répondait que le modèle 530 année 2006 n'était pas sur site mais devait être livré fin décembre, que le modèle 520 année de fabrication 2005 y était et que le modèle 570 année 2006, bien que commandé, ne serait " probablement pas rentré " ;
Le 07/02/06, l'appelante faisait établir un nouveau procès-verbal de constat faisant apparaître la présence dans les locaux de la société intimée d'une moissonneuse Claas Lexion 520 année modèle 2005 et d'une moissonneuse Claas Lexion 530 année modèle 2006 ;
L'article L. 121-1 du Code de la consommation dispose qu'est interdite toute publicité comportant (...) des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur lorsque celles-ci portent sur un ou plusieurs des éléments ci-après : existence, nature, (...), qualités substantielles, espèce, origine, quantité, mode et date de fabrication (...) ;
Il est cependant admis que " la disponibilité d'un produit peut ne pas être immédiate lorsque l'offreur détient les produits dans des lieux et dans des conditions lui permettant de les remettre à l'acheteur dans des délais adéquats eu égard à leur nature " ;
Les parties sont contraires en ce qui concerne le point de départ de l'année modèle en matière d'engins agricoles, soit l'année calendaire, soit le mois de juillet de chaque année, mais ni l'une ni l'autre, et spécialement l'appelante, ne croit utile de verser aux débats les éléments probants permettant de trancher la question ;
Cela étant, la simple apparition dans une publicité de la photographie d'un produit offert à la vente ne signifie pas nécessairement qu'elle se trouve dans les magasins du vendeur ;
Le 15/10/05, l'intimée a reçu de la société de droit italien Rosso une "proposition" pour l'achat de deux engins de marque Claas, type Lexion 520 et Lexion 570, année modèle 2006 ; dans ce document, il n'est indiqué aucun délai de livraison ; elle y aurait répondu le 17/10/05 ; le document qu'elle présente à cet égard est sujet à caution: d'une part, il est intitulé "confirmation achat" mais on ne sait ce qu'il confirme et qu'il aurait dû s'intituler "commande" ; d'autre part, il n'a fait l'objet d'aucune confirmation de la part de la société Rosso ; d'ailleurs, il n'est pas discuté que ce contrat, pour autant qu'il se serait noué, n'est pas sorti à effets, ce qui constitue une curiosité compte tenu de son importance ;
L'intimée communique par ailleurs deux factures établies par une entreprise de droit espagnol, la société Tracoen Espana, correspondant à l'achat de deux moissonneuses-batteuses de marque Claas, type Lexion 520 et Lexion 530; ces documents, portant la respectivement la date des 21/11/05 et 27/01/06, correspondent à un contrat daté du 13/10/05 dans lequel il est indiqué que la livraison du premier engin interviendra fin octobre 2005 et celle du deuxième sera effectué entre le 15 et le 30 novembre 2005 ; il est cependant remarquable qu'il ne figure sur aucun de ces trois documents l'année modèle des engins objets de la cession ;
De ce qui précède et notamment des dires mêmes du dirigeant de la société intimée à l'occasion de la sommation interpellative, il résulte que :
- la moissonneuse-batteuse de marque Claas Lexion 530, année modèle 2006, était disponible dans les magasins de l'intimée dans des conditions lui permettant de les remettre à tout acheteur potentiel dans des délais adéquats eu égard à leur nature de ce bien, ainsi qu'il s'évince du procès-verbal de constat le 07/02/06,
- la disponibilité de l'engin de marque Claas, type Lexion 570, année modèle 2006, est à tout le moins douteuse, sachant qu'il n'était en réalité pas dans l'intention de la SARL Locamoisson d'en faire l'acquisition, nonobstant le prétendu contrat passé avec la société Rosso,
- la disponibilité de l'engin de marque Claas, type Lexion 520 année 2006 n'était pas assurée ; le modèle présent dans les magasins de l'intimée le 08/12/05 puis le 07/02/06 était de l'année 2005 ; la société Rosso n'a jamais livré ce modèle année 2006 attendu que le contrat allégué entre elle et l'intimée, pour autant qu'il ait été réellement conclu, n'a jamais été mis à exécution ;
La publicité réalisée par l'intimée est donc trompeuse en ce qu'elle annonce à tout le moins la disponibilité d'un engin de marque Claas, type Lexion 520, dans l'année modèle 2006, qui n'existe pas ; seule est présent et disponible un engin de marque Claas, type Lexion 520, mais de l'année modèle 2005 ;
Or, la mention d'une indication ou d'une présentation fausse ou de nature à induire en erreur portant sur " une date de fabrication " - en l'espèce erronée - ou sur les qualités substantielles du bien en cause - l'année modèle entre dans la définition de cette notion - est l'un des éléments constitutif requis de l'infraction visée à l'article L. 121-1 du Code de la consommation ;
Si l'appelante n'a pas qualité pour défendre au nom des membres de son réseau, ni des clients de ce dernier, en vertu du principe que " nul ne plaide par procureur ", elle est en droit, en son nom personnel, de fonder son action sur les dispositions de l'article 1382 du Code civil dès lors que la publicité de nature à induire en erreur est susceptible d'avoir pour effet de détourner sa clientèle ;
Le dommage dont l'appelante sollicite la réparation résulte du caractère trompeur de la publicité parce qu'il entraîne ce détournement, lequel constitue un acte de concurrence déloyale ;
Le trouble commercial, qui fonde l'existence du préjudice et peut, comme au cas précis, n'être en réalité que purement moral, s'infère nécessairement de l'acte de concurrence déloyale précédemment caractérisé ;
Il convient en conséquence de considérer engagée la responsabilité civile quasi-délictuelle de l'intimée et de faire droit à la demande d'une part d'allocation de dommages et intérêts formée par l'appelante et d'autre part de condamnation de l'intimée à procéder à ses frais à la publication par extraits de la présente décision dans le plus prochain numéro de la revue " Matériel Agricole-Service ", selon une insertion rédigée par l'appelante et sur un quart de page, afin de respecter le parallélisme des formes ;
Le jugement attaqué doit dès lors être infirmé ;
La demande en dommages et intérêts de la société intimée, qui se plaint sans le démontrer que les procédés de l'appelante auraient porté atteinte à la liberté de son commerce et seraient constitutifs d'actes de concurrence déloyale, alors qu'elle est seule fautive d'avoir faussé la libre concurrence par ses agissements inconvenants, ne peut qu'être rejetée ;
L'équité et la situation économique commandent d'allouer à l'appelante le remboursement des sommes exposées par elle pour la défense de ses intérêts ;
Qu'il convient de lui accorder la somme de 3 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Les dépens de première instance et d'appel doivent être entièrement supportés par l'intimée qui succombe.
Par ces motifs : LA COUR, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe et en dernier ressort, infirme la décision, Dit que les agissements de la SARL Locamoisson sont constitutifs de publicité mensongère et susceptible de créer la confusion par détournement de clientèle et concurrence déloyale, Condamne la SARL Locamoisson à payer à la SAS Claas France la somme d'un euro en réparation de son préjudice personnel, Condamne la SARL Locamoisson à procéder à ses frais à la publication par extraits de la présente décision dans le plus prochain numéro de la revue "Matériel Agricole-Service", selon une insertion rédigée par l'appelante et sur un quart de page, Déboute les parties de leurs plus amples prétentions, Condamne la SARL Locamoisson à payer à la SAS Claas France la somme de 3 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la SARL Locamoisson aux entiers dépens de première instance et d'appel, Autorise les avoués de la cause à recouvrer directement ceux des dépens dont ils auraient fait l'avance sans avoir reçu provision.