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Décisions

CA Paris, 13e ch. A, 29 septembre 2008, n° 08-01453

PARIS

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Waechter

Conseillers :

Mmes Geraud-Charvet, Mathieu

Avocat :

Me Kalopissis

TGI Paris, 31e ch., du 7 nov. 2007

7 novembre 2007

RAPPEL DE LA PROCEDURE :

LA PREVENTION :

La SA X et Y ont été poursuivis à la requête du procureur de la République de Paris, pour avoir à Paris, sur le territoire national, du 29 janvier 2004 au 11 août 2004, et depuis temps non couvert par la prescription, effectué une publicité comportant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur, en l'espèce dans des communiqués des 29 janvier 2004, 19 avril 2004, 25 mai 2004 et 25 juin 2004 consultables sur le site de communication en ligne www.Z.fr, en indiquant faussement que les cabines de bronzage sont plus sécuritaires que le soleil, que les séances de bronzage à l'intérieur des cabines UV préparent et protègent la peau contre les agressions solaires et en affirmant que l'utilisation d'UV en cabine est bénéfique pour la santé et peut aider à écarter un grand nombre de maladies graves, voire mortelles.

LE JUGEMENT :

Le tribunal, par jugement contradictoire à l'encontre de la SA X et Y, prévenus, a déclaré la SA X et Y non coupables et les a relaxés des fins de la poursuite pour les faits qualifiés de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur par personne morale, faits commis du 29 janvier 2004 au 11 août 2004, à Paris, infraction prévue par les articles L. 121-1, L. 121-5, L. 213-6 al. 1 du Code de la consommation, l'article 121-2 du Code pénal et réprimée par les articles L. 213-6 al. 2, L. 121-6, L. 213-1 du Code de la consommation, les articles 131-38, 131-39 2°, 3°, 4°, 5°, 6°, 7°, 8°, 9° du Code pénal,

A la suite d'un rapport de l'Académie nationale de médecine du 4 mai 2004 intitulé " Soleil et santé " faisant suite lui-même au rapport du docteur Jacques Basex relatif à l'exposition aux rayons ultraviolets A artificiels (UVA) à des fins esthétiques, la DGCCRF demandait à sa direction de Paris le 30 juin 2004, une enquête générale auprès de la société exploitant l'enseigne "A", la SA X dont le président directeur général est B et le directeur général du marketing Y.

La DDCCRF a notamment enquêté sur les éléments diffusés à la demande de la SA X sur le site de communication en ligne "www.Z.fr" entre les mois de janvier et juin 2004 ; elle a relevé les éléments suivants de nature, selon elle, a constituer une publicité fausse ou de nature à induire en erreur :

- dans le communiqué du 29 janvier 2004 :

* rubrique "comment se préparer à bien bronzer" : "une peau bien préparée avec un bronzage progressif et modéré est mieux protégée contre les agressions solaires. Quelques séances de bronzage s'imposent donc avant de partir à la mer ou à la montagne. Lorsqu'elles sont pratiquées avec intelligence (respect du temps d'exposition notamment), les expositions solaires sont source de bienfaits aujourd'hui largement démontrés par médecins et chercheurs. Grâce à la réglementation sur les cabines UV mise en place en 1997, il n'est théoriquement pas possible d'attraper un coup de soleil dans ce cadre, contrairement aux expositions solaires".

* rubrique "les bienfaits du soleil" où est évoqué le rôle crucial que jouerait l'exposition solaire régulière et contrôlée dans la prévention et l'inhibition de certains cancers : "une étude plus récente menée par le professeur Holick qui dirige le Général Clinical Research Center de l'université de Boston ainsi qu'un important centre de recherche sur la vitamine D, la peau et les os, met également en avant les effets bio-positifs du soleil artificiel" ;

- dans le communiqué du 19 avril 2004 intitulé "Exposition solaire : un bronzage maîtrisé est bénéfique ", la rubrique "des études démontrent les bienfaits du bronzage ", fait état d'études démontrant les bienfaits des UVB pour la santé; la conclusion de cette rubrique évoque l'ouvrage scientifique "The UV advantage" du docteur Holick en ces termes: "il conclut que les expositions relativement brèves au soleil ou son équivalent en cabine UV plusieurs fois par semaine, peuvent aider à écarter un grand nombre de maladies graves, voire mortelles".

Y, en réponse aux questions posées par la DDCCRF, déclarait que la rédaction du dossier de presse était effectuée par l'agence "Z communication", pour informer les journalistes dans le cadre du droit à la liberté d'expression ; il précisait que les informations communiquées sur le site "Z" étaient préalablement soumises à son approbation ; il soutenait que la communication faite ne relevait pas de la propagande ou de la publicité commerciale, mais de la liberté d'expression et de la liberté de la presse; il précisait qu'aucune référence aux bienfaits des UV en cabine n'était faite et que seules des informations scientifiquement prouvées et déjà largement répandues dans la presse sur les bienfaits du soleil naturel étaient données.

Une vérification du site "www.Z.fr" réalisée le 19 mai 2005 permettait de constater que les références aux bienfaits du soleil artificiel avaient été supprimées.

Par procès-verbal clos le 1er février 2006, la DDCCRRF estimait constituée l'infraction de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur et transmettait le dossier au parquet qui faisait diligenter des poursuites de ce chef à l'encontre de Y et de la personne morale la SA X.

Le tribunal a relaxé les prévenus en retenant que les allégations litigieuses figuraient dans un communiqué de presse qui ne pouvait constituer un message publicitaire.

Devant la Cour :

Madame l'Avocat général se référant au rapport d'appel du procureur de la République près le Tribunal de grande instance de Paris, soutient que le caractère publicitaire des messages en cause ne fait aucun doute en l'espèce, s'agissant d'une campagne visant à contredire à des fins purement commerciales les messages de santé publique et de prophylaxie diffusés par le Gouvernement et la communauté scientifique médicale de l'époque, et ce à raison des difficultés économiques des sociétés exploitant des cabines UV ; elle souligne que le site concerné était accessible à tout internaute, de manière volontaire ou fortuite ; elle fait valoir que les allégations retenues étaient mensongères ou de nature à induire en erreur de par leur contenu même et par leur caractère de faux communiqué de presse et leur habillage pseudo-scientifique, que le contenu des communiqués ne comportait aucune recherche d'objectivité, qu'il s'agissait donc d'une présentation partisane significative d'un objectif de propagande ; elle requiert donc l'infirmation du jugement, de déclarer les prévenus coupables des faits visés à la prévention, et de les condamner à une amende dont elle laisse à la cour le soin de déterminer le quantum.

Les prévenus, par conclusions, demandent la confirmation du jugement en ce qu'il les a relaxés du délit de publicité trompeuse ou de nature à induire en erreur ; ils font valoir :

- que les communiqués de presse des 29 janvier, 19 avril 25 mai et 25 juin 2004 mis en ligne sur le site "www.Z.fr" ne sont pas constitutifs d'une publicité, mais relaient une information dans le cadre de l'exercice du droit d'expression de la société X ; qu'ils ne sont que des citations d'ouvrages scientifiques clairement identifiés ;

- qu'ils sont adressés à des journalistes, donc à des professionnels, et non à des consommateurs ; que la consultation du site nécessite des recherches spécifiques et n'est pas accessible à tout internaute qui chercherait à obtenir des informations sur le bronzage; que dans un contexte où une importante campagne de presse associait quasi automatiquement toute exposition au soleil naturel ou artificiel, au cancer, la société X a décidé, dans un seul souci d'information, de faire entendre une autre voix et de présenter aux journalistes une opinion différente sur la question du bronzage, elle aussi relayée par des scientifiques et des personnalités du monde médical ;

- que les communiqués ne contiennent aucune indication pouvant laisser croire que les cabines de bronzage sont plus sécuritaires que le soleil ou préviendraient des maladies ; qu'en particulier un des passages retenus par la DGCCRF est une citation, qui se distingue du reste des développements étant encadrés par des guillemets de l'ouvrage du professeur Michael F. Holick ;

- qu'ils ne contiennent aucune indication de nature à induire en erreur.

Sur ce,

Considérant que les messages des 29 janvier et 19 avril 2004 visés à la prévention, bien que se présentant faussement comme délivrant une information scientifique destinée à la presse, revêtent incontestablement le caractère d'un message publicitaire ; qu'en effet il ne peut être soutenu qu'il s'agissait de communiqués de presse alors que l'agence "Z", qui se contente de relayer les informations que son client lui transmet, n'a aucune indépendance par rapport à celui-ci; qu'il ressort des éléments du dossier que les messages diffusés à la demande et pour le compte de la société X exploitant l'enseigne commerciale A. l'ont été dans le cadre d'une opération de communication destinée, comme l'admettent les prévenus, à contrebalancer une information scientifique qui leur était défavorable, et ce dans le but de promouvoir les cabines de bronzage, marché sur lequel les entreprises commerciales de leur réseau occupent la place prépondérante en France ; qu'en outre, même si le relais presse a été utilisé, c'était bien le consommateur qui était la cible finale de cette campagne, étant observé au demeurant que le site Internet en cause était d'accès libre; qu'enfin le caractère non pluraliste des "informations" diffusées confirme l'objectif de l'annonceur qui était de promouvoir la seule thèse servant ses intérêts commerciaux.

Considérant que le contenu des messages incriminés est de nature à induire le consommateur en erreur; qu'en effet s'agissant du communiqué du 29 janvier 2004, rubrique "comment se préparer à bien bronzer", il se déduit clairement et sans interprétation de la lecture de l'ensemble du message, que les cabines de bronzage sont plus sécuritaires que le soleil et que les séances de bronzage par appareils à UV préparent et protègent la peau contre les agressions solaires ; que cette affirmation est très largement fausse selon le rapport de l'OMS de 2003, et en tous cas de nature à. induire le consommateur en erreur en ce qu'il ne l'informe pas sur les risques encourus lors de l'exposition en cabine UV, contrairement à ce qui est imposé par le décret n° 97-617 du 30 mai 1997 relatif à la vente et à la mise à la dispositions du public de certains appareils de bronzage utilisant les rayonnements ultraviolets; que de même, est de nature à induire en erreur le consommateur, le communiqué du 19 avril 2004 rubrique "des études démontrent les bienfaits du bronzage", qui faisant un amalgame entre soleil naturel et DV en cabine, affirme que les expositions au soleil ou en cabine UV plusieurs fois par semaine sont bénéfiques pour la santé et peuvent aider à écarter un grand nombre de maladies graves, voire mortelles ; qu'il importe peu que la phrase incriminée soit une citation extraite d'un ouvrage, dès lorsqu'elle est reprise par l'annonceur à son compte, et qu'au contraire cet élément renforce l'impact du message délivré qui est d'autant plus trompeur qu'il se présente comme étant scientifique ; que la cour observe d'ailleurs que la SA X a, après le contrôle de la DDCCRF, supprimé dans ce message toute référence aux bienfaits du soleil artificiel.

Considérant en conséquence, qu'infirmant le jugement entrepris, la cour déclarera Y et la SA X coupables des faits de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur visés à la prévention et entrera en voie de condamnation à leur encontre en prononçant les peines d'amendes qui seront précisées au dispositif.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement à l'encontre des prévenus ; Reçoit le Ministère public en son appel ; Infirme le jugement entrepris ; Déclare Y et la SA X coupables des faits de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur visés à la prévention ; Condamne Y à 5 000 euro d'amende ; Condamne la SA X à 10 000 euro d'amende. Le(s) condamné(s) n'étant pas présent(s) au jour du délibéré, l'avertissement prévu par l'article 707-3 du Code de procédure pénale, n'a pas pu être donné.